LES
SEPT CONCILES OECUMENIQUES
L'aube
du 4ème siècle a été le
témoin du plus grand tournant qu'a connu l'Histoire.
Ce siècle n'avait que trois ans lorsque l'Empire
romain tenta, une dernière fois (en 303 ) et
avec une violence jusque là jamais atteinte,
d'anéantir la religion chrétienne.
Il est vrai que la persécution de Dioclétien
(1), après une paix relative de l'Eglise, mais
combien significative pour la préparation de
la christianisation de tout l'Empire, a profondément
affecté la vie de l'Eglise, surtout dans les
provinces situées à l'est de la Rome latine
et jusqu'à l'Orient hellénisé ;
mais il est vrai, aussi, que pour l'Eglise de la Gaule,
de l'Ibérie et de la Bretagne cette persécution
n'a pas été trop sévère
; en effet elle ne fut que peu ressentie dans ces provinces
relativement éloignées de la capitale.
Pour des raisons de stratégie politique et surtout
pour ce qui était de l'intérêt personnel
de Dioclétien, ce dernier abdiqua en 305.
Aussi durant le règne de son successeur Galère
(2) et du nouveau César qui l'assista, Maximin,
la persécution des chrétiens prit-elle
un caractère plus systématique. Maximin,
plus fanatique encore que l'empereur lui-même,
recourut à de nouvelles méthodes de propagande
anti-chrétienne et de dissuasion ; mais, finalement,
il dut revenir (en 312) à une tolérance,
incomplète certes, mais tellement nécessaire
aux chrétiens, après dix années
d'une sanglante persécution ; elle avait en fait
coûté la vie à des milliers de chrétiens.
Presque tous les historiens affirment aujourd'hui que
Maximin décida de rétablir la paix religieuse
à cause des menaces venant de l'intérieur
(la situation politique à Rome étant très
préoccupante) puis, et surtout, sous les coups
que lui portaient ses deux collègues et rivaux
d'Occident : Constantin et Licinius.
Ce n'est pas le lieu de raconter par le détail
tous les événements qui marquèrent
les premières années du 4ème siècle
; ils sont d'ailleurs très complexes. Toujours
est-il que le nom de Constantin resta intimement lié
au triomphe du christianisme, que son règne a
vu s'accomplir la mutation peut-être la plus importante
qu'ait connu l'histoire de l'Eglise chrétienne.
Constantin est considéré, à juste
titre, comme "isapostolos" (égal aux
apôtres). En effet, c'est lui qui pensa le premier
que, puisque l'empire romain devait, tôt ou tard,
devenir un empire chrétien, il fallait au moins
l'établir fermement sur la véritable foi.
Aussi, soucieux de préserver l'unité de
foi de ses sujets, convoqua-t-il un premier concile
cuménique, en 325, à Nicée,
une ville toute proche de la future et nouvelle capitale
de l'empire romain, Constantinople.
Mais qu'est-ce donc qu'un concile de l'Eglise ? Et pourquoi
certains des conciles sont-ils appelés "
cuméniques "?
Disons tout de suite que " un concile est l'organe
par lequel Dieu a choisi de guider les évêques
; il est une incarnation de la nature essentielle de
l'Eglise ". (3) Cette définition est juste
et belle ; je la crois accessible à tous car
elle est facile à comprendre.
Pour les Grecs anciens, un " organon " était
le " moyen " par excellence et ici le "
moyen d'action " (organon=ergon). Le mot "
concile " se dit d'ailleurs en grec " synodos
". Ce mot signifie " aller ensemble "
ou " marcher sur la même voie ".
Les évêques, donc, c'est-à-dire
ceux qui " veillent " (episkopos) sur la bonne
marche de l'Eglise, se réunissent en assemblée,
et travaillant dans un même esprit de paix et
d'amour, précisent définitivement et d'une
manière normative le message christologique de
l'Eglise (4).
Un concile se réunissait sur l'ordre de l'empereur
; ce dernier renforçait les décrets du
concile mais il n'en dictait jamais les termes ; c'était
aux évêques d'enseigner la vraie foi ;
l'empereur en était le protecteur. Les laïcs
(du mot grec " laos " qui veut dire "
le peuple ") avaient le droit d'assister aux conciles
et parfois même de prendre une part active (comme
l'empereur Constantin 1er et d'autres empereurs de Byzance).
Mais lorsqu'arrivait le moment des proclamations formelles,
c'étaient les évêques seuls qui,
en vertu de leur charisme d'enseignement, prenaient
les décisions finales.
Un concile peut être " local " ou "
cuménique ". Il est " local "
quand il réunit des membres d'une ou de plusieurs
Eglises mais sans prétendre représenté
la totalité de l'Eglise chrétienne ; aussi
ses décisions peuvent-elles être susceptibles
d'erreur.
Par contre, les décisions doctrinales d'un concile
" cuménique " ne peuvent être
ni revues ni corrigées ; elles sont infaillibles
et leur autorité est universelle car elle s'étend
sur " toute la terre habitée " (OEkoumène).
Il y eut plusieurs conciles mais l'Eglise orthodoxe
n'en reconnaît que sept comme " cuméniques
"; ils furent tous convoqués par des empereurs
de Byzance et réunis dans des villes de l'orient
méditerranéen.
LE PREMIER CONCILE OECUMENIQUE de l'Eglise chrétienne
a été convoqué en 325, à
Nicée (5), par l'empereur Constantin qui y assista
personnellement ainsi que trois cents évêques
environ.
C'est justement ce concile qui condamna Arius, proclama
que le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Christ,
est " consubstantiel " au Père ("
homoousios " en grec, de la même essence)
; le Christ est vrai Dieu de vrai Dieu, et non pas inférieur
au Père comme le prétendait Arius. Ce
concile proclama en outre que le Christ fut engendré
et non pas créé ; ceci est dit expressément
dans le " Credo ", c'est-à-dire dans
la profession de la vraie foi d'un chrétien orthodoxe.
Le concile de Nicée s'occupa par ailleurs de
l'organisation matérielle de l'Eglise mais la
condamnation d'Arius (6) marqua une date mémorable
dans l'histoire doctrinale du christianisme. Ce fut
un travail gigantesque et souvent passionné ;
mais tout avait été conduit avec amour,
compréhension et sagesse. Toutefois, les hésitations
et la réticence de certains évêques
créèrent un climat de malaise au sein
même de l'Eglise.
C'est pourquoi, durant la période troublée
qui s'étend de 325 à 381, il fut décidé
de reprendre le travail de Nicée et de développer
en particulier le Credo. Aussi, un nouveau concile cuménique,
le DEUXIEME, fut-il convoqué à Constantinople
en 381. C'est durant ses travaux qu'un accent tout particulier
fut mis sur l'Esprit Saint, également Dieu au
même titre que le Père et le Fils ; l'Esprit
Saint " qui procède du Père, qui
avec le Père et le Fils est adoré et glorifié
". Mais il a aussi été proclamé
qu'en Dieu l'unité absolue (ousia) est inséparable
d'une divinité non moins diverse. Ainsi le Père,
le Fils et l'Esprit Saint sont trois personnes divines
(hypostaseis) " en une seule personne ". Ceci
sera d'ailleurs merveilleusement développé
par les trois géants de la théologie orthodoxe
: les saints Grégoire de Nazianze, Basile le
Grand et Grégoire de Nysse.
Un nouveau concile cuménique, le TROISIEME
de ce nom, fut convoqué, cinquante ans à
peine après celui de Constantinople, à
Ephèse cette fois-là, en 431.
Ce concile affirma l'unité hypostatique du Christ,
c'est à dire qu'en lui (le Christ) il n'y a aucune
distinction entre sa divinité et son humanité,
mais une parfaite union du divin et de l'humain ; le
Christ seul peut exister en deux natures (ousies) différentes
: être Dieu et homme à la fois.
C'est durant ce concile qu'il a été proclamé,
de façon solennelle, que Marie est la Mère
de Dieu : Théotokos. Marie a donné naissance
au Verbe (le Logos) de Dieu fait chair ; l'enfant que
Marie porta était une personne unique (7) à
la fois Dieu et homme (Saint Jean 1,14).
Cependant vingt années étaient à
peine écoulées depuis le concile d'Ephèse
qu'un QUATRIEME concile fut convoqué à
Chalcédoine, une ville toute proche de Constantinople
sur l'autre rive du Bosphore, en 451.
Ce quatrième concile cuménique constitue
avec le précédent le sommet de la christologie
orthodoxe.
C'est durant les travaux de ce concile qu'a été
proclamé que " le Christ est vrai Dieu et
vrai homme ; qu'il se fait connaître sans mélange,
sans changement, individuellement et inséparablement
de telle sorte que les propriétés de chaque
nature (la divine et l'humaine) ne demeurent que plus
fermes lorsqu'elles se trouvent unies dans une seule
personne " (ou hypostase). (Cf. O. Clément
: L'Eglise Orthodoxe).
On voit ici clairement que les Pères conciliaires
de Chalcédoine ont voulu porter un coup décisif
aux partisans de Nestorius (8) (qui durant ce concile,
et même avant celui-ci, insistaient fermement
sur la distinction entre l'humanité et la divinité
du Christ) et aux partisans d'une " seule nature
du Christ " (les monophysites).
Cependant, loin d'apporter une conclusion aux problèmes
alors débattus, le concile de Chalcédoine
s'est trouvé ouvrir une longue crise; elle remplit
la fin du 5ème siècle, le 6ème
tout entier et se prolonge bien au-delà ; c'est
pourquoi un nouveau concile, le CINQUIEME, fut convoqué,
à Constantinople, en 553, pour surmonter les
séquelles du nestorianisme et du monophysisme
et encore pour tenter d'expliquer de façon plus
positive comment les deux natures du Christ ne forment
qu'une même personne. C'est qu'une fraction notable
des Eglises, en Syrie surtout et en Egypte, refusait
toujours de reconnaître les décisions du
concile de Chalcédoine.
Mais la paix de l'Eglise ne dura que cent trente ans
à peine. En 681 les évêques furent
appelés à se réunir de nouveau,
à Constantinople, pour examiner une nouvelle
forme du monophysisme et se prononcer sur elle : l'hérésie
des monothélites (du grec: " monothélinis
", une seule volonté) ; ces derniers prétendaient
en effet que : " puisqu'en Christ il y a deux natures,
en une seule personne, il n'y aurait alors, en lui,
qu'une seule volonté " (la divine) ; les
monothélites attaquaient ainsi la plénitude
de l'humanité du Christ ; ce fut là l'objet
principal du SIXIEME concile cuménique.
Il est de l'avis de l'ensemble des théologiens
que le sixième concile cuménique
n'apporta qu'une paix tout à fait relative à
l'Eglise Chrétienne. Les disputes autour de la
personne du Christ durèrent encore longtemps
sous une forme ou sous une autre. De nouveaux problèmes
ne cessèrent de surgir, tel, par exemple, celui
de la vénération des saintes icônes
du Christ de la Mère de Dieu et des Saints. Mais
avant d'aborder ce problème disons deux mots
sur l'icône et ce qu'elle représente pour
un chrétien orthodoxe.
L'icône est donc, selon la tradition orthodoxe,
" un témoignage sacré de la présence
divine ". L'icône n'est pas un tableau de
peinture, ou une uvre d'artiste appartenant à
une Ecole bien définie dans l'espace et dans
le temps et comme telle ne doit être ni "
datée " ni " signée ".
Elle n'appartient pas à notre monde éphémère
et mortel mais à celui de la Jérusalem
céleste. C'est la raison pour laquelle une icône
orthodoxe est parfois appelée " acheiropdïète
" c'est-à-dire " non faite de la main
d'un homme ".
Mais les iconoclastes, accusant les orthodoxes d'idolâtrie,
cherchaient à interdire, à tout prix,
la vénération des icônes, à
les briser et à les faire disparaître des
églises (iconoclastes : " briseurs des icônes
").
La controverse iconoclaste s'est étendue sur
une période de 20 ans souvent marquée
par de violentes persécutions. Mais l'orthodoxie
triompha, les icônes furent définitivement
réintégrées par la pieuse impératrice
Théodora (9) en 843, (Fête du Dimanche
de l'Orthodoxie). Le SEPTIEME concile cuménique,
convoqué à Nicée en 787, avait
d'ailleurs proclamé haut et ferme que les icônes
devaient rester dans les églises pour y être
vénérées comme les autres symboles
matériels de notre foi.
Voilà donc, en bref, l'histoire des SEPT CONCILES
OECUMENIQUES ; les seuls conciles infaillibles et d'autorité
universelle que reconnaît notre Eglise. Celle-ci
n'a jamais trahi leur précieux enseignement.
Elle ne s'est jamais éloignée d'eux. Rappelons
à cet effet que l'Eglise Orthodoxe n'a connu
ni la Scolastique médiévale de l'Occident
ni la Réforme et la Contre-Réforme. Rappelons
aussi que l'Orthodoxie ne cherche pas à convaincre.
Elle possède la vérité et la grâce
de la séduction.
+Nicolas
SARAFOGLOU, in SYNAXE N°23, janv-fév-mars
1993
Notes
(1) Empereur romain de 284 à 305.
(2) Empereur romain de 306 à 311.
(3) in: l'Orthodoxie, Timothy Ware ; Desclée
de Brouwer. 1948.
(4) in: L'Eglise Orthodoxe. O. Clément ; Que
sais-je ? 1965.
(5) Ville d'Asie Mineure proche de Constantinople.
(6) Arius: Prêtre d'Alexandrie (280-336 ).
(7) en grec: " Monogénis " (Fils unique).
(8) Nestorius : hérésiarque, Patriarche
de Constantinople déposé par le concile
d'Ephèse en 453
(9) Epouse de l'empereur byzantin Théophilos.
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