En
Occident, il y a une longue tradition de refus de l'expression
: " Je crois en l'Eglise ", depuis Paschase
Radbert (790 ?- 865 ? abbé de Corbie, né
en Soissonnais) jusqu'au cardinal de Lubac (H. de Lubac
Méditation sur l'Eglise Coll Théologie
n°27 Ed Aubier-Montaigne 1953, note 38, pp22-23),
en passant par Pierre Chrysologue (évêque
de Ravenne de 433 à 450) et Karl Barth (Esquisse
d'une dogmatique, Bibliothèque théologique
Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1960,
2è édition, p139). On se dit qu'on ne
peut croire qu'en Dieu seul. " Ne disons donc pas
: " Je crois en la sainte Eglise catholique ",
mais, supprimant la syllabe " en ",disons
: Je crois la sainte Eglise catholique " (Paschase
Radbert, de fide, spe et caritate PL col 1402-1404),
c'est-à-dire, je crois que l'Eglise est catholique,
tout comme je crois, pour reprendre les termes du Symbole
des apôtres, " que la vie éternelle
" nous est promise, qu'il y aura " une résurrection
de la chair. Je crois au saint Esprit, mais non pas
à l'Eglise " ( Karl Barth ). Pourtant, le
Credo affirme que l'Eglise est pour les chrétiens
non point objet de croyance, " je crois que ",
mais de foi et de confiance, " je crois en ".
Croire en ... c'est toujours croire en quelqu'un, et
il arrive souvent que ce quelqu'un soit un homme : je
crois en mon médecin. Nous croyons en l'Eglise
dans la mesure où elle est un être spirituel
et non pas seulement une institution. Croire que ...
est à la portée même des démons
puisqu'ils possèdent un pouvoir d'épreuve
sur les fils de l'Eglise ! Nous croyons en l'Eglise
en tant que Mystère, corps pentecostal du Ressuscité,
et non pas comme institution. Croire que l'Eglise est
sainte revient à croire en elle comme Epouse
du Christ ne faisant qu'une seule chair ressuscitée
avec lui, comme Eglise du saint Esprit, comme lieu divino-humain
où l'uvre divinisatrice du saint Esprit
devient événement pour les hommes.
...
une ...
Mais à qui fera-t-on croire que l'Eglise est
" une " alors que le christianisme est en
miettes, miettes qui ont pour dénominations :
Orthodoxes et Catholiques-Romains, Préchalcédoniens
(Arméniens, Coptes, Ethiopiens) et Vieux-catholiques,
Luthériens et Calvinistes, Anglicans et Episcopaliens,
Adventistes et Anabaptistes, Mennonites et Quakers,
Baptistes et Darbistes, sans parler des Eglises néo-apostoliques,
des Pentecôtistes, des Eglises dites libres, et
j'en oublie ! Face à cet émiettement,
trop de chrétiens contemporains privilégient
l'unité dans l'espace par rapport à l'unité
dans le temps. Ce qui leur tient le plus à cur,
c'est de recomposer l'unité perdue avec tous
les chrétiens vivant actuellement de par le monde.
Mais si pour ce faire, je romps l'unité avec
saint Basile, saint Irénée ou saint Grégoire
Palamas, que signifiera au juste cette unité
? Trop souvent, à l'heure actuelle, on confond
l'union des Eglises avec l'unité de l'Eglise.
Seule l'attention à la primauté de la
seconde sur la première sauvegarde la foi en
l'Eglise comme Mystère. A la fin de la divine
liturgie, le prêtre demande au Christ de garder,
non point l'ensemble, ce qui est une lourde erreur et
de théologie et de grec, mais la plénitude
(to pléroma / le plérome) de son Eglise.
L'unité de l'Eglise est indissociable de la vérité
existentielle, vécue, savourée, intériorisée,
sapientielle, et non point notionnelle, conceptuelle,
abstraite de l'Eglise. L'Eglise est une là où
elle est vraie. Au 7ème siècle, alors
que le pape, le patriarche de Constantinople et les
évêques pliaient l'échine devant
le Basileus, l'Eglise ne cessa pas d'être une
en la personne unique de saint Maxime le Confesseur
( 580-662 ) qui, seul, défendit la foi de l'Eglise
en l'existence, en Christ, d'une volonté humaine
et pas seulement divine. L'essence de l'unité
de l'Eglise n'est pas quantitative mais bien qualitative.
...
sainte ...
Et à qui fera-t-on croire que l'Eglise est sainte
? Ce qui saute aux yeux, n'est-ce pas plutôt le
péché des chrétiens et la corruption
satanique, la défiguration de l'image de Dieu
en l'homme et la laideur peccamineuse, la flétrissure
des hommes et des femmes qui composent " l'Eglise
de ceux qui périssent " ( St Ephrem le Syrien)
? Mais ce vase d'argile humaine, trop humaine ( Nietzsche
) contient le feu divin et incréé. L'Eglise
est sainte en ce sens qu'elle est l'Eglise du saint
Esprit, le lieu divino-humain où se consomment
les épousailles de l'humanité, où
les hommes naissent à la vie divine et incréée
de l'Unique Engendré du Père chaque fois
que, baptisés et oints, unis en mariage ou ordonnés
aux ministères, pardonnés et surtout recevant
le Corps et le Sang du Ressuscité, c'est le très-saint
Esprit du Père qu'ils reçoivent. La sainteté
de l'Eglise n'est pas d'ordre éthique mais ontologique
(c'est-à-dire qui concerne l'être même
de l'homme, sa réalité personnelle la
plus profonde). Elle consiste en la capacité
qu'a l'Eglise d'offrir à l'homme de participer
ontologiquement, en son sein, au feu divin et divinisant.
...
catholique ...
Ici encore, il convient de se souvenir que, dans la
mesure où elle est un Mystère, c'est-à-dire
une réalité divino-humaine, et non point
seulement une institution humaine, l'Eglise est une
réalité qualitative et non point quantitative.
Pour être catholique, l'Eglise n'a pas été
obligée d'attendre l'avènement de l'impérialisme
colonial et colonialiste de l'Occident. Au moment de
la Pentecôte, l'Eglise était déjà
catholique, bien qu'elle ne comprît alors en son
sein que des Juifs. Et elle continua à être
authentiquement catholique tout au long des siècles
où elle ne comprit aucun africain, aucun malgache,
aucun extrême-oriental, aucun sud-américain.
Car l'Eglise est catholique et non point universelle.
Sur ce point comme sur d'autres, la traduction actuelle
du Credo, hélas la plus répandue, est
détestable. " Cat?holique " vient du
grec (le grec est la langue maternelle de l'Orthodoxie),
" kata " (=selon ) " olon " ( =
le tout ). Et c'est ici une excellente occasion d'identifier
l'Eglise comme Mystère et la divine communion
eucharistique. En effet, lorsqu'au décours d'une
liturgie, le diacre où le prêtre consomme
tout ce qui reste dans le saint calice, il ne communie
pas plus, bien qu'il absorbe une bien plus grande quantité
du saint Pain et du saint Sang, que les fidèles
qui n'ont reçu que quelques miettes et quelques
gouttes. De même, le plus humble des prêtres
entouré de quelques fidèles dans la plus
humble des églises de la campagne russe, grecque
ou roumaine, témoigne de la catholicité
de l'Eglise tout autant que le patriarche entouré
de nombreux métropolites, évêques,
prêtres, diacres et fidèles au Phanar,
à Moscou ou à Jérusalem. La totalité
qualitative du Mystère de l'Eglise est alors
présente aussi bien dans cette petite église
que dans la cathédrale où célèbrent
une multitude d'évêques.
...
et apostolique.
Et ici encore, croire en l'Eglise comme Mystère,
c'est refuser de demeurer à la surface des choses.
Or, on rase les pâquerettes lorsqu'on se contente
trop facilement de considérer que l'Eglise est
apostolique simplement par la transmission ininterrompue
de la succession au moyen de l'imposition des mains
: un apôtre a ordonné un évêque
qui a ordonné un évêque, et ainsi
de suite jusqu'à chaque évêque actuel.
On reste alors à la surface des choses doublement.
D'abord, en ce que l'apostolicité de la succession
ne représente pas la plénitude de l'apostolicité
si elle ne va pas de pair avec l'apostolicité
de la doctrine. Certes, nous considérons, nous,
orthodoxes, que tous les évêques catholiques-romains
ont l'apostolicité de la succession ininterrompue,
mais nous nions que leur conception de la primauté
dans l'Eglise, que leur théologie trinitaire
ou leur doctrine du purgatoire soient des positions
doctrinales que les apôtres eussent pu confesser.
Ensuite, la seule apostolicité de la succession
est insuffisante en ce que les évêques
ne sont rien sans leur peuple. Non seulement tout prêtre,
mais même tout baptisé remonte de façon
ininterrompue aux apôtres dans la mesure où
sa foi n'est en rien contradictoire avec celle que confessèrent
les apôtres et aussi en ce sens que la prêtrise
reçue d'un évêque, le baptême
et l'onction chrismale, et tous les autres sacrements,
sont reçus par un prêtre dont l'ordination
remonte jusqu'aux apôtres. Certes, seuls les évêques
ont mission de formuler, dans les conciles, la foi apostolique
de l'Eglise, mais c'est tout le corps ecclésial
des baptisés qui a pour mission de recevoir la
vérité de cette formulation et d'en conserver
ensuite l'intégrité, ou bien de renvoyer
les évêques à leurs chères
études pour qu'ils puissent ensuite revenir vers
le peuple de Dieu en lui présentant une formulation
qu'il pourra recevoir comme étant la formulation
authentique de sa foi apostolique.
Donc, je crois en l'Eglise qui est une là où
elle est vraie, qui n'est sainte que parce qu'elle est
l'Eglise du saint Esprit, qui n'est pas universelle
mais catholique et qui est apostolique non seulement
par la succession historique des ordinations épiscopales,
mais aussi par la foi de tout le peuple de Dieu qui
identifie sa foi à celle des apôtres auxquels
il a conscience de succéder tout entier par la
succession interrompue des sacrements qui le constituent
comme peuple de Dieu.
Père
André Borrely recteur de la paroisse St Irénée
à Marseille in " Orthodoxes à Marseille
" N°72