Table
des matières
28 - Comment
tous doivent se comporter à l'égard
de qui n'obéit pas.
29 - De
l'orgueil et du murmure dans le travail.
30 - Dans
quel esprit les supérieurs doivent s'occuper
des frères.
31 - Qu'il
faut accepter les services du supérieur.
32 - Quelle
attitude faut-il prendre vis-à-vis des membres
de sa famille ?
33 - Quelle
règle observer dans les relations avec les
surs ?
34 - Quelles
qualités sont requises àceux qui distribuent
le nécessaire aux frères ?
35 - Faut-il
établir plusieurs fraternités dans une
même localité ?
36 - De
ceux qui quittent une fraternité.
37 - Faut-il
négliger le travail sous prétexte de
prière et de psalmodie ? Quels sont les
moments opportuns pour la prière ? et, tout
d'abord, faut-il travailler ?
38 - Quels
métiers sont compatibles avec notre profession
?
39 - Comment
faut-il vendre les produits du travail et comment
voyager dans ce but ?
40 - Des
foires qui se tiennent à l'occasion des fêtes
religieuses.
41 - De
la volonté propre et de l'obéissance.
42 - Pour
quelle fin et dans quel but il faut travailler.
43 - Quelles
qualités doivent avoir les supérieurs
et comment ils doivent gouverner.
44 - A
qui permettre de s'absenter et comment interroger
ceux qui rentrent de voyage ?
45 - Qu'il
faut, après le supérieur, quand celui-ci
est absent ou empêché, un frère
capable d'assurer la direction de la fraternité.
46 - Qu'il
ne faut dissimuler ni sa faute ni celle d'autrui.
47 - De
ceux qui n'admettent pas les décisions du supérieur.
48 -
Qu'il ne faut pas scruter la conduite du supérieur,
mais s'occuper de ce qu'on a soi-même à
faire.
49 - Des
contestations entre les frères.
50 - Comment
le supérieur doit réprimer les fautes.
51 - Comment
il faut corriger les pécheurs.
52 - Dans
quels sentiments il faut recevoir la correction.
53 - Comment
ceux qui enseignent les métiers doivent corriger
les enfants pris en faute.
54 - Des
entretiens entre supérieurs de la fraternité
sur les sujets qui les concernent.
55 - Si
le recours à la médecine est conforme
à l'esprit de la vie religieuse.
QU : 28 : Comment tous doivent
se comporter à l'égard de qui n'obéit
pas
R. : Lorsqu'un frère obéit à
contrecur aux préceptes du Seigneur,
il faut commencer par avoir pitié de lui, comme
d'un membre malade, et le supérieur doit tâcher
de le guérir par ses exhortations.
S'il persiste dans sa désobéissance
et ne consent pas à se corriger, il faut le
reprendre rudement en présence de tous les
frères et lui adresser, pour le sauver, les
appels les plus pressants ; mais si , après
bien des admonestations, il ne se reprend ni ne s'amende
dans sa conduite, il faut le considérer, selon
le proverbe, comme étant une peste pour lui-même
et, à l'exemple des médecins, avec larmes
peut-être et avec tristesse, le retrancher du
corps comme un membre corrompu et complètement
inutile.
De fait, lorsque les médecins ont à
faire à un membre atteint d'une maladie incurable,
ils ont l'habitude de l'enlever par le fer ou par
le feu, de peur que le mal ne se répande en
attaquant les parties voisines. Il faut faire de même
à l'égard de ceux qui se conduisent
en ennemis des commandements de Dieu et empêchent
les autres de les observer, car le Seigneur a dit
: "Si ton il droit te scandalise arrache-le
et jette-le loin de toi" (Mt 5, 29). La bonté
que l'on montre à de tels frères ressemble
à la faiblesse coupable dont Héli fit
preuve envers ses fils contre la volonté du
Seigneur, et qui lui fut reprochée."(1
S 3, 13)
Conserver une attitude bienveillante à l'égard
des méchants c'est trahir la vérité,
dresser des embûches à la communauté
et s'habituer à l'indifférence vis-à-vis
du mal, car faute d'avoir fait ce que dit l'Apôtre
: "Pourquoi n'avez-vous pas été
dans une plus grande affliction, de façon à
chasser d'entre vous l'auteur d'un tel acte ?"
(1Co 5, 2), il arrive nécessairement ce qu'il
ajoute : "Qu'un peu de levain fait lever toute
la pâte" (1 Co 5, 6)
"Pour les pécheurs, dit-il encore, il
faut les reprendre devant tous", et il ajoute
immédiatement le motif : "afin que les
autres en conçoivent de la crainte". (1
Tm 5, 20)
En somme celui qui n'accepte pas la médication
que lui offre le supérieur se contredit aussi
lui-même, car s'il ne veut pas en recevoir de
directives et persiste dans sa volonté propre,
pourquoi reste-t-il avec lui ? Pourquoi le conserve-t-il
comme règle de sa vie ?
Si quelqu'un a accepté d'être incorporé
dans la communauté, une fois jugé vase
capable de servir, même s'il croit que l'ordre
dépasse ses forces, il doit s'en remettre au
jugement de celui qui commande ainsi au-delà
de ce qu'il peut, et se montrer docile et obéissant
jusqu'à la mort en souvenir du Seigneur, "qui
s'est fait obéissant jusqu'à la mort,
et la mort de la croix " (Ph 2, 8). Se révolter
et contredire est l'indice de bien des défauts
: foi débile, espérance branlante, orgueil
et superbe de caractère. Personne, en effet,
ne désobéit sans avoir d'abord méprisé
celui qui commande. Au contraire, celui qui a confiance
dans les promesses divines et espère fermement
en elles n'hésitera certainement pas à
accomplir les ordres mêmes difficiles qu'on
lui impose, car, il le sait, "les souffrances
de cette vie sont en elles-mêmes bien indignes
de nous mériter la gloire future". (Rm
8, 18)
Celui qui croit en outre que l'humble sera élevé
(Mt.23, 12), montrera plus d'ardeur encore que n'en
attend le supérieur, car, il le sait, "nos
légères afflictions du moment produisent
pour nous au-delà de toute mesure, un poids
éternel de gloire". (2 Co 4, 17) (Retour)
QU : 29 : De l'orgueil et du
murmure dans le travail
R. : Lorsqu'un frère est surpris à murmurer
ou à s'enorgueillir dans son travail, ce qu'il
aura fait ne peut être mis avec le travail de
ceux qui ont le cur humble et contrit, ni servir
d'aucune façon à ceux qui ont la crainte
de Dieu, car "ce qui est élevé
parmi les hommes est en abomination devant Dieu"
(Lc 16, 15). L'Apôtre, lui aussi, donne un avertissement
en disant : "Ne murmurez pas comme certains ont
murmuré et ont été livrés
à l'exterminateur" (1 Co 10, 10),et :
"N'agissez ni avec tristesse ni avec contrainte".
(2 Co 9, 7)
Un travail de ce genre est donc inacceptable, comme
un sacrifice digne de blâme, et il ne convient
pas de le joindre au travail des autres. Puisque ceux
qui avaient apporté sur leur autel le feu étranger
furent soumis à un tel châtiment (Lv
10, 1-2), comment ne serait-il pas dangereux de faire
servir à la pratique des commandements eux-mêmes
le travail accompli dans de mauvaises dispositions
vis-à-vis de Dieu ? "Quel commerce peut-il
y avoir entre la justice et l'injustice ?" (2
Co 6, 14-15). C'est pourquoi Dieu dit : "L'impie
qui m'immole un veau est comme s'il tuait un chien,
et lorsqu'il m'offre la fleur du froment, comme s'il
me présentait le sang du porc". (Is 66,
3)
Il faut donc absolument écarter de la fraternité
le travail du paresseux et du murmurateur.
De leur côté, les supérieurs doivent
veiller à ne pas transgresser eux mêmes
la doctrine de Celui qui a dit : "Celui qui marche
dans des voies sans tache est mon serviteur, mais
celui qui s'élève par l'orgueil n'habitera
pas ma demeure" (Ps 100, 6-7). Il ne faut donc
pas que, grâce à eux, celui qui mêle
le péché à l'observance des commandements
et gâte son travail en évitant la peine
ou en s'enorgueillissant de sa supériorité,
continue dans la perversité, parce qu'ils acceptent
ses uvres et lui enlèvent ainsi l'occasion
de se rendre compte de ses maux.
D'une part, le supérieur doit savoir que, s'il
n'est pas pour son frère un véritable
guide, il s'expose à un grave et inévitable
châtiment, car, selon l'Ecriture, son sang lui
sera réclamé (Ez 3, 18) ; d'autre part,
l'inférieur doit être prêt à
ne se soustraire à aucun ordre, même
des plus pénibles, dans la persuasion qu'il
aura une récompense plus abondante dans les
cieux.
Que l'espérance de la gloire réjouisse
donc le disciple obéissant, et lui fasse accomplir
le travail du Seigneur en toute patience et allégresse
! (Retour)
QU : 30 : Dans quel esprit les
supérieurs doivent s'occuper des frères
R . : Le supérieur ne s'enorgueillira pas à
cause de sa dignité, de peur de déchoir
de la béatitude promise aux humbles (Mt 5,
3), ou de tomber aveuglé de superbe sous la
condamnation du démon (1 Tm 3, 6) ; mais il
sera bien persuadé de ceci : que gouverner
c'est servir.
Celui qui donne ses soins à un blessé,
racle le pus de ses plaies et emploie des remèdes
selon la nature du mal qu'il rencontre, ne tire nullement
vanité du service qu'il rend, mais il y trouve
un motif d'humilité, de sollicitude et d'angoisse.
Ainsi, a fiortori, celui à qui a été
confié le soin de guérir la communauté,
tel le serviteur de tous obligé de répondre
de chacun, doit accepter les préoccupations
et l'anxiété. C'est alors qu'il atteindra
réellement son but, selon la parole du Seigneur
: "Celui qui veut être le premier parmi
vous doit être le dernier et se faire le serviteur
de tous". (Mc 9, 34) (Retour)
QU : 31 : Qu'il faut accepter
les services du supérieur
R. : Les frères doivent accepter même
les services matériels que leur rendent ceux
qui occupent la place de supérieurs dans la
fraternité, car il est de l'essence de l'humilité
que le supérieur serve et que l'inférieur
reçoive volontiers ce service.
L'exemple du Seigneur montre, en effet, que s'il n'a
pas cru indigne de lui de laver les pieds de ses disciples,
ceux-ci n'ont pas eu non plus l'audace de lui résister,
et Pierre, qui pour sa piété envers
lui tenait la première place, s'étant
récusé d'abord, s'empresse cependant
d'obéir dès qu'il eut été
averti du danger qu'il courait en se dérobant.
L'inférieur n'a donc pas à craindre
de ne pouvoir pratiquer l'humilité même
si parfois le supérieur le sert, car celui-ci
le fait souvent pour l'instruire ou lui donner le
bon exemple bien plus que parce qu'il en a un besoin
urgent. C'est en obéissant et en imitant qu'il
montrera son humilité, tandis que s'il résiste
sous prétexte d'humilité, il fera preuve
d'orgueil et de superbe, car la résistance
indique un esprit d'insoumission et d'indépendance
et est un signe de l'orgueil et du dédain plutôt
que de l'humilité et de la docilité
en tout.
Obéissons donc à Celui qui a dit : "Supportez-vous
mutuellement dans la charité". (Ep 4,
2) (Retour)
QU : 32 Quelle attitude faut-il
prendre vis-à-vis des membres de sa famille
R. A ceux qui ont été définitivement
reçus dans la fraternité les supérieurs
ne doivent absolument pas permettre de s'en éloigner
pour quoi que ce soit, de se séparer des frères
et d'aller vivre sans témoins, sous prétexte
de visiter leurs proches, ou d'assumer la protection
des intérêts des membres de leur famille.
Il faut, en effet, rejeter absolument l'emploi des
mots "mien" et "tien" entre frères,
car, est-il écrit, "les fidèles
n'avaient qu'un cur et qu'une âme et personne
n'appelait sien ce qu'il possédait" (Ac
4, 32). Par conséquent, si les parents ou les
frères de quelqu'un vivent selon Dieu, qu'ils
soient honorés par tous dans la fraternité
comme pères et frères de tous, le Seigneur
ayant dit : "Celui qui fait la volonté
de mon Père qui est dans les cieux est à
la fois mon frère, ma sur et ma mère"
(Mt 12,50), et il nous semble que c'est au supérieur
de la fraternité de prendre soin d'eux.
Lorsqu'ils sont impliqués dans la vie ordinaire,
nous n'avons rien de commun avec eux, nous qui nous
efforçons de pratiquer fidèlement et
sans relâche la loi de Dieu, car, outre que
nous ne pouvons leur rendre aucun service, nous remplirions
encore notre vie de trouble et d'agitation, et nous
nous laisserions entraîner aux occasions de
pécher.
Bien plus, si nos proches d'autrefois sont des contempteurs
des lois divines et méprisent la vie religieuse,
nous ne pouvons normalement les recevoir, lorsqu'ils
viennent nous visiter, parce qu'ils n'aiment pas le
Seigneur qui a dit : " Celui qui ne m'aime pas
n'observe pas mes commandements" (Jn 14, 24).
Or "quel commerce peut-il y avoir entre la justice
et l'iniquité, quelle relation entre le fidèle
et l'infidèle ?" (2 Co 6, 14-15)
Il faut spécialement tout faire pour écarter
soigneusement de ceux qui s'exercent encore à
la vertu les occasions de pécher, dont la plus
funeste est le souvenir de la vie passée, de
peur qu'il ne leur advienne ce qu'expriment ces paroles
: "Leurs curs se sont retournés
vers l'Égypte" (Nb 14, 4) ; or ce malheur
arrive souvent par suite de fréquents entretiens
avec les proches.
En général il ne faut donc permettre
à qui que ce soit, parents ou étrangers,
de s'entretenir avec des frères, à moins
que l'on ne soit sûr qu'ils le font pour l'édification
et le progrès spirituel de l'âme.
S'il est parfois nécessaire de parler avec
des visiteurs, que la charge en soit confiée
à ceux qui ont reçu le charisme de la
parole, parce qu'ils peuvent parler et écouter
avec sagesse pour l'édification de la foi.
L'Apôtre nous enseigne clairement qu'il n'est
pas donné à tous de savoir parler, mais
que c'est un charisme accordé rarement : "A
l'un, dit-il, l'Esprit saint donne la parole de sagesse,
à l'autre une parole de science" (1 Co
12, 8), et il ajoute ailleurs : "Afin qu'il puisse
exhorter par une sainte doctrine et confondre les
contradicteurs" (Tt 1, 9). (Retour)
QU : 33 : Quelle règle
observer dans les relations avec les surs ?
R. : Celui qui a renoncé pour toujours au mariage
renoncera bien plus encore aux préoccupations
dont s'embarrassent un homme marié qui veut
plaire à son épouse (1 Co 7, 33), et
il repoussera complètement tout souci de plaire
à une femme, car il craindra le jugement de
Celui qui a dit : "Dieu a dispersé les
os de ceux qui plaisaient aux hommes" (Ps 52,
6)
Il ne s'entretiendra donc jamais, même avec
un homme, dans le seul désir de lui plaire,
mais lorsque son utilité le demandera il ira
à lui dans cet esprit de charité que
Dieu veut que chacun trouve dans son prochain.
Ces entretiens ne doivent donc être concédés
ni à tous ceux qui le désirent, ni à
n'importe quel moment, ni en n'importe quel endroit.
Si, obéissant au précepte de l'Apôtre,
nous ne voulons pas être un sujet de scandale
(1 Co 10, 32) aux juifs, aux grecs et à l'Eglise
de Dieu, mais faire tout avec décence, ordre
et édification, il nous faut choisir et déterminer
avec soin les personnes, le moment, le sujet et le
lieu. Par là, on évitera même
toute ombre de soupçon du mal et ceux qui auront
été reconnus capables de se voir et
de s'entretenir de sujets agréables à
Dieu, soit pour le service du corps soit pour l'utilité
de l'âme, manifesteront leur réserve
et leur modestie dans toute leur façon d'agir.
Qu'ils ne soient donc pas moins de deux de chaque
coté, car à n'être qu'un de part
et d'autre on fait facilement naître le soupçon,
pour ne pas dire plus, et on donne moins de poids
à ce que l'on dit, car l'Ecriture affirme sagement
: "Toute parole reçoit confirmation par
la présence de deux ou trois témoins"
(Dt 19, 15 ; Mt 18, 16). Qu'ils ne soient cependant
pas plus de trois pour ne pas entraver l'empressement
du zèle voulu par notre Seigneur Jésus-Christ.
Si des frères ont à dire ou à
entendre des choses personnelles, on n'accordera pas
l'entretien aux intéressés eux-mêmes,
mais d'autres frères choisis parmi les anciens
se rencontreront avec des surs également
anciennes et la question sera traitée par leur
intermédiaire. Cette mesure doit du reste être
observée non seulement par les hommes vis-à-vis
des femmes et les femmes vis-à-vis des hommes
mais aussi par les hommes entre eux et les femmes
entre elles.
Outre qu'ils doivent posséder la crainte de
Dieu et la gravité en tout, ces intermédiaires
choisis seront prudents dans leurs interrogations
et leurs réponses, fidèles et sages
dans leurs discours, et ils réaliseront cet
avertissement : "Il parlera avec discernement"
(Ps 111, 5), de manière à répondre
à l'attente de ceux qui auront eu confiance
en eux et à leur donner tout apaisement au
sujet de ce qu'ils auront traité pour eux.
D'autres frères auront de même la charge
de veiller aux nécessités corporelles
et ils seront, eux aussi éprouvés, avancés
en âge, vénérables dans leur conduite
et dans leur manière de vivre, afin que nul
mauvais soupçon ne vienne blesser aucune conscience,
car : "Pourquoi ma liberté sera-t-elle
jugée par la conscience d'autrui ?" (1
Co 10, 29) (Retour)
QU : 34 : Quelles qualités
sont requises en ceux qui distribuent le nécessaire
aux frères ?
R. : Il faut absolument qu'il y ait des frères
chargés de distribuer le nécessaire
en chaque ordre de choses, capables de faire comme
il est dit dans les Actes : "On donnait à
chacun selon ses besoins". (Ac 4, 35)
Ils auront particulièrement à cur
d'être miséricordieux et bons envers
tous et de ne pas prêter le flanc au soupçon
de sympathie ou de préférence pour certains,
suivant l'avertissement de l'Apôtre : "Ne
faisant rien par inclination" (1 Tm 5, 21) ;
ils éviteront aussi de paraître animés
de cet esprit de querelle déclaré par
le même Apôtre étranger au chrétien
: "Si quelqu'un se plaît à quereller,
ni nous ni l'Eglise de Dieu nous n'avons cette habitude"
(1Co 11, 16), car par suite de cette disposition ils
refuseraient le nécessaire à leurs adversaires,
et donneraient avec excès à leurs amis
: d'un côté ce serait la haine entre
frères, et de l'autre l'amitié particulière,
amitié extrêmement blâmable, parce
qu'elle détruit la concorde, fruit de l'amour
fraternel, et parce qu'il en résulte les mauvais
soupçons, les jalousies, les disputes et la
négligence dans le travail.
Pour ces conséquences et pour bien d'autres
semblables, il est au plus haut point nécessaire
que ceux qui subviennent aux besoins des autres dans
la fraternité soient exempts de cet esprit
de contention et de ces sympathies particulières.
Eux-mêmes et tous ceux dont la charge est d'être
utile aux frères, doivent sentir intérieurement
et montrer extérieurement qu'ils servent non
des hommes mais le Seigneur lui-même, car dans
sa grande bonté Celui-ci estime comme rendus
à lui-même l'honneur et le zèle
rendus à ceux qui lui sont consacrés,
et il promet en récompense l'héritage
du Royaume des Cieux : "Venez, dit-il, les bénis
de mon Père, prenez possession du royaume qui
vous a été préparé dès
le commencement du monde, parce que ce que vous avez
fait au plus petit d'entre mes frères, c'est
à moi que vous l'avez fait". (Mt 25, 34-40)
Par contre ils reconnaîtront combien la négligence
est désastreuse lorsqu'ils se souviendront
de celui qui a dit : "Maudit celui qui accomplit
négligemment les uvres de Dieu"
(Jr 48, 10), car non seulement ils seront rejetés
du Royaume des Cieux, mais ils entendront encore cette
redoutable et terrible sentence : "Allez maudits
au feu éternel qui a été préparé
pour le démon et pour les anges". (Mt
25, 41)
Puisque ceux qui doivent servir autrui et veiller
sur leurs besoins reçoivent une telle récompense
pour leur zèle ou encourent un tel châtiment
pour leur négligence, avec quel empressement
doit-on, en s'acquittant de cette charge, essayer
de se rendre digne du nom de frère du Seigneur
? C'est bien, en effet, ce qui ressort des enseignements
du Christ : "Celui qui fait la volonté
de mon Père qui est dans les cieux est mon
frère, ma sur, ma mère".
(Mt 12, 50)
Il est en grand danger celui qui n'a pas assigner
pour but à sa vie tout entière de faire
la volonté de Dieu, doit en montrant l'effort
de sa charité par son zèle à
travailler pour le Seigneur lorsqu'il est en bonne
santé, soit en manifestant sa patience et sa
longanimité par la joie dans la maladie. Il
est en danger d'abord et surtout parce qu'il s'est
séparé lui-même du Seigneur et
de la communauté des frères en s'en
écartant par sa désobéissance,
en second lieu parce qu'il ose indignement prendre
part à ce qui est réservé pour
ceux qui l'on mérité.
Ici encore il est donc nécessaire de se souvenir
de ce que dit l'Apôtre : "Comme coopérateurs
du Christ nous vous exhortons à ne pas recevoir
en vain la grâce de Dieu" (2 Co 6, 1).
Ceux qui tiennent lieu de frères au Christ
doivent se garder de mépriser une si grande
grâce de Dieu et de trahir une telle dignité
en négligeant d'accomplir les volontés
du Seigneur. Ils obéiront plutôt à
l'Apôtre qui a dit : "Je vous en supplie,
moi, prisonnier dans le Seigneur, marchez dignement
selon la vocation qui est la vôtre". (Ep
4, 1) (Retour)
QU : 35 : Faut-il établir
plusieurs fraternités dans une même localité
?
R . : L'exemple si souvent employé des membres
du corps nous servira de nouveau ici.
Nous avons vu que pour agir convenablement et normalement
en tout ce qu'il fait, le corps a besoin des yeux,
de la langue et des autres membres, tous nécessaires
et indispensables. Or, dans une communauté,
il est assurément bien malaisé de trouver
quelqu'un qui puisse remplir la fonction de l'il.
S'il faut donc, pour bien faire, que celui qui dirige
les frères soit prudent, sache parler, soit
sobre, miséricordieux, et cherche la justice
avec un cur parfait, comment dans un même
endroit, en trouver plusieurs qui réunissent
ces qualités ?
Si même on en trouve deux ou trois, ce qui est
difficile et, à notre connaissance n'est jamais
arrivé, il sera de loin préférable
qu'ils assument ensemble la charge d'une seule communauté
et s'en allègent mutuellement le poids. De
cette façon, lorsque l'un est absent ou occupé,
ou dans d'autres circonstances, par exemple si l'un
d'eux quittait la communauté, l'autre sera
toujours là pour consoler les frères
de leur abandon, à moins que lui-même
ne se rende dans une autre communauté manquant
de supérieur.
Nous pouvons également faire ici la comparaison
avec ce qui se passe dans le monde. Ceux qui sont
habiles dans leur profession jalousent leurs rivaux
et il en résulte naturellement des inimitiés
latentes. Ainsi également en arrive-t-il le
plus souvent dans notre état de vie entre communautés
voisines : on commence par rivaliser de vertu et on
s'efforce de se dépasser soit dans la réception
des hôtes, soit dans le recrutement des frères,
soit en d'autres points semblables, et on finit ordinairement
dans des querelles.
Lorsque des frères sont de passage, au lieu
de trouver la tranquillité, ils tombent dans
l'incertitude et le doute parce qu'ils ne savent dans
quelle communauté se rendre, craignant de mécontenter
par leur choix et ne pouvant cependant, surtout s'ils
sont pressés, contenter tout le monde.
Ceux qui voudraient s'engager dans la même vie
tomberont, eux aussi, dans l'inquiétude parce
qu'ils ne sauront qui choisir pour guides et que s'ils
choisissent les uns ils devront bien exclure les autres
; il s'en suivra naturellement pour eux que, dès
les premiers jours, ils sentiront les atteintes de
l'orgueil parce que au lieu de se soumettre en disciples
ils auront dû se faire les censeurs et les juges
de la fraternité.
Puisqu'il n'y a aucun avantage reconnu à une
telle division, mais qu'il y a au contraire de si
graves inconvénients, il est donc tout à
fait inopportun d'établir des communautés
à peu de distance l'une de l'autre. Si par
hasard quelqu'un a eu la présomption de le
faire, qu'il s'empresse de revenir sur sa décision,
surtout lorsqu'il en aura éprouvé les
désavantages, car persister dans sa manière
de voir serait montrer de l'esprit de contention :
"Si quelqu'un aime la querelle, dit l'Apôtre,
ni nous ni l'Eglise de Dieu nous n'avons cette habitude".
(1 Co 11, 16)
Du reste quel motif trouveront-ils pour empêcher
l'union ? Quel besoin ? Mais il est bien plus facile
de se procurer ce dont on a besoin lorsqu'on est réunis,
puisqu'il suffit alors d'une seule lampe, d'un seul
foyer et ainsi de suite et puisqu'en cela comme en
tout le reste il faut viser à se procurer aisément
le nécessaire et dans la mesure du strict minimum.
Il faudra ensuite pour aller chercher au-dehors ce
dont on a besoin, plus de frères, si les communautés
sont divisées, et moins, si elles sont réunies
en une seule. Or vous savez sans que je vous le dise
combien il est difficile de trouver un homme qui ne
déshonore pas le nom du Seigneur et garde une
attitude digne de sa profession dans ses relations
avec les étrangers au-dehors.
D'ailleurs comment ceux qui restent ainsi éloignés
de la communauté pourront-ils édifier
leur frères en les unissant dans la paix si
c'est nécessaire, ou en les entraînant
à l'observance des commandements, puisque le
fait qu'ils ne sont pas au milieu d'eux provoque déjà
de perfides soupçons ?
Nous savons en outre que Paul écrivait aux
Philippiens : "Rendez ma joie parfaite en ayant
un même sentiment, un même amour, une
même âme, une même pensée.
Ne faites rien par esprit de parti ni par vaine gloire,
mais estimez avec humilité les autres au-dessus
de vous, ne considérant pas seulement votre
propre intérêt mais aussi celui des autres"
(Ph 2, 3). Or quelle plus grande marque d'humilité
chez les supérieurs que de se soumettre l'un
à l'autre, car s'ils sont doués de charismes
leur commun effort sera d'autant plus précieux.
Comme le Seigneur nous l'a montré en envoyant
ses disciples deux à deux (Mc 6, 7), chacun
voudra se soumettre à l'autre avec joie en
souvenir de la parole : "Celui qui s'humilie
sera exalté" (Lc 18, 14). Si au contraire,
l'un est mieux doué que l'autre, il sera d'autant
plus utile au moins favorisé d'être assisté
par celui qui l'est davantage.
Comment plusieurs communautés ne constitueraient-elles
pas aussi une violation manifeste du précepte
donné par l'Apôtre : "considérez
non seulement vos intérêts, mais aussi
ceux d'autrui" (Ph 2, 4) ? Je crois en effet,
qu'il serait difficile de s'y conformer dans cette
division, puisque chaque communauté s'occuperait
uniquement de ce qui regarde ses membres en ne se
souciant aucunement des autres, ce qui, nous devons
le dire, s'oppose clairement à l'avertissement
de l'Apôtre.
Enfin, les saints dont il est parlé dans les
Actes apportent eux aussi, leur témoignage,
car il est dit à leur sujet que "la foule
des fidèles n'avait qu'un cur et qu'une
âme" (Ac 4, 32), et que "tous les
fidèles habitaient ensemble et possédaient
tout en commun" (Ac 2, 44). Il est évident
qu'il n'y avait aucune division entre eux, que personne
ne vivait à part, et que tous étaient
soumis à une seule et même direction
; or ils étaient une foule de cinq mille personnes
et parmi elles il y en avait sans doute et en bon
nombre, qui au jugement des hommes étaient
plutôt aptes à empêcher l'union.
Puisque les frères que l'on peut trouver dans
un même endroit sont bien moins nombreux, pourquoi
resteraient-ils divisés ?
Plût au ciel que non seulement les frères
d'une même bourgade mais aussi les fraternités
dispersées en des lieux différents puissent
être réunies et soumises à une
direction unique, sous des supérieurs capables
d'administrer fermement et sagement les intérêts
de tous dans l'unité de l'Esprit et le lien
de la paix ! (Retour)
QU : 36 : De ceux qui sortent
de la fraternité
R . : Ceux qui ont pris l'engagement de vivre ensemble
ne peuvent plus se quitter à leur gré,
aussi le fait de ne pas persévérer dans
leur résolution est-il imputable à deux
motifs : ou à des inconvénients résultant
de la vie en commun, ou à l'instabilité
d'esprit de celui qui change.
Celui qui part afin d'éviter qu'on lui nuise
ne doit pas garder secret le motif qui le pousse,
mais faire des reproches à ses frères
de la manière qu'indique le Seigneur, en disant
: "Si ton frère pèche contre toi,
va et corrige-le entre toi et lui" (Mt 18, 15).
S'il parvient à son but il aura gagné
ses frères et il ne devra pas infliger un affront
à la communauté, mais s'il voit qu'ils
persistent dans le mal et n'acceptent pas de se corriger,
il en fera part à ceux qui sont capables d'en
juger et il s'en ira en présence de témoins.
Ce ne sera plus alors des frères qu'il quittera,
mais des étrangers, car le Seigneur a appelé
païen et publicain qui persévère
dans le mal : "Qu'il soit pour vous, dit-il,
comme un païen et un publicain". (Mt 18,
17)
Lorsque celui qui veut abandonner la communauté
le fait par légèreté personnelle,
qu'il se corrige de sa faiblesse et s'il n'y consent
pas, qu'il soit considéré comme un indésirable.
Parfois cependant c'est pour obéir au Seigneur
que l'un ou l'autre se voit tiré de ci delà
; mais ceux qui sont dans ce cas ne quittent pas réellement
la communauté : ils accomplissent un devoir.
Aucun autre motif d'éloignement n'est admissible,
tout d'abord parce que c'est mépriser le nom
unificateur de notre Seigneur Jésus Christ,
ensuite parce que chacun gardera difficilement sa
conscience pure à l'égard de son frère
par suite des soupçons qui naîtront,
et cela s'oppose évidemment au précepte
du Seigneur : "Si tu portes ton offrande à
l'autel et te souviens en même temps que ton
frère a quelque chose contre toi, laisse-la
devant l'autel et va, réconcilie-toi d'abord
avec ton frère puis reviens présenter
ton offrande" (Mt 5, 23-24). (Retour)
QU : 37 : Faut-il négliger
le travail sous prétexte de prière et
de psalmodie ? Quels sont les moments opportuns pour
la prière ? Et tout d'abord faut-il travailler
?
R . : Notre Seigneur Jésus-Christ a dit non
pas "Chacun", ni "N'importe qui",
mais : "Celui qui travaille mérite sa
nourriture" (Mt 10, 10), et l'Apôtre a
voulu qu'on se procure par l'honnête travail
de ses mains de quoi donner à ceux qui ont
besoin. (Ep 4, 28). Il en résulte donc à
l'évidence qu'il faut travailler avec zèle.
Il ne faut pas mettre en avant la piété
pour excuser la paresse ou la crainte de l'effort,
mais envisager l'occasion de combattre, de souffrir
davantage et de pratiquer la patience dans les difficultés,
afin de pouvoir dire : "Dans le travail et dans
la peine, dans les veilles nombreuses, dans la faim
et dans la soif" (2 Co 11, 27). Une telle conduite
est nécessaire non seulement pour mortifier
le corps, mais aussi parce que la charité envers
le prochain le demande, en sorte que, par notre intermédiaire,
Dieu donne à nos frères nécessiteux
le moyen de se suffire.
L'Apôtre nous donne l'exemple de cette charité
dans les Actes : "Je vous ai montré de
toutes manières que c'est en travaillant ainsi
qu'il faut soutenir les faibles" (Ac 20, 35),
et il dit ailleurs : "Afin que vous ayez de quoi
donner à l'indigent" (Ep 4, 28). Si nous
faisons cela, nous serons dignes d'entendre cette
invitation : "Venez les bénis de mon Père,
prenez possession du royaume qui vous a été
préparé pour vous depuis le commencement
du monde, car j'ai eu faim et vous m'avez donné
à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné
à boire" (Mt 25, 34-35).
Est-il besoin de dire combien la paresse est coupable,
lorsque l'Apôtre nous avertit clairement que
celui qui ne travaille pas n'a pas le droit de manger
? (2 Th 3, 10)
De même que la nourriture quotidienne est nécessaire
à chacun, ainsi est-il requis que l'on travaille
le plus possible, car ce n'est pas en vain que Salomon
a dit dans son panégyrique de la femme forte
: "Elle ne mange pas son pain dans l'oisiveté"
(Pr 31, 27), et l'Apôtre a dit : "Le pain
que nous mangeons n'est pas un don qu'on nous fait
; nous le gagnons en peinant jour et nuit dans le
travail et le labeur" (2 Th 3, 8), et cependant,
ouvrier de l'Evangile, il lui était permis
de vivre de l'Evangile.
Le Seigneur a, lui aussi, associé la paresse
à la méchanceté en disant : "Serviteur
méchant et paresseux" (Mt 25, 26), et
le sage Salomon non seulement loue, comme nous l'avons
dit, celui qui travaille, mais il confond encore le
paresseux en le comparant aux animaux les plus petits
: "Va, paresseux, auprès des fourmis"(Pr
6, 6).
Craignons donc que ce même reproche ne nous
soit adressé aussi au jour du jugement, lorsque
Celui qui nous a donné la force de travailler
nous demandera des uvres en conséquence,
"car à celui à qui il aura été
plus donné il sera plus demandé"
(Lc 12, 48).
Quelques-uns cependant, évitent le travail
sous prétexte de prière et de psalmodie,
mais il faut bien savoir que, s'il existe, selon la
parole de l'Ecclésiaste : "Toute chose
à son heure" (Qo 3, 1), des occupations
pour lesquelles certains moments sont particulièrement
appropriés, tous les instants sont, par contre,
favorables à la prière, à la
psalmodie et à d'autres occupations de ce genre.
Ainsi pendant que nos mains sont occupées,
nous pouvons, de bouche s'il est possible ou utile
à l'édification des fidèles,
ou du moins de cur, louer Dieu dans des psaumes
et des cantiques spirituels, conformément à
l'Ecriture (Col 3, 16), et remplir le devoir de la
prière tout en travaillant. De cette façon,
nous remercierons Celui qui a donné à
nos mains l'habileté au travail, et à
notre esprit l'aptitude à acquérir la
science, et qui nous a fourni en outre la matière,
tant celle qui consiste dans les outils que celle
que nous travaillons dans les divers métiers
; enfin nous demanderons que les uvres de nos
mains soient dirigées vers le but en étant
agréable à Dieu.
C'est du reste le moyen de conserver son âme
dans le recueillement que de demander à Dieu,
lorsqu'on est occupé, de conduire le travail
à bonne fin, de rendre grâce à
celui qui nous a donné de l'exécuter,
et de se maintenir, comme nous venons de le dire,
dans l'intention de lui plaire ; sinon, comment pourraient
se concilier les paroles de l'Apôtre : "Priez
sans cesse" (1 Th 5, 17), et : "Travaillant
jour et nuit" (2 Th 3, 8).
Cependant, ce n'est pas parce qu'il nous est fait
une loi de rendre grâces à chaque instant,
et que la nature et la raison nous en montrent la
nécessité, qu'il faut négliger
les heures de prière officiellement établies
dans les fraternités, et choisies par nous,
en raison du bienfait spécial du Seigneur rappelé
par chacune d'elles.
Avant tout, la prière de l'aurore consacre
à Dieu les premiers mouvements de l'âme,
car il ne faut se préoccuper de rien, avant
d'avoir réjoui son cur en Dieu, selon
la parole de l'Ecriture : "Je me suis souvenu
du Seigneur et me suis réjoui" (Ps 76,
4), et on ne doit pas mettre le corps au travail,
si l'on n'a fait d'abord ce que dit le psalmiste :
"Je vous adresserai ma prière, Seigneur,
et, dès le matin, vous entendrez ma voix. Au
point du jour, je serai devant vous pour vous contempler"
(Ps 5, 4-5).
A la troisième heure on sera debout pour la
prière, et on réunira la fraternité,
même si les uns et les autres sont occupés
à différents travaux. Ils se souviendront
alors que l'Esprit saint a été donné
aux Apôtres à la troisième heure,
ils se prosterneront tous ensemble afin de mériter,
eux aussi, d'être sanctifiés par Lui,
et demanderont qu'Il les guide et les instruise selon
leurs besoins. Pour cela ils diront avec le Psalmiste
: "Créez en moi, mon Dieu, un c cur
droit et mettez en moi un esprit bien disposé
; ne me rejetez pas loin de votre face et n'éloignez
pas de moi votre Esprit-Saint. Rendez-moi la joie
du salut qui vient de vous, et qu'un esprit de bonne
volonté me soutienne"(Ps.50, 12-13), ou
encore : "Que ton Esprit de bonté me conduise
sur la voie droite !" (Ps 142, 10) Après
cela, on reprendra le travail.
S'il en est qui, par suite de la nature de leur travail
ou de la disposition des lieux, sont éloignés
et détachés des frères, ils doivent
absolument et sans hésiter accomplir tous les
offices communs là où ils se trouvent,
car le Seigneur a dit : " Là où
deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis
au milieu d'eux" (Mt 18, 20).
Il nous semble également qu'il faut aussi prier
à la sixième heure, à l'imitation
des saints qui disent : "Le soir, le matin et
au milieu du jour, j'exposerai et raconterai ma misère,
et le Seigneur entendra ma voix" (Ps 54, 18).
On récitera à ce moment le psaume quatre-vingt-dixième,
afin d'être délivré des attaques
du démon de midi (Ps 90, 8).
La neuvième heure doit être de même
consacrée à la prière, d'après
ce que nous enseignent les Apôtres dans les
Actes, où il est raconté que Pierre
et Jean s'en allèrent au Temple "vers
la neuvième heure, l'heure de la prière"
(Ac 3, 1).
A la fin du jour, on remerciera Dieu pour les bienfaits
reçus ou les bonnes actions que l'on a heureusement
accomplies. On s'accusera également de ses
manquements volontaires ou involontaires, même
si la faute a été commise dans le secret,
que l'on ait péché en paroles, ou en
actes ou dans le fond du cur, et enfin on cherchera
à apaiser Dieu par la prière. Il est
en effet extrêmement utile de s'examiner sur
ses fautes passées, afin de ne plus retomber
dans les mêmes errements ; c'est pourquoi il
est dit : "Souvenez-vous avec componction sur
vos couches de ce que vous méditez dans vos
curs" (Ps 4, 5)
Au commencement de la nuit, il nous faudra prier de
nouveau, pour obtenir un repos tranquille et exempt
de rêves ; on dira encore à ce moment
le psaume cinquantième.
Pour ce qui est du milieu de la nuit, Paul et Silas
nous ont montré qu'il faut aussi le donner
à la prière, comme le rapporte le récit
des Actes : "Au cur de la nuit, Paul et
Silas chantaient des hymne au Seigneur"(Ac 16,
25), et le psalmiste dit : "Au milieu de la nuit,
je me lèverai pour vous louer de la justice
de vos sentences" (Ps 118, 62).
Enfin, il faut une autre fois encore se lever pour
prier en prévenant l'aurore, afin que le jour
ne nous surprenne pas endormis sur nos couches, selon
ces paroles : "Mes yeux se sont ouverts avant
l'aurore et j'ai médité vos enseignements"
(Ps 118, 148).
Lorsqu'on a pris la résolution de vivre en
cherchant uniquement la gloire de Dieu et de son Christ,
on ne peut négliger aucune de ces occasions.
Je crois cependant qu'il est utile de mettre de la
variété et de la diversité dans
les prières et les psaumes aux différentes
heures indiquées, pour ce motif que l'âme
se fatigue souvent de l'uniformité et s'abandonne
à la distraction, tandis qu'elle retrouve l'ardeur
et renouvelle son effort d'attention, lorsque changent
les psaumes ou varie l'ordonnance des offices. (Retour)
QU : 38 : Maintenant que nous
ont été suffisamment montrés
le devoir inéluctable de la prière et
la nécessité du travail, nous voudrions
savoir quels métiers sont compatibles avec
notre profession
R. : Déterminer avec précision certains
métiers n'est pas chose facile, parce que l'opportunité
de chacun varie selon le caractère des lieux,
et le mouvement particulier des affaires en chaque
contrée. On peut toutefois esquisser ce principe
général, qu'il faut choisir ceux qui
gardent à notre vie sa paix et sa tranquillité,
qui n'offrent pas beaucoup de difficultés pour
l'acquisition des matières premières,
ni d'ennuis pour la vente des produits obtenus, et
qui n'exigent pas de nous des rencontres malséantes
ou nuisibles avec hommes ou femmes.
Il faut, d'autre part, songer à n'avoir en
tout pour objectif que ce qui est simple et ordinaire,
en évitant de satisfaire les funestes et sottes
passions humaines par la fabrication de ce qu'elles
recherchent. Pour le tissage, il faut admettre seulement
les étoffes d'usage dans la vie courante, et
non celles que des gens sans scrupules inventent pour
captiver les jeunes et les retenir dans leurs filets.
De même pour le métier de cordonnier
; n'exécuter que ce qui est nécessaire
dans la vie.
Les métiers de maçon, de menuisier,
de forgeron et de laboureur sont nécessaires
en eux-mêmes, et procurent de grands avantages
; aussi est-il en général préférable
de ne pas les rejeter, à moins que, par hasard,
ils ne causent du trouble, et ne privent les frères
de la vie commune, en quel cas il est nécessaire
de les proscrire. Nous devons, en effet, préférer
les métiers qui gardent notre vie recueillie
et appliquée au Seigneur, et n'empêchent
pas ceux qui veulent s'entraîner à la
piété, de se livrer à la prière,
à la psalmodie et aux autres exercices réguliers.
Pourvu qu'ils ne comportent rien de nuisible à
notre genre de vie, plusieurs métiers sont
donc dignes de notre choix, et tout spécialement
la culture des champs, parce qu'elle tient d'elle-même
ce dont elle a besoin, et dispense ceux qui s'y adonnent
de voyager beaucoup ou de courir çà
et là, du moment, comme nous l'avons dit, qu'il
ne s'ensuive ni trouble ni agitation pour nous, à
cause des voisins ou de ceux qui vivent avec nous.
(Retour)
QU : 39 : Comment faut-il vendre
les produits du travail et comment voyager dans ce
but ?
R. : Il faut veiller à ne pas vendre au loin
les produits de notre travail, et à ne pas
aller nous-mêmes les porter sur le marché
; il est bien plus convenable de rester chez soi,
bien plus utile aussi à l'édification
des autres et à la conservation de la vie régulière.
C'est pourquoi il vaut mieux abaisser et diminuer
un peu les prix, que de s'en aller au-dehors pour
un maigre profit.
Si l'expérience nous montre que c'est là
chose impossible, qu'on choisisse du moins des endroits
et des villes où règne la crainte de
Dieu, de peur que le voyage soit sans fruit. Les frères
se rendront aux foires désignées en
nombre et en portant chacun le produit de son travail
; ces voyages doivent être faits en groupes,
afin de permettre la récitation des prières
et des psaumes, ainsi que l'édification mutuelle
durant le trajet. Arrivés sur les lieux, ils
descendront à la même hôtellerie,
pour veiller les uns sur les autres, pour ne laisser
échapper de nuit, comme de jour, aucune occasion
de prier, et pour ne pas se laisser tromper, en traitant
isolément avec des gens difficiles et avides,
car même les plus violents craignent de commettre
l'injustice en présence de témoins nombreux.
(Retour)
QU : 40 : Des foires qui se tiennent
à l'occasion des fêtes religieuses
R. : L'Ecriture nous dit toutefois que faire du commerce
dans les lieux consacrés aux martyrs n'est
pas convenable pour nous.
Pour se montrer dans les endroits dédiés
aux martyrs ou dans leur voisinage, les chrétiens
ne doivent avoir d'autres motifs que le désir
de prier ou de se convertir au même zèle
que les saints, en se rappelant qu'ils ont persévéré
dans l'amour de Dieu jusqu'à la mort. Ils se
souviendront aussi de cette colère terrible
du Seigneur, toujours doux et humble de c cur,
comme dit l'Ecriture (Mt 11, 29), et qui leva cependant
le fouet uniquement contre ceux qui vendaient et faisaient
des affaires autour du temple (Jn 2, 15), parce qu'ils
avaient transformé la maison de la prière
en un repaire de voleurs.
Il est vrai que beaucoup déjà ont présumé
de rompre avec la coutume de jadis en vigueur chez
les saints. Au lieu de prier les uns pour les autres,
de se prosterner ensemble et de pleurer devant Dieu
en invoquant sa pitié pour leurs fautes, au
lieu de rendre grâces et de s'édifier
entre eux par de pieux discours, ce que nous nous
souvenons encore d'avoir vu, ils profitent de l'endroit
et de l'occasion pour traiter des affaires, établir
des foires et tenir des marchés publics ; mais
ce n'est pas pour cela que nous devons les suivre,
et ratifier cette inconvenance par notre participation.
Notre devoir est plutôt d'imiter ces réunions
tenues, dit l'Evangile, autour de Notre Seigneur,
et d'observer les prescriptions de l'Apôtre
en accord avec un tel modèle ; il écrit
en effet : "Lorsque vous vous rassemblez, si
l'un ou l'autre a son psaume particulier, sa doctrine,
son apocalypse, sa langue ou son interprétation,
que tout se passe néanmoins d'une manière
édifiante" (1 Co 14, 26). (Retour)
QU : 41 : De la volonté
propre et de l'obéissance
R. : Pour ce qui est des métiers admis, il
ne faut pas que chacun s'adonne à celui qu'il
connaît ou veut apprendre, mais à celui
pour lequel il aura été reconnu capable
; car celui qui a renoncé à lui-même
et a rejeté toutes ses volontés ne fait
pas ce qu'il veut, mais ce qu'on lui enseigne. Il
ne lui est même raisonnablement pas permis de
choisir lui-même ce qui lui convient, parce
qu'il a, une fois pour toutes, confié à
d'autres le gouvernement de lui-même, et ceux-ci,
jugeant au nom du Seigneur, l'affecteront au travail
qu'ils auront trouvé convenable pour lui.
Celui qui se choisit lui-même son occupation,
porte sa propre condamnation : tout d'abord parce
qu'il se recherche lui-même, ensuite parce que,
s'il préfère ce travail, c'est par goût
de gloire humaine, par espoir du gain ou autre sentiment
de ce genre, ou bien encore s'il choisit la besogne
la plus facile, c'est par paresse ou indolence ; or,
le fait de se trouver dans de telles dispositions
prouve que l'on n'est pas encore débarrassé
du mal des passions.
Celui-là ne s'est pas renoncé à
lui-même qui veut satisfaire ses désirs
personnels, et il ne s'est pas retiré des affaires
du monde, puisqu'il a encore la passion du gain et
de la gloire. Il n'a pas non plus mortifié
ses membres ici-bas, celui qui ne supporte pas de
peiner au travail, et il fait preuve de suffisance,
lorsqu'il s'imagine que son jugement est plus sûr
que l'opinion des autres.
Si quelqu'un possède un métier non désapprouvé
par la communauté, il ne faut pas qu'il l'abandonne,
car mépriser ce que l'on a, est d'un esprit
instable et d'une volonté indécise ;
mais s'il n'en connaît pas, qu'il ne choisisse
pas lui-même et accepte plutôt ce que
les supérieurs auront décidé,
de sorte qu'en tout l'obéissance soit sauve.
Comme il est démontré qu'il ne convient
pas de suivre sa propre volonté, ainsi aussi
est-il blâmable de ne pas accepter la décision
d'autrui. Bien mieux, si quelqu'un possède
un métier non admis dans la fraternité,
qu'il l'abandonne volontiers, montrant ainsi n'être
attaché à rien en ce monde.
Accomplir les désirs de ses propres pensées,
appartient, selon l'Apôtre à "ceux
qui n'ont pas d'espérance" (1 Th 4, 13),
tandis qu'obéir en tout, mérite l'éloge,
car le même Apôtre loue certains de s'être
"donné d'abord au Seigneur, et ensuite
à nous, pour faire la volonté du Seigneur"
(2 Co 8, 5).
En tout cas, chacun doit être attentif à
son propre travail, s'y appliquer soigneusement et
l'accomplir intégralement, comme sous le regard
de Dieu, y apporter un zèle actif et une sollicitude
empressée, afin de pouvoir dire toujours :
"Comme les yeux des esclaves sont constamment
sur la main de leur maître, ainsi nos regards
sont tournés vers le Seigneur" (Ps 122,
2).
Il ne faut pas non plus passer d'une occupation à
l'autre, car notre nature est incapable de s'acquitter
de plusieurs fonctions à la fois, et il est
bien plus utile de se perfectionner avec zèle
dans un métier, que de toucher superficiellement
à plusieurs. Diviser ses efforts sur de multiples
objets et passer de l'un à l'autre, aboutit
à ne rien faire parfaitement, et, en outre,
trahit un caractère léger ou le rend
tel, s'il ne l'est pas.
Au besoin, celui qui en est capable peut donner son
aide dans un autre genre de travail que le sien, encore
que ce ne soit pas de sa propre initiative, mais seulement
à la demande d'autrui, car nous ne devons faire
cela que si les circonstances l'exigent, comme pour
les membres du corps par exemple, en nous appuyant
sur la main , lorsque le pied fléchit.
Encore une fois, comme on ne peut se mettre à
un travail par initiative personnelle, on est digne
de blâme, lorsqu'on n'accepte pas un travail
imposé, car il ne faut ni entretenir le vice
de la suffisance, ni enfreindre la loi de l'obéissance
et de la soumission.
Le soin des outils regarde principalement aussi, en
chaque métier, l'ouvrier qui s'en sert ; mais
s'il se rencontrait de la négligence, les premiers
qui s'en aperçoivent doivent y pourvoir diligemment,
parce qu'il s'agit d'objets appartenant à toute
la communauté, et, si l'usage en est réservé,
l'utilité qui en résulte est pour tous.
Mépriser ce qui sert à un autre métier,
comme ne nous servant pas à nous, c'est donc
faire figure d'étranger.
Sans doute, il ne faut pas que ceux qui exercent un
métier s'arrogent la possession des instruments,
au point de ne pas laisser le supérieur de
la fraternité les employer comme il l'entend,
et se permettre de les vendre, de les échanger
ou d'en disposer autrement, ou encore d'en acheter
d'autres en plus de ceux qu'ils ont. Comment celui
qui a décidé à jamais, de n'être
plus maître de ses mains, en remettant à
un autre le soin d'en diriger l'activité, agira-t-il
encore conformément à sa décision,
s'il s'empare des outils et les traite comme s'ils
étaient à lui ? (Retour)
QU : 42 : Pour quelle fin et
dans quelles dispositions il faut travailler
R. : Quiconque travaille, sachons-le, doit le faire,
non pour subvenir par son labeur à ses propres
besoins, mais pour accomplir le commandement du Seigneur
qui a dit : "J'ai eu faim et vous m'avez donné
à manger" (Mt 25, 35).
Penser à soi-même est absolument défendu
par ces paroles : "Ne vous préoccupez
pas pour vous, en vous demandant ce que vous aurez
à manger, ni pour votre corps en vous inquiétant
du vêtement" (Mt 6, 25). "Car toutes
ces choses, ajoutait le Seigneur, ce sont les païens
qui les recherchent" (Mt 6, 32)
Le but que chacun doit avoir dans son travail est
donc de venir en aide aux indigents et non de parer
à ses propres besoins. C'est ainsi qu'on évitera
le reproche de s'aimer soi-même, et qu'on sera
béni par le Seigneur pour avoir aimé
ses frères, car Il a dit : "Ce que vous
aurez fait au plus petit d'entre mes frères
c'est à moi que vous l'aurez fait" (Mt
25, 40).
Et que personne ne pense à nous opposer ces
paroles de l'Apôtre : "S'ils travaillent
ils mangeront leur propre pain" (2 Th 3, 12)
car elles s'adressent à des paresseux déréglés,
pour leur signifier qu'au lieu de vivre dans l'oisiveté,
il vaut mieux s'occuper au moins chacun de ses intérêts,
et n'être pas à charge aux autres. "Nous
avons appris, dit en effet saint Paul, que certains
parmi vous vivent dans le désordre, ne travaillent
pas et s'occupent de futilités ; nous les invitons
et les exhortons par le Seigneur Jésus Christ
à manger leur propre pain en travaillant dans
la paix" (2 Th 3, 11-12). Il exprime ailleurs
la même pensée : "Nous avons travaillé
jour et nuit pour n'être à charge de
personne" (2 Th 3, 8) ; car, par charité
et pour corriger les désordres, il se soumettait
lui-même au travail, plus qu'il n'était
dans l'ordre de le faire. C'est, du reste, s'approcher
de la perfection que de travailler jour et nuit, pour
donner à qui a besoin. (Ep 4, 28)
Le frère qui compte sur lui-même ou sur
celui qui est chargé de distribuer le nécessaire,
et croit que son travail et celui du voisin suffisent
pour le faire vivre, est comme celui qui met son espérance
en l'homme, et il encourt cette condamnation : "Maudit
l'homme qui espère en l'homme, qui s'appuie
sur la force de son bras et détourne son âme
de Dieu" (Jr 17, 5).
Par ces mots : "qui espère en l'homme",
l'Ecriture défend de se reposer sur autrui,
et par ces paroles : "qui s'appuie sur la force
de son bras", elle défend de se confier
en soi-même. Elle appelle apostasie l'une et
l'autre de ces dispositions, et elle ajoute quel en
est l'aboutissement : "Il est comme une bruyère
sauvage dans le désert, et il ne verra point
arriver le bonheur" (Jr 17, 6). Elle montre donc
ainsi que mettre sa confiance en soi-même ou
en autrui, c'est s'écarter du Seigneur. (Retour)
QU : 43 : Ces règles à
suivre dans le travail nous suffisent pour le moment,
car par l'expérience nous apprendrons à
découvrir le reste. Nous voudrions à
présent entendre déterminer bien clairement
quelles qualités doivent avoir les supérieurs
et comment ils doivent gouverner
R. : Nous avons, il est vrai, déjà dit
quelques mots de cette charge, mais puisque vous voulez
un exposé plus ample, avec raison du reste,
car tel est le supérieur et tel est ordinairement
aussi la conduite de l'inférieur, force nous
est de ne pas passer outre comme si c'était
sans importance. Se souvenant donc de l'avertissement
de l'Apôtre : "Sois l'exemple des fidèles"
(1 Tm 4, 12), le supérieur fera de sa vie un
modèle manifeste d'observance de la loi divine
et ses disciples n'auront ainsi aucun prétexte
pour affirmer qu'un commandement du Seigneur est impossible
à exécuter ou peut être dédaigné.
Il doit tout d'abord et en premier lieu pratiquer
l'humilité dans la charité du Christ
en sorte que, même lorsqu'il ne parle pas, l'exemple
de sa conduite soit un enseignement plus puissant
que n'importe quel discours.
Si la règle de la vie chrétienne est,
en effet, d'imiter le Christ dans les limites de la
nature humaine qu'Il a assumée et chacun selon
sa vocation, ceux qui ont charge de diriger les autres
doivent faire progresser les faibles dans l'assimilation
au Christ en leur servant comme d'intermédiaires,
selon la parole du Bienheureux Paul : "Imitez-moi
comme j'imite le Christ" (1 Co 11, 1).
Ils seront donc les premiers à exercer l'humilité
comme le veut notre Seigneur Jésus Christ,
et ils deviendront de parfaits modèles de cette
vertu, car il a dit : "Apprenez de moi car je
suis doux et humble de cur" (Mt 11, 29).
Que l'humilité et la douceur soient par conséquent
les caractéristiques du supérieur, car
si le Seigneur n'a pas dédaigné de servir
ses propres sujets et a consenti à se faire
lui-même le serviteur de cette terre et de cette
boue qu'il a façonnée et revêtue
de la forme humaine - "Je suis parmi vous, a-t-il
dit, comme celui qui vous sert" (Lc 22, 27) -
que ne devons-nous faire pour nos égaux avant
de nous croire parvenus à sa ressemblance ?
Voilà donc, pour le supérieur, ce qu'il
importe tellement d'être avant tout.
Qu'il soit également miséricordieux
et souffre patiemment ceux qui manquent à leur
devoir par ignorance ; qu'il ne garde pas le silence
sur les fautes commises mais traite les coupables
avec douceur en leur appliquant en toute miséricorde
et modération la correction salutaire, car
il doit être capable de trouver le traitement
adapté à chaque état d'âme.
Il ne doit pas faire des reproches avec arrogance,
mais avertir et corriger avec douceur comme le veut
l'Ecriture (2 Tm 2, 25), être sage dans le présent,
prévoyant pour l'avenir, capable de combattre
avec les forts et de supporter l'impuissance des faibles,
à même enfin de dire et de faire tout
ce qu'il faut pour le redressement de ses compagnons.
Personne ne s'arrogera le gouvernement de la fraternité,
c'est aux supérieurs des autres communautés
qu'il appartient de le conférer à celui
qui aura donné des preuves suffisantes de son
caractère : "Qu'ils soient d'abord éprouvés,
dit l'Apôtre, et qu'ils remplissent ensuite
leur ministère s'ils sont sans tache"
(1 Tm 3, 10).
Qui remplit ces conditions assumera donc la charge
de supérieur, veillera à la discipline
parmi les frères et distribuera les travaux
selon les aptitudes de chacun. (Retour)
QU : 44 : A qui permettre de
s'absenter et comment interroger ceux qui rentrent
de voyage
R. : On permettra de voyager à ceux-là
seuls qui peuvent le faire sans détriment pour
leur âme et de manière à être
utiles aux autres.
Si personne n'en est capable, il vaut mieux manquer
du nécessaire et souffrir, même jusqu'à
la mort, n'importe quelle détresse et n'importe
quelle restriction, plutôt que de faire fi d'un
dommage spirituel certain pour obtenir un soulagement
matériel. "J'aimerais mieux mourir, dit
l'Apôtre, plutôt que de me laisser enlever
ce qui me procure la gloire" (1 Co 9, 15). Or,
il s'agissait pour lui d'observances facultatives
; combien est-il donc plus nécessaire d'agir
ainsi lorsqu'il s'agit de l'observance des commandements
?
Grâce à la charité, cependant,
cette situation ne serait pas sans remèdes,
car s'il n'y a personne dans la fraternité
qu'on puisse envoyer dehors, les frères qui
ont des intérêts voisins compenseront
en organisant des expéditions en commun et
groupes bien unis, en sorte que ceux qui sont faibles
d'âme ou débiles de corps trouvent leur
salut dans la compagnie de plus forts. Celui qui en
est chargé prendra du reste ses dispositions
à l'avance, de peur que le temps ne vienne
à manquer pour procurer au moment voulu ce
dont on a besoin.
Au retour on interrogera celui qui s'est absenté
sur ce qu'il a fait, les personnes qu'il a rencontrées,
les conversations tenues avec elles, ses pensées
elles-mêmes ; on lui demandera s'il a vécu
jour et nuit dans la crainte de Dieu et s'il n'a pas
transgressé ou violé quelqu'une des
décisions prises, soit en cédant aux
occasions extérieures, soit en se laissant
entraîner par sa propre négligence. On
le félicitera alors s'il s'est bien comporté,
et, s'il a commis une faute, on le reprendra par une
juste et sage exhortation.
Ceux qui seront en chemin seront plus vigilants dès
qu'ils sauront devoir ainsi rendre compte de leur
voyage, et, d'autre part, ils verront que nous ne
perdons pas de vue leur salut, même lorsqu'ils
sont au loin.
Le récit des Actes nous rapporte que c'était
également l'habitude chez les saints, et nous
apprend comment Pierre allant à Jérusalem,
y rendit compte de sa conduite vis-à-vis des
gentils (Ac 11, 5), comment Paul et Barnabé,
à leur retour, rassemblèrent les fidèles
et leur exposèrent ce que le Seigneur avait
fait par eux, et comment enfin tout le peuple se taisait
pour entendre Paul et Barnabé raconter ce que
Dieu avait opéré (Ac 15, 12).
Il faut bien savoir, en tout cas, que les fraternités
doivent absolument rejeter les fraudes, les spéculations
et les gains déloyaux. (Retour)
QU : 45 : Qu'il faut après
le supérieur, quand celui-ci est absent ou
empêché, un frère capable d'assumer
la direction
R. : Comme il arrive souvent que le supérieur
de la fraternité soit séparé
d'elle pour cause de maladie, de voyage nécessaire
ou autre motif, il faudra, pour le remplacer en ces
circonstances, un frère désigné
et approuvé par lui-même et par les frères
capables de donner leur avis. Celui-ci prendra soin
de la fraternité en l'absence du supérieur,
en sorte qu'il y ait au moins quelqu'un pour exercer
envers ceux qui restent le ministère de la
parole, car si elle reste privée de supérieur
elle pourrait se transformer en une espèce
de démocratie dans l'oubli de la règle
et de la discipline traditionnelle.
Il devra garder à l'esprit les règles
judicieusement établies pour la gloire de Dieu
et répondre avec à propos aux hôtes
de passage afin d'édifier dignement ceux qui
demandent l'aumône de la parole pour quoi que
ce soit, et éviter ainsi que la communauté
ait à rougir de confusion. Se précipiter
tous ensemble pour parler serait en effet cause de
trouble et signe d'indiscipline, aussi l'Apôtre
ne permet-il pas à ceux qui sont honorés
du don d'enseigner, de prendre la parole en même
temps, lorsqu'il dit : "Si un autre reçoit
une révélation, que le premier se taise"
(1 Co 14, 30), et il réprouve encore l'inconvenance
d'un tel désordre en disant : "Si dans
une assemblée de l'Eglise entière tous
parlent des langues différentes et qu'il survienne
des ignorants ou des incroyants, ne diront-ils pas
que vous êtes fous ?" (1 Co 14, 23)
Si un étranger interroge un autre par erreur,
celui qui sera questionné ainsi à la
place de son frère, même s'il est capable
de répondre parfaitement, respectera cependant
la règle et ne parlera pas, mais il indiquera
celui à qui cette charge a été
dévolue, comme les Apôtres le firent
pour le Seigneur, afin que le ministère de
la parole soit exercé dans l'ordre et suivant
les convenances. Lorsqu'il s'agit des soins du corps,
il n'appartient pas à n'importe qui d'appliquer
le fer au malade mais à celui qui a une longue
expérience et qu'une longue étude de
l'enseignement des maîtres a instruit dans cet
art ; comment dès lors serait-il raisonnable
que les premiers venus se mêlent d'administrer
le remède de la parole ? Surtout que la moindre
maladresse peut ici causer de tels dommages.
Dans une fraternité où l'on ne permet
pas à n'importe qui de distribuer le pain,
mais où l'on croît devoir confier cette
charge à un seul bien éprouvé,
combien n'est-il pas plus nécessaire que l'aliment
spirituel soit livré avec sagesse et précaution
à ceux qui le demandent par l'un des frères
les plus capables ? C'est donc faire preuve d'une
suffisance peu commune que d'oser répondre
ainsi avec assurance et à l'improviste lorsqu'on
est interrogé sur la loi divine, au lieu d'indiquer
celui qui est chargé du ministère de
la parole, lequel, économe fidèle et
avisé, a été choisi pour dispenser
la nourriture spirituelle en temps opportun (Lc 12,
42), et faire avec discernement l'aumône de
la parole (Ps 111, 5), comme il est écrit.
S'il échappe quelque chose à celui qui
doit répondre et qu'un autre s'en aperçoive,
il ne doit pas se précipiter immédiatement
pour le reprendre, mais lui dire sa pensée
en particulier ; il arrive souvent en effet que des
inférieurs trouvent là une occasion
de s'ériger contre le supérieur. C'est
pourquoi si quelqu'un répond à un étranger,
bien peut-être, mais à contre temps,
il encourt la peine due au désordre. (Retour)
QU : 46 : Qu'il ne faut dissimuler
ni sa faute ni celle d'autrui
R. : Toute faute doit être déclarée
au supérieur ou par celui qui l'a commise ou
par ceux qui en ont connaissance, lorsqu'ils ne peuvent
y remédier par eux-mêmes suivant la prescription
du Seigneur, car un vice gardé secret est une
maladie latente de l'âme.
Ce n'est pas celui qui enfermerait en nous ces germes
mortels que nous appellerions bienfaiteur, mais au
contraire celui qui les découvre au prix de
la souffrance et de la douleur, afin qu'on puisse
ou les vomir ou, d'une manière générale,
trouver facilement des remèdes appropriés
grâce à l'évidence de la maladie.
Ainsi c'est préparer la mort du malade avec
lui que de garder sa faute cachée ? "car
le péché, dit l'Ecriture, est l'aiguillon
de la mort" (1 Co 15, 56) et "les reproches
faits ouvertement sont préférables à
l'amitié qui dissimule" (Pr 27, 5).
Un frère ne dissimulera donc pas la faute d'un
autre s'il ne veut devenir son meurtrier plutôt
que son ami ; il ne cachera pas davantage sa propre
faute, "car, est-il dit, celui qui ne se corrige
pas dans ses uvres est frère de celui
qui se détruit lui-même" (Pr 18,9)
(Retour)
QU : 47 : De ceux qui n'admettent
pas les décisions du supérieur
R. : Celui qui n'accepte pas les décisions
prises par le supérieur doit, en public ou
en particulier, alléguer contre lui, conformément
à l'Ecriture, une raison valable s'il en a,
autrement qu'il accomplisse l'ordre en silence.
S'il n'ose parler, qu'il le fasse par l'intermédiaire
d'un autre. Si l'ordre donné est en contradiction
avec l'Ecriture il se préservera ainsi et préservera
ses frères du mal qui en résulterait.
Si l'ordre, au contraire, est démontré
conforme à l'Ecriture, il se délivrera
lui-même de doutes inutiles et dangereux, "car
celui qui doute sera condamné, dit l'Ecriture,
parce qu'il n'aura pas agit de bonne foi" (Rm
14, 23). D'autre part, les plus simples ne glisseront
pas dans la désobéissance à cause
d'eux,"car il vaut mieux, dit le Seigneur, être
jeté dans la mer avec une meule de moulin au
cou plutôt que de scandaliser un de ces petits"
(Mt 18, 6).
Ceux qui persistent à ne pas obéir et
murmurent secrètement, au lieu de déclarer
ouvertement ce qui les arrête, seront expulsés
de la fraternité, car ils sèment le
doute chez les frères, ruinent la confiance
dans les ordres donnés et enseignent l'insubordination
et la révolte : "Chasse le moqueur, dit
l'Ecriture, et la dispute s'en ira" (Pr 22, 10),
et encore : "Repoussez le méchant, parce
qu'un peu de ferment fait lever toute la pâte"
(1 Co 5, 13). (Retour)
QU : 48 : Qu'il ne faut pas scruter
la conduite du supérieur, mais s'occuper de
ce que l'on a soi-même à faire
R. : Afin que nul ne tombe trop facilement dans ce
vice de la critique et ne nuise ainsi à lui-même
et aux autres, il faut veiller à ce que personne
absolument dans la fraternité ne s'ingère
dans la conduite du supérieur et ne s'occupe
indiscrètement de ce qui se passe, excepté
ceux que leur rang et leur prudence qualifie auprès
du supérieur pour qu'il en prenne le sentiment
et le conseil dans les affaires de la communauté,
se conformant en cela à l'Ecriture qui a dit
: "Fait tout avec conseil" (Qo 32, 24)
Si nous avons confié à un frère
la direction de notre vie en sachant bien qu'il devra
en rendre compte à Dieu, il est tout à
fait déraisonnable de lui refuser notre confiance
dans les circonstances les plus ordinaires, et d'accumuler
en soi ou d'exciter chez les autres des suspicions
absurdes contre lui.
Pour éviter cela, que chacun reste au poste
pour lequel il a été désigné
et s'applique seulement à ce qu'on lui a dit
de faire, sans s'occuper de la conduite des autres,
imitant ainsi les Apôtres qui auraient certes
pu concevoir des soupçons au sujet de la Samaritaine,
mais desquels aucun ne demanda : "Que veux-tu
?" ou : "Pourquoi parles-tu avec elle ?"
(Jn 4, 27) (Retour)
QU : 49 : Des contestations qui
surviennent entre frères
R. : Pour ce qui est des contestations qui peuvent
surgir, si des frères sont en désaccord
ils ne se résisteront pas mutuellement avec
âpreté, mais ils s'en remettront à
la décision de ceux qui ont autorité
en la matière.
Pour éviter le désordre et les occasions
de bavarder ou de plaisanter qui se réaliseraient
si tous pouvaient toujours interroger, on désignera
un frère éprouvé pour soumettre
à l'examen de la communauté les questions
posées par certains, ou en référer
au supérieur.
Ces questions seront ainsi examinées d'une
façon plus normale et plus sage, car s'il faut
en toute circonstance du savoir et de l'expérience,
il en faut particulièrement en cette occasion,
et si personne ne confie des instruments à
qui ne sait pas s'en servir, a fortiori ne permettra-t-on
de parler qu'à ceux qui en sont capables. Ceux-ci
doivent pouvoir discerner où, quand et comment
on peut interroger, comparer avec douceur et prudence,
écouter avec sagesse et résoudre pour
l'édification de la communauté les questions
proposées. (Retour)
QU : 50 : Comment le supérieur
doit réprimer les fautes
R. : Le supérieur ne doit pas réprimander
avec passion, car faire avec colère et avec
violence des reproches à un frère, ce
n'est pas le délivrer de sa faute, mais se
précipiter soi-même dans le péché
; c'est pourquoi il est écrit : "Qu'il
corrige dans la douceur ceux qui lui résistent"
(2 Tm 2, 25).
Il ne s'emportera donc pas lorsqu'on l'aura offensé
lui-même pour se montrer ensuite indulgent pour
le coupable lorsque c'est un autre qui est en jeu,
mais il montrera au contraire dans ce dernier cas
un mécontentement plus grand. Il échappera
de la sorte au soupçon d'amour-propre et indiquera
par sa conduite ainsi nuancée, selon qu'il
s'agit de lui-même ou d'un autre, qu'il ne hait
pas le coupable mais cherche uniquement à enrayer
le péché. S'il met au contraire plus
d'indignation, non quand il s'agit d'un autre, mais
quand il s'agit de lui, il montre qu'il s'irrite moins
à cause de Dieu ou du danger couru par le coupable
que par amour-propre et esprit autoritaire.
Ce qu'il faut donc, c'est montrer du zèle pour
l'honneur de Dieu atteint par l'infraction à
sa loi, faire preuve de charité et de miséricorde
pour sauver le frère que sa faute met en péril,
car " l'âme qui a péché mourra"
(Ez 18, 4), poursuivre tout péché en
tant que péché et manifester l'ardeur
de son âme par son empressement à en
tirer satisfaction. (Retour)
QU : 51 : Comment il faut corriger
le pécheur
R. : On doit corriger comme en médecine on
soigne les malades, sans se mettre en colère
contre les faiblesses, mais en combattant la maladie
et en opposant un obstacle aux passions, en soumettant
l'âme à un régime des plus rudes
si c'est nécessaire pour son mal. On soignera
par exemple l'amour de la vaine gloire en imposant
d'humbles occupations. On guérira les bavards
par le silence, les dormeur par les veilles de prières
; on remédiera à la paresse par les
travaux pénibles, à la gourmandise par
le jeûne, au murmure par l'isolement, de façon
que personne n'ose travailler avec le murmurateur
et que même ce qu'il fait soit mis à
l'écart, comme nous l'avons déjà
dit, à moins que la pénitence acceptée
sans respect humain ne montre que le coupable s'est
corrigé ; on recevra alors le travail entaché
de murmure. On ne le mettra cependant pas au service
des frères, mais on l'utilisera autrement :
la raison en a été suffisamment exposée
plus haut. (Retour)
QU : 52 : Dans quels sentiments
il faut recevoir la correction
R. : Comme le supérieur, avons-nous dit, doit
appliquer sans passion la correction salutaire aux
faibles, de même ceux qui en sont l'objet doivent
accepter les châtiments sans animosité,
et ne pas appeler tyrannie, l'intérêt
que par miséricorde on prend au salut de leur
âme.
Ce serait une honte d'accorder aux médecins
du corps assez de confiance pour leur donner le titre
de bienfaiteurs, même lorsqu'ils taillent, brûlent
ou imposent une potion amère, et de ne pas
avoir la même attitude envers ceux qui soignent
nos âmes, aussitôt qu'ils travaillent
à nous sauver en nous faisant souffrir ; car
l'Apôtre a dit : "Qui peut me réjouir,
sinon celui que j'ai d'abord attristé ?"
(2 Co 2, 2) et : "Cette tristesse selon Dieu,
quel zèle n'a-t-elle pas ensuite produit en
vous ?" (2 Co 7,1 1)
Celui qui considère la fin doit donc regarder
comme un bienfaiteur celui qui l'afflige selon Dieu.
(Retour)
QU : 53 : Comment ceux qui enseignent
les métiers doivent corriger les enfants pris
en faute
R. : Certes, si dans l'apprentissage des métiers
les enfants commettent des fautes contre le métier,
les maîtres doivent eux-mêmes leur reprocher
leur négligence ou redresser leur erreur.
Cependant, lorsque ces manquements sont l'indice de
défauts du caractère comme les désobéissances,
les répliques, la paresse au travail, l'oisiveté,
le mensonge ou d'autres transgressions à la
loi de Dieu, il faut conduire les enfants à
celui qui est chargé de la discipline générale
et les confondre devant lui ; celui-ci pourra alors
déterminer dans quelle mesure et comment corriger
les fautes.
Si imposer un châtiment n'est autre chose, en
effet, que de soigner une âme, ce n'est pas
au premier venu de s'en mêler, pas plus que
de faire le médecin, mais seulement à
celui à qui le supérieur en aura confié
la charge après mûr examen. (Retour)
QU : 54 : Du devoir pour les
supérieurs de la fraternité, de traiter
ensemble des affaires qui les concernent
R. : Il est bon que les supérieurs des fraternités
se réunissent à des époques et
en des endroits déterminés. Ils se feront
alors connaître les difficultés rencontrées
dans le règlement des affaires ou dans le gouvernement
des âmes, et la manière dont ils se seront
comportés en ces circonstances. De cette façon
si l'un d'eux a commis une erreur, la discussion la
fera certainement ressortir, et celui qui aura bien
agi verra sa conduite confirmée par les approbations
qu'il recevra. (Retour)
QU : 55 : Si le recours à
la médecine est conforme à l'esprit
de la vie de piété
R. : Chacun des différents arts nous a été
donné par Dieu pour remédier à
l'insuffisance de la nature : l'agriculture, par exemple,
parce que les produits de la terre ne naissent pas
spontanément en assez grande abondance pour
nos besoins, l'art du tissage parce qu'il nous faut
absolument des vêtements pour nous couvrir décemment,
et nous protéger contre les morsures de l'air
; de même l'art de construire, et il en est
ainsi certainement pour l'art de la médecine.
Le corps est sujet à de nombreuses maladies
provenant de causes extérieures ou intérieures
comme la nourriture, et il souffre tantôt d'excès,
tantôt d'insuffisance ; c'est pourquoi Dieu,
modérateur de toute notre vie, nous a fait
présent de la médecine, et celle-ci,
en retranchant ce qui excède et en fournissant
ce qui manque, symbolise l'art de soigner les âmes.
Comme nous n'aurions pas dû nous préoccuper
de la terre ni la travailler au Paradis de délices,
nous ne devrions pas maintenant recourir à
la médecine, si nous étions à
l'abri de la maladie autant que nous l'étions
avant la faute, grâce aux dons reçus
dans la création. Cependant après l'exil
et la sentence : "Tu mangeras ton pain à
la sueur de ton front" (Gn 3, 19), nous avons
pu remédier aux conséquences de la malédiction,
car, à force d'expériences dans le travail
pénible de la terre, et moyennant l'intelligence
et la compréhension que le Seigneur nous donna
de cet art, nous avons inventé l'agriculture.
De la même façon, renvoyés sur
la terre d'où nous avions été
tirés, liées à une chair de douleur,
voués à la mort à cause du péché,
et, par suite, soumis à toutes les maladies,
nous obtînmes de Dieu le soulagement que la
médecine procure aux malades dans la mesure
où elle le peut.
Ce n'est point par hasard que germent sur le sol des
plantes, qui ont des propriétés particulières
pour guérir chaque maladie ; il est au contraire
évident que le Créateur les veut à
notre usage. On trouve donc une vertu spéciale
dans les racines, dans les fleurs, dans les fruits,
dans les feuilles ou dans les sucs, dans les herbes
qui grandissent dans la mer et celles que l'on trouve
au fond des carrières ; les unes entrent dans
la composition d'aliments, les autres servent à
faire des boissons.
Le chrétien doit cependant éviter ce
qui est superflu, recherché, demande beaucoup
d'apprêt, ou semble orienter toute notre vie
vers les soins du corps, et, lorsqu'on doit recourir
à la médecine, il faut prendre garde
de ne pas lui attribuer exclusivement la santé
ou la maladie, mais accepter ses prescriptions pour
manifester la gloire de Dieu et comme une figure des
soins que nous devons à l'âme.
Les soulagements de la médecine faisant défaut,
il ne faut pas voir en elle notre seul espoir de guérison,
car le Seigneur, ne l'oublions pas, ne permettra pas
que nous souffrions au-delà de nos forces (1
Co 10, 13). Peut-être aussi en agira-t-il avec
nous, comme lorsqu'il prit de la boue, s'en servit
comme d'un onguent, et ordonna à l'aveugle
de se laver à la fontaine de Siloé (Jn
9, 6-7), ou lorsqu'il se contenta d'exprimer un ordre
en disant : "Je le veux, soit guéri"
(Mt 8, 3), ou encore lorsqu'il en laissa d'autres
s'exercer dans la souffrance, afin de se les rendre
plus agréables à travers l'épreuve.
Parfois, en effet, il nous touche secrètement
et à notre insu, quand il en voit l'utilité
pour nos âmes. Parfois aussi il juge bon d'apporter
à nos maux des remèdes matériels,
afin de rendre plus durable le souvenir du bienfait
par la longueur du traitement, ou, comme je l'ai dit,
pour nous donner une image des soins que nous devons
accorder à l'âme ; car, s'il faut enlever
du corps ce qui gêne, et lui procurer ce qui
lui manque, ainsi faut-il écarter de l'âme
ce qui ne lui convient pas, et lui donner ce que sa
nature réclame, le Seigneur ayant fait l'homme
droit (Qo 7, 29) et nous ayant créés
pour que nos uvres soient bonnes, et que nous
marchions en elles.
Lorsqu'il s'agit de guérir le corps nous acceptons
incisions, amputations ou médicaments amers,
acceptons donc aussi, dans l'intérêt
de notre âme, les réprimandes qui tranchent
et la potion âpre des reproches. Le prophète
se répand précisément en plaintes
contre ceux qui ne se sont pas laissés corriger
: "N'y a-t-il pas de baume dans Galaad ? dit-il.
N'y a-t-il pas de médecin ? Pourquoi la fille
de mon peuple n'est-elle donc pas guérie ?"
(Jr 8, 22)
Certaines maladies sont longues et exigent pour la
guérison des médicaments variés
et pénibles à prendre : elles nous font
penser qu'il faut, pour corriger certains vices de
l'âme, une prière persévérante,
une pénitence continuelle et une discipline
sévère adaptée raisonnablement
à la guérison en vue.
Nous ne devons donc pas repousser absolument les avantages
de la médecine pour le motif que certains en
font un mauvais usage, car ce n'est pas parce que
des gens adonnés sans retenue au plaisir le
cherchent dans l'art du cuisinier, du boulanger ou
du tisserand, dont ils abusent, que nous devons, nous,
nous abstenir complètement de tous ces arts
; au contraire, servons-nous-en raisonnablement, afin
de confondre ceux qui en usent mal. Ainsi en est-il
de la médecine, don de Dieu, qu'il ne faut
pas rejeter pour le mauvais emploi que certains en
font.
Certes, il est insensé de mettre tous ses espoirs
de guérison entre les mains des médecins,
comme nous le voyons faire par certains malheureux,
qui n'hésitent pas à les appeler leurs
sauveurs, mais c'est aussi de l'obstination de refuser
les secours de leur art.
Ezéchias, cependant, ne considéra pas
le gâteau de figues comme la principale cause
de sa santé, et ne lui attribua point sa guérison
(2 R 20, 7), mais rendit grâces à Dieu
d'avoir aussi créé des figues. Ainsi
nous, lorsque Dieu, bon et sage modérateur
de notre vie, nous envoie des infirmités, demandons-lui
d'abord de nous faire connaître les raisons
pour lesquelles il nous frappe, ensuite prions-le
de nous accorder délivrance et patience afin
qu'avec l'épreuve il nous donne le moyen d'en
sortir (1 Co 10, 13), de façon que nous puissions
la supporter.
Lorsque la grâce de la guérison nous
est accordée, soit par le vin et l'huile, comme
pour le voyageur tombé entre les mains des
brigands (Lc 10, 34), soit par des figues, comme pour
Ezéchias (2 R 20, 7), recevons-la avec reconnaissance,
sans distinguer si Dieu nous a secourus d'une manière
invisible, ou s'il l'a fait par l'intermédiaire
des choses visibles, ce qui nous porte souvent beaucoup
plus à reconnaître le bienfait accordé
par le Seigneur. Il arrive souvent que les maladies
nous sont un enseignement, et que c'est pour nous
instruire que nous sommes condamnés à
de pénibles remèdes. Il n'est donc pas
raisonnable, alors, de nous soustraire aux ablations,
cautérisations, aux désagréments
des potions âcres et amères, aux diètes,
aux rationnements sévères, à
la privation de ce qui est nuisible, dès l'instant,
je le répète, qu'il en résulte
pour l'âme l'avantage d'y trouver une image
du traitement qu'elle doit s'appliquer à elle-même.
On courrait cependant grand risque de se tromper,
si l'on s'imaginait que toute maladie a besoin des
adoucissements de la médecine. Les diverses
infirmités n'ont pas toutes des causes naturelles
; elles ne sont pas toutes produites par un régime
défectueux ou autres causes d'ordre physique,
contre lesquelles nous reconnaissons utile l'emploi
des médicaments. Elles sont souvent, au contraire,
pour nous, des châtiments de nos fautes infligés
pour notre amendement : "Car le Seigneur corrige
celui qu'il aime" (Pr 3, 12). "C'est pourquoi
beaucoup sont faibles, malades ou mourants parmi vous.
Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions
pas jugés ; mais, quand nous sommes jugés
par le Seigneur, nous sommes châtiés
par lui, afin que nous ne soyons pas condamnés
avec le monde"(1 Co 11, 30-32).
Ceux pour qui c'est le cas doivent donc, une fois
leur faute reconnue, rester tranquilles, renoncer
aux soulagements de la médecine, et supporter
leurs maux, selon la parole : "Je subirai la
colère du Seigneur parce que j'ai péché"
(Mi 7, 9). Ils doivent aussi corriger leur conduite,
afin de produire de dignes fruits de pénitence,
et se rappeler les paroles du Seigneur : "Tu
es guéri, mais ne pèche plus, de peur
qu'il ne t'arrive plus grand mal". (Jn 5, 14)
Parfois la maladie nous atteint sur la demande de
l'esprit du mal. C'est alors comme un grand combat,
dans lequel le Seigneur qui nous aime entre en lutte
avec lui et confond son insolence par l'inaltérable
patience de ses serviteurs : tel fut, nous le savons,
le cas pour Job. (Jb 2, 6)
D'autres fois, Dieu veut donner à ceux qui
ne supportent pas la souffrance l'exemple de ceux
qui sont restés fermes dans la douleur jusqu'à
la mort, ainsi qu'il en advint pour Lazare (Lc 16,
20). Celui-ci fut accablé de tant de maux,
et l'Ecriture ne dit nulle part de lui qu'il implora
le riche ou qu'il fut mécontent de son sort,
mais qu'ayant reçu les maux en cette vie, il
obtint le repos dans le sein d'Abraham. (Lc 16, 22-25)
Nous connaissons encore un autre motif pour lequel
les infirmités frappent les saints, tel l'Apôtre
Paul. Pour qu'il ne parût pas sortir des lois
de la nature, et que personne n'imaginât un
être supérieur en lui sous des apparences
matérielles, (erreur des Lycaoniens lui offrant
des couronnes et des taureaux (Ac 14, 12)), il se
vit accablé d'infirmités suffisantes
pour démontrer sa nature humaine.
Quel avantage tirer de la médecine en ces circonstances
? N'y-a-t-il donc pas plutôt danger de se tromper
en soignant le corps ?
Cependant ceux qui s'attirent les maladies par un
mauvais régime peuvent certes se soigner, et
ce leur est, comme nous l'avons du reste déjà
dit, une image et un symbole des soins à donner
à l'âme. Il nous sera donc utile de nous
abstenir, conformément à la médecine,
de ce qui peut nous nuire, de choisir ce qui nous
convient, et d'observer les avertissements qui nous
sont donnés : le retour du corps à la
santé après la maladie nous sera un
encouragement à ne pas désespérer
de l'âme, comme si elle ne pouvait, grâce
à la pénitence, sortir du péché
et retrouver son intégrité.
Il ne faut donc ni rejeter complètement cet
art ni mettre en lui toutes nos espérances
; mais comme nous cultivons la terre, tout en demandant
à Dieu la fertilité, et comme nous laissons
le gouvernail au pilote, en priant cependant le Seigneur
de nous faire échapper aux dangers de la mer,
ainsi recourons au médecin, dès que
la raison nous le suggère, sans laisser pourtant
d'avoir confiance en Dieu.
Pour ma part, je crois que cet art nous aide même
beaucoup dans la pratique de la tempérance,
car je le vois retrancher les plaisirs, rejeter la
satiété et la multiplicité des
mets, condamner la recherche exagérée
des condiments, faire, en somme, de la sobriété
la mère de la santé ; ici encore ses
conseils ne nous sont donc pas inutiles.
En tout cas, observe-t-on les règles de la
médecine ou, pour les raisons susdites, les
néglige-t-on, il faut avoir toujours en vue
le bon plaisir de Dieu, tendre au bien de l'âme
et accomplir le précepte de l'Apôtre
: "Soit que vous mangiez, soit que vous buviez,
soit que vous fassiez autre chose, faites tout pour
la gloire de Dieu" (1 Co 10, 31). (Retour)
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