POINTS
DE VUE ORTHODOXES SUR L'UNITE DES CHRETIENS
Le modèle patristique de l'unité
En
1949, alors que le Congrès d'Amsterdam venait
de donner naissance au Conseil cuménique
des Eglises, le P. Georges Florovsky caractérisait
ainsi la position du théologien orthodoxe parmi
ses collègues professant une foi différente
: " Le théologien orthodoxe peut et doit
représenter moins l'" Orient " contemporain
que l'antiquité cuménique elle-même.
L'antiquité est importante, il va de soi, plus
par son caractère intégral, synthétique,
que par son ancienneté. L'Orthodoxie exprime
dans l'économie de l'cuménisme le
moment patristique " (Georges FLOROVSKY, "
Une vue sur l'Assemblée d'Amsterdam ", dans
Irénikon, 22 (1949), pp. 10- 11.).
Il faut assurément appliquer à des situations
inédites et à des besoins nouveaux cette
vision intégrale et synthétique que les
premières générations chrétiennes
avaient du mystère de l'Eglise, mais c'est néanmoins
en se fondant sur elle et en s'efforçant de n'en
rien altérer que l'Eglise trouvera aujourd'hui
les voies d'une fidélité vivante.
Dans les perspectives de l'Eglise ancienne, le mystère
du salut apparaît fondamentalement comme une uvre
de
réunification. Un texte d'inspiration basilienne
dira : " En cela se résume toute l'économie
du Sauveur : rassembler la nature humaine en elle-même
et avec lui, et faire cesser sa division pernicieuse
pour restaurer l'union primitive " (Pseudo Basile,
Constitutions monastiques, 18 ; PG 31, 1385 A). Accomplie
une fois pour toutes par la mort et la résurrection
du Seigneur, cette uvre du salut atteindra effectivement
chaque personne humaine, à travers le temps et
l'espace, par la célébration eucharistique.
Puisque chaque chrétien, mort au péché
et ressuscité avec le Christ pour une vie nouvelle
dans le baptême, est mystiquement identifié
au Corps glorieux du Christ par l'énergie de
l'Esprit-Saint dont il est pénétré
lorsqu'il a participé au Corps eucharistique,
on doit en conclure que tous les chrétiens deviennent,
par cette participation, " concorporels "
[(ayant ou : formant) un même corps L'expression
vient de Eph. 3, 6, et a été souvent reprise
par les Pères depuis saint Athanase. La doctrine
des Pères grecs sur l'Eglise-Corps du Christ
semble correspondre assez exactement à celle
de saint Paul, telle que l'interprète l'exégèse
récente : c'est le corps réel personnel
glorifié du Christ "qui est le centre et
l'origine de l'unité du monde chrétien
; c'est parce que l'union mystique nous identifie tous
à ce même corps que nous pouvons être
un entre nous " (L. CERFAUX, La théologie
de l'Eglise suivant saint Paul, Paris, 1965, p. 236)].
Le " charbon ardent " du Corps divin, lorsqu'il
touche l'homme, l'arrache à ses limitations individuelles,
et, paradoxalement, le fait accéder à
la plénitude de la vie personnelle en l'amenant
à renoncer à l'exaltation de son individualité,
dans une communion fraternelle qui est à l'image
de la Trinité sainte.
Ce fondement eucharistique de l'ecclésiologie
a été admirablement exposé par
saint Cyrille d'Alexandrie (+444) dans ce passage de
son Commentaire sur l'Evangile de Jean : " Pour
que nous tendions vers l'unité avec Dieu et entre
nous, et que nous soyons mêlés ensemble,
bien que nous formions tous des individus distincts
quant aux âmes et aux corps, le Fils unique a
disposé un moyen qu'il découvrit par sa
propre sagesse et par le conseil du Père. En
effet, en sanctifiant les croyants en soi dans un seul
Corps, le sien, par la communion mystique, il les a
rendus concorporels avec lui et entre eux. Qui en effet
séparera et écartera de cette union physique
ceux qui sont attachés au Christ jusqu'à
être un avec lui par ce saint Corps unique? Car
si tous, nous participons à un pain unique, nous
formons un Corps unique. Le Christ en effet ne peut
pas être divisé. C'est pourquoi l'Eglise
est elle aussi appelée le Corps du Christ, et
nous ses membres, selon la pensée de Paul (cf.
1Cor. 12, 27)... L'Esprit est un et indivisé,
lui qui rassemble par lui-même les esprits de
chacun, malgré leur distinction selon l'existence
individuelle, et il les fait apparaître tous comme
ne formant qu'un seul être en lui-même...
Aussi Paul déclare-t-il : " Supportez-vous
les uns les autres avec charité, appliquez-vous
à conserver l'unité que donne l'Esprit
par ce lien qu'est la paix. Il n'y a qu'un Corps et
qu'un Esprit, un seul Dieu et Père de tous, qui
est au-dessus de tous, agit par tous et est en tous
(Ephès. 4, 2-6) " (Saint CYRILLE D'ALEXANDRIE.
In Joan., 11, 11 : PG 74, 560 A - 561 B).
Dans cette perspective, l'Eglise, c'est d'abord l'Eglise
locale, c'est-à-dire le groupe de chrétiens
qui se rassemblent en un même lieu autour de leur
évêque légitime pour célébrer
l'Eucharistie. Chaque Eglise locale n'est pas une partie
de l'Eglise universelle ; chacune réalise la
totalité du mystère de l'Eglise et s'identifie
avec l'Eglise universelle, qu'elle rend présente
dans sa plénitude en un point donné de
l'espace, dès lors qu'elle reste intégralement
fidèle dans sa foi au dépôt transmis
par les apôtres (Cette conception de l'Eglise
a été remise en valeur en particulier
par le P. N. Afanasieff ; mais selon celui-ci, toute
Eglise locale qui célèbre l'Eucharistie
est de ce fait identique à l'Eglise universelle
et peut être en communion sacramentelle avec les
autres Eglises locales, même si des divergences
dogmatiques les séparent ; cf. N. AFANASIEFF,
" Una Sancta ", dans Irénikon, 36 (1963),
p. 473. Ceci ne semble pas conforme aux données
de l'histoire, et d'autres théologiens orthodoxes
ont rectifié la thèse d'Afanasieff en
précisant qu'une Eglise locale n'est vraiment
l'Eglise de Dieu et ne peut être en communion
avec les autres Eglises que si elle professe une foi
exactement conforme à la leur. Cf. Métropolite
MAXIME DE SARDES, Le Patriarcat cuménique
dans l'Eglise Orthodoxe, Paris 1975, pp. 27-51).
Ceci explique que les notions d'" intercommunion
" et d'" hospitalité eucharistique
" aient été inconnues de l'Eglise
ancienne, qui n'aurait pu leur donner aucun sens. Elle
ne connaissait que la communion, ou son refus. Dans
la pensée des chrétiens de cette époque,
si un membre d'une Eglise locale participait à
l'Eucharistie d'une autre Eglise locale, par exemple
à l'occasion d'un voyage, il attestait par là
qu'il reconnaissait cette Eglise comme identique à
la sienne et à l'Eglise universelle.
Des divergences d'opinion, d'usages et de traditions
pouvaient bien exister entre ces Eglises, sur des points
où un accord général ne s'était
pas manifesté et que l'on considérait
comme secondaires : elles n'avaient plus aucune importance,
et ne faisaient que " confirmer l'accord de la
foi " selon l'expression de saint Irénée
de Lyon (Saint IRÉNÉE DE LYON, dans EUSÈBE
DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 24,13 ; SC
41, p. 70). Aucune déficience grave ne peut affecter
objectivement une Eglise par ailleurs pleinement fidèle
à la Tradition apostolique.
C'est en se référant à un point
de ce genre - qu'il estimait personnellement important,
mais étranger à la foi elle-même
(la non-validité du baptême des hérétiques)
- que saint Cyprien de Carthage (+ 258) déclarait
: " Ne jugeons personne ou n'écartons personne
du droit à la communion pour divergence de sentiment"
(saint CYPRIEN DE CARTHAGE, Sent. Episcop. cité
dans Saint AUGUSTIN, De Baptismo,VI, 7, 10 ; coll. Bibl.
August., 29, pp. 416-418).
Certes, il a existé, à chaque époque
de l'histoire de l'Eglise, des groupes rigoristes qui
ont rompu la communion avec les autres Eglises pour
des questions secondaires. Mais, comme le montre l'historien
Socrate (+ vers 440), à propos du schisme novatien,
de tels hommes se mettent ordinairement aussitôt
à se diviser entre eux et à former sans
fin de nouveaux conventicules, manifestant bien que
l'esprit de parti l'a emporté chez eux sur l'amour
de l'unité de l'Eglise (SOCRATE, Hist. Eccl,
5, 22 ; PG 67, 645).
On voit combien il importait, quand des divergences
apparaissaient entre Eglises, d'en peser exactement
la nature. S'agissait-il de questions de minime importance
ou de traditions différentes, mais authentiques
? Le maintien ou le rétablissement de la communion
s'imposait, sans qu'aucune des deux parties puisse prétendre
contraindre l'autre à se singer à son
sentiment sous menace de rupture de communion. S'agissait-il
par contre de questions touchant à la substance
de la foi et de la tradition apostolique ? Alors, tant
que les divergences subsistaient, la séparation
demeurait la plus douloureuse, mais aussi la plus impérieuse
des exigences non seulement de la vérité,
mais aussi de l'amour véritable de Dieu et du
prochain. Et pour les Pères, le contenu de la
foi était indivisible : il n'aurait pu être
question d'y distinguer des " articles fondamentaux
", " kérygmatiques ", et des articles
de moindre importance : " De même que, dans
les monnaies royales, si vous en altérez quelque
peu l'empreinte, vous faussez la pièce tout entière,
de même, celui qui laisse entamer sa foi dans
la plus petite partie l'ébranle tout entière,
et il ira toujours en déclinant. Où sont
ceux qui nous accusent d'aimer les querelles à
cause de nos discussions avec les hérétiques
? Où sont ceux qui n'admettent aucune différence
réelle entre eux et nous et prétendent
que tout est une question d'ambition personnelle ? Qu'ils
écoutent Paul proclamant que l'Evangile est bouleversé
par une innovation, même petite (cf. Gal. 1, 7)
" (Saint JEAN CHRYSOSTOME, Sur l'Epître aux
Galates, 1, 6).
Selon cette conception, qui demeure celle de l'Eglise
orthodoxe, l'Eglise universelle est donc constituée
par l'ensemble des Eglises locales en communion entre
elles. Elle est, nous disent les Pères, l'unique
arche de salut donnée aux hommes par Dieu pour
leur permettre d'échapper à la condamnation
; unique épouse du Christ, elle est la mère
spirituelle qui seule peut les enfanter par le baptême
à la vie nouvelle, en faire des fils adoptifs
de Dieu ; Corps du Christ, elle est le seul lieu où
les hommes soient véritablement unis à
Dieu et entre eux par l'action sanctifiante de l'Esprit.
Est-ce à dire qu'aucun homme ne peut être
sauvé et sanctifié en dehors d'une appartenance
formelle à l'Eglise visible ? Certaines allusions
montrent que les Pères reconnaissent que le Saint-Esprit
est libre de ses dons et peut les communiquer sans passer
par les voies normales du salut, là où
il trouve des curs bien disposés : "
Beaucoup de ceux qui nous sont extérieurs nous
appartiennent, eux dont les murs devancent la
foi et à qui ne manque que le nom, alors qu'ils
possèdent la réalité elle-même
", déclare saint Grégoire le Théologien
(+ 390)(Saint Grégoire le théologien,
Or 18, 6 ; PG 35, 992 BC.), qui n'hésite pas
à ranger parmi eux son propre père ; et
de sa sur, il dit : " Toute sa vie était
purification et perfection... J'ose le dire, le baptême
ne lui apporta pas la grâce, mais la consécration
" (Id, Or. 8, 20 ; PG 35, 812 C). Mais de cette
appartenance invisible à l'Eglise qui, elle,
est visible, les Pères n'ont pas fait la théorie,
faute d'indications explicites dans les sources de la
Révélation.
La communion entre les Eglises locales est manifestée,
sur le plan sacramentel, par la consécration
collégiale des évêques, et, lorsqu'il
s'agit de résoudre des problèmes de foi
et de discipline, par les conciles d'évêques.
Ces conciles peuvent être régionaux ou
universels. Un concile authentique est une assemblée
où les évêques, fidèles à
l'Esprit Saint, proclament avec autorité la vraie
foi de l'Eglise, le seul signe de cette authenticité
étant, du point de vue orthodoxe, la réception
subséquente de ce concile par l'ensemble de l'Eglise
(Sur la conception orthodoxe de l'autorité dans
l'Eglise, cf. Mgr Kallistos WARE, " L'exercice
de l'autorité dans l'Eglise Orthodoxe ",
in Irénikon, 54 (1981),pp.451-471 et 55 (1982),
pp.25-34).
À l'échelon régional ou au niveau
de l'Eglise universelle également, certains sièges
épiscopaux ont été investis d'une
primauté, au cours de l'histoire de l'Eglise.
Cette structuration de l'Eglise est une réalité
trop universelle dans le temps et l'espace pour qu'elle
puisse être considérée comme accidentelle
et d'ordre purement humain. On doit y reconnaître
un effet de la conduite du Saint Esprit sur l'Eglise,
et donc un élément de la Tradition. Mais
l'idée de primauté, telle qu'elle a été
reçue dans l'ensemble de l'Eglise, n'a jamais
impliqué qu'une primauté entre égaux,
ses titulaires ne pouvant exercer d'autorité
en dehors de leur propre diocèse que dans la
mesure où elle leur a été accordée
par les autres évêques, et toujours dans
une inter dépendance réciproque. Assez
tôt, les papes de Rome ont revendiqué une
juridiction de droit divin d'une qualité ecclésiologique
toute particulière sur l'Eglise universelle,
mais celle-ci ne leur a été reconnue progressivement
que dans la sphère assez limitée où
s'exerçait leur autorité directe, - le
patriarcat romain. Or, jusqu'à la rupture du
11ème siècle celui-ci avait en face de
lui quatre autres patriarcats, où l'on avait
une conception différente des choses.
L'Eglise
orthodoxe et le mouvement cuménique
L'ecclésiologie orthodoxe est demeurée
pour l'essentiel, malgré des distorsions dues
aux circonstances historiques et aux péchés
des hommes, celle de l'Eglise ancienne, avec laquelle
l'Eglise orthodoxe d'aujourd'hui se sent en parfaite
continuité, sans rupture aucune. Elle a conscience
d'être purement et simplement, l'Eglise de Dieu.
Elle ne peut considérer les autres confessions
chrétiennes que comme des membres détachés
de l'unité ecclésiale, pleinement conservée
en elle. Sa tradition a pour contenu normatif ce que
tous les chrétiens, avant l'époque des
séparations, ont considéré ensemble
comme faisant partie du dépôt apostolique,
qu'il s'agisse de la foi elle-même ou de la vie
ecclésiale. Du point de vue orthodoxe, l'unité
entre tous les groupes chrétiens séparés
ne peut se réaliser que par le retour à
la Tradition commune et universelle de l'Eglise : ce
qui a été reçu comme dogme de foi
ou vécu comme institutions communes " partout,
toujours et par tous " durant le millénaire
qui précéda les séparations, sans
rien y ajouter ni rien en retrancher (Cf. saint Vincent
de Lérins, Commonitorium, 2 : " Dans l'Eglise
catholique, il faut veiller avec le plus grand soin
à tenir pour vrai ce qui a été
cru partout, toujours et par tous. ". Adhérant
à la plénitude de la Tradition, chacune
de ces communautés se trouverait ipso facto dans
l'unité de l'Eglise universelle.
Selon cette ecclésiologie patristique et orthodoxe,
l'unité visible de l'Eglise est donc donnée
par Dieu, et demeurera identique à elle-même
jusqu'à la Parousie. Si l'on excepte les milieux
cuméniques catholiques, l'ecclésiologie
d'origine protestante qui domine dans le mouvement cuménique
est d'une inspiration fort différente. Sa conviction
fondamentale est que l'unité visible de l'Eglise
n'est pas donnée, mais à espérer
et à construire par la docilité de tous
à l'action de l'Esprit Saint. Aucune Eglise empirique
ne peut s'identifier à l'Eglise de Dieu. Celle-ci
possède une unité réelle, mais
invisible, à travers les divisions actuelles.
Le but du mouvement cuménique est de la
manifester progressivement par une unité visible,
qui comportera une foi commune dans les vérités
jugées fondamentales, une intercommunion sacramentelle
et une reconnaissance des ministères, les différences
institutionnelles et dogmatiques pouvant demeurer considérables
entre les diverses Eglises.
Il est évident qu'une telle conception ne peut
apparaître, aux yeux des orthodoxes, que comme
une pan-hérésie, et il ne saurait être
question pour eux d'y faire de quelconques concessions.
Le Conseil cuménique des Eglises ayant
eu pour artisans des hommes qui, malgré leur
bonne volonté, ne pouvaient faire abstraction
des présupposés doctrinaux qui étaient
les leurs, il était inévitable que les
délégués orthodoxes s'y soient
sentis le plus souvent en porte-à-faux. Leur
situation s'était trouvée un peu clarifiée
après la session du Comité central du
C.O.E. à Toronto en 1950 ; il y avait été
précisé en effet que " le fait d'appartenir
au Conseil n'implique pas que chaque Eglise doive considérer
les autres comme des Eglises dans le vrai et plein sens
du terme ". Mais la structure du C.O.E. contraint
inévitablement les Eglises orthodoxes à
y figurer comme des " confessions " ou des
" dénominations " parmi les autres.
Ce n'est qu'en affirmant très nettement la conception
qu'elles ont de leur identité et leurs convictions,
qu'elles peuvent éviter de rester dans l'équivoque
et d'induire leurs partenaires en erreur.
Dès la fondation du C.O.E., le théologien
Georges Florovsky, dans un texte déjà
cité plus haut, justifiait cependant la présence
d'orthodoxes au C.O.E., en définissant la seule
signification acceptable de leur participation : "
Je considère pareille participation non seulement
comme permise et possible pour les orthodoxes, mais
encore comme un devoir direct découlant de l'essence
même de la conscience orthodoxe et de l'obligation
qui incombe à la véritable Eglise de témoigner
sans relâche partout dans les synagogues, devant
les rois et les princes. Comment croira-t-on, à
moins d'avoir entendu ? Et comment entendra-t-on sans
prédication? Cette sentence apostolique est bien
à sa place ici. Je vois la participation orthodoxe
au Mouvement cuménique dans la ligne de
l'action missionnaire. L'Eglise orthodoxe est spécialement
appelée à une part dans l'échange
cuménique d'idées précisément
parce qu'elle se sait la gardienne de la foi apostolique
de la Tradition dans leur intégrité et
leur plénitude, et être dans ce sens la
véritable Eglise, parce qu'elle a conscience
de posséder le trésor de la grâce
divine par la continuité du ministère
et la succession apostolique ; parce qu'enfin elle prétend
ainsi à une place extraordinaire dans la chrétienté
divisée. L'Orthodoxie est la vérité
universelle, la vérité pour le monde entier,
pour tous les temps et tous les peuples. Voilà
les raisons pour lesquelles l'Eglise orthodoxe est appelée
et obligée de témoigner de la vérité
du Christ toujours et partout, devant le monde entier
" (Georges FLOROVSKY, op. cit, pp. 9- 10).
En 1976, le Saint Synode de l'Eglise Orthodoxe en Amérique
publiait une très remarquable lettre encyclique
sur l'unité des chrétiens et l'cuménisme
(texte français dans " Le Messager Orthodoxe
", n° 78 (1978), pp. 36-55 ; un excellent commentaire
en a été donné par Dom Emmanuel
LANNE dans Irénikon, 46 (1973), pp. 319-335).
Elle a pour objet de "formuler à nouveau
la position qui a toujours été celle de
l'Eglise Orthodoxe, position que malheureusement même
quelques-uns de nos frères orthodoxes ont ignorée
ou oubliée ". Le synode déclare :
" Très chers et bien aimés frères
et surs, il est de notre devoir comme évêques
de l'Eglise et gardiens de la foi apostolique, de confesser
que l'Eglise orthodoxe est l'unique Eglise du Christ...
Cette conception fondamentale de l'Eglise orthodoxe...
a toujours servi de base à la participation orthodoxe
dans le mouvement cuménique. " l'encyclique
met ensuite en garde contre trois dangers qui menacent
le mouvement cuménique et sont générateurs
de crise : le relativisme, qui rejette l'idée
même de l'unicité de l'Eglise et de la
valeur absolue de sa Tradition ; le sécularisme,
selon lequel l'unité à réaliser
consisterait dans la construction d'un monde meilleur
par l'action politique, sociale et économique
; les faux procédés en matière
d'union. Sur ce sujet, le texte dit : " Nous rejetons
catégoriquement l'usage de la communion eucharistique
et de l'intercommunion sacramentelle envisagée
comme un moyen pour achever l'unité chrétienne.
Selon la foi orthodoxe, les sacrements et la vie liturgique
de l'Eglise, plus spécifiquement la sainte Eucharistie,
ne peuvent être séparés de l'être
même de l'Eglise, que leur existence a pour but
de manifester. Les sacrements ne sont pas des symboles
de dévotion psychologique. Ils sont des manifestations
de l'essence de l'Eglise comme royaume de Dieu sur terre.
En dehors de l'unité de foi dans l'Eglise unique
du Christ qui est indivisible, il ne peut y avoir de
communion sacramentelle ni de concélébration
liturgique. " Et il ajoute : " Une célébration
liturgique officielle qui implique la participation
active de membres du clergé et de laïcs
de différentes confessions est contraire aux
canons de l'Eglise orthodoxe. De telles célébrations
liturgiques sont seulement susceptibles d'être
génératrices de confusion, sources de
scandales, et d'aider à projeter une fausse impression
de la foi chrétienne et de la nature de l'unité
que Dieu a données aux hommes dans son Eglise.
Suivant la foi orthodoxe, une telle célébration
liturgique est aussi une fausse présentation
des hommes devant l'autel céleste de Dieu. "
A l'occasion du 25ème anniversaire du C.O.E.,
le Patriarcat cuménique et le Patriarcat
de Moscou adressaient au Comité central du Conseil
des messages où ils le mettaient également
en garde contre l'horizontalisme et le sécularisme
qui le menacent (texte dans Doc. Cath., 55 (1973), pp.
819-825 ; commentaire dans Irénikon, 46 (1973),
pp. 475-482).
Il est évidemment difficile d'apprécier
l'influence que le témoignage orthodoxe a pu
déjà exercer au sein du C.O.E. Un texte
comme le document de Lima (1982) sur le Baptême,
l'Eucharistie et le Ministère témoigne
d'une prise de conscience nouvelle de données
importantes de la tradition apostolique ; la participation
orthodoxe n'y est probablement pas étrangère.
Certains développements qui figurent dans ce
texte sont d'un grand intérêt, et s'il
venait à faire l'objet d'une réception
assez générale parmi les confessions auxquelles
il s'adresse, cela marquerait un immense progrès.
Pourtant, il faut reconnaître que l'Eglise orthodoxe
ne peut reconnaître dans un tel document qu'une
expression partielle et limitée de la Tradition
de l'Eglise telle qu'elle la vit elle-même, et
il lui serait impossible d'accepter sans s'écarter
de cette Tradition certaines recommandations qui accompagnent
le texte.
D'autre part, la nécessité de témoigner
de la Tradition de l'Eglise devrait inciter les orthodoxes
à y être eux-mêmes plus intégralement
fidèles. Même si l'essentiel reste sauf,
la Tradition authentique est chez eux occultée
ou déformée sur bien des points. Que l'on
songe, pour ne citer qu'un exemple, aux dommages que
les attitudes nationalistes ou l'esprit de chapelle
ont causés dans la Diaspora. Mais ces distorsions
sont souvent la conséquence de situations de
fait et de circonstances historiques (par exemple la
révolution russe, ou les siècles d'occupation
turque en Grèce et dans les Balkans), et il faut
beaucoup de prudence et de patience pour y porter remède.
On doit avoir, avant toute autre chose, le souci de
préserver l'unité orthodoxe, et ne pas
renouveler des initiatives comme la malencontreuse réforme
du calendrier : toute réforme, tout changement,
même théoriquement justifié, qui
ne pourrait pas être reçu d'une façon
quasi unanime par le peuple orthodoxe, ne serait pas
inspiré par l'Esprit de Dieu. Le Patriarcat cuménique
est actuellement très sensible à cet aspect
des choses.
Le
dialogue avec l'Eglise catholique romaine
Le dialogue que l'Eglise orthodoxe entretient avec l'Eglise
catholique romaine a un caractère très
différent de celui qu'elle peut avoir avec les
confessions issues de la Réforme. En effet, elles
professent l'une et l'autre que l'Eglise du Christ est
unique, et que cette unité est visible et déjà
réalisée. Sur la plus grande partie du
dogme chrétien, leurs affirmations convergent,
même si elles les présentent sous un éclairage
différent, qui tient pour une part à l'influence
diffuse, sur l'ensemble de la doctrine, des points sur
lesquels elles divergent. Cet accord des deux Eglises,
que le dialogue bilatéral qu'elles ont entrepris
veut souligner d'abord, devrait avoir un poids immense
au sein du mouvement cuménique. Elles représentent
actuellement, du point de vue numérique, la majorité
des chrétiens dans le monde, et surtout, elles
témoignent ainsi de ce que fut la foi unanime
des chrétiens avant les séparations. Malheureusement,
la force de ce témoignage est en grande partie
occultée par une mauvaise répartition
au sein du C.O.E. (dont l'Eglise catholique romaine
n'est pas membre, pour des motifs très compréhensibles).
Mais ces deux Eglises ne sont plus en communion depuis
plus de neuf cents ans, et chacune a, pour sa part,
conscience d'être l'unique Eglise de Dieu.
Le rapprochement commencé avec les rencontres
du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras
en 1967, et qui, depuis 1979, a pris la forme d'un dialogue
théologique, a pour objet de surmonter cette
contradiction et de permettre le rétablissement
de la communion sacramentelle entre les deux Eglises,
en les amenant progressivement à se reconnaître
pleinement comme Eglises-surs, c'est-à-dire
comme deux ensembles d'Eglises locales ayant leurs traditions
propres, mais formant ensemble l'unique Eglise de Dieu.
Ce projet cuménique a été
ainsi formulé par le Cardinal Willebrands : "
Nos Eglises, ayant reçu la même foi, ont
développé par des voies et des manières
différentes ce patrimoine chrétien, et
" l'héritage transmis par les apôtres
a été reçu par des manières
diverses et, depuis les origines mêmes de l'Eglise,
il a été expliqué de façon
différente, selon la diversité du génie
et les conditions d'existence " (cf. Décret
Unitatis Redintegratio de Vatican Il). Ces évolutions
différentes se rencontrent dans tous les domaines
de la vie de l'Eglise, la tradition liturgique et spirituelle,
la discipline, la manière d'exprimer, de présenter
et d'organiser la réflexion sur les mystères
de la foi... C'est dans ces perspectives que doit se
situer notre travail en vue de la communion parfaite
dans la foi, dans le respect de la pluralité
et de la diversité nécessaires pour exprimer
la richesse infinie de Dieu et de ses dons " (Cardinal
WILLEBRANDS, " Allocution prononcée à
Patmos le 29 mai 1980 ", dans Doc. Cath., 62 (1980),
p. 705).
L'application de ce programme se heurte cependant à
des difficultés concrètes qui ne sont
pas négligeables. Le Patriarche Dimitrios n'a
pas hésité à évoquer de
" sérieux problèmes théologiques
qui concernent des chapitres essentiels de la foi chrétienne
" (Patriarche DIMITRIOS 1er "Allocution du
30 novembre 1979", dans S. 0. P. n° 43 (décembre
1979), Supplément Documentation : " La rencontre
de Jean-Paul II et de Dimitrios 1er ", p. 23) et
s'opposent encore au rétablissement de la pleine
communion entre les deux Eglises. Quelles sont ces difficultés,
et par quelles voies espère-t-on les surmonter
?
Les difficultés principales se situent au niveau
de l'ecclésiologie et de la doctrine trinitaire.
Sur ces deux points majeurs, l'Eglise latine a connu
des développements doctrinaux que les autres
Eglises n'ont jamais acceptés, et qu'elles considèrent
comme des altérations de la Tradition apostolique.
L'ecclésiologie romaine considère la primauté
du pape de Rome comme le principe dernier de l'unité
visible de l'Eglise. S'exprimant librement devant un
auditoire de cardinaux, Paul VI n'hésitait pas
à dire, dans son discours au Consistoire du 24
mai 1976 : " Etre hors de la communion avec le
successeur de Pierre, c'est se mettre hors de l'Eglise
". Cette conception est le fruit d'une évolution
qui s'est dessinée à Rome au moins dès
le 4ème siècle mais qui, on l'a dit plus
haut, n'a jamais fait l'objet d'une réception
véritable dans les Eglises non-latines. Cette
évolution de l'ecclésiologie romaine a
certainement contribué dans une large mesure
à rendre étrangères les unes aux
autres l'Eglise latine, d'une part, et les autres Eglises,
d'autre part. Ainsi s'est créé le climat
qui rendait inéluctable la rupture du 11ème
siècle.
Au 19ème siècle, le Concile Vatican I
a scellé ce développement doctrinal en
définissant comme dogme de foi la primauté
de juridiction de droit divin du pape sur l'Eglise universelle,
et son infaillibilité personnelle en matière
de définitions dogmatiques. L'Eglise orthodoxe
reconnaîtrait sans difficulté au pape de
Rome, l'union une fois rétablie, la fonction
de " premier entre les égaux " (primus
inter pares) qui était universellement admise
dans l'Eglise ancienne. Mais elle rejette le dogme de
Vatican I, qui a une tout autre signification. Le Patriarche
Dimitrios, peu après son élection, devait
déclarer : " En qualité de Patriarche
cuménique, nous désirons souligner
qu'à l'avenir toutes les rencontres pancatholiques
et panorthodoxes, tous les dialogues et toutes les consultations
se tiendront sur les bases fondamentales suivantes
1) La plus haute autorité de l'Eglise Une, Sainte,
Catholique et Apostolique réside dans le Concile
cuménique de l'Eglise tout entière.
2) Personne parmi nous, les évêques de
l'Eglise catholique, n'a reçu d'autorité,
de privilège ou de droit accordé canoniquement,
sur quelque juridiction ecclésiastique que ce
soit, sans l'intime volonté et le consentement
canonique de l'autre " (texte dans Irénikon,
47 (1974), p. 70).
La doctrine catholique romaine sur la Sainte-Trinité
est dans une large mesure tributaire de l'enseignement
de saint Augustin (+ 430) qui, durant des siècles,
devait être l'autorité patristique principale
dans l'Eglise latine. Or Augustin, penseur de génie,
s'était montré assez novateur en ce domaine,
au point qu'on a pu écrire que " l'historien
du dogme qui, venant des écrits des Pères
du 4ème siècle, débouche sur l'uvre
d'Augustin " constate que " la ligne de rupture
dans le développement synthétique de la
doctrine trinitaire ne se trouve pas entre Augustin
et nous, mais entre lui et ses prédécesseurs
immédiats" (E. HENDRIKX, " Introduction
à saint Augustin ", dans uvres de
saint Augustin : La Trinité, 1, Paris, 1955,
p. 22). Plus réticente que l'Eglise catholique
romaine à l'égard de l'idée de
développement dogmatique, l'Eglise orthodoxe
n'en rejette cependant pas la possibilité. Mais
le critère de l'authenticité d'un développement
de ce genre ne peut être que sa réception
par l'Eglise universelle ; jamais l'opinion d'un docteur
particulier ou la tradition d'une Eglise particulière
ne peut acquérir une telle autorité. Or,
ici encore, nous sommes en présence d'une évolution
propre à l'Occident latin qui aboutira, au 11ème
siècle, à l'introduction à Rome
du " Filioque " dans le symbole de Nicée-Constantinople,
et, un peu plus tard, aux conciles médiévaux
qui définiront que le Saint Esprit procède
du Père et du Fils comme d'un seul principe,
accompagnant cette définition de l'anathème
suivant (qui n'a jamais été levé)
: " La Sainte Eglise romaine condamne, réprouve
et anathématise quiconque a un sentiment opposé
ou contraire, et elle le déclare étranger
au Corps du Christ, qui est l'Eglise" (Concile
de Florence, Denz.-Schönm, 1331-1332).
Comme la primauté romaine, le " Filioque
" est susceptible d'une interprétation orthodoxe,
comme en témoigne saint Maxime le Confesseur
(+ 666). C'est ce qui a permis - à la faveur
d'une certaine équivoque - le maintien de la
communion pendant plusieurs siècles, malgré
la généralisation de cette doctrine dans
l'Eglise latine. Mais ce n'est pas selon cette interprétation
que le " Filioque " a été défini
comme dogme de foi par l'Eglise romaine : au contraire,
les conciles médiévaux le formulent sans
équivoque dans un sens qui a toujours été
jugé inacceptable par les représentants
de l'Eglise orthodoxe. Comme le Patriarche Photius,
les Patriarches de Constantinople, d'Antioche et de
Jérusalem, dans leur Encyclique collective de
1848, qualifient cette doctrine d'" hérésie
" ; et, très récemment, le Patriarche
Dimitrios 1er dans son Encyclique du 12 mars 1981, déclarait
que le " Filioque " est " tout à
fait inacceptable et doit être rejeté "
(Dans SOP, n° 59 (juin-juillet 1981), p. 15).
On mesure toute la difficulté : sur au moins
deux points importants de doctrine, l'Eglise orthodoxe
rejette purement et simplement, comme contraires à
la Tradition, des doctrines que l'Eglise catholique
romaine a définies solennellement comme appartenant
au dépôt de la foi.
Est-il possible de sortir de la contradiction ? Une
première tentative, faite par certains oecuménistes
catholiques, consisterait à ne plus tenir les
conciles occidentaux postérieurs à la
séparation pour de vrais conciles cuméniques,
et à ne considérer leurs décisions,
même dogmatiques, que comme des traditions propres
à l'Eglise latine et n'ayant pas de caractère
obligatoire pour les autres Eglises. La communion plénière
pourrait ainsi être rétablie sans que les
Orthodoxes soient obligés d'admettre le dogme
de Vatican I, le " Filioque " et les autres
traditions proprement latines. Assurément, dans
une telle hypothèse, l'union serait grandement
facilitée pour les Orthodoxes. Mais cette proposition
vient d'être vigoureusement repoussée par
le cardinal Joseph Ratzinger, qui la juge inacceptable
du point de vue catholique. Elle impliquerait en effet
que l'Eglise romaine renonce à sa conviction
d'avoir été, depuis le 11ème siècle,
l'Eglise universelle, et reconnaisse pratiquement avoir
erré en proclamant vérité de foi
ce qui n'était en réalité qu'une
tradition particulière : " Ce qui se présentait
comme vérité devrait être qualifié
de simple coutume. La noble prétention à
la vérité serait disqualifiée comme
un abus" (Cf. Irénikon, 56 (1983), p. 236).
Selon le P Congar, il ne serait pas nécessaire,
en fait, que l'une des parties cesse de considérer
comme dogme ce que sa tradition a considéré
comme tel ; " dans le climat et sous la grâce
d'aujourd'hui ", il semblerait qu'" il est
possible de reconnaître l'équivalence réelle
et l'homogénéité de visée,
donc de sens et d'affirmation, bref, l'homonia, sous
des démarches et expressions différentes
" (Y CONGAR, "Autonomie et pouvoir central
dans l'Eglise ", dans Irénikon, 53 (1980)
p.311) - et, en réalité, contradictoires.
Mais il est peu probable que ce pluralisme dogmatique,
qui relativise dangereusement les affirmations de la
foi et que l'on s'étonne un peu de trouver chez
un théologien de formation thomiste, puisse être
accepté par les deux Eglises.
Une autre voie est suggérée par un texte
élaboré dans le cadre du dialogue entre
catholiques et protestants, mais qui pourrait trouver
une application privilégiée dans le dialogue
entre catholiques et orthodoxes. Ce document se fonde
sur la théorie du développement dogmatique
particulièrement en faveur dans l'Eglise catholique
: " Les Eglises pour lesquelles le contenu de la
foi s'exprime dans une formulation plus ample n'ont
pas à considérer a priori les autres Eglises,
moins explicites dans leurs traditions doctrinales,
comme trahissant de plein gré ou par quelque
calcul pervers l'intégralité de l'héritage
chrétien. Elles doivent faire confiance à
l'implicite et au vécu qu'il permet. Et à
leur tour, évidemment, les Eglises sobres dans
leur énoncé doctrinal et leur vie sacramentelle
ont à se garder de considérer a priori
les autres Eglises, plus abondantes en formules de foi
et en rites, comme polluant la pureté de la foi
par des surajouts adventices ou parasitaires. Elles
doivent non nier, mais laisser la question ouverte...
Une fois réconciliées, elles croîtront
ensemble vers la plénitude de la vérité
" (" Vers une profession de foi commune ",
Rapport du groupe mixte de travail catholiques-protestants.
Texte rédigé par J.M.R. Tillard et présenté
par Pierre Duprey et Lukas Vischer, dans Doc. Cath.
62 (1980), p. 657). On pourrait ainsi soutenir qu'en
ne confessant ni le " Filioque ", ni la primauté
de droit divin et l'infaillibilité du pape, l'Eglise
orthodoxe ne contredit pas les dogmes romains, mais
se situe seulement à un stade moins avancé
de développement doctrinal. Le cardinal Ratzinger
semble favorable à une solution de ce genre :
" Pour l'intercommunion avec les Orthodoxes, l'Eglise
catholique ne doit pas insister nécessairement
sur l'acceptation des dogmes du second millénaire.
On présumerait que les Eglises orientales sont
demeurées dans la forme de la Tradition du premier
millénaire qui, en elle-même, est légitime
et, si elle est bien comprise, ne contient pas de contradiction
avec les développements ultérieurs. Ces
derniers n'ont fait qu'expliciter ce qui était
déjà là en principe au temps de
l'Eglise indivise. J'ai moi-même pris part à
ces tentatives de réflexion " (Cardinal
RATZINGER, dans Irénikon, 56 (1983), p. 235).
C'est sans doute du côté orthodoxe qu'un
tel projet rencontrerait de fortes oppositions. En effet,
entrer en communion sacramentelle avec une Eglise qui
confesse tel ou tel dogme, n'est-ce pas, en fait, les
accepter soi-même, bien qu'une profession explicite
n'en soit pas exigée ? Et les Eglises orthodoxes
accepteraient-elles d'être traitées en
Eglises doctrinalement sous-développées
?
Bornons-nous à ces exemples. L'uvre du
rapprochement devra surmonter, on le devine, de redoutables
difficultés qui n'apparaissaient peut-être
pas à première vue. Mais il est utile
de clarifier les situations et de percevoir nettement
les problèmes, pourvu qu'on le fasse dans un
esprit de charité, sans passion et en dehors
de toute polémique, animé seulement de
l'amour de la vérité et de l'unité.
Devant les difficultés de la tâche, le
danger serait de s'évader vers des rêves
séduisants ou des solutions de facilité
qui les escamotent ; plus dangereuse encore est la tentation
de s'y dérober en relativisant la valeur des
formules de la foi et l'institution ecclésiale
elle-même. Ce sont des biens infiniment précieux
: nous ne pouvons connaître Dieu qu'à travers
les mots transfigurés, portés par la Tradition,
qui nous communiquent ce que le Fils de Dieu a bien
voulu nous révéler des secrets du Père,
et, de par sa volonté, nous ne pouvons rejoindre
le Christ que par l'Eglise et dans l'Eglise qui est
son Corps.
Enfin, pour citer une dernière fois le cardinal
Willebrands, " ce ne sont en premier lieu ni les
conférences au sommet, ni les commissions, qui
font progresser la cause cuménique, mais
le développement de ce que le décret sur
l'cuménisme a appelé l'âme
de tout cuménisme, c'est-à-dire
la conversion du cur, la sainteté de vie,
unies aux prières publiques et privées
pour l'unité des chrétiens " (Cardinal
WILLEBRANDS, Allocution du 20 janvier 1975, dans Doc.
Cath,, 57 (1975), p. 268). Aucun "pessimisme"
n'est de mise en ce qui concerne cette unité,
mais il faut être bien conscient de ce qu'elle
ne pourra être, avant tout, que l'uvre de
la grâce divine, à qui rien n'est impossible.
Archimandrite
Placide Deseille
Publication du Monastère St Antoine-le-Grand,
métochion de Simonos-Petra
On
peut commander les autres publications du P. Placide
et d'autres auteurs en s'adressant au monastère
St Antoine le Grand, Font-de-Laval, 26190 Saint-Laurent-en-Royans
(France) Tel : +33-475-47-72-02
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