Commentaire du CREDO
Partie 1
Introduction.
Le symbole dit de Nicée-Constantinople est,
en réalité, une version élargie
du symbole baptismal de la foi de léglise
de Jérusalem. Composé sous cette forme
peu après le concile d'Alexandrie ( 362 ),
il fut prononcé devant le concile de 381 par
Nectaire élu par ledit concile à la
place de Grégoire de Nazianze qui venait de
démissionner. Nectaire était un vieillard
vénérable, qui appartenait à
l'ordre sénatorial et était alors investi
de la dignité de préteur. Mais on s'aperçut
que Nectaire n'était pas baptisé ! C'est
avant son baptême et la consécration
épiscopale qui sensuivit que Nectaire
prononça cette profession de foi. Le texte
servit ensuite à la liturgie du baptême
à Constantinople et devint ainsi le symbole
de la foi de l'Eglise de Constantinople. Proclamation
de la foi de l'Eglise en la divine Trinité,
de la foi des chrétiens en l'Eglise comme icône
de cette même Trinité, le symbole est
traditionnellement récité ou chanté
au moment où l'Eglise existe en ce qu'elle
a de plus fondamental, de plus essentiel : lorsqu'elle
célèbre la divine liturgie. Dans la
liturgie byzantine, on récite ou chante exclusivement
le symbole dit de Nicée-Constantinople -- celui
que nous allons commenter --, immédiatement
avant de prononcer l'anaphore eucharistique. Dans
la messe romaine, le Credo est récité
après la lecture de l'Evangile. Avant le concile
du Vatican II, il était réservé
aux dimanches, aux fêtes du Christ, de la Mère
de Dieu, des Anges, des Apôtres et des Docteurs.
Aux autres messes, on récitait le symbole des
Apôtres, qui date très certainement de
la période antérieure à la lutte
de léglise contre les hérésies,
et notamment contre l'hérésie arienne,
C'est pourquoi il est beaucoup moins développé,
sans aucune influence de la philosophie ou de la théologie.
C'est cette différence de longueur qui est
à l'origine de l'expression provençale
: Lou grand credo, utilisée pour désigner
le symbole auquel nous allons prêter notre attention.
Après la réforme liturgique postérieure
à Vatican II, le Credo dit de Nicée-Constantinople
s'est généralisé dans le monde
catholique bien que, dans certains pays francophones,
on emploie aussi le symbole des Apôtres.
Je crois en...
En français, il y a une différence considérable
entre croire que.. et croire en... Quand je dis :
Je crois que demain il fera beau, cela signifie que
je n'en suis pas sûr. Si je crois que... je
ne sais pas. La croyance s'oppose à la science.
Que penserions-nous de notre médecin s'il nous
disait : Je crois que vous devez prendre un comprimé
de tel médicament à chacun des trois
repas ? Du médecin nous attendons qu'il sache,
nous n'admettons pas quil puisse se contenter
de croire que... Je crois que... exprime une opinion,
et désigne un assentiment imparfait, qui, comme
l'opinion, comporte tous les degrés de probabilité.
Au contraire, croire en consiste à faire crédit,
à se fier à une personne, à lui
faire confiance. Croire que est à croire en
ce que la croyance est à la foi. Et à
la différence de la croyance, la foi ne s'oppose
pas à la science. Je crois en mon médecin,
j'ai confiance en lui parce qu'il sait et ne se contente
pas de croire que... Plus il possède de science,
plus j'ai foi en lui. La foi et la science ne s'excluent
pas mutuellement parce que toutes deux sont, comme
dirait Pascal d'un autre ordre. Nos médecins
savent de mieux en mieux pourquoi telle personne meurt,
si par pourquoi on entend les causes efficientes qui
ont entraîné le décès.
Mais il est un autre pourquoi que seule la foi en
la résurrection du Christ peut prononcer et
que le médecin, en tant que tel, ignore. Imaginez
une maman affolée de souffrance à la
mort de son enfant et quun pédiatre chercherait
à consoler en lui disant : Ne pleurez plus,
votre enfant est mort pour telle et telle raison que
la Faculté connaît bien désormais.
J'ai foi en mon médecin parce qu'il sait, mais
ce qu'il sait ne saurait me délivrer du désespoir
du sens si je dois mourir à jamais sans l'espérance
que me donne la résurrection du Christ. La
foi n'est pas une expérience exclusivement
religieuse : à longueur de journée nous
expérimentons la foi en l'homme. Quand nous
montons dans un avion, une automobile ou un train,
nous nous fions aux pilotes ou aux conducteurs. Lorsque
nous allons chez le dentiste ou quand nous subissons
une endoscopie, ou quand nous nous soumettons à
un prélèvement sanguin, nous faisons
confiance au dentiste, aux auxiliaires du gastro-entérologue,
au laboratoire. Et il arrive que cette confiance ne
soit pas méritée : France Info parlait,
il y a quelques mois, de ce malheureux que deux laboratoires
ont déclaré séropositif, il y
a huit ans alors qu'il ne l'était pas et qui
a dû vivre durant tout ce temps avec le désespoir
-- qui l'a conduit notamment à l'alcoolisme
-- de se savoir atteint du sida. Dieu seul mérite
vraiment qu'on ait foi en lui, bien que nous devions
constamment faire crédit à notre prochain.
Qu'est-ce donc que des fiancés sinon un homme
et une femme qui décident de croire lui en
elle et elle en lui ? Et qu'est-ce qu'un divorce si
ce n'est le cuisant échec de cet acte de foi
?
A cet égard, il faut relire avec attention
le récit, dans le livre de la Genèse,
de ce qu'on appelle le sacrifice dAbraham (Gn
22/1-19), la suite de saint Paul dans son épître
aux Romains (chapitre 4), on insiste (à juste
titre) sur la foi d'Abraham en Iahvé : Abraham
eut foi en Dieu, et ce lui fui compté comme
justice (Ro 4/3 et Gn 15/6). Mais il faut souligner
aussi la foi d'Isaac en son père Abraham. L'adolescent
demande à son père où se trouve
la victime animale pour l'holocauste. Abraham pose
un acte de foi en Dieu lorsqu'il répond à
Isaac : " Dieu se pourvoira lui-même
du mouton pour l'holocauste, mon fils (Gn 22/8). Mais
en se contentant de cette réponse, Isaac témoigne
de sa foi en son père. Et lorsque Jésus
nous demande de prier son Père en le considérant
aussi comme le nôtre (Notre Père, qui
est dans les cieux...) il fait appel à l'expérience
humaine de la foi en nos parents. Il s'agit de se
comporter envers Dieu comme on s'est comporté,
dès la primitive enfance avec son père
et sa mère : il s'agit de se laisser couler
à pic, de sauter dans le vide avec la conviction
que le parachute s'ouvrira (encore un bel exemple
de la foi de l'homme en l'homme), expérience
que font tous les parachutistes ! La science est intellectuelle.
La croyance est également intellectuelle, mais
c'est de la mauvaise, de la fausse science. La foi,
elle, est existentielle. Elle n'est pas essentiellement
affective, sentimentale, même si l'affectivité
est appelée à constituer un ingrédient
de la foi : il est raisonnable d'avoir confiance en
tel ou tel excellent médecin. Et il est raisonnable
de croire en Dieu créateur : si, vous promenant
dans une forêt, vous trouvez dans un sentier
des pierres disposées de telle manière
qu'elles reproduisent le portrait de Napoléon,
vous ne direz pas que c'est le hasard, mais que quelqu'un
est passé par là avant vous. De même,
il est raisonnable de croire en Dieu créateur
de l'ordre que la science découvre dans le
monde, notamment en biologie, de façon de plus
en plus rigoureuse.
... un seul Dieu ...
La structure du Credo est trinitaire : nous confessons
notre foi en Dieu le Père, en son Fils Jésus
Christ, le Seigneur, et en lesprit saint également
Seigneur, c'est-à-dire Dieu. Et tout ce qu'en
sa dernière partie le Credo dit de l'Eglise
nest qu'une expression de la foi de celle-ci
en lesprit saint et de sa conviction que son
être ecclésial est icône de la
divine Trinité. Je crois en un seul Dieu qui
nest pas solitaire. Le texte grec dit : eis
héna Théon. " ena "
et non pas " monon ". Certaines
langues, comme le grec ancien, ont eu l'intuition
que le pluriel ne commence qu'avec trois. En grec
ancien, l'orthographe d'un nom peut se modifier non
seulement selon qu'il est au singulier ou au pluriel
mais aussi s'il est au duel. Il faut être trois
pour conjuguer le verbe (et notamment le verbe aimer)
à toutes les personnes du singulier et du pluriel.
Si nous sommes trois, je peux dire je, je peux m'adresser
à l'une des deux autres personnes en lui disant
tu, je peux parler à l'une des deux de la troisième
en disant il, tous les trois nous pouvons dire nous,
je peux m'adresser aux deux autres simultanément
en leur disant vous, et je peux penser aux deux autres
en me disant ils. Lorsqu'en sa première épître,
saint Jean affirme que Dieu est amour, il ne veut
pas dire que Dieu est amour parce qu'il nous aime
et depuis qu'il nous aime, comme si Dieu avait eu
besoin de créer l'homme et le monde pour commencer
à expérimenter l'amour. Saint Jean entend
dire que de toute éternité Dieu sait
ce quest l'amour parce qu'il n'est pas seul
mais trinité de personnes consubstantielles.
Là est la grande différence entre la
théologie chrétienne et les théologie
juive et musulmane. Si d'accord que soient les chrétiens
avec les musulmans et les juifs pour affirmer que
Dieu est lUnique, ils confessent pourtant leur
foi en un Dieu unique au sein duquel existent trois
foyers de conscience personnelle. La réalité
du Dieu des chrétiens est simultanément
unique et plurielle : unique, si l'on se place au
point de vue de l'essence, de la substance divine,
et pluriel si l'on se situe au point de vue des personnes
(ou des hypostases). Le Dieu des juifs et des musulmans
est unique, le Dieu des chrétiens est tri-unique.
... Père ...
Dans lEvangile, Jésus dit : Mon Père,
aux disciples il prescrit de s'adresser à Dieu
en lui disant : Notre Père... mais il
ne dit jamais : Notre Père... avec ses disciples.
Après sa résurrection il dit à
Marie de Magdala : va vers mes frères et dis-leur
que je monte vers mon Père et votre Père,
mon Dieu et votre Dieu (Jn 20/17). Quand on lit attentivement
les Evangiles, on sent bien qu'il y a un plan de l'être
de Jésus où les disciples ne pénètrent
pas. Du côté de la terre, il est seul,
mystérieusement seul. Pas du côté
de Dieu, qu'il appelle son Père avec un accent
étrange et qui n'est qu'à lui. Tout
comme Dieu n'a pas dû attendre de créer
l'homme pour expérimenter l'amour de l'Autre,
de même Dieu n'est pas d'abord et essentiellement
Père parce qu'il fait de nous ses enfants.
C'est, à l'inverse, parce que de toute éternité
il engendre son Fils unique qu'il devient notre Père
si peu que nous confessions la filiation divine de
son Fils. C'est notre foi en Dieu Père du Fils
unique qui nous donne la " parrhèsia ",
c'est-à-dire la tranquille assurance, l'audace
de dire à Dieu, notre Père. Il est significatif
que léglise latine tout autant que léglise
de rite byzantin ait pris des précautions avant
doser, dans la célébration de
la divine liturgie, s'adresser à Dieu en lui
disant Père. Praeceptis salutaribus moniti,
et divina institutione formati, audemus dicere : Pater
noster.. Obéissant au précepte du Sauveur
qui nous apprit lui-même cette divine prière,
nous avons l'audace de dire : Notre Père ...
(messe romaine). Cette audace dont parle la liturgie
romaine, c'est la " parrhèsia "
de léglise : grecque : Et juge-nous
dignes, ô Maître, doser avec assurance
t'appeler, toi le Dieu du ciel, Père, et de
dire : Notre Père... Le mot " parrhèsia "
qui est ici employé pour renforcer le verbe
" tolman " ( oser ; en latin :
audemus, nous osons ) est employé par saint
Luc dans les Actes des Apôtres pour désigner
l'attitude de quelqu'un comme l'apôtre Pierre
après l'événement de la Pentecôte,
attitude on ne peut plus opposée à celle
du même homme au moment de la Passion, lorsquil
est reconnu comme galiléen disciple du condamné
désormais infréquentable, Pierre, pour
le dire crûment se dégonfle : Femme,
je ne le connais pas (une servante vient de dire en
fixant Pierre des yeux : celui-là aussi
était avec lui ! Lc 22/56)... Homme, je
n'en suis pas(quelquun vient de dire à
Pierre : toi aussi tu es des leurs ! Lc
22/58). Homme, je ne sais pas de quoi tu parles (une
troisième personne vient de dire : en
vérité celui-là aussi était
avec lui ; cest même un galiléen !
Lc 22/59 cf. aussi Lc 22/57-58 et 60). Après
la Pentecôte, les apôtres affrontent les
officiels du judaïsme " méta
parrhèsias " (Ac 4/31), avec une
tranquille assurance, franchement, en toute liberté
de langage. Le mot grec signifie étymologiquement :
tout dire.
Il
faut avoir de l'audace, de l'assurance pour dire Père
à Dieu dans la mesure où il s'agit de
quelque chose d'inouï, d'insensé (on comprend
que les incroyants ou même les croyants non-chrétiens
ne puissent faire autrement que de réduire
cette prétention chrétienne) à
savoir d'une greffe divinisatrice, dun acte
par lequel l'homme est entraîné dans
la filiation divine éternelle du Fils Unique-Engendré.
Et ici, l'affirmation du Credo ne peut que contester
radicalement la réduction (par réduire,
par réduction jentends le procédé
consistant pour des philosophes comme Feurbach, Nietzsche,
Freud, à expliquer le supérieur par
linférieur, le divin -considéré
comme illusoire- par lhumain, la superstructure
religieuse par linfrastructure économique
ou instinctivo-affective) freudienne de la foi chrétienne
en Dieu comme Père. On sait que, pour Freud,
qui se fait de la religion une conception essentiellement
naturaliste, la vision religieuse du monde n'est qu'une
psychologie projetée dans le monde extérieur.
Le Dieu/Père du Credo chrétien n'est,
pour Freud, qu'un " père transfiguré "
(étude sur Léonard de Vinci 1910) par
l'infantilisme dune affectivité incapable
dassumer la tragédie de la souffrance
et de la mort, daccepter " que le
monde ne (soit) pas une pouponnière "
(Nouvelles conférences 1933). Et Freud remarque
qu'il nous est donné de " voir tous
les jours comment des jeunes gens perdent la foi au
moment même où le prestige de l'autorité
paternelle, pour eux s'écroule "
(Ibidem). Ainsi, selon Freud, nous retrouvons dans
le complexe parental la racine du besoin religieux
qu'éprouve l'homme. Pour Freud, c'est l'attitude
de l'enfant vis-à-vis de son père qui
explique, de manière réductrice, la
croyance (pour Freud, la foi n'est qu'une croyance)
en Dieu de cet enfant devenu homme. Pour un chrétien,
au contraire, c'est le fait que Dieu soit Père
de toute éternité de son Fils unique,
antérieurement au fait d'être créateur
de l'homme et du monde, qui explique que l'homme créé
par ce Dieu-là soit préconstruit pour
expérimenter la relation fils/père,
dabord avec ses parents et ensuite, en continuité
existentielle avec cette première expérience
toute humaine, avec Dieu qui ne désire rien
autant qu'étendre à l'homme l'acte générateur
éternel par lequel il donne à son Fils
la plénitude de son saint Esprit. Ce n'est
pas la foi toute humaine, la croyance illusoire en
Dieu/Père qui se réduit à la
relation oedipienne au géniteur humain, cest
la relation humaine au père biologique qui
est comprise, englobée à l'intérieur
de la relation éternelle de Dieu/Père
à son Fils Unique-Engendré (Cf. st Paul
qui, dans lépître aux éphésiens
englobe lexpérience du mystère
de lamour humain à lintérieur
du mystère de lamour du Christ pour lEglise).
C'est parce que Dieu est, de toute éternité,
Père de ce Fils-là que, lorsqu'il crée
l'homme, il ne peut le faire, qu'en contemplant son
Fils (cest ce que le Credo dira plus loin en
affirmant que tout a été créé
" dia ", par lentremise
du Fils) qu'à l'image et selon la ressemblance
de cette relation éternelle à son Fils.
... tout-puissant ...
Dieu est tout-puissant d'abord et essentiellement
parce quil est père. Nous devons songer
ici au sens qu'ont les adjectifs puissant et impuissant
lorsqu'on les applique à la sexualité
humaine masculine. Un père, c'est avant tout
quelquun qui est capable de donner la vie. Et
ici encore il faut redire que ce nest pas depuis
que Dieu s'est voulu créateur de l'univers
qu'il a expérimenté sa toute-puissance.
De toute éternité, Dieu est tout-puissant
parce que, de toute éternité il engendre
son Fils auquel il communique toute la plénitude
vitale de sa paternité qui n'est pas quelque
chose mais quelqu'un, à savoir le saint Esprit,
le Souffle vital du Père. Toute la prodigieuse
puissance qui se manifeste dans la création
: dans l'univers infiniment grand des galaxies groupées
en amas de galaxies, et ces amas eux-mêmes en
amas d'amas, et dont les dimensions se mesurent en
dizaines de milliers d'années de lumière,
et les distances en millions et centaines de millions
d'années de lumière, galaxies qui, pour
ne prendre qu'un exemple : la nôtre, dont
la trace sur notre ciel est la Voie lactée,
sont peuplées de millions d'étoiles
de toutes couleurs de toutes températures et
de toutes dimensions ; dans l'univers infiniment
petit des milliards de cellules qui peuplent un organisme
vivant, chaque cellule (pour autant qu'elle est normale)
étant soumise à un flot dinformations
qui dicte sa conduite et, inversement, émettant
des signaux qui influencent le devenir des cellules
voisines ; toute cette prodigieuse puissance
de vie et d'intelligence, toute cette force d'esprit,
comme dirait Pascal, n'est qu'un pâle reflet
de la toute-puissance de vie et de lumière
que, de toute éternité, le Père
manifeste en communiquant à son Fils son saint
Esprit. Nen déplaise à Feuerbach
(Ludwig-Andreas Fawbach (1804-1872) publia en 1841
lessence du christianisme, dans lequel il affirme
que, réduit à sa condition, l'homme,
lorsquil prétend parler de Dieu ne fait
que projeter ses pensées, et c'est l'infinité
de son désir qu'inconsciemment il prête
à son objet. Sans doute, cette projection exalte
ses sentiments, mais elle les dénature aussi
en brisant l'unité de l'homme et en opposant
à une divinité inhumaine une humanité
sacrifiée.) et à Freud, il ne faut pas
partir de l'homme pour expliquer Dieu mais partir
de Dieu pour comprendre l'homme.
... Créateur du ciel et de la terre, de
toutes les réalités aussi bien visibles
...
Dieu crée le monde en ce sens qu'il le fait
exister ex nihilo, à partir de rien. Créer,
ce n'est pas fabriquer. L'idée de création
connote la distinction radicale entre Dieu et le monde,
la transcendance fondamentale du Créateur.
Cette idée n'est pas une idée spontanée,
naturelle à la pensée humaine. Dès
le premier verset du livre de la Genèse :
" Au commencement Dieu créa le ciel
et la terre " (Gn 1/1) la Sainte Ecriture
se sépare de toutes les mythologies et cosmogonies
de lOrient ancien ainsi que de la philosophie
grecque antique. Il est intéressant de remarquer
que le verbe hébreu " bara ",
que les Septante ont traduit par " époièsen "
et la Vulgate par " creavit "
ne s'emploie dans la Bible que pour désigner
l'action divine produisant quelque chose de nouveau,
de prodigieux ou d'inouï.
La Science nous a appris qu'il y a une infinité
de commencements : la genèse des macromolécules,
la biogenèse, le commencement de la vie, celui
des reptiles, celui des primates, etc... Mais la Bible
est encore plus affirmative : selon elle, la
matière primitive elle-même n'échappe
pas au processus de la genèse, le substrat
de l'Univers n'est pas éternel. Dans la philosophie
grecque antique, c'était le Démiurge
qui donnait à la matière informe et
éternelle les formes diverses et successives
et qui imposait l'ordre à ce désordre
primitif Démiurge est le terme par lequel Platon,
dans le Timée, désigne le dieu fabricateur
de l'univers. Le même mot avait déjà
été pris comme terme de comparaison
par Socrate en parlant de la fabrication du corps
humain. Le Démiurge, ce n'est pas le Créateur,
mais le Fabricateur suprême. Dans la cosmogonie
babylonienne, il y avait deux principes antagonistes
et co-éternels, le Chaos et le dieu Démiurge.
La Bible refuse catégoriquement cette dualité
des principes à la source de la réalité
concrète ainsi que le dualisme substantiel
qui en résulte. Ce faisant, elle distingue
radicalement la création et la fabrication.
Saint Irénée écrit " attribuer
la matière des êtres créés
à la puissances et à la volonté
du Dieu de toutes choses, c'est croyable, admissible
et cohérent. C'est ici qu'on peut dire avec
raison : " Ce qui est impossible aux hommes
est possible à Dieu " (citation de
Luc 18/27). Les hommes ne peuvent pas faire quelque
chose de rien, mais seulement à partir d'une
matière préalable ; Dieu l'emporte sur
les hommes en ceci d'abord qu'il pose lui-même
la matière de son ouvrage alors qu'elle n'existait
pas auparavant " (Irénée de
Lyon Contre les hérésies. Dénonciation
de la gnose au nom menteur II, 10, 4 Trad. frçse.
par A. Rousseau Ed. du Cerf, Paris, 1984 p.166) .
L'homme est homo faber. Et saint Irénée
nous fait saisir l'identité quil y a,
dans le Credo, entre l'affirmation que Dieu est tout-puissant
et celle selon laquelle il est créateur. Ici
encore, science et foi chrétienne ne doivent
pas être opposées. L'idée dune
éternité de la matière nest
pas une vérité relevant de la connaissance
scientifique, mais un postulat d'origine philosophique
et religieuse. On ne voit pas en quoi cette idée
serait plus rationnelle -- cohérente, dit saint
Irénée -- que l'idée de création
ex nihilo. Alors que la science moderne et contemporaine
nous enseigne que toutes les réalités
visibles commencent à un moment donné
du devenir de l'univers -- il y eut un moment où
la terre a commencé, où la vie a commencé,
où les poissons ont commencé, etc...
-- on ne voit pas en quoi il serait anti scientifique
de considérer que la matière primitive
elle-même a commencé. Le conflit ne réside
pas entre la Science et la foi chrétienne,
mais entre la foi chrétienne et la vision du
monde des Grecs de l'Antiquité, des anciens
babyloniens et du rationalisme et de l'athéisme
modernes et contemporains.
Et l'idée que la matière est éternelle
signifiait pour les Grecs que la matière est
également incorruptible. C'est ainsi que, pour
Aristote, les astres sont indestructibles aussi bien
qu'éternels. Le cosmos apparaissait aux Grecs
de l'Antiquité comme la réalité
consistante par excellence, immobile à sa place
ou bien tournant sur soi-même, éternellement
pareille à elle-même. Pour la Bible,
au contraire, seul Iahvé est la Réalité
consistante par excellence. Dès la première
page de la Bible, les astres qu'on adorait dans tout
le Moyen-Orient de l'époque, à Babylone,
en Canaan, comme en Egypte, sont déchus du
rang divin : " Dieu fit les deux grands
luminaires, le grand luminaire pour présider
au jour " (en Egypte, il était adoré
sous le nom de Râ ou Rê), le petit luminaire
pour présider à la nuit "
(chez les Phéniciens et en Chaldée,
on l'adorait sous le nom d'Astarté, dAstaroth,
dAstar ou encore d'Ishtar), et aussi les étoiles "
(Gn 1/16). Et si lunivers tout entier a été
créé ex nihilo, il peut tout aussi bien
être annihilé par le Créateur
tout-puissant. La Bible affirme un commencement du
monde. " Au commencement, Dieu créa
le ciel et la terre " et aussi une fin de
ce monde, une consommation de lUnivers en un
paroxysme où il sera transformé et renouvelé,
la fin du monde dont parle Mt. 24, 3. La fin du monde,
c'est l'achèvement de la genèse, c'est
l'accomplissement de la création. Pour la Sainte
Ecriture, la réalité matérielle
n'a pas cette indestructible solidité, ce caractère
inamovible qui tient, dans le cosmos grec antique,
à son éternité. Affirmer que
le Dieu en lequel nous croyons est le Créateur,
c'est dire que l'Univers physique (toutes les réalités
visibles) n'est pas ce qu'il y a de plus solide, ni
de plus consistant. " Le ciel et la terre
passeront, mais mes paroles ne passeront pas ",
affirme Jésus en Mt. 24, 35. Jamais un Grec
de l'Antiquité n'eût osé dire
cela. Le seul qui soit le Rocher inébranlable,
la Consistance, c'est Iahvé, le Dieu unique,
le Créateur du ciel et de la terre. Remarquons
au passage qu'en disant ce qu'il dit en Mt. 24, 35,
Jésus affirme de manière à peine
voilée, pour qui connaît bien sa Bible
(et ses adversaires scribes, pharisiens et sadducéens
la connaissaient bien !) sa divinité, sa mystérieuse
identité avec le Dieu d'Israël, ce qui,
pour les docteurs et les officiels du Judaïsme
était inouï, impie et tout à fait
inadmissible.
... qu'invisibles.
Le Credo ne se contente pas d'affirmer que Dieu est
le créateur des galaxies et des macromolécules.
Il est tout autant celui des réalités
invisibles. Le texte grec emploie le neutre pluriel
(oraton té panton ké aoraton) qu'il
ne faut pas rendre en français par choses,
mais par réalités. En effet, un cèdre,
a fortiori un chien, et surtout le corps humain ne
sont pas des choses. Encore moins peut-on parler de
choses invisibles si, par là on entend désigner
le fait que le Dieu auquel nous croyons est le Créateur
des personnes humaines et des anges, donc des réalités
spirituelles. C'est Dieu qui, en le créant
à l'image de son Fils, a mis dans le cur
de l'homme le fait de préférer mourir
plutôt que de continuer à vivre en ayant
perdu les raisons de vivre, la passion de la justice,
le sens de l'honneur, la capacité d'aimer.
Il est particulièrement important de remarquer
que Dieu est ainsi le Créateur de la liberté
de l'homme. Dieu n'est pas la cause efficiente de
la liberté humaine comme si celle-ci était
un objet, une chose. Il en est plutôt la Source
vivifiante. C'est ce qu'ont oublié les chrétiens
lorsqu'ils ont compris la prédestination sur
le mode du déterminisme. Le Dieu créateur
des réalités invisibles n'est pas cette
sorte despion céleste dont l'omnipotence
et l'omniscience réduiraient nécessairement
l'histoire des hommes à un jeu de marionnettes.
Il y a une manière d'attribuer à Dieu
une omniscience intégrale qui ne laisse aucune
place au surgissement de la liberté humaine.
On se représente l'omniscience divine comme
une science humaine dilatée à l'infini
et ce Dieu omniscient-là transforme en quelque
sorte le temps en espace, pose des questions mais
connaît d'avance les réponses, semble
dialoguer avec l'homme, mais ne parle en somme qu'à
lui-même connaît déjà l'avenir
d'une connaissance contraignante (Olivier Clément
Dionysos et le Ressuscité, in Evangile et révolution,
Ed du Centurion, 1968, p.83) et qui ne laisse pas
la moindre place à la liberté humaine.
Les théologies déterministes de la prédestination
sont tout simplement passées à côté
du fait qui constitue l'essence même du christianisme,
à savoir que, de toute éternité,
Dieu est Amour (1Jn 4/8 et 16) et qu'en conséquence
lorsqu'il crée l'homme capable de liberté,
il devient le Mendiant d'amour frappant à la
porte du cur de l'homme. Paul Evdokimov a pu
parler excellemment de " la faiblesse du
Dieu tout-puissant " (P. Evdokimov. Lamour
fou de Dieu, Paris Ed. du Seuil, 1973, p.35). Parce
qu'il est Amour le Créateur tout-puissant se
veut, par " manikos eros ", par
amour fou de l'homme, impuissant devant la liberté
qu'a l'homme de se refuser à l'étreinte
divine. " La voix de Dieu est silencieuse,
elle exerce une pression infiniment légère,
jamais irrésistibles " (P.Evdokimov.
op.cit. p.31).
Pour conclure notre commentaire de cette première
partie du Credo sur Dieu le Père, il faut encore
remarquer que l'acte divin créateur n'est pas
un acte du passé, que Dieu aurait posé
une fois pour toutes, laissant ensuite lUnivers
suivre son cours inexorable. Dieu ne cesse pas d'être
créateur. Dieu crée chaque fois qu'un
homme et une femme procréent, chaque fois que
l'homme pose un acte de liberté dont Dieu est
la Source. Que si Dieu venait à détourner
son regard du monde ne serait-ce qu'une seconde, le
monde retournerait au néant. Aux juifs qui
lui reprochent d'avoir opéré une guérison
un jour de shabbat, Jésus rétorque " mon
Père travaille toujours " (Jn 5/17).
Il veut signifier par là le fait que si le
shabbat a été établi en Israël
comme une imitation du repos divin après la
création (cf. Gn 2/1-3 ; Ex 20/11 et
31/17) il n'en reste pas moins qu'en Dieu il n'y a
rien de successif, Dieu ne cesse pas de créer
et d'agir, de même qu'il ne cesse pas d'être
en repos. Autrement il ne serait pas le Dieu vivant.
" Mon Père agit jusqu'à présent "
signifie : Mon Père continue à agir,
c'est-à-dire à créer. En Gn.
1, 1, l'hébreu et le grec ne disent pas : Au
commencement
mais " en un commencement,
Dieu créa le ciel et la terre ".
En effet, il s'agit d'un commencement dans lequel
Dieu crée l'Univers, mais non de l'unique commencement.
Maintenant aussi se produisent une multiplicité
de commencements. L'Univers tout entier ne cesse de
commencer, chaque fois que naît un enfant, un
animal, chaque fois que surgit d'un bourgeon une fleur.
Chaque instant de la durée marque un commencement.
Le temps toujours nouveau, toujours vierge signifie
que la création ne cesse pas de s'effectuer.
Lorsque, dans Le Cimetière marin, Paul Valéry
s'écrie " La mer, la mer toujours
recommencée ", il ne faut pas réduire
l'expressîon à une allusion à
l'immensité spatiale de la Méditerranée.
Il faut y voir plutôt une allusion au fait que,
pour un artiste, un peintre, un poète, la mer
n'est jamais la même : il y a la mer le matin,
il y a la mer à midi, il y a la mer le soir,
il y a la mer aujourd'hui, qui n'est pas celle d'hier
ni celle de demain. Quand la création sera
parvenue à son achèvement, il n'y aura
plus de temps, tout comme il n'y en avait pas avant
la création. Le temps est né avec le
monde créé et s'achèvera avec
lui. Le temps de la création est enraciné
dans l'éternité d'où il procède
par la liberté du Créateur aimant follement
ses créatures, mais il porte sa cime et dépose
ses fruits dans le sein de l'éternité
où il s'achève en s'accomplissant, par
excès de plénitude. Présentement,
nous vivons entre le commencement et la fin, dans
le régime provisoire de la durée créatrice,
inachevée, en marche vers le Royaume qui ne
passera pas. Rien de ce qui sera advenu à l'être
au sein de la création ne sera perdu. Rien
ne sera évacué de la saveur du monde
-- ... et Dieu vit que cela était bon... rudement
bon --. Au contraire, dans le Royaume, tout sera porté
à sa plénitude. Au moment de passer
de ce monde dans l'autre, Jésus ne dit pas
à ses disciples qu'il ne boira jamais plus
du fruit de la vigne mais plutôt " Je
vous le dis, je ne boirai plus désormais de
ce produit de la vigne jusqu'à ce jour où
j'en boirai du nouveau avec vous, dans le Royaume
de mon Père " (Mt 26/29).
Et
en un seul Seigneur...
Du Père le Credo affirme qu'il est Dieu. Du
Fils il dit ensuite qu'il est Seigneur. Est-ce à
dire que le Fils n'est pas Dieu ? Aucunement. Le mot
qu'en français nous traduisons par Seigneur
est kurios(Kyrios). Si peu helléniste qu'ils
soient, tous les orthodoxes -- et naguère encore
tous les catholiques -- supplient le Dieu tri-unique
en lui disant : kurie eleison(Kyrie eleison ), ce
qui veut dire : Seigneur, aie pitié ( de nous
). Dans la Bible grecque, kurioV rend systématiquement
IHVH, le tétragramme sacré, Iahvé,
Adonaï. Lorsqu'en Mt. 22, 43, citant le psaume
110, 1 -- Le Seigneur a dit à mon Seigneur
: "Siège à ma droite... "
-- Jésus s'applique à lui-même
le titre de Seigneur, laissant ainsi soupçonner
sa nature divine. Et l'Eglise primitive utilisera
le même psaume pour proclamer la seigneurie,
C'est-à-dire la divinité du Christ ressuscité
(cf. Ac 2, 34 ; Ro 10, 9 ; 1Co 12, 3 ; Col 12, 6).
En confessant la seigneurie de Jésus Christ,
le Credo de l'Eglise exprime, à la suite de
saint Paul, sa conviction qu'en inaugurant par sa
mort et sa résurrection le Royaume de Dieu,
et en recevant de son Père céleste la
souveraineté suprême, le Christ est devenu
le Seigneur des Seigneurs, reconnu par l'univers tout
entier et infiniment supérieur aux prétendus
kurioi que sont les empereurs. «Possédant
forme (le Dieu, le Christ Jésus n'a pas regardé
comme une prérogative d'être égal
à Dieu, mais il s'est anéanti en prenant
forme d'esclave, en devenant pareil aux hommes. Et
quand il a eu figure humaine, il s'est abaissé
à obéir jusqu'à mourir et mourir
en croix. Aussi Dieu exalté et lui a-t-il accordé
le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu'au Nom
de Jésus, tout genou plie, dans les cieux,
sur terre et sous terre, et que toute langue confesse
que Jésus Chrisl est Seigneur, à la
gloire de Dieu le Père» (Ph 2, 5-11).
... Jésus ...
Le français Jésus est une transcription
de l'hébreu Iéshoua, nom propre signifiant
Iahvé est salutaire, Iahvé sauve. Avant
Jésus de Nazareth, ce nom fut porté
par de nombreux Israélites, notamment par le
fils de Nun ( Josué ), auxiliaire de Moïse
durant la marche au désert (cf Nb 13, 8 et
16 et 32, 28 ; Ex 17, 8-16 et 24, 3) et par le grand
prêtre Josué (Za 3, 1) et par le Siracide
(Si 50, 27cf également IIChr 31, 15 ; Ichr
24, 11 et Esdr 3, 9). Dans le Nouveau Testament, ce
nom est également porté par Jésus
Barabbas, tout au moins selon de bons manuscrits qui
désignent ainsi le brigand dont il est question
en Mc. 15, 7 et Lc. 23, 18-19. Mais ces manuscrits
n'ont pas été suivis très certainement
par respect pour le Christ. Dans l'épître
Aux Colossiens, il est question d'un Jésus
surnommé Justus, collaborateur de St. Paul
(Col 4, 11). Dans le christianisme seuls les Espagnols
ont osé donner ce nom à des catéchumènes.
Mais, quand les Corses ou les Grecs appellent un homme
Sauveur, ils lui donnent un nom qui a le même
sens que Jésus. Dans le récit du songe
de Joseph en Mt. 1, 21 l'auteur du premier Evangile
se réfère à l'étymologie
du nom Jésus lorsqu'il fait dire à l'ange
... Elle enfantera un fils et tu lui donneras le nom
de Jésus, car il sauvera (autoV gar swsei)
son peuple de leurs péchés. Jésus
est annoncé à Joseph comme le Sauveur,
non point des oppresseurs étrangers, mais de
ses péchés.
... Christ...
Avant de devenir, dans le christianisme, un nom propre,
ce mot a désigné une fonction. C'est
la transcription du mot grec CristoV (Christos), lui-même
traduction du mot hébreu mashiah, devenu en
français messie. En grec, Christos signifie
: oint, enduit, graissé, qui a reçu
l'onction d'huile sainte. Cet adjectif -- car c'est
un adjectif avant d'être un substantif -- vient
du verbe criw ( chriô ) qui signifie : oindre,
notamment pour consacrer. Dans l'Ancien Testament,
les rois d'Israël étaient consacrés
par une onction d'huile sainte signifiant que leur
fonction royale faisait d'eux les lieutenants de Iahvé
en Israël. Après l'exil, la royauté
ayant disparu, on se mit à oindre le Grand
Prêtre qui était devenu le chef de la
communauté israélite. Jésus fut
baptisé par Jean dans le Jourdain, mais il
ne reçut aucune onction d'huile. Et pourtant,
les chrétiens le considèrent comme l'Oint
par excellence. C'est que Jésus Christ est
essentiellement celui sur lequel, de toute éternité
--- avant tous les siècles -- repose la plénitude
du saint Esprit qui procède du Père.
Dans la synagogue de Nazareth, Jésus lit le
texte d'Is. 6 1, 1 sq. : L'Esprit du Seigneur est
sur moi.. Or, il a la prétention -- absolument
exorbitante pour ses auditeurs ! -- de s'appliquer
le texte à lui-même. A la fin, tous dans
la synagogue furent remplis de colère, et s'étant
levés ils le poussèrent hors de la ville
et le conduisirent jusqu'au sommet de la colline sur
laquelle leur ville était bâtie, pour
le précipiter (Lc 4, 28-29). Cette fois-là,
Jésus échappa à la mort. Mais
nous savons que l'Acte V de la tragédie sera
le Vendredi saint. Or, si Jésus fut mis à
mort, ce ne fut pas parce qu'il prétendit être
le Messie attendu depuis si longtemps et avec quelle
impatience par Israël, mais essentiellement parce
qu'il prétendit être le Messie d'une
manière totalement inattendue pour les Juifs.
Jésus est mort d'avoir osé s'affirmer
comme Messie oint par le Père d'une manière
telle qu'elle faisait de lui le Réceptacle
éternel de l'Esprit, et, en conséquence,
son Dispensateur unique et incontournable ici-bas,
parmi les hommes.
... le Fils de Dieu, son unique-engendré,
né du Père avant tous les siècles.
On se contente, dans toutes nos traductions en français,
de rendre le mot grec monogenhV (monogénèse),
par Fils unique. Le grec est beaucoup plus précis
: il s'agit du Fils unique engendré. Ce n'est
pas un pléonasme. En effet, si un couple adopte
un. enfant, ce dernier sera légalement, juridiquement
et surtout affectivement fils mais non pas engendré
: si vous adoptez un asiatique ou un africain, tout
le monde le considèrera comme votre fils, vous-même
l'aimerez autant que vos autres enfants, si vous en
avez déjà, mais il sautera aux yeux
de tout le monde que cet enfant n'est pas biologiquement
votre fils ! Le Credo de l'Eglise affirme que de toute
éternité Dieu est Père d'un Fils
qu'il engendre en lui communiquant toute sa Puissance
vitale de Père -- c'est-à-dire l'Esprit
saint dont il sera question dans la troisième
partie -- et que, lorsque ce Fils coéternel
à lui est devenu l'un des hommes, il fut encore
son unique Père au plan de la génération
biologique humaine : Jésus de Nazareth est
le fils biologique de la vierge Marie, mais il n'est
pas le fils engendré de Joseph, il n'en est
que son fils adoptif. L'homme Jésus étant
la même personne que le Fils coéternel
au Père, il n'a pu avoir qu'un Père
ici-bas, celui qui est dans les cieux.
Dans les Evangiles, Jésus nous demande de nous
adresser à Dieu en lui disant : Notre Père...
Il dit Mon Père. Mais il ne dit jamais Notre
Père en se comptant lui-même avec ses
disciples. Après sa résurrection, il
dit à Marie de Magdala en Jn. 20, 17: ... va
trouver mes frères et dis-leur : je monte vers
mon Père et votre Père, vers mon Dieu
et votre Dieu. Et d'ailleurs, tout au long des quatre
Evangiles nous voyons bien que le regard que les disciples
avaient sur la personnalité si mystérieuse
de Jésus, les laissait pénétrés
de crainte et de respect. Certes, ils avaient auprès
de lui chaud au cur, d'une manière que
ni un ami, ni une femme, ni leurs parents, ni leurs
vignes ni leurs figuiers ne leur avaient jamais laissé
pressentir. Mais ce n'était pas de la camaraderie.
Ils avaient besoin de lui, un besoin de toute l'âme;
il parlait très fortement à tout ce
que leur être fruste avait de meilleur, de cet
Autre obscur qu'attend secrètement tout homme.
Mais lui n'avait nul besoin d'eux. Il y avait un plan
de son être où ils ne pénétraient
pas. Du côté de la terre, il était
seul, mystérieusement seul. Mais il ne l'était
pas du côté de Dieu, du côté
de celui qu'il appelait, avec un accent étrange
et qui n'était qu'à lui, son Père.
Lumière issue de la Lumière, Dieu
véritable issu du Dieu véritable...
En Jn 8, 12, Jésus affirme Moi, je suis la
Lumière du monde. A l'office des vêpres,
l'Eglise chante : Lumière joyeuse de la sainte
gloire du Père immortel, céleste, saint
et bienheureux, ô Jésus Christ !Jésus
Christ est la Lumière du monde, c'est-à-dire
des hommes, en ce sens très précis qu'il
est le Révélateur du Père et
le Dispensateur de l'Esprit que, de toute éternité,
il reçoit de son Père. En créant
le monde et les hommes, le Père céleste
a répandu dans sa création comme dans
le cur de tout homme, la Lumière et la
Vie dont le Père comble de toute éternité
son Fils en lui faisant le don de son saint Esprit.
Le Fils est le Modèle divin dont le Père
reproduit quelques traits, quelques pâles reflets
en chaque réalité qu'il crée.
Le Père des lumières répand la
splendeur infinie de son être en son Fils, et
de son Fils, par le prisme de l'acte créateur,
il fait sortir des êtres qui tous participent
de quelque manière à la lumière,
à la beauté, à la gloire de l'Etre
unique, mais ne peuvent en être qu'un aspect
fini, limité. Toute réalité créée
est le reflet du Fils unique-engendré. Toute
réalité créée est l'image
du Père, un fragment de l'icône du Père
qu'est le Fils unique-engendré. Toute réalité
créée -- le corps d'une femme, la musique
de Mozart, les montagnes de Corse dans le soleil de
juillet -- répand quelque chose de la Lumière
véritable qu'est le Père réverbérée
en son Fils. Et, en ce qui nous concerne nous, les
êtres humains, tout notre être personnel
n'a de signification que pour être plongé
un jour totalement dans la Vie divine qui est lumière,
pour être immergé dans la Vie divine
qu'est l'Esprit saint et qui jaillit de la génération
du Fils unique-engendré par le Père.
La Vie était Lumière des hommes, dit
le Prologue du quatrième Evangile. «Et
la Lumière dans la ténébre brille»
(Jn 1, 4-5).
... engendré, non créé...
C'est à cause de l'hérésie d'Arius
que l'Eglise a été amenée à
formuler sa foi en Christ en opérant cette
distinction fondamentale entre engendré et
créé. Originaire de Libye, Arius ( 256-336
) reçut sa formation théologique à
Antioche. D'Antioche, il se rendit à Alexandrie
où il fut ordonné diacre puis prêtre.
A partir de l'an 318 environ, il se mit à provoquer
de nombreuses discussions, en raison d'une doctrine
théologique individuelle qu'il proposait dans
ses homélies comme la foi de l'Eglise.
A la base de la théologie d'Arius se trouve
un postulat qui, dès le départ, l'empêchait
de saisir la véritable relation unissant Dieu
le Père et Dieu le Fils. Ce postulat était
que la divinité devait non seulement être
incréée, mais aussi agennhtoV ( agennètos
), inengendrée. Il s'ensuivait que le Fils
ne peut être vraiment Dieu. Il n'est que la
première des créatures deDieu et, comme
elles toutes, il fut tiré du néant,
et non point de la substance même du Père.
Aussi diffère-t-il essentiellement de lui,
Il y eut un temps, selon Arius, où le Fils
n'existait pas. Il est le Fils de Dieu au sens moral
du terme, mais non pas au sens métaphysique.
C'est improprement qu'on lui décerne le titre
de Dieu, car l'unique Dieu véritable, le Père,
l'a adopté comme fils. De cette filiation par
adoption ne résulte aucune participation effective
à la divinité du Père, aucune
véritable ressemblance avec celle-ci. Le Fils
occupe une place intermédiaire entre le monde
et Dieu le Père qui l'a créé
pour en faire l'instrument de sa création.
Le saint Esprit est encore moins divin que le Fils.
Le Fils est devenu Jésus de Nazareth en ce
sens qu'il a rempli en Jésus la fonction de
l'âme.
Mais si Jésus de Nazareth n'est pas Dieu, c'est
tout l'édifice chrétien qui s'effondre
comme un château de cartes. Car enfin, toute
la nouveauté du christianisme par rapport à
toutes les autres religions, consiste à affirmer
que l'humanité a été atteinte
et de part en part pénétrée par
la divinité, qu'elle a été divinisée.
Si ce n'est pas Dieu lui-même qui, en la personne
du Fils, est devenu l'un des hommes, l'homme n'a aucune
possibilité de devenir ce que Dieu est, d'être
divinisé, d'être introduit dans l'intimité
même de la vie divine. L'homme ne peut être
atteint et rejoint par Dieu autrement que par Dieu
le Fils devenu l'un des hommes. L'homme étant
un corps est rejoint corporellement par Dieu. L'humanité
est divinisée par le seul fait que Dieu le
Fils est entré en elle. Dans le corps humain
de Jésus de Nazareth habite toute la plénitude
de la divinité du Père. Et si tout homme
est sauvé, c'est en ce sens que Dieu le Fils
étant réellement devenu corporellement
l'un des hommes, tout homme a pour destinée,
toute humaine existence a pour sens ultime de pénétrer
dans l'intimité de l'Acte générateur
éternel par lequel Dieu le Père communique
à Dieu le Fils la plénitude de sa Vie
divine de Père, à savoir Dieu le saint
Esprit.
consubstantiel au Père...
La plupart du temps, à l'heure actuelle, les
chrétiens traduisent très mal ce passage
du Credo en disant, au lieu de consubstantiel au Père:
de même nature que le Père. En effet,
les milliards d'hommes et de femmes que nous sommes
fragmentent la nature humaine. Chacun de nous a plus
ou moins de mémoire, d'intelligence, de santé,
de vertu. Nous sommes plus ou moins des hommes, aucun
de nous ne possède la plénitude de l'humanité.
Seul Jésus de Nazareth a possédé
cette plénitude. Seul Jésus de Nazareth
a été un homme en plénitude parce
qu'il était pleinement Dieu. En Jésus
de Nazareth nous a été révélé
que Dieu seul est pleinement humain. Jésus
de Nazareth fut plus pleinement, plus complètement
humain que ne l'avait cru Arius.
Mais dire que l'Un de la Trinité devenu l'un
des hommes était pleinement, totalement Dieu
tout en étant pleinement homme, et plus généralement
dire que Dieu est simultanément trois personnes
et un Dieu unique, c'est dire que chacune des trois
divines personnes est si totalement, si complètement,
si pleinement Dieu que toutes trois réunies
ne constituent pas trois dieux mais un Dieu unique
: chacune des trois personnes divines possède
toute la nature divine.
par l'entremise de qui tout a été
fait.
Le Credo cite ici le Prologue de l'Evangile selon
saint Jean qui, en son troisième verset, affirme
au sujet du Fils: Tout fut fait par son entremise,
et sans lui rien n'a été fait de ce
qui fut fait. Dieu le Père tout-puissant a
créé le ciel et la terre, toutes les
réalités aussi bien visibles qu'invisibles,
par la médiation de son Fils. Le Fils est,
de toute éternité, le Miroir du Père
(l'image du Dieu invisible) (Col 1, 15), c'est pourquoi
il en a été ici-bas l'unique Révélateur
--. Il est donc comme la représentation devant
le Père de toutes les possibilités infinies
de réalités que le Père est en
mesure de créer. Et en créant ces réalités,
Dieu le Père contemple le Modèle de
toutes choses en son Fils unique engendré.
Son Unique-engendré est, nous dit saint Paul
dans son épître Aux Colossiens, le Premier-né
de toute la création (Col 1, 15). L'expression
paulinienne n'est pas sans équivoque. En effet,
faut-il comprendre que le Fils est le premier-né
de toute créature -- ce que dirait volontiers
Arius --, ou bien qu'il est le premier-né,
le premier-engendré du Père avant toute
créature ? St.Paul n'est pas encore arrivé,
ici, à la plénitude de clarté
dans l'expression du mystère divin. Au contraire,
saint Jean, dans son Prologue, a atteint cette plénitude.
Le Fils est Dieu, il est le Miroir du Père,
le resplendissement de la gloire divine du Père,
la splendeur de sa substance. L'admirable anaphore
de saint Basile le Grand s'adresse au Père
au sujet de son Fils en lui disant : «Il est
l'Icône de ta bonté, le Sceau qui le
reproduit fidèlement. En lui-même il
montre que tu es son Père. Il est la Parole
vivante, Dieu véritable, la Sagesse d'avant
les siècles, la Vie, la sanctification, la
puissance, la Lumière véritable».
Et un peu plus loin la même anaphore dit encore
au Père au sujet de son Fils : «Lorsque
vint la plénitude des temps, c'est par ton
propre Fils que tu nous as parlé, par l'entremise
de qui tu as créé les siècles
(c'est-à-dire le monde). Lui qui, étant
resplendissement de ta gloire, et empreinte de ta
réalité personnelle, lui qui porte l'univers
par la puissance de sa Parole, il n'a pas estimé
comme une prérogative d'être ton égal,
ô Dieu son Père». De toute éternité,
Dieu le Père engendre son Fils unique comme
le Miroir, la représentation de tout ce qui
peut exister, de toutes les créatures possibles
que Dieu a le dessein providentiel de créer.
Dieu le Père pense son Fils, et en pensant
son Fils, il pense toutes les créatures qu'il
va amener à l'existence avec la Puissance de
vie dont, de toute éternité, il comble
son Fils et qui est son saint Esprit. De toute éternité,
le Fils est en Dieu le Réceptacle de la Vie
du Père.
C'est pourquoi, ce serait une grave erreur de croire
que les réalités cosmiques, la splendeur
du monde créé, et donc la physico-chimie
mathématique et la biologie, ainsi que l'astronomie,
la matière se situent en dehors de Dieu, comme
si Dieu s'était contenté de les créer
pour les abandonner ensuite à elles-mêmes
et les condamner à exister sans relation vivante
et étroite avec lui. En réalité,
le Credo affirme -- et déjà saint Jean
en son Prologue -que toutes les merveilleuses découvertes
de nos savants modernes et contemporains sur le cosmos,
sur la terre, sur les étoiles, sur les atomes,
sur l'univers prodigieux de la cellule vivante, que
tout cela est l'oeuvre du Fils consubstantiel et coéternel
au Père.
Par conséquent, lorsque nous communions au
Corps et au sang du Fils ressuscité, nous communions
à Celui qui a créé le ciel et
la terre, qui ne cesse de les créer, de les
maintenir dans l'être. Nous devons adopter sur
le mystère de notre foi un point de perspective
cosmique. Le Fils est le Prisme de la Lumière
divine et incréée du Père, qui
dans l'acte créateur se polarise en un nombre
apparemment infini de créatures. Par elle-même,
la lumière est blanche, mais à travers
un prisme elle se décompose dans toutes les
couleurs de l'arc-en-ciel : le rouge, le vert, etc...
C'est un peu ainsi, mutatis mutandis, que le Fils
est celui par l'entremise de qui tout a été
fait. Le Fils est infiniment au-dessus des anges,
infiniment au-dessus des saints, infiniment au-dessus
de tout être créé parce que «à
l'origine était la parole, et la Parole était
auprès de Dieu, et la Parole était Dieu.
Elle-même était à l'origine près
de Dieu. Tout fut fait par son entremise et sans elle
rien n'a été fait de ce qui fut fait
(Jn 1, 1-3). Le Père est bien le créateur
du ciel et de la terre, de toutes les réalités
visibles aussi bien qu'invisibles, mais il ne l'est
pas autrement que par l'entremise co-créatrice
de son Fils unique-engendré. Dieu crée
en prononçant son Fils. En tant que nous sommes
des créatures du Père tout-puissant,
nous sommes marqué du sceau de son Fils. Et
donc, tout ce qui survient en chacune de nos pauvres
vies, toutes les épreuves que nous expérimentons,
toutes les souffrances, parfois atroces, que nous
éprouvons, toutes les vicissitudes de chacune
de nos existences tourmentées, tout est, mystérieusement
mais très effectivement, en relation intime
avec l'Acte générateur éternel
par lequel le Père communique à son
Fils la plénitude de Vie qu'est son Souffle
paternel, son très saint, bon et vivifiant
Esprit. Si tout est advenu à l'existence par
l'entremise co-créatrice du Fils, cela signifie
que tout ce qui nous advient, même la souffrance,
même la maladie, même la mort inéluctable,
est directement ordonné à notre entré
dans l'Acte générateur et divinisant
du Père sur son Fils.
A nous de prendre conscience de notre grandeur infinie
et de notre infinie dignité du fait que nous
sommes sortis des Mains du Père par son Fils.
«Agnosce, o christiane, dignitatem tuam»
nous dit le pape saint Léon le Grand (Reconnais,
ô chrétien, ta dignité, St Léon
le Grand, Premier sermon en la Nativité du
Seigneur. In Sermons t1 Coll Sources chrétiennes,
n°22bis Ed. du Cerf 1964 2ème éd.
p.72). A nous de méditer avec toute notre foi
et tout notre amour sur la toute-puissance du Fils
en nous comme créateur et rédempteur,
c'est-à-dire libérateur et divinisateur.
A nous de nous soumettre totalement à son action
divinisatrice pour que nous vivions jour après
jour dans l'attente de sa gloire. A nous de voir le
cours du monde et l'odyssée de chacune de nos
existences conduits par le Père selon l'ordre
de son Fils.
Père André Borrély, recteur de
la Paroisse St Irénée à Marseille
(France) Revue "Orthodoxes à Marseille"
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