...qui
pour nous, les hommes, et pour notre salut, est descendu
des cieux et a pris chair du saint Esprit et de la vierge
Marie et s'est fait homme.
" Le Verbe qui transcende l'univers " (kondakion
de Noël) se fait chair dans le sein vierge d'une
petite galiléenne fécondé par l'Esprit.
Pris d'un coup de folie amoureuse, le Créateur
se fait créature. Sans cesser d'être "
le Dieu trop haut pour notre entendement " (Idem).
Dieu se dépouille de la gloire incréée
de sa divinité. " Le Dieu d'avant les siècles
" (idem et ikos) se proportionne à nous
; la Roue dentée divine vient embrayer chacune
de nos roues dentées humaines pour les mettre
en mouvement, pour leur donner la seule vie qui ne soit
pas une vie morte. Evénement inouï : Dieu
devient sa propre création. " L' insaisissable,
l'inexplicable Seigneur " (Laudes des matines de
Noël, 1er et 3è stichères) sort de
l'absolu éternel de son être, de sa propre
transcendance pour se relativiser en entrant dans le
devenir du monde, dans la durée des hommes. L'Eternel
entre dans le temps, " le Dieu d'avant les siècles
" (kondakion de Noël) se fait mortel et il
en mourra atrocement, crucifié comme un malfaiteur
aux portes de la Ville ! Saint Paul, dans son épître
Aux Philippiens, dit admirablement du Christ : "
Lui qui, possédant forme de Dieu, n'a pas regardé
comme une prérogative d'être égal
à Dieu, mais s'est anéanti en prenant
forme d'esclave, en devenant pareil aux hommes. Et quand
il a eu figure humaine, il s'est abaissé à
obéir jusqu'à mourir et mourir en croix.
Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il accordé
le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu'au Nom
de Jésus tout genou plie, dans les cieux, sur
terre et sous terre, et que toute langue avoue que Jésus
Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père
" (Ph 2, 6-11). L'événement de Noël
précontient toute l'odyssée de Jésus
de Nazareth ici-bas et donc toute l'économie
de notre salut : les affres du Vendredi saint, la nuit
de Pâques et finalement l'ascension pour siéger
à la droite du Père afin que vienne à
profusion sur l'Eglise la Pentecôte de l'Esprit.
" L'icône immuable du Père divin "
(vêpres de Noël, 1er stichère du lucernaire)
vient parmi nous vivre comme nous tous : Jésus
de Nazareth eut besoin de nourriture, de repos et de
sommeil. Dans l'ardeur d'un midi palestinien il demanda
à boire à une femme de Samarie. Il éprouva
le stress, fut accessible aux joies de l'amitié,
à la tristesse, à l'indignation.
Mais cet incroyable abaissement de la divinité,
cette humiliation volontaire, cette descente inouïe
de Dieu jusqu'à l'homme, il est descendu des
cieux, a pour unique finalité d'élever
l'homme jusqu'à Dieu. Dieu s'humanise afin de
diviniser l'humanité. C'est très exactement
ce que nous appelons le salut pour notre salut. Au moment
de l'année où nous célébrons
la fête de Noël, les jours viennent de recommencer
à croître et petit à petit les nuits
vont aller en diminuant. Retenons donc la leçon
du soleil. Cette boule gigantesque de feu, dont la température
de la zone centrale est estimée à quelque
quinze millions de degrés, n'est pas assimilable
à un objet porté préalablement
à une certaine température et qui se refroidirait.
Il n'est pas davantage comparable à un objet
recevant de l'énergie extérieure. Il produit
lui-même sa propre énergie et cette production
provient de sa profondeur. Cette gigantesque sphère
de gaz est située approximativement à
cent cinquante millions de kilomètres de notre
terre. Ce soleil, en raison de sa chaleur extrême
plus encore que de sa distance, nous serons éternellement
incapables de l'atteindre, mais lui, qui est si loin
de nous, il nous atteint très réellement
par son rayonnement ultra-violet. Dire que le "
Seigneur Jésus Christ est descendu des
cieux et s'est fait homme ", c'est affirmer
que le christianisme est fondamentalement, essentiellement,
non point une religion, un ensemble de traditions, un
corpus de rites, encore moins une morale sociale, mais
un coup de soleil ! La vie chrétienne authentique,
telle que les saints consentent à l'expérimenter
dans la foi et l'amour, est une exposition au Soleil
divin, un emmagasinement en notre humaine nature des
rayons ultra?violets divins. Devenir des saints, cela
consiste à bronzer en s'exposant aux rayons incréés
du " Soleil de justice ", aux rayons divins
du " Soleil levant plus brillant que tout soleil
" (exapostilaire des matines de Noël), de
la " Lumière issue de la Lumière
".
Et parce qu'il est pleinement Dieu, l'Enfant qui naît
à Noël est aussi pleinement homme. S'il
est notre Sauveur, c'est en ce sens très précis
que, possédant la plénitude de la divinité,
il est le seul homme à pouvoir réaliser
la plénitude de l'humanité. En nous révélant
qui il est, Dieu nous révèle simultanément
qui nous sommes. L'Enfant né à Noël
nous révèle que Dieu seul est pleinement
humain. En cet Enfant le divin se révèle
au sein même de l'humain. Tout le divin de cet
Enfant est simultanément humain, de même
qu'en lui tout l'humain contient la plénitude
de sa divinité. Dans l'Enfant de la nuit de Bethléem
il n'y a rien qui soit seulement divin ou seulement
humain, mais l'un en l'autre et par l'autre est divino-humain.
Les deux natures et divine et humaine s'unissent totalement
en cet Enfant sans cependant se confondre. Quand, le
Vendredi saint, Pilate reviendra vers les juifs pour
leur désigner Jésus en disant : "
Ecce homo, voici l'homme ", il ne croira pas si
bien dire ! Car, nous chrétiens, nous devons
comprendre : " Voici enfin un homme ! " Je
veux dire : voici enfin un homme totalement humain parce
que de part en part pénétré par
le divin. Voici l'Homme par excellence. Voici le seul
homme qui ne soit pas plus ou moins homme, plus ou moins
intelligent, plus ou moins doué de mémoire,
plus ou moins vertueux. Voici un homme qui ne fragmente
pas la nature humaine, mais la manifeste pleinement
en témoignant par sa divino-humanité que
l'homme n'est véritablement homme qu'en Dieu
et par Dieu, en étant divinisé, engendré
à sa vie divine et incréée.
Mais si cela est vrai, si nous y croyons vraiment, nous
sommes dans l'obligation de vivre, tout au long de nos
journées, de nos semaines, de nos mois, de nos
années, le mystère de Noël, le mystère
de la divino-humanité, le mystère de l'union
sans confusion du divin et de l'humain. Nous devons
consentir à expérimenter le mystère
de la divinisation, de la pénétration
de notre humanité par les énergies divines
et divinisantes du saint Esprit qui repose en plénitude
sur l'Enfant divino-humain de Bethléem. Nous
devons, jour après jour, inlassablement jusqu'à
notre dernier souffle, consentir onéreusement
mais salutairement à entrer en communion avec
le saint Esprit, à nous mêler à
l'Esprit déifiant de la Pentecôte, à
nous laisser transfigurer en lumière sans déclin,
sereine et joyeuse par le Ressuscité. Il s'agit
de consentir à expérimenter une existence
dont le mode est une manière d'être divine.
Le message de Noël est que nous ratons notre destinée
si nous nous enfermons dans notre propre nature humaine
pécheresse et déchue, animalisée
par le péché. Le message de Noël
est que le péché est en nous un élément
étranger à notre nature véritable,
et que l'accès à celle-ci ne nous est
possible que si nous acceptons l'introduction en notre
nature d'un autre élément étranger,
à savoir le don divin, incréé et
infini de l'Esprit saint qui repose sur l'Enfant né
en la nuit de Noël. Le message de ce petit enfant
est que si nous confessons sa filiation divine, nous
recevons la Semence de sa divinité, l'Esprit
saint dont il est, auprès du Père, le
Réceptacle éternel et, ici-bas, le Dispensateur
obligé. Le message que nous adresse ce petit
enfant est que, si, dans la foi et l'amour, nous ouvrons
notre intelligence et notre cur à la leçon
de sa naissance parmi nous, de son inimaginable humiliation,
de son inconcevable abaissement, de sa condescendance
infinie, alors l'Acte générateur éternel
de son Père céleste sur lui s'étend
jusqu'à nous et nous naissons à cette
vie nouvelle dont l'Enfant de Bethléem devenu
un homme d'une trentaine d'années parlera à
Nicodème.
Si cet enfant naît du saint Esprit et de la vierge
Marie et non point de Joseph, ce n'est pas parce que
l'union conjugale est un péché. C'est
parce que, de toute éternité, cet Enfant
a un Père dont il est l'unique-engendré,
le " monogenes ". Lors donc que la Parole
éternelle du Père devient chair, le Fils
ne peut devenir, même charnellement, fils d'un
autre père que de Celui dont il dira à
Marie de Magdala après sa résurrection
: " mon Père et votre Père, mon Dieu
et votre Dieu " (Jn 20, 17). La génération
charnelle de Jésus de Nazareth ici-bas, sa naissance
à l'existence biologique promise à la
mort, ne peut être qu'un prolongement, un contre-coup
de la génération éternelle par
laquelle Dieu son unique Père et dont il est
l'unique Fils, lui communique la plénitude de
sa Vie paternelle, c'est-à-dire l'Esprit saint.
C'est pourquoi le Credo affirme que le Christ est né
et du saint Esprit et de la vierge Marie. En proclamant
cela, la sainte Eglise se réfère implicitement
au troisième Evangile en lequel nous lisons que
l'ange Gabriel annonce à Marie qu'elle sera mère
malgré sa virginité en lui disant : "
Le saint Esprit viendra sur toi, et la puissance du
Très-Haut te couvrira de son ombre " (Lc
1, 35).
En cet article de notre Credo, nous affirmons que la
divinité est venue se mêler avec l'humanité
afin que les hommes soient mélangés à
l'Esprit saint que, de toute éternité,
le Père céleste communique à son
Fils bien-aimé en l'engendrant. L'Enfant qui
naît à Noël, c'est le Feu divin venu
incendier l'humanité pécheresse et déchue,
mais conviée aux épousailles divines.
Notre pauvre humanité promise au Vendredi saint
et à la mort, c'est le fer qui mis dans le feu
peut devenir feu lui-même. Nous n'avons été
créés que pour devenir feu et Esprit,
pour entrer en contact divinisant avec le corps très
pur et le Sang très précieux du Ressuscité.
Il
a été crucifié...
En Palestine, à l'époque où Jésus
fut condamné à mort et exécuté,
la peine capitale pouvait être infligée
de trois manières. Ou bien on était citoyen
romain et on avait la tête tranchée par
le glaive. Ce sera le cas de l'apôtre Paul. Ou
bien on était juif et on était condamné
par des juifs : on était lapidé. Ce sera
le cas du diacre Etienne. Ou bien on était juif
( ou prisonnier de guerre, ou trublion politique ou
esclave ) et la peine capitale était prononcée
et exécutée par les Romains : on était
crucifié. Ce fut le cas de Jésus. Or,
de ces trois formes de la peine capitale, seule la crucifixion,
si terrible qu'elle fût, était digne d'un
homme dont nous avons la folie de confesser la pleine
et entière divinité. En effet, imagine-t-on
le Fils coéternel au Père et au saint
Esprit ayant la tête séparée du
corps ou mise en bouillie ? Seule la crucifixion fut
digne de la divino-humanité du Christ.
Mais c'était une peine atroce et cruelle. Longue
à venir si le supplicié était jeune
et vigoureux, s'il n'avait pas été trop
maltraité auparavant, la mort était généralement
provoquée par une asphyxie progressive terrible,
survenant après une tétanisation des muscles
causée par une immobilisation prolongée.
La poitrine cherchait l'air en vain, le cur se
contractait, le visage se crispait. Des spasmes, des
soubresauts, des contorsions déformaient les
traits et les lignes du corps. Pour respirer, le supplicié
cherchait à relever son corps. Pour cela, il
cherchait à prendre appui sur ses pieds déchirés,
et si peu qu'il pesât sur ses poignets transpercés,
en plein carpe, par les clous, le contact de ces derniers
avec les nerfs provoquait de violentes souffrances.
Afin de prolonger le supplice, on évitait soigneusement
les artères, L'agonie d'un crucifié pouvait
durer de longues heures, voire une journée entière,
ou même plusieurs jours lorsque le crucifié
avait été attaché à la croix
au moyen de cordes. Jésus mourut assez rapidement
pour qu'on ne lui brisât pas les jambes et pour
que Pilate s'en étonnât. En 67 av. J.C.,
Pompée fit crucifier six mille esclaves sur les
voies romaines menant à Rome. Deux mille juifs
subirent le même sort après la mort d'Hérode
le Grand. Et durant le siège de Jérusalem
par Titus, en 70 de notre ère, près de
500 juifs furent mis en croix quotidiennement par les
Romains. Le livre du Deutéronome cité
par st. Paul en Ga. 3, 13, dit que celui qui est pendu
est un objet de malédiction auprès de
Dieu (Dt 21, 23). Ce texte permet d'entrevoir le scandale
que représenta certainement aux yeux des disciples
le spectacle du Messie, du " Fils de David "
qui, moins d'une semaine auparavant, le jour que nous
appelons désormais des Rameaux, était
entré glorieusement dans Jérusalem, mourant
comme un réprouvé.
...
pour nous ...
L'Un de la Trinité est devenu l'un des hommes
essentiellement pour tout expérimenter de l'humaine
condition, pécheresse et déchue, hormis
le péché. La mort de Jésus sur
la croix signifie qu'il n'est pas un lieu où
se déploie l'existence humaine dont on pourrait
dire que Dieu est absent. Le chrétien ne peut
pas dire à Dieu désormais : Tu ne sais
pas de quoi je parle quand, avec Job, je te crie que
je suis affolé de souffrance. Certes, Dieu n'a
pu faire l'expérience du péché
car l'essence du péché est précisément
l'absence de Dieu. Mais il a tout connu des séquelles
du péché en notre pauvre humanité
: lui le seul-sans-péché a pénétré
de part en part la tristesse humaine, le stress, la
faim et la soif, la fatigue, l'angoisse, l'échec
aux yeux des hommes, la souffrance atroce, les affres
de la mort et, pour finir, la déréliction
du tombeau.
...
sous Ponce Pilate ...
Pontius Pilatus était un militaire romain de
l'ordre équestre. Il devint préfet de
Judée en l'an 26. Il le resta jusqu'en l'an 36.
Ce n'est que plus tard, sous l'empereur Claude, que
le gouverneur de Judée devint procurateur, "
procurator provinciae Iudaeae ". Il dépendait
du légat de Syrie, Vitellius, qui, en 36, envoya
Pilate à Rome devant l'empereur Tibère
afin de s'expliquer après le massacre des Samaritains
qu'il avait orchestré en l'an 36. Heureusement
pour Pilate, ce dernier appris la nouvelle de la mort
de Tibère alors qu'il était en route vers
Rome. Il finit sa vie en exil à Vienne, près
de Lyon. Le gouverneur de Judée avait le "
ius gladii ", c'est-à-dire le droit de condamner
à la peine capitale et le commandement d'une
force militaire. Parmi les juifs, Pilate a laissé
un très mauvais souvenir. Il avait été
nommé préfet de Judée par Séjan,
le préfet du prétoire, le bras droit de
Tibère, connu pour son antisémitisme.
Pilate se défiait des juifs qui l'avaient desservi
auprès de Tibère. Il n'avait rien à
tirer de Jésus et il comprenait très bien
que Jésus ne menaçait pas l'ordre public.
Il fut indifférent sur le sort d'un pauvre malheureux
qu'il eût pourtant préféré
ne pas condamner. Mais, en définitive, il laissa
s'épancher la cruauté de la soldatesque,
composée de troupes auxiliaires d'origine syrienne
ou samaritaine, très hostiles aux juifs.
a
souffert ...
A Gethsémani, le Pressoir à huile, Jésus
expérimente, dans la solitude, les disciples
dorment, la tristesse et l'angoisse : l'attente et la
prévision de la souffrance sont déjà
une souffrance. Jésus est à ce point stressé
qu'il ruisselle de sueur et de sang. Un phénomène
très rare, rarissime chez l'homme, plus fréquent
chez l'animal, se produit en lui, qu'on constate seulement
lorsque le sujet est en proie à une peur extrême
ou à une extrême détresse. Il s'agit
de ce que l'on appelle l'hématidrose, c'est-à-dire
au passage de l'hémoglobine dans la sueur. Ne
parlons-nous pas de suer sang et eau ?
On arrête Jésus et on le conduit chez Anne,
l'ancien grand-prêtre, le beau-père de
Caïphe, en attendant l'arrivée, il fait
encore nuit, des officiels du judaïsme. Là,
un assistant soufflète Jésus alors qu'il
était strictement défendu, chez les juifs,
de frapper un inculpé. Puis on l'emmène
chez Pilate où il est condamné à
mort. Son supplice commence par une flagellation. Pour
Jésus, ce fut la flagellation romaine. Elle était
atroce. Pourtant, Pilate avait dit d'abord aux juifs
: " Prenez-le vous-mêmes et jugez-le selon
votre Tora ". Si Jésus avait subi la flagellation
à la juive, il n'eût pas pu subir plus
de quarante coups portés par des lanières
de cuir. Il eût reçu trente-neuf coups,
on craignait d'outrepasser par inadvertance la prescription
de la Tora, dévêtu jusqu'à la ceinture,
un tiers des coups lui eût été donné
sur la poitrine, le reste sur les épaules. St.
Paul subira cinq fois ce traitement dur mais supportable.
Dans la flagellation à la romaine, le nombre
des coups dépendait du bon vouloir du bourreau
ou de sa lassitude. Les " flagella ", en lanière
de cuir, ainsi que les verges d'ormes étaient
réservés aux citoyens romains. On dut
appliquer à Jésus les " flagra ",
c'est-à-dire des chaînettes de fer terminées
par des osselets et des balles de plomb. La peau se
déchirait et partait en lambeaux, des morceaux
de chair se détachaient. On comprend qu'après
un tel traitement, Jésus n'ait pu porter son
" patibulum " jusqu'au bout et qu'il soit
mort prématurément.
On le tourne en dérision en l'attifant en roi.
Les soldats s'amusent à lui rendre un pseudo-hommage.
On lui enfonce sur la tête une couronne d'épines
qui fait jaillir du sang du cuir chevelu. Jeu cruel
et abject. Il est ensuite emmené sur le lieu
d'exécution. Il doit porter le " patibulum
", c'est-à-dire une traverse de bois qui
sera ensuite hissée sur un piquet fiché
en terre. Jésus part du prétoire de Pilate
et passe par quelques ruelles aboutissant à une
large rue, plus tard jalonnée de colonnes, à
l'époque de Constantin. Il importait aux Romains
de promener ainsi les condamnés dans les lieux
les plus fréquentés de la ville, pour
servir d'exemple. Jésus arrive à l'une
des deux portes du rempart Nord de l'époque,
sans doute à la porte d'Ephraïm, à
400 m environ du prétoire et à quelque
80 m du Golgotha, hors les murs de Jérusalem.
Une tablette de bois, attachée à son cou
ou portée devant lui, indique le motif de sa
condamnation : " Jésus, le Nazôréen,
roi des juifs ". En s'exprimant ainsi, Pilate injuriait
les juifs. Jésus est dépouillé
de ses vêtements, entièrement nu, devant
tout le monde, devant les saintes femmes, devant sa
mère. On lui cloue les poignets sur la traverse
de bois, puis l'ensemble est hissé sur le piquet
fiché en terre, et les deux pieds sont cloués
à leur tour avec un seul clou dans le "
calcaneum ". Les clous traversent les avant-bras
et non pas les mains qui se seraient déchirées
sous le poids du corps. Un croc en bois est placé
au milieu du piquet pour soutenir le corps et l'empêcher
de s'affaisser. Il n'y a pas de support pour les pieds.
Tout est calculé pour faire durer le supplice.
a
été enseveli.
Le shabbat de la grande fête juive de la Pâque
allait commencer. En un tel moment solennel et sacré,
il n'était pas pensable, pour des juifs, de laisser
ainsi des corps en croix, moribonds ou morts, tout près
des murs de la ville en prière et en liesse.
L'ensevelissement est alors rapide, dans un des tombeaux
proches du lieu de la crucifixion, sans les soins funèbres
qu'il était d'usage de donner en pareille circonstance.
Les Romains laissaient d'ordinaire les cadavres des
suppliciés sans sépulture et sous bonne
garde, leurs corps étant ainsi livrés
aux vautours et aux chiens. La famille ne pouvait s'en
approcher. Dans le cas de Jésus, Il fallut l'intervention
auprès de Pilate d'un personnage influent, un
certain Joseph d'Arimathie, " membre du Grand Conseil
( = le sanhédrin ) et fort considéré
qui était disciple de Jésus, mais en secret,
par crainte des juifs ". Pilate accorda la faveur
d'un ensevelissement. Nicodème vint aussi, apportant
un mélange d'aloès et de myrrhe. Il était
tard. Il fallait faire vite. Joseph avait acheté
le linceul. Il descendit Jésus de la croix, l'enveloppa
(dans le linge) et le déposa dans un tombeau
qui avait été taillé dans le roc,
puis il roula une pierre à l'entrée du
tombeau. Le jour du Vendredi saint, à l'office
des vêpres, un clerc ou un laïc mime ce passage
de l'Evangile tandis que le prêtre le lit.
Avant de confier le corps de Jésus au sépulcre
on l'avait embaumé rapidement. Chez les juifs,
il n'était pas question de transformer le défunt
en momie à la manière des Egyptiens. Aucune
incision n'était pratiquée dans le corps.
On se contentait de le laver avec soin, de le plonger
dans les huiles précieuses et de le baigner de
parfums, mais ces soins n'empêchaient pas la décomposition.
Le cadavre fut donc entouré de bandelettes avec
les aromates. Puis, avant le début du shabbat,
avec l'apparition des premières étoiles,
tout le monde s'en alla.
Et
il est ressuscité le troisième jour...
Le lendemain du shabbat, c'est-à-dire le jour
que nous appelons désormais le dimanche, au petit
jour, les saintes femmes " se rendirent au sépulcre
avec les aromates qu'elles avaient préparés
" afin d'embaumer à la juive le corps de
Jésus. Elles rencontrent un ange (deux selon
saint Luc). Le tombeau est vide, le linceul gît
à terre, le suaire " qui passait sur la
tête (n'était pas) affaissé, mais
resté enroulé à sa place ".
L'ange tient un discours que les femmes vont rapporter
aux apôtres. Ceux-ci prennent d'abord cela pour
des sornettes, des contes de bonne femme. Ensuite Jésus
apparaît aux disciples après être
apparu à Marie de Magdala. Il apparaît
aussi aux deux disciples cheminant vers Emmaüs.
Durant quarante jours, jusqu'à l'Ascension, il
apparaîtra aux disciples, mangeant avec eux, se
laissant toucher par Thomas.
En ressuscitant au matin de Pâques, Jésus
ne revient pas à l'état antérieur
à sa mort sur la croix. Jésus ressuscité
n'est pas comparable à Lazare ressuscité.
En effet, Lazare dut mourir une seconde fois et il attend
encore qu'à la fin de l'Histoire son corps ressuscite
pour de bon ! Le corps du Christ ressuscité,
qui passe à travers les murs, n'est pas un fantôme.
Les fantômes, ce sont nos pauvres corps corruptibles
et animalisés par le péché. Le
corps du Christ ressuscité est un corps glorifié,
tout pénétré de la lumière
incréée et de la gloire divine que son
incarnation avait voilées, ne les laissant transparaître
que le temps d'un éclair, notamment au moment
de la transfiguration sur la montagne. La présence
du Ressuscité est désormais une présence
changée : c'est bien lui, et pourtant Marie de
Magdala, qui, il y a quelques heures à peine,
tenait son corps sans vie dans ses bras, commence par
le prendre pour le jardinier, n'ayant pas l'idée
qu'il puisse être ressuscité et croyant
plutôt à un enlèvement.
...
conformément aux Ecritures.
En Jn 20, 9 saint Jean nous dit qu'au matin de Pâques,
Pierre et lui-même " "n'avaient pas
encore compris I'Ecriture, selon laquelle (Jésus)
devait ressusciter d'entre les morts ". Ils auraient
pu croire " sans voir " (à Thomas Jésus
dira " heureux ceux qui croient sans voir "
Jn 20, 29) sur le seul témoignage de l'Ecriture,
mais ce n'est qu'à la lumière de la Résurrection
qu'ils pénètrent le sens et la portée
de celle-ci. Aux disciples d'Emmaüs, le Christ
ressuscité reproche : " 0 curs insensés
et lents à croire à tout ce qu'ont annoncé
les Prophètes... Et, partant de Moïse et
de tous les Prophètes, il leur interpréta
dans toutes les Ecritures ce qui le concernait "
(Lc 24, 25). Dans les discours de Pierre (Ac 2, 25-34
; 3, 18-25 ; 4, 11 ; 10, 43) de Paul (Ac 13, 27-41)
que nous rapporte le livre des Actes, tout comme dans
la première épître de saint Paul
aux Corinthiens (1Co 15, 3 sq) l'argumentation à
partir de l'Ancien Testament est un élément
essentiel du message chrétien primitif. Pour
les disciples de Jésus, comme plus tard pour
tous les Pères de l'Eglise, le Christ accomplit
les Ecritures, c'est-à-dire l'Ancien Testament.
" Rien dans l'Ecriture, écrit saint Augustin,
qui ne résonne le Christ, si toutefois l'oreille
écoute ". Saint Jérôme écrit
de son côté : " Ignorer les Ecritures,
c'est ignorer le Christ ". Et Origène :
" Voici comment tu dois comprendre les Ecritures
: comme le corps unique et parfait du Verbe ".
C'est saint Jérôme qui formule l'idée
avec la concision la plus saisissante : " Tu lis
? (le nouveau comme l'ancien testament) L'Epoux te parle.
Et
il est monté aux cieux...
Jusqu'ici, depuis Pâques, Jésus disparaissait,
semble-t-il (cf. Lc 24, 31). Cette fois, il s'élève
sous leurs yeux, en un mouvement qui indiquait bien
un transfert en un autre monde. Stupéfaits, ils
en restent le nez en l'air. Et voici qu'ils sont avertis
(par deux hommes vêtus de blanc, deux anges, Ac
1, 10-11) que cette fois il s'agit d'un départ
définitif, et qu'ils ne verront plus Jésus
avant son retour, à la fin des temps. Luc note
que les disciples rentrèrent à Jérusalem
avec une grande joie (Lc 24, 53). Cela est quelque peu
surprenant : savoir Jésus aux cieux devait les
consoler médiocrement de cette absence nouvelle
et définitive. Au premier abord, on ne voit pas
ce qui, dans cette séparation, pouvait réjouir
les disciples. En réalité les disciples
ont cru comprendre que ce départ de Jésus
serait de très courte durée et qu'ensuite
seraient inaugurés les temps messianiques, les
derniers temps, la Parousie.
De fait, la Pentecôte s'est produite, mais l'effusion
de l'Esprit n'a pas réalisé le Royaume
messianique de la manière encore trop humaine
qu'attendaient les disciples lorsqu'au jour de l'Ascension
ils demandent au Ressuscité : " Est-ce en
ce temps que tu vas rétablir le Royaume d'Israël
? " (Ac 1, 6). Nous savons maintenant, nous le
savons vraiment depuis que saint Jean a écrit
son Apocalypse, c'est le fond du message de ce livre
prophétique par lequel s'achève la Bible,
nous savons que, dans le temps indéfini de la
vie de l'Eglise, entre le premier et le second avènement
du Ressuscité, le mode de présence de
celui-ci à son Eglise est la présence
dans l'absence. C'est dans l'Esprit saint que désormais
le Christ nous est présent, dans l'Esprit saint
dont il est le dispensateur obligé ici-bas parce
que, dans l'intimité de la vie trinitaire, il
en est le réceptacle éternel.
il
est assis à la droite de Dieu...
Dans toute la Bible, la droite est un symbole de dignité.
Dans le premier livre des Rois, la reine-mère,
Bethsabée, la veuve de David et mère du
nouveau roi Salomon, s'assoit à la droite de
celui-ci (1Rois 2, 19). Dans le psaume 110, le Roi-Messie
siège à la droite de Dieu : " Oracle
du Seigneur à mon Maître : Siège
à ma droile " (Ps 110 (109) 1a). En Mt.
26, 64 Jésus affirme sa messianité divine,
scandalisant ainsi le Grand-Prêtre, en disant
: " Vous verrez le Fils de l'homme siégeant
à la droite de la Puissance ". Et, dans
le même évangile, le Jugement dernier est
décrit par Jésus comme le moment où
" le FiIs de l'homme... placera les brebis à
sa droite ". " Les brebis " étant
" les bénis de mon Père, ... les
justes " (Mt 25, 33, 34, 37). Dire du Christ que
désormais il siège à la droite
du Père, c'est affirmer à nouveau sa divinité
précédemment exprimée dans le Credo
par le mot Seigneur.
...
et il reviendra avec gloire juger les vivants et les
morts, et son règne n'aura pas de fin.
Dans le premier évangile, le Christ nous dit
que le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de
son Père, avec ses anges ; et alors il rendra
à chacun selon ses oeuvres. Naguère, dans
le " Dies irae ", la liturgie latine des défunts
chantait : " Iudex ergo, cum sedebit, quidquid
latet apparebit ". " Lors donc que le Juge
siégera, tout ce qui est caché apparaîtra
". Lorsque l'évêque orthodoxe ordonne
un prêtre, il dépose dans la paume de sa
main droite l'Agneau, le Corps eucharistique du Christ
en lui disant : " Reçois ce dépôt,
tu auras à en rendre compte au jour du Jugement
". Et le dimanche du Carnaval, nous chantons le
kondakion suivant qu'il faut proposer à la méditation
de tous ceux qui, en notre millénaire finissant,
ont un peu trop tendance à évacuer du
christianisme tout ce qui, comme disait le philosophe
d'Aix Maurice Blondel, " enlève les coussins
de dessous le coude des pécheurs " : "
Lorsque tu viendras, dans la gloire, sur la terre, ô
notre Dieu, la création entière tremblera,
un fleuve de feu coulera devant ton tribunal, les livres
seront ouverts et les secrets manifestés (même
idée que dans le dies irae) ; en ce jour délivre-moi
du feu qui ne s'éteint pas et rends-moi digne
de me tenir à ta droite (c'est-à-dire
d'être sauvé), Juge juste et équitable.
P.
André Borrely Recteur de la paroisse St Irénée
à Marseille (France) in revue "Orthodoxes
à Marseille" N°69