EN
HOMMAGE A OLIVIER CLEMENT
pour
le premier anniversaire de sa mort
un
petit dossier comprenant :
-
le texte de la conférence de Mgr Stephanos de Tallinn
prononcée à Paris le 16 janvier 2010
-
La définition du saint synode réuni à Constantinople
en 1872 sur le "phylétisme"
-
Une note sur le phylétisme
OLIVIER
CLEMENT ET L'UNIFICATION DE L'ORTHODOXIE EN FRANCE
(Paris, 16 janvier 2010)
C'est,
vous pouvez le comprendre, avec une immense émotion que
je me trouve parmi vous aujourd'hui pour participer à
cet hommage à la mémoire d'Olivier Clément. Et aussi avec
une certaine inquiétude car, je l'avoue, j'ai eu beaucoup
de peine à préparer cette intervention. Aussi je ne suis
pas certain de pouvoir correspondre pleinement à votre
attente et c'est pourquoi je m'en remets par avance à
votre bonne compréhension et à votre indulgence.
Olivier
Clément fut et reste toujours pour moi plus qu'un ami.
Il est celui qui m'a le plus marqué sur le plan théologique.
Il y a eu entre lui et moi, tant sur le plan personnel
que sur celui de la vie de l'Eglise, des échanges d'une
intense et rare intimité qui n'ont cessé de renforcer
la confiance mutuelle et la fidélité dans l'amitié. Olivier
Clément fait partie, pardonnez ma franchise, de ces rares
personnes qui, après mon départ de France, gardèrent vivant
et intègre mon souvenir dans les tablettes de leur mémoire
.
Le
monde orthodoxe qu'a connu en France Olivier Clément fut
celui né des migrations massives des peuples orthodoxes
d'Asie Mineure, des Balkans et de Russie. Un monde implanté
dans une terre devenue, au cours du temps, non plus terre
d'accueil mais véritable patrie. Le monde orthodoxe d'Olivier
Clément fut celui de la 2ème, de la 3ème, voire déjà de
la 4ème génération de ces premiers migrants, auxquels
peu à peu se sont ajoutés des Orthodoxes de souche occidentale,
convertis ou non. C'est dire qu'en un peu moins d'un siècle
de présence orthodoxe en terre française s'est produite
une mutation historique majeure : à partir du concept
initial d'une Orthodoxie reçue en simple héritage „oriental
et culturel“, les Orthodoxes de ce pays ont su peu à peu
proposer, en partant du témoignage de leur foi et des
richesses de leur tradition religieuse, des ouvertures
qui ont mis l'intelligence occidentale au service du mystère
et ont suscité une prise de conscience de l'universalité
et du rôle oecuménique de notre Eglise. En prônant l'idée
du „mariage des cultures“, Olivier Clément a pour sa part
insisté sur la nécessité de faire des Orthodoxes vivant
en France des témoins informés de leur foi, imprégnés
de leur tradition, ouverts sans ambiguité ni compromis
à la fraternité avec tous les hommes en général et les
autres baptisés en particulier.
Il
n'est pas dans mon intention de m'attarder ici sur tout
ce qui peut être dit sur la présence de l'Orthodoxie en
Occident ni sur la manière magistrale par laquelle cette
Présence orthodoxe, j'ose le dire, s'est organisée et
a rendu accessibles à l'Occident ses nombreuses richesses
tout en découvrant pour sa part les trésors de sainteté
et de sagesse propres à ce dernier.
La
rencontre de l'Europe occidentale avec l'Orthodoxie, dans
le profond respect des cultures orthodoxes diverses, n'est
certainement pas le fait d'un simple hasard historique.
Elle est un enrichissement pour tous et nul ne conteste
que notre témoignage doit rester pluriel tout en s'insérant
de plus en plus largement dans la vie culturelle et religieuse
des pays d'accueil. C'est ainsi que le Métropolite Emmanuel
de France, en s'adressant au Patriarche Oecuménique en
sa cathédrale de Saint-Etienne le 1er février 2007, pouvait
affirmer sans aucune hésitation que « l'Eglise orthodoxe
en France est, à l'image de l'Eglise orthodoxe dans le
monde, une orthodoxie plurielle dans l'expression et une
dans la foi et dans le vécu ecclésiologique et liturgique.
L'Orthodoxie en France n'est plus aujourd'hui un ensemble
sans unité, de communautés exotiques ou ayant subi la
dispersion ».
Toutefois,
au moment où cette Orthodoxie en Occident, devant le foisonnement
des juridictions sur un même territoire et l'arrivée massive
de nouveaux migrants après la chute du mur de Berlin,
peine à se structurer autour d'une vision une et unique
de ses diverses communautés ethniques, ma préoccupation
principale est de savoir comment nous allons pouvoir résoudre
l'équation „ethnicité-catholicité“. Pour celui en effet
qui, de l'extérieur, nous regarde vivre, ce qui semble
primer dans la plupart des cas, c'est non pas prioritairement
l'organisation de l'Eglise Orthodoxe selon l'eucharistie
et la synodalité – un seul évêque, une seule eucharistie,
un seul Corps – mais selon l'ethnie et aussi des préférences
politico-religieuses, idéologiques.
Venons-en
maintenant à la France, puisque tel est l'objet de cette
intervention.
Comment
ne pas reconnaître, comment ne pas affirmer avec la plus
grande certitude que la présence de l'Eglise orthodoxe
dans ce pays a été marquée par une authentique expérience
spirituelle ?
Il
y eut d'abord les grandes migrations du début du siècle
passé. Environ 400.000 Russes se sont établis en France
dans les années 20. A Paris, en Lorraine, au pays de Montbéliard,
dans les Alpes du Nord, la région du Creusot, celle de
Caen.
Il
y eut ensuite, dans les années 22-23, l'émigration massive
des Grecs d'Asie Mineure qui vint s'associer à celle du
XIXe siècle et en 1930 celle du Dodécanèse . Dans la région
parisienne, à Lyon, à Grenoble, à Saint-Etienne et surtout
à Marseille et ses environs. Enfin, la migration des années
60 dans la région lilloise.
Puis
après la chute du « mur » des récentes émigrations verront
le jour, balkaniques et russes pour des raisons économiques,
parfois même intellectuelles ou politiques, précédées
par celle des Antiochiens (Libanais et Syrien), fuyant
la guerre et l'effondrement économique.
A
partir des années 70-80 aparaissent dans la plupart des
juridictions des paroisses francophones auxquelles il
faut ajouter des petites communautés monastiques, elles
aussi francophones. Devant cette situation, l'Eglise orthodoxe,
par une lente et prudente prise de conscience d'une unité
profonde de l'orthodoxie locale, a peu à peu surmonté
la tentation d'organiser une « orthodoxie française »
de type nationaliste. Je n'en dirai pas plus.
Permettez-moi
toutefois de revenir sur l'importance du témoignage orthodoxe
en France; un témoignage qui dépasse de beaucoup l'importance
numérique de ses communautés. Pour ce faire, je me contenterai
de rappeler à nos mémoires quelques grandes réalisations
qui ont depuis fait leur preuve.
-
Syndesmos, Fédération mondiale de la Jeunesse orthodoxe,
a été fondée en 1953 à Sèvres et regroupe aujourd'hui
plus de 120 mouvements de jeunes et facultés de théologie
orthodoxe à travers le monde. Et que dire de l'ACER, Action
chrétienne des Etudiants russes, et de sa large et généreuse
contribution pour soutenir la Russie là où pendant plus
d'un demi-siècle elle fut le plus éprouvée, tant spirituellement
que matériellement ?
-
En tant qu'espace de rencontre et instrument de service
et de coordination, la Fraternité orthodoxe en Europe
occidentale, a préparé en partie - grâce à son action
missionnaire, catéchétique et pastorale (surtout auprès
des disséminés)
et plus encore grâce à ses Congrès - le terrain qui a
servi de ferment et d'appui à la naissance du Comité interépiscopal
orthodoxe en France. (*)
- L'importance et l'apport fécond des élites successives
de théologiens et de philosophes religieux ont marqué
par bien des aspects la pensée théologique ou philosophique
d'Occident, sans omettre parrallèlement d'offrir aux Orthodoxes
la possibilité de s'enrichir des vertus intellectuelles
de ce dernier. C'est là l'oeuvre essentielle de « l'école
dite de Paris » ainsi que de l'Institut de Théologie Saint
Serge, qui ont pour grand mérite d'avoir uni le sens de
la Tradition et celui de la recherche.
-
Les émissions régulières à la radio nationale ou locales
ainsi qu'à la télévision ont largement contribué à démontrer
que les Orthodoxes de France avaient la capacité de porter
leur témoignage au coeur même de la modernité.
-
Les publications en langue française - grandes maisons
d'édition, bulletins des évêchés , des paroisses et des
monastères, sans oublier bien sûr les immenses services
rendus par le SOP ainsi que par les revues « Contacts
» et « Le Messager Orthodoxe » - ont présenté et présentent
à leurs lecteurs une Orthodoxie ferme, modeste, appelée
à développer dans l'Eglise et dans la société d'authentiques
structures de communion non seulement parmi les fidèles
orthodoxes mais avec les autres confessions.
-
La naissance en terre de France de communautés monastiques
; des lieux qui ne sont pas négligeables pour le devenir
de l'Eglise orthodoxe en France ; des lieux qui offrent
sereinement, paisiblement une nouvelle forme de transmission
de la Tradition et une nouvelle forme d'exercice de la
vie spirituelle ; des lieux où l'essentiel est de chercher
d'abord Dieu, de toutes ses forces et de toutes ses énergies.
Il est incontestable que l'avenir de ces communautés monastiques
va de pair avec l'accroissement de l'Eglise locale en
France, puisqu'elles sont des terrains neutres dont ,
comme le souligne si bien le Père Syméon Cossec, l'appartenance
juridictionnelle, quoique toujours importante, n'est pas
la première étant donné que « ce qui est important, c'est
la « quête de Dieu ».
-
L'Assemblée des évêques orthodoxes de France, qui vient
de décrocher ses lettres de noblesse lors de la rencontre
pan-orthodoxe présynodale de juin 2009
à Chambésy et qui, riche de son expérience, pourrait un
jour promouvoir des propositions susceptibles d'inscrire
plus clairement dans les faits notre ecclésiologie eucharistique
et conciliaire ainsi que le sens de l'unité et de la catholicité,
» - au sens de kat'holon, autrement dit selon la plénitude
de la vérité - afin que soit réalisée une orthodoxie une,
laquelle, d'après Michel Stavrou, va prendre progressivement
ses caractères particuliers avec sa diversité et ses richesses
».
«
L'Eglise orthodoxe en France, répondit au métropolite
Emmanuel le Patriarche Oecuménique Bartholomée au cours
de ce même mois de février 2007 à Paris, représente, au
sein de l'Orthodoxie universelle, une tradition d'une
grande richesse, qui a beaucoup apporté à l'Eglise universelle
et qui continue de le faire ». Pour lui, cette Orthodoxie
en France a été un modèle pilote, un exemple à suivre
grâce à l'oeuvre accomplie en son temps par son Comité
interépiscopal.
Cette
réponse reprenait en quelque sorte l'essentiel de la déclaration
signée en juillet 2004 par vingt prêtres, supérieurs de
monastères et laïcs français orthodoxes. La déclaration
disait entr'autres : « en Europe occidentale, nous nous
sommes retrouvés ensemble entre orthodoxes de différentes
origines et nous avons compris qu'il nous revenait de
témoigner de l'orthodoxie en dialogue fraternel avec les
autres chrétiens et devant un monde souvent non chrétien.
C'est pourquoi, depuis plusieurs décennies, nous cherchons
à oeuvrer, dans la confiance et la transparence, pour
un rassemblement de tous les orthodoxes dans l'unité eucharistique
et dans une structure canonique qui soit conforme à l'ecclésiologie
orthodoxe. Il s'agit donc d'une ecclésiologie territoriale
d'où est absente toute forme de « nationalisme » (ce qui
ne signifie aucunement, bien sûr, une rupture avec les
cultures et les langues des uns et des autres). Cette
ecclésiologie implique la catholicité/conciliarité, dont
l'exercice est indissociable de la primauté actuellement
exercée par le patriarcat de Constantinople, la Nouvelle
Rome ».
Nationalisme
d'une part, catholicité/synodalité d'autre part. Phylétisme
d'un côté, autocéphalisme poussé à l'extrême de l'autre.
Deux conceptions condamnées par le concile de Constrantinople
de 1872 et malheureusement toujours dominantes dans l'Orthodoxie.
De
tous les théologiens orthodoxes du 20e siècle, Olivier
Clément est sans aucun
doute celui qui a écrit le plus à ce sujet, celui qui
a analysé avec une grande clairvoyance et décrié avec
la plus grande rigueur le risque que l'Orthodoxie ne soit
finalement perçue comme une idéologie, comme une simple
dimension de la culture nationale, parfois même presque
comme une dimension de l'Etat. Pour lui, l'Eglise est
sans conteste à même de bénir une culture et une langue
« encore faut-il qu'elle soit à la fois dans la nation
et hors de la nation, dans la pleine conscience de sa
catholicité ».
Olivier
Clément, ne l'oublions pas, porte en lui toutes les valeurs
et toutes les sensibilités des gens qui vivent autour
de la Méditerranée. Et ces valeurs sont la foi en un Dieu
trinitaire, le caractère sacré de la personne humaine,
l'amour capable de dépasser toutes les frontières et toutes
les discriminations par la compassion, le pardon, la justice
et la paix. Il est bien connu que l'homme méditerranéen
s'adonne plus volontiers au langage de l'amitié qu'à celui
de la domination, préférant la chose dense et bonne à
l'objet industriel. Pour l'homme méditerranéen, « l'être
est relationnel », se plaisent à préciser Christos Yannaras
et le Métropolite Jean de Pergame ; il est intérieur à
la communion des hommes entr'eux et avec le Dieu vivant.
Olivier Clément était bien tout cela. Et de même que le
méditerranéen vit avec intensité, de même Olivier Clément
a vécu avec intensité comme si pour lui « le sol de l'Orthodoxie
se tendait, pour reprendre une expression du poète grec
Sikélianos, comme la peau du boeuf sur le tambour ! »
Et
puis il y a eu chez lui une autre expérience qui l'a particulièrement
marqué, sa rencontre avec le Patriarche Athénagoras en
1968. Elle lui a fait découvrir « le mystère de Constantinople
». Cette diaconie particulière de Constantinople, qu'il
qualifie de « sollicitude pour les communautés de la diaspora
», et dont il sait pertinemment « que ces derniers mots
irriteront certains », Olivier Clément ne cessera de la
promouvoir avec une fermeté emprunte de douceur, de simplicité
et d'humilité, spécialement durant les grandes tensions
interorthodoxes qui ont marqué la fin du 20e et le début
du 21e siècles.
Voici
par exemple ce qu'il écrivait dans le SOP d'avril 1998
: « Depuis plusieurs décennies, le patriarcat de Constantinople
a fait de grands efforts pour rassembler l'orthodoxie.
Athénagoras 1er a réuni des conférences panorthodoxes
et cette action a été poursuivie par son successeur Dimitrios
1er et actuellement par Bartholomée 1er qui a réuni des
synaxes des primats de
l'Eglise orthodoxe. A chaque occasion, s'est produit ce
qu'on a appelé le miracle de l'unité, car les Eglises
orthodoxes, même si elles sont concrètement
séparées les unes des autres, gardent l'unité de la foi
et l'unité du sacrement... Enfin, la primauté universelle
est pour nous orthodoxes celle du patriarche oecuménique
qui veille à l'unité et à l'universalité de l'Eglise.
»
Certes,
l'Orthodoxie en France n'est pas qu'une simple juxtaposition
de communautés ethniques de tradition orthodoxe. Malheureusement,
l'autocéphalie telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui
dans nos Eglises respectives a créé de tels dysfonctionnements
que cela fait douloureusement ressortir notre incapacité
présente de vivre une vraie conciliarité tout comme d'admettre
la nécessité d'un « centre » d'unité, de coordination
et d'initiative tel qu'il a été compris et pratiqué au
cours du premier millénaire de la chrétienté et par la
suite, jusqu'en l'an 1990 au sein de l'Orthodoxie après
le grand schisme du XIe siècle. Tant il est vrai que ce
qui n'est pas transfiguré se défigure nécessairement à
un moment ou l'autre de l'Histoire.
Un
exemple parmi tant d'autres possibles pour illustrer ce
propos. En 1967, après une longue visite du Père Dumont
du Centre Istina dans le bureau de Mgr Meletios, il fut
décidé de mettre en route le Comité interépiscopal orthodoxe
parce que la Hiérarchie catholique demandait aux Orthodoxes
de France de parler d'une seule voix.
C'est
ainsi que peu à peu s'est affirmée une prise de conscience
d'une unité profonde de l'Orthodoxie locale, laquelle
a débouché aujourd'hui sur la constitution de l'Assemblée
des évêques orthodoxes de France. Au temps du Père Dumont
l'Episcopat catholique français attendait des Orthodoxes
de France qu'ils s'expriment et agissent comme un seul
corps, comme une seule et unique Eglise. Aujourd'hui,
cette même Hiérarchie de l'Eglise Catholique de France,
encore une fois par le truchement du Centre Istina, semble
adopter une autre stratégie de relations, basée sur des
degrés différents selon les personnes et les circonstances,
comme si l'Eglise orthodoxe locale, plutôt que d'être
reconnue comme une seule et unique Eglise, était reçue
et perçue comme une somme d'Eglises.
Pour
ce qui est du thème de ce jour, c'est au Congrès d'Amiens
de novembre 1977 qu'Olivier Clément donna, ce me semble,
le meilleur de lui-même en présentant sa conférence «
Avenir et signification de la diaspora en Europe occidentale
(cfr la Revue « Contacts » n° 103 du 3e trimestre 1978).
Cette conférence reste d'une brûlante actualité et ses
propositions d'un futur saint-synode d'une future Eglise
locale canoniquement unifiée vont au-delà de ce que préconise
présentement la 4e conférence panorthodoxe préconciliaire
de Chambésy. Je prends la liberté de vous lire ce qu'il
dit du phylétisme et de l'autocéphalisme.
«On
peut d'abord se demander, dit-il entr'autres choses, si
le lien qui s'est établi, dans l'Eglise orthodoxe, entre
la nationalité et la juridiction ecclésiastique, n'a pas,
dans la Diaspora, achevé de changer de sens : originellement
de transfiguration (de l'ethnie par l'Eglise), il devient
souvent une forme spécifiquement orthodoxe de sécularisation
(de l'Eglise par l'ethnie). Perspective où l'Orthodoxie
semble seulement un aspect de la culture nationale. Les
descendants d'émigrés, au fur et à mesure qu'ils s'assimilent,
abandonnent tout naturellement une Orthodoxie dont ils
ont l'impression qu'elle ne les concerne plus. L'hémorragie
est gigantesque. Elle n'a jamais été mesurée... Le plus
grave, enfin, c'est que l'ecclésiologie orthodoxe devient
mythique. L'injonction du premier Concile oecuménique
- « qu'il n'y ait pas deux évêques dans la même ville
» - la condamnation du nationalisme religieux par le Concile
de 1872, restent lettre morte. Or, ces principes ne sont
pas d'ordre administratif, mais d'ordre mystique, au sens
de l'Eglise comme « mystère du Ressuscité »...
Dans
son allocution d'ouverture de la 4e conférence panorthodoxe
préconciliaire de juin 2009, le Métropolite Jean de Pergame
a eu entièrement raison de souligner que « la question
de ce qu'il est d'usage d'appeler la diaspora orthodoxe
constitue l'un des problèmes les plus graves auxquels
l'Eglise orthodoxe est confrontée ». Il a eu entièrement
raison de rappeler que l'organisation traditionnelle de
l'Eglise était fondée sur le principe de territorialité
et non pas sur celui de nationalité. Il a eu raison d'insister
sur le fait que l'autocéphalie ne doit pas dégénérer en
autocéphalisme. En un mot, il a bien compris que la multiplicité
et le chevauchement de différents diocèses orthodoxes
ethniques finissent par exaspérer, pour ne pas dire scandaliser,
« ceux qui partagent notre foi ; finissent par susciter
parfois de la moquerie chez ceux du dehors qui se demandent
si vraiment l'Eglise orthodoxe est une »... Et de conclure
son analyse par ces mots : « nous devons prouver par nos
actes que nous sommes une Eglise indivise, capable de
se réunir en concile ».
La
4e conférence panorthodoxe préconciliaire qui s'est tenue
au mois de juin 2009 au Centre Orthodoxe du Patriarcat
Oecuménique, à Chambésy-Genève, a été sans conteste intéressante
et riche en nombreuses promesses. Elle aborde de façon
beaucoup plus réaliste et plus responsable que par le
passé la problématique de l'avenir de la diaspora dans
l'ensemble du monde orthodoxe.
A-t-elle
pour autant suffisamment approfondi dans sa réflexion
l'équation « ethnicité-catholicité »? J'avoue que les
paragraphes 2/c et 5 des résolutions adoptées me laissent
assez perplexe : le premier souligne la mise en place
des assemblées épiscopales pour manifester et renforcer
l'unité de l'Eglise orthodoxe, le deuxième insiste sur
le fait que chaque juridiction pourra indépendamment des
autres développer ses propres relations et entretenir
des rapports directs avec les organisations de son choix,
qu'elles soient gouvernementales, civiles, religieuses
ou autres... N'est-ce pas contradictoire? Au moment où
la diaspora orthodoxe, sous l'initiative et l'impulsion
du Patriarcat Oecuménique, parvient enfin à mettre en
place une structure nouvelle au sein de laquelle l'ecclésiologie
eucharistique et conciliaire, le sens de l'unité et de
l'universalité orthodoxe s'inscriront plus clairement,
il serait particulièrement dommage et plus que dommageable
de permettre que s'y introduisent des termes et des réalités
opposées et incompatibles, susceptibles d'alimenter et
de maintenir en éveil le bacille du nationalisme et de
l'autocéphalisme, cette bête qui ne s'endort jamais et
qui est apte à subir des mutations selon l'environnement
qu'on lui propose.
A
la suite de Mgr Georges Khodr du Mont Liban, je dirai
volontiers ceci pour l'Eglise orthodoxe en France : de
la même manière qu'une ethnie ne se constitue pas dans
la vérité de Dieu si elle se connait simplement comme
un enracinement, une langue et une histoire seulement,
de la même manière une Eglise se constitue dans la vérité
de Dieu comme un devenir vers le Royaume de la beauté
où s'accomplit la rencontre du Christ. L'ethnicité est
certes une réalité mais pas un attribut de l'Eglise. Vue
sous cet angle, elle ne se comprend que comme l'une de
ces nombreuses données dans lesquelles est localisée l'Eglise.
Une donnée par laquelle toutes les ethnies orthodoxes
confondues trouvent leur dénominateur commun de catholicité.
Il n'est donc pas de juridiction messianique: les caractères
psychologiques ou culturels des tendances éventuelles
de telle ou telle entité ecclésiastique ou de ses dons
théologiques, s'ils sont décelables et universellement
reconnus, ne la rendent héritière
d'aucun privilège. La seule promesse qui tienne, c'est
celle faite aux pauvres, aux doux, aux affamés de justice,
aux miséricordieux de toutes les nations ; la promesse
des Béatitudes de l'Evangile.
Je
ne puis terminer sans évoquer encore une fois la grande
figure d'Olivier Clément. J'ai parfois l'impression, chaque
fois que je le relis, que nous n'avons pas assez pris
la peine d'intégrer dans le plus profond de notre être
le message parfois douloureux, toujours « résurrectionnellement
lumineux » qui fut le sien. Pour ma part, j'ai particulièrement
été marqué par sa très vive pensée sur « le visage et
sur la beauté ». L'héritage spirituel qu'il m'a légué,
c'est la totale conviction que, par-delà ses tentations
et ses faiblesses, l'Eglise orthodoxe universelle « sera
un jour toute en Dieu ce qui n'a pas été encore manifesté
(1Jean 3,2) ». Parce que tout a un sens ; parce que «
l'histoire dans l'Orthodoxie trouve son sens. Et que ce
sens s'appelle Résurrection »!
Et
puisque, selon Ignace d'Antioche, « il y a en chaque homme
une eau vive qui murmure : viens vers le Père », que notre
certitude et notre espérance reposent sur la prière et
la patience de nos saints et de nos martyrs, lesquelles
sont abstention de tout jugement et confiance inébranlable
dans le dessein de Dieu. « La sainteté comme liturgie
et icône de tout approfondissement dans chaque destinée,
se plaisait à écrire Olivier Clément ; le martyre comme
ouverture de l'Histoire à la résurrection et comme anticipation
eschatologique ».
+STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l'Estonie.
(*) : Il est intéressant de noter qu'Olivier Clément a
participé à la fondation, en 1964, du Comité de coordination
de la Jeunesse orthodoxe en France. Celui-ci comprenait
à l'époque Jean Tchékan (secrétaire), Nicolas Behr (trésorier),
P.Cyrille Argenti, Cyrille Eltchaninoff, Nicolas Lossky,
Gabriel Matzneff, le diacre Stephanos, P.Pierre Struve,
Alexandre Victoroff et Michel Zimine. Ce comité de coordination
avec ses nombreux services fut plus tard intégré en 1974
(à Lyon) à la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale,
ce qui depuis la rajeunit et l'étoffe en la dotant de
services encore en place aujourd'hui.
Bibliographie
( par ordre chronologique)
-Evêque
STEPHANE : Catholicité et ethnicité - SOP n°161 / Septembre-Octobre
1991.
-Olivier
Clément: - Renouer avec l'Esprit de nouveauté dans l'Eglise
- SOP n° 227 / avril 1998.
-L'orthodoxie
en France – SOP n° 260 / juillet-août 2001
-Dépasser
les cloisonnements ethniques pour mieux représenter l'unité
et l'universalité de l'orthodoxie – SOP n° 279 / juin
2003.
-L'Eglise
orthodoxe en France et son organisation canonique, déclaration
de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France – SOP
n° 237 / avril 1999.
-Père
Jean GUEIT : L'Eglise locale et l'ecclésiologie de communion
– SOP n° 271 / Septembre-Octobre 2002.
-
« L'unité orthodoxe en France et en Occident : notre responsabilité
commune », une déclaration de vingt prêtres, supérieurs
de monastères et laïcs de France – SOP n° 291 / Septembre-Octobre
2004.
-Evêque
ATHENAGORAS (Peckstadt) : Le mal suprême que l'Eglise
puisse s'infliger à elle-même est celui de la division
et du schisme – SOP n° 296 / mars 2005.
-Michel
STAVROU : « L'orthodoxie en France ne constitue pas simplement
une juxtaposition de communautés ethniques de tradition
orthodoxe » - SOP n° 308 / mai 2006.
--S.S.Bartholomée
1er : « L'orthodoxie en France, un modèle pilote » - SOP
n° 316 / mars 2007.
-Père
Boris Bobrinskoy : Etre orthodoxe dans le monde occidental
– SOP n° 316 / mars 2007.
-Métropolite
JEAN (Zizioulas) : « Nous devons prouver par nos actes
que nous sommes une Eglise indivise » - SOP n° 340 / juillet-août
2009.
Définition
du grand et saint synode réuni à Constantinople
au mois de septembre de l’année mil-huit-cent soixante-douze
(1872), la Ière de l’indiction
« Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau
sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour
paître l’Église de Dieu qu’il a ac-quise de son propre
sang ». Voilà ce que nous ordonne l’instrument choisi,
nous annonçant que, « il s’élèvera au milieu de l’Église
des loups ravisseurs qui n’épargneront pas le troupeau,
et des gens qui annonceront des choses pernicieuses, afin
d’attirer les disciples après eux »; c’est pourquoi il
nous exhorte à veiller.
Ayant appris avec douleur et surprise que de telles gens
se sont élevés dernièrement dans la circonscription du
trône œcuménique, du milieu du peuple pieux des Bulgares
; des gens qui ont osé introduire dans l’Église une nouvelle
croyance, celle du phylétisme, issue de la vie séculière
; qui ont eu de l’audace de mépriser les canons divins
et saints et de former un concilia¬bule phylétique nouveau,
afin de détruire ces canons, nous nous sommes ins¬pirés
du zèle du Seigneur, comme nous le devions, et nous nous
sommes réunis au nom du grand Dieu, notre sauveur Jésus-Christ,
afin de prévenir et d’arrêter la propagation du mal au
milieu de ce peuple pieux.
Ayant ainsi invoqué, l’âme toute contrite, la grâce divine
du père de toutes les lumières et, ayant exposé au milieu
de nous l’évangile du Christ, « où se trouvent tous les
trésors secrets de la sagesse et de la connaissance »,
nous avons examiné et comparé le phylétisme avec la doctrine
évangélique et la constitution de l’Église de Dieu, établies
depuis des siècles, et nous avons constaté que, non seulement
c’est un principe étranger, mais qu’il leur est complètement
hostile. Nous avons aussi constaté, après en avoir fait
le dé-nombrement exact, que tous les actes illégaux, commis
pour établir le conci-liabule phylétique, sont ouvertement
réprouvés par la constitution des saints canons.
C’est pourquoi, d’accord avec nos saints pèresinspirés
de Dieu, « ac-ceptant de tout notre cœur les saints canons
et conservant inébranlable tout ce que ces canons ordonnent,
c’est-à-dire ceux des bienheureux apôtres, pro-cla¬més
par les trompettes de l’Esprit Saint ; ceux des sept saints
conciles œcu¬méniques, ceux des conciles locaux réunis
pour rendre de semblables dé-crets et ceux de nos saints
pères, car ils ont tous, inspirés par la lumière du même
esprit, ordonné ce qui était utile », nous déclarons au
nom du Saint Esprit :
I. Nous réprouvons, nous blâmons et nous condamnons le
phylétisme, c’est-à-dire les distinctions de races, les
querelles, l’émulation et les divisions nationales dans
l’Église de Jésus-Christ, comme opposé à la doctrine de
l’évangile et aux saints canons de nos bienheureux pères
« qui soutiennent la sainte Église, et maintiennent en
bon ordre la communauté chrétienne qu’ils dirigent dans
la voie de la divine piété ».
II. Nous déclarons, d’accord avec les saints canons, étrangers
à l’Église une, sainte, catholique et apostolique, et
réellement schismatiques , tous ceux qui admettent ce
phylétisme et qui osent fonder sur ce principe des concilia¬bules
phylétiques nouveaux.
Par conséquent nous déclarons schismatiques et étrangers
à l’Église orthodoxe du Christ tous ceux qui se sont séparés
eux-mêmes de l’Église or-thodoxe, qui ont dressé un autel
particulier et qui ont formé un conciliabule phylétique
; c’est-à-dire les évêques précédemment dégradés et excommu-niés,
Hilarion ci-devant de Macariopolis, Panarétos ci-devant
de Philippopoli, Hilarion ci-devant de Loftza, Anthimos
ci-devant de Vidin, et les évêques qui viennent d’être
dégradés : Dorothéos ci-devant de Sophia, Parthénios ci-de¬vant
de Nyssava, Gennadios ci-devant de Vélissos ; les prêtres
et les diacres qu’ils ont illégalement ordonnés, tous
ceux qui sont en communion avec eux, qui partagent leurs
doctrines et qui leur prêtent leur concours ; ainsi que
tous ceux qui acceptent comme réelles et canoniques leurs
bénédictions et leur cérémonies, qu’ils soient ecclésiastiques
ou laïcs.
Ayant ainsi défini, nous prions Dieu très bon et très
miséricordieux, notre seigneur Jésus-Christ, le chef et
le consommateur de notre foi, de con-server sa sainte
Église pure et intacte de toute contagion des innovations,
ap-puyée sur le fondement des apôtres et des prophètes,
et d’accorder le repentir à ceux qui se sont séparés d’elle
et qui ont appuyé leur conciliabule sur l’idée du phylétisme,
pour qu’ils puissent enfin, venant à résipiscence et abjurant
leurs erreurs, retourner à l’Église une, sainte, catholique
et apostolique pour y adorer avec tous les orthodoxes
le grand messager de la paix, Dieu, qui est venu réunir
tous les hommes et annoncer la paix à ceux qui sont près
et loin ; car c’est à lui que sont dûs toute gloire, tout
honneur et toute adora¬tion, avec le Père et le Saint
Esprit, dans les siècles. Amen.
La copie, ayant été trouvée fidèle et exacte, a été signée
seulement par les patriarches, les métropolites et les
évêques dans l’ordre suivant :
+Anthimos, patriarche de Constantinople, votant en même
temps pour sa sainteté +Anthimos de Byzance, ancien patriarche
de Constantinople, a défini et signé.
+Grégorios, ancien patriarche de Constantinople, a également
défini et signé.
+Joachim, ancien patriarche de Constantinople, a également
défini et signé.
+Sophronios, patriarche et pape d’Alexandrie, a également
défini et signé.
+Hiérothéos, patriarche d’Antioche, a également défini
et signé.
+Sophronios, archevêque de Chypre, a également défini
et signé.
+Agathangélos d’Éphèse a également défini et signé.
+Panarétos d’Héraclée a également défini et signé.
+Dionysios de Nicomédie a également défini et signé.
+Ioannicios
de Nicée a également défini et signé.
+Gérasimos de Chalcédoine a également défini et signé.
+Néophytos de Derci a également défini et signé.
+Grégorios de Tournovo a également défini et signé.
+Dionysios de Didymotichon a également défini et signé.
+Sophronios d’Iconion a également défini et signé.
+Chrysanthos d’Ancyre a également défini et signé.
+Mélétios d’Énos a également défini et signé.
+Gabriel de Samos a également défini et signé.
+Théophilos de Sozuagathopolis a également défini et signé.
+Païsios d’Imbros a également défini et signé.
+Anthimos de Vélégrada a également défini et signé.
+Callinicos de Nyssa a également défini et signé.
+Dionysios de Svornic a également défini et signé.
+Ignatios de Lititza a également défini et signé.
+Païsios de Vratza a également défini et signé.
+Eugénios de Mélitopolis a également défini et signé.
+Cyrillos d’Anastasiopolis a également défini et signé.
+Dionysios de Pamphilos a également défini et signé.
+Gennadios de Chariapolis a également défini et signé.
+Athanasios d’Argyropolis a également défini et signé.
+Parthénios de Laodicée a également défini et signé.
NOTE
SUR LE PHYLETISME
A
la fin du 20e siècle, après la chute du communisme, et
suite à l’effondrement institutionnel, politique et économique
ainsi qu’au vide spirituel qui en a résulté, le nationalisme
extrémiste a trouvé un terrain fertile . Les sentiments
nationaux et religieux ont été utilisés et le sont encore
maintenant aussi pour atteindre des buts politiques, ce
qui suscite une immense spirale de trouble et de souffrance,
comme c’est le cas présentement parmi les Orthodoxes d’Europe
Occidentale ( France, Bénélux, Angleterre ) mais aussi
en Estonie et qui sait ce qu’il adviendra de l’Ukraine.
Nous
devons être conscients qu’il s’agit là d’un problème plus
complexe qu’il n’y paraît . Il ne faut pas se contenter
de l’aborder d’une façon simpliste ou superficielle car
lorsque nous parlons de l’Eglise nous devons nous souvenir
qu’elle se compose non seulement du clergé et des fidèles
qui ont des niveaux de foi et d’expérience différents,
mais aussi de nombreuses personnes qui ne sont orthodoxes
que de nom.
La
relation entre l’Eglise et la nation est complexe et les
deux sont inséparables parce que les membres de l’Eglise
font aussi partie de la nation . Et il est évident que
dans les pays ou les membres de la nation sont majoritairement
ceux d’une seule Eglise, un grand nombre de questions
sur la relation entre l’identité nationale et l’Eglise
demeurent par trop souvent sans réponse.
L’Eglise
orthodoxe a donc le devoir de parler ouvertement et clairement
. Elle doit rappeler à Elle-même comme à ses fidèles que
l’incarnation du Seigneur et son œuvre sotériologique
démontrent que Dieu n’est pas le Dieu des seuls Juifs
mais aussi le Dieu des païens . Ainsi, fondée sur cette
base, l’Eglise ne divise les gens ni sur des critères
de nation ni sur des critères de classe : il n’y a en
elle ni Grec, ni Juif, ni circoncis ou incirconcis, ni
barbare ni scythe, ni esclave ni homme libre ; mais le
Christ est tout, et en tous ( Col.3,11 ).
Les
théories et les pratiques récentes qui sont monnaie courante
dans la Diaspora orthodoxe contemporaine et qui sont essentiellement
animées par un ethnophylétisme qui n’a aucun rapport avec
les Ecritures Saintes, visent à mettre en place des juridictions
s’étendant sur le monde entier, ce qui est en contradiction
flagrante avec la tradition canonique et toute l’ecclésiologie
de l’Eglise Orthodoxe . Elles ont fini par conduire au
désordre ecclésiologique profond qui sévit présentement
au sein de toute l’Orthodoxie . Nulle part dans nos saints
canons et dans notre théologie patristique la juridiction
canonique d’une Eglise, c’est-à-dire son territoire, n’est
définie sur la base de critères à caractère ethnophylétiques,
politiques, culturels, linguistiques ou autres de ce genre,
lesquels par-dessus le marché trahissent manifestement
des nostalgies expansionnistes séculières ou des objectifs
impérialistes d’époques et de circonstances révolues.
L’Orthodoxie
n’est ni byzantine, ni russe, ni slave, ni orientale,
ni occidentale . Elle ne relève d’aucun système politique,
économique ou social . Elle est tout simplement l’expression
vivante de l’Esprit et de la Vie . Elle est la vérité
du Corps du Christ Elle est le Christ à travers les siècles
et puisque Christ est la vie, alors l’Orthodoxie c’est
aussi la Vie . Une vie de liberté donc, totalement libératrice,
écrit le Pr Mantzarides.
Est
par conséquent chrétien orthodoxe celui qui entretient
des liens étroits avec l’Eglise Orthodoxe, partage sa
vie culturelle, est sanctifié par ses sacrements et son
Eucharistie.
Pourtant,
l’importance exagérée accordée encore à l’idée de nation,
que l’on place parfois plus haut que l’Eglise, est non
seulement un phénomène nouveau, écrit l’évêque albanais
Jean de Korçë, mais une violation flagrante de l’ethos
de l’orthodoxie et une négation de celle-ci . Elle a beaucoup
nui à la vie de l’Eglise et à l’unité interne des Eglises
orthodoxes parce qu’elle a souvent poussé ces Eglises
à se centrer sur leurs intérêts nationaux plus que sur
l’Eglise orthodoxe dans son ensemble.
Comme
en écho à ces dernières remarques, un grand penseur grec,
Georges Thetokas, insiste sur le fait que les nouvelles
conditions historiques imposent à l’Eglise Orthodoxe de
revenir à ses sources initiales de spiritualité les plus
profondes, de redevenir un authentique foyer pour l’humanité
d’une vie spirituelle vraie et authentique, de partir
à la recherche de nouvelles idées, de résoudre les problèmes
de conscience que se pose le monde et de permettre aux
hommes d’aujourd’hui de donner un sens à leur existence.
La
condamnation par notre Eglise du péché du phylétisme en
1872 dit ceci : nous rejetons, censurons et condamnons
l’ethnopylétisme, c’est-à-dire la discrimination sur des
critères ethniques, les querelles, haines et dissensions
ethniques au sein de l’Eglise du Christ, comme contraires
à l’enseignement de l’Evangile et des saints canons de
nos Pères bénis…
Au
moment où semble naître un nouveau phylétisme chauvin
qui a pour terrain d’action surtout les pays orthodoxes
dits de la Diaspora, notre Eglise se doit donc de renouveler
sans équivoque cette condamnation face aux nationalismes
d’aujourd’hui , qui se développent dans son sein, parfois
même de manière agressive.
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