LE
BAPTEME : SENS ET RITES
1.-Le
baptême transforme radicalement le mode d'existence
de l'homme
1.1.-
Le baptême dans le Fils unique-engendré.
Dans l'Orthodoxie, la fête du 6 janvier, la
fête de la Théophanie, du baptême
de Jésus par Jean dans le Jourdain, est le
fondement de la célébration du baptême
des catéchumènes. La consécration
de l'eau baptismale s'effectue par la proclamation
d'un poème de saint Sophrone, patriarche de
Jérusalem de 634 à 638, le même
qu'au moment de la bénédiction des eaux
le 6 janvier. Et ce que le Père céleste
prononce au sujet de son Fils Unique-engendré
au moment du baptême par Jean dans les eaux
du Jourdain, la sainte Eglise le prononce au moment
du baptême au sujet du nouveau baptisé.
Au moment où Jésus remonta des eaux
du Jourdain " du ciel une voix se fit entendre
: Tu es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis
ma complaisance ". A la suite de Wellhausen,
le P.Lagrange fait remarquer que, dans l'Ancien Testament,
il n'y a pas grande différence entre fils bien-aimé
et fils unique. Par le baptême, l'homme devient
un être unique au monde, irreproductible, irremplaçable.
En tant que personne recréée dans les
eaux du baptême à l'image du Dieu trinitaire
et pour lui ressembler, l'homme, comme Dieu, relève
d'une approche non point cataphatique mais apophatique.
En grec " kataphasis " signifie affirmation,
et " apophasis " négation. Parce
qu'il est une personne créée à
l'image du Fils pour ressembler à la divine
Trinité, l'homme participe au sans-fond des
trois Personnes divines, il est une réalité
mystérieuse, c'est-à-dire inépuisable
par sa richesse, insondable par sa profondeur, dont
on peut dire plus sûrement ce qu'elle n'est
pas que ce qu'elle est. Et le baptême chrétien
a pour signification fondamentale de transformer radicalement
le mode d'existence de cet homme rendu, par la présence
en lui du Dieu tri-unique, inexprimable adéquatement
par le langage conceptuel, incompréhensible
par la seule raison raisonnante, irréductible,
irreproductible, irremplaçable.
Plus précisément, par le baptême,
l'homme passe d'un mode d'existence biologique à
un mode d'existence ecclésial. C'est ce que
l'Orthodoxie appelle la déification en laquelle
elle voit la quintessence du salut en Christ. Pour
l'Orthodoxie, le salut consiste essentiellement en
ce que l'homme ne participe pas, certes, à
la substance de Dieu, mais à son existence
personnelle. Le salut, c'est la réalisation,
au sein de l'existence humaine, de la vie trinitaire,
c'est l'extension ad extra du mode d'existence des
trois Personnes divines. Pour l'Orthodoxie, la fête
du 6 janvier est indissociablement la fête du
baptême du Christ et celle de la divine Trinité.
C'est pourquoi nous parlons de Théophanie plutôt
que d'épiphanie. Toute théophanie est
une épiphanie, mais toute épiphanie
n'est pas nécessairement celle du Dieu tri-unique.
Le tropaire que l'Eglise se plaît à répéter
tout au long de la journée du 6 janvier souligne
le caractère trinitaire de l'événement
qu'elle médite : " Dans le Jourdain lorsque,
Seigneur, tu fus baptisé, à l'univers
fut révélée la sainte Trinité
; en ta faveur se fit entendre la voir du Père
te désignant comme son Fils bien-aimé
; et l'Esprit sous forme de colombe confirma la vérité
du témoignage. Christ notre Dieu qui t'es manifesté,
illuminateur du monde, gloire à toi ! ".
Or, à l'office du baptême, nous lisons
la finale de l'Evangile selon saint Matthieu qui nous
dit que c'est au Nom du Père, et du Fils et
du saint Esprit que les disciples envoyés par
le Christ ressuscité en mission dans le monde
devront baptiser toutes les nations païennes
( Mt. 28, 19 ). Et c'est par trois immersions / émersions
que le célébrant baptise le catéchumène
: au Nom du Père, au Nom du Fils et au Nom
du saint Esprit. Etre baptisé, c'est être
introduit dans l'acte générateur éternel
par lequel le Père communique à son
Fils unique la plénitude de sa Vie paternelle,
c'est-à-dire son saint Esprit. Et cette introduction
divinisatrice signifie pour l'homme la transformation
de l'individu en personne. C'est à cette transformation
que songe l'Eglise lorsqu'elle fait dire au célébrant,
au sujet du futur baptisé, dans la dernière
prière de l'office du catéchuménat
: " Dépouille-le du vieil homme et revêts-le
de l'homme nouveau pour la vie éternelle...
afin qu'il ne soit plus un enfant de la chair, mais
un fils ( une fille ) de ton Royaume ". "
Un enfant de la chair " ou bien " le vieil
homme ", c'est l'individu vivant une vie naturelle,
biologique, soumis à la nécessité
naturelle. C'est l'existence humaine en sa condition
déchue, animalisée par le péché
: faible, fragile, débile, périssable,
corruptible, terrestre.
1.2.-
L'individu et la personne.
L'existence de l'individu, c'est l'existence biologique,
génétique. A la différence de
l'existence personnelle, l'individu existe non comme
liberté, mais comme nécessité.
Je nais au monde sans que l'on m'ait demandé
mon avis. Et cette existence biologique est promise
inéluctablement et désespérément
à la mort. Le mode d'existence biologique de
l'homme est tragique en ce qu'il manifeste l'échec
de l'homme à devenir une personne au niveau
biologique, naturel. Le salut en Christ, c'est la
réalisation en l'homme de la ressemblance divine.
C'est le fait que l'homme existe non plus comme un
individu, mais comme une personne.
Le baptême chrétien signifie que l'homme
en tant que personne cesse de manquer le but recherché
par ce que Maurice Blondel appelait sa " volonté
voulante ", c'est-à-dire sa volonté
profonde, ce que l'homme veut sans savoir qu'il le
veut et qu'il ne peut s'empêcher de vouloir.
Le baptême signifie que les deux constituants
fondamentaux de l'existence biologique, à savoir
l'éros et le corps humains, cessent d'être
les véhicules de la mort. Le baptême
a pour signification essentielle de changer le mode
constitutif de l'existence humaine. Il ne s'agit pas
d'une amélioration morale mais d'une "
anangénésis " d'une re-naissance,
d'une ré-génération, d'une naissance
nouvelle de l'homme en tant que personne, d'une refonte
totale du plasma humain. Cette notion anangénésis
de renaissance organique est exprimée dans
la première Epître de Pierre : "
Béni est Dieu, le Père de notre Seigneur
Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde,
nous a régénérés, pour
une espérance vivante, par la résurrection
de Jésus-Christ, d'entre les morts... vous
avez été régénérés,
non par une semence corruptible, mais par une semence
incorruptible, par la Parole vivante et permanente
de Dieu ( 1Pi. 1, 3 et 23 ). L'éros et le corps
animalisés par le péché sont
baptisés, c'est-à-dire qu'ils ne sont
pas niés mais conviés à changer
leur mode d'existence en devenant semence du corps
spirituel et incorruptible. L'ascèse chrétienne
bien comprise est fondamentalement une transfiguration
et une pneumatisation du corps et de tout l'être
humain sensible, qui doit laisser transparaître
la lumière incréée et divine,
tel un vase de cristal les rayons du soleil. Le baptême
communique à l'homme la certitude que l'existence
personnelle à l'image et à la ressemblance
de Dieu est une réalité historique mise
à sa portée par le Christ Sauveur. Celui-ci
est le Sauveur en ce sens très précis
qu'il a révélé aux hommes la
réalité même de la personne. Tous
autant que nous sommes, nous fragmentons la nature
humaine : nous sommes plus ou moins des hommes, plus
ou moins intelligents, plus ou moins doués
de mémoire, plus ou moins vertueux. En Jésus
de Nazareth, vrai Dieu et vrai homme, a été
manifestée la plénitude de l'humanité
: Ecce Homo. Pilate ne croyait pas si bien dire !
Voilà enfin l'Homme véritable, l'Homme
pleinement homme parce que pleinement Dieu. En Jésus-Christ
nous a été révélé
que Dieu seul est pleinement humain et que nous ne
pouvons devenir véritablement des hommes qu'en
Jésus-Christ. Dire que Dieu nous divinise ou
qu'il nous humanise pleinement, ou encore qu'il nous
sauve ou nous déifie, c'est dire la même
chose.
Le baptême signifie fondamentalement le rejet
de l'hérésie de Nestorius. Le Christ
ne peut nous sauver que parce que son hypostase n'est
pas que biologique. En Jésus-Christ, il n'y
a pas de cloisonnement entre l'humain et le divin.
Cet homme-là fut pleinement divin en son humanité
et pleinement humain en sa divinité. Vrai Dieu
et vrai homme, Jésus de Nazareth est venu témoigner
de la possibilité pour la personne humaine
d'échapper à l'état tragique
de la nature humaine déchue, à l'aliénation
fondamentale que représente la mort pour la
liberté humaine. Le baptême vient faire
de tout homme un homme parfait, c'est-à-dire
une personne véritable, une authentique hypostase
préconstruite pour la liberté et pour
l'amour. Le baptême confère à
l'homme un mode d'existence constitué exactement
selon le même mode selon lequel existent les
trois Hypostases de la divine Trinité. Le baptême
signifie pour tout homme que la christologie n'est
pas une réalité qui ne concernerait
que Jésus Christ. Par le baptême, la
christologie est mise à la portée existentielle
de l'homme lui-même : la nature de l'homme peut
être hypostasiée, c'est-à-dire
assumée indépendamment de la nécessité
tragique du mode d'existence biologique qui mène
désespérément à la mort.
Le baptême signifie la possibilité gratuitement
offerte à l'homme d'exister lui aussi de la
même manière que Jésus de Nazareth
a existé : en affirmant son existence en tant
que personne, en s'appuyant non point sur les lois
de sa nature biologique déchue, mais sur une
relation à la divine Trinité qui est
fondamentalement une relation de liberté et
d'amour. Si le Notre Père -- si mal traduit,
hélas, en français ! -- est la prière
fondamentale des chrétiens, c'est parce qu'il
livre l'essence même du baptême. En effet,
par le baptême l'homme pénètre
dans l'acte générateur éternel
par lequel le Père communique à son
Fils Unique la plénitude de sa Vie paternelle,
c'est-à-dire le saint Esprit. Par le baptême
l'homme devient fils de Dieu en identifiant son hypostase
à celle du Fils.
1.3.-
L'existence ecclésiale.
Le baptême confère à l'homme un
mode d'existence fondamentalement ecclésial.
Le mode d'existence ecclésial, c'est l'existence
humaine en tant que baptisée et définie
comme être-en-communion. Quand Jésus
dit à Nicodème : " Vous devez être
engendrés d'en haut " ( Jn. 3, 7 ), il
lui parle de la possibilité, pour les hommes,
d'obtenir, comme un don inexigible de Dieu, que le
mode d'existence de l' homme soit constitué
en une réalité non affectée par
l'état de créature, par les lois de
la nature biologique et instinctivo-affective, déchue,
désembrayée de Dieu, animalisée
par le péché.
L'Eglise est essentiellement le lieu où, dans
l'histoire des hommes, se réalise le mode non-biologique
d'existence humaine. L'Eglise est la matrice divino-humaine
au sein de laquelle l'homme est engendré à
la vie divine trinitaire, non point seulement une
heure durant, le jour de son baptême et de sa
chrismation, mais tout au long de son existence terrestre,
le jour de son mariage ou de son ordination au ministère,
lorsqu'il communie au corps et au sang du Ressuscité,
quand il reçoit l'onction de l'huile sainte
des malades ou le pardon divin après l'aveu
de ses fautes. La célébration du baptême
se prolonge tout au long de l'existence chrétienne,
dans la célébration de chacun des autres
sacrements. Ces derniers, en effet, ne sont rien d'autre
que les actes divino-humains par lesquels le saint
Esprit agissant dans l'Eglise continue l'uvre
de divinisation de l'homme commencée au baptême.
Il s'agit encore et encore de réaliser en l'homme
un mode d'existence non déterminé par
la nécessité de l'existence biologique.
Vivre authentiquement la réalité de
mon baptême signifie que mon père véritable
n'est pas celui qui m'a engendré biologiquement
mais mon Père qui est dans les cieux, que mes
frères véritables ne sont pas mes frères
biologiques, mais les membres de l'Eglise, que ma
famille véritable n'est pas ma famille biologique,
mais l'Eglise. Dans le troisième Evangile,
Jésus ne craint pas d'affirmer : " Si
quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père
et sa mère, et sa femme et ses enfants et ses
frères et ,ces surs, et même encore
sa vie, il ne peut être mon disciple "
( Lc. 14, 26 ). Saint Matthieu exprime la même
exigence sous une forme adoucie en parlant de celui
qui aime ses proches plus que le Christ. De même,
lorsqu'on vient dire à Jésus que sa
mère et ses frères sont dehors et veulent
le voir, Jésus réplique : " Ma
mère et mes frères, ce sont ceux gui
écoulent la parole de Dieu et qui la pratiquent
" ( Lc. 8, 21 ). Notons au passage que ce texte
est lu, dans l'Office byzantin, aux fêtes de
la Mère de Dieu. Baptiser un homme, ce n'est
pas mettre en parallèle son existence ecclésiale
et son existence biologique, c'est lui offrir le dépassement
de la seconde par la première.
1.4.-
Il faut célébrer le baptême au
cours de la liturgie dominicale.
C'est pourquoi, il est si important de célébrer
le baptême au sein de la divine liturgie dominicale,
c'est-à-dire au sein de la communauté
paroissiale. Trop de prêtres orthodoxes cèdent
à la pression des familles qui font de la célébration
du baptême une célébration familiale,
le samedi après-midi, ou le dimanche après-midi,
quand ce n'est pas au domicile des parents de l'enfant
! Dans la grande tradition de l'Eglise, on baptisait
au cours des liturgies de Pâques, de Pentecôte,
de Noël et de la Théophanie. C'est pour
cela qu'aujourd'hui encore, ces jours-là, on
ne chante pas le Dieu saint, saint fort, saint immortel,
mais le : " Vous tous qui avez été
baptisés en Christ, vous avez revêtu
le Christ ". Heureusement, nous sommes un certain
nombre de prêtres orthodoxes à inviter
les familles, chaque fois que celles-ci sont capables
de comprendre, à célébrer le
baptême le dimanche matin, lorsque toute la
communauté paroissiale est réunie pour
l'unique synaxe eucharistique. Car, dans l'Orthodoxie,
on ne célèbre qu'une fois l'eucharistie
dans la même journée et dans la même
église, afin d'obliger tout le monde -- bourgeois
et prolétaires, enfants et adultes -- à
transcender ensemble dans leur existence ecclésiale
commune les déterminations de leurs existences
biologiques et sociales respectives. Le baptême
opère le dépassement en communion ecclésiale
du réseau relationnel constitutif de l'existence
biologique. Il libère l'homme de toute détermination
naturelle, de toute relation déterminée
par son identité biologique. Aimer ceux qui
nous sont proches par le sang, c'est obéir
à des lois biologiques. Aimer les autres hommes
-- qu'ils soient de droite ou de gauche, noirs ou
blancs, riches ou pauvres -- dans la communion eucharistique
de l'Eglise, c'est identifier la liberté à
l'être même de l'homme, c'est témoigner
que la nature ne définit pas la personne mais
que c'est au contraire la personne qui confère
à la nature la possibilité d'exister
librement.
Le baptême signifie la liberté de la
personne vis-à-vis de la nature, c'est-à-dire
la capacité à aimer sans exclure quelqu'un
d'autre. La vocation du baptisé est de transcender
l'exclusivisme inhérent à l'existence
biologique. Devenir fils de l'Eglise par le baptême,
c'est essentiellement acquérir la capacité
d'aimer sans exclure. La nouvelle naissance baptismale
dans la matrice de " l'Ecclesia mater "
fait de la personne le membre d'un réseau relationnel
qui transcende tout exclusivisme. Dans les eaux baptismales
s'opère la différenciation radicale
entre l'hypostase personnelle et la vie biologique
individuelle dont l'horizon est la mort.
2.-
Les rites du baptême
2.1.-
Les exorcismes et la renonciation à Satan.
Le dépassement de l'existence biologique et
individuelle en existence personnelle et ecclésiale
est exprimée de plusieurs manières dans
la célébration du baptême. Il
y a tout d'abord les exorcismes et la renonciation
à Satan. L'Eglise orthodoxe ne comprend pas
l'ultime demande du Notre Père -- délivre-nous
du mal --. comme s'il s'agissait d'être délivrés
du mal métaphysique, d'une abstraction. Le
sens du texte est plutôt : Soustrais-nous au
Mauvais, au Malin, au Méchant, c'est-à-dire
au Démon. Résumant sa première
épître, saint Jean affirme : " Nous
savons que quiconque est né de Dieu ne pèche
pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire
Jésus] le garde, et le Mauvais [o Ponèros
: c'est le même mot qui, dans le Notre Père,
est si regrettablement traduit par mal] n'a pas prise
sur lui " ( 1Jn. 5, 18 ). Il s'agit de quelqu'un
de bien concret, de bien réel, de bien défini.
Dans l'établissement de son Royaume, Jésus
est en butte avec quelqu'un qu'il appelle l'Ennemi,
le Prince de ce monde, le Satan. Il ne s'agit pas,
d'ailleurs, d'être délivrés du
Démon : par l'incarnation rédemptrice
nous en sommes d'ores et déjà délivrés.
Par contre, nous avons à redouter un retour
en force de l'Adversaire, de l'Antéchrist.
La victoire sur le monde, c'est-à-dire sur
le péché et sur la mort, de l'Agneau
égorgé mais ressuscité, est déjà
réalisée pour l'essentiel. Mort au péché,
le baptisé est ressuscité avec le Christ
et, par cette résurrection, il devient un citoyen
du ciel et le temple du saint Esprit. Le Dragon de
l'Apocalypse a été précipité
sur la terre ( Ap. 12, 13 ), mais il possède
un pouvoir d'épreuve sur les hommes.
Trois exorcismes s'adressent donc à Satan directement
: " Va-t-en, retire-toi du soldat nouvellement
choisi, enrôlé par le Christ notre Dieu...
esprit impur et pervers, néfaste et répugnant
". Et le célébrant de demander
instamment au Seigneur Sabaoth, au Dieu d'Israël
: " Menace les esprits impurs et chasse-les,
purifie l'ouvrage de tes mains [c'est-à-dire
le catéchumène] et, dans l'efficacité
de ton pouvoir, hâte-toi d'écraser Satan
sous ses pieds "... Puis, demandant au catéchumène
de se tourner vers l'occident, vers le lieu où
le soleil est sensé se coucher et qui nous
parle donc symboliquement de ténèbres,
le célébrant invite le catéchumène
à " renoncer à Satan, à
toutes ses uvres, à tous ses anges, à
tout son culte et à toutes ses pompes ".
2.2.-
Le dépouillement des vêtements.
Le catéchumène est ensuite introduit
dans le baptistère et il est dépouillé
de tous ses vêtements. " Aussitôt
entrés, dit saint Cyrille de Jérusalem,
vous avez été dépouillés
de votre tunique ". A l'époque des Pères
de l'Eglise, il s'agissait d'une nudité complète.
Le dépouillement des vêtements est le
symbole du dépouillement du vieil homme et
de son existence biologique. Le Pseudo-Denys voit
dans ce dépouillement celui de toute la vie
antérieure du catéchumène. En
ôtant ainsi ses vêtements, le futur chrétien
témoigne de la fermeté de son intention
de s'arracher à l'existence biologique, c'est-à-dire
promise à la mort, de l'individu, pour s'engager
dans une tout autre forme d'existence : l'existence
ecclésiale de la personne. En se débarrassant
de tous ses vêtements, le candidat au baptême
manifeste clairement qu'il entend renoncer aux passions
et aux convoitises de la chair, et qu'il aspire à
retrouver la nudité originelle totale, candide
et lumineuse, de l'Adam, c'est-à-dire de l'humanité,
d'avant la chute. Le catéchumène se
situe encore en dehors du paradis, il partage encore
l'exil d'Adam " à l'est d'Eden ".
Son introduction dans le baptistère signifie
que cet exil prend fin. Il s'agit, pour le catéchumène,
de dépouiller le vieil homme comme un vêtement
souillé. Après son baptême, il
va recevoir un autre vêtement : la tunique d'incorruptibilité
que lui offrira le Christ ressuscité, le nouvel
Adam, le vêtement de lumière, le manteau
royal qui permet de paraître dans le nouvel
Eden, dans l'Eglise, afin de prendre part aux noces
de l'Agneau, à la divine liturgie eucharistique,
à la divine communion. Par le péché,
le premier Adam perdit l'innocence et la candeur de
la nudité. Il se mit à avoir honte et
il se couvrit de vêtements. Le catéchumène
qui s'achemine vers le baptême parcourt un itinéraire
inverse. Il se dépouille du vêtement
rendu nécessaire par le péché
de l'homme déchu, et il se met nu afin de recevoir
le vêtement lumineux et résurrectionnel
du nouvel Adam.
Notons aussi que, sur la croix, le nouvel Adam, le
Christ, s'est trouvé dépouillé
de la totalité de ses vêtements, humilié
devant les saintes femmes, et notamment devant sa
mère. Le catéchumène n'est pas
plus grand que Celui que, désormais, il considère
comme son unique Maître. Comme lui, il doit
donc s'humilier par la nudité afin de transcender
celle-ci dans le vêtement résurrectionnel.
Le vêtement antérieur au baptême
figure l'homme corruptible. Théodore de Mopsueste
dit au catéchumène : " Il faut
que soit enlevé ton vêtement, indice
de la mortalité, et que, par le baptême,
tu revêtes la tunique d'immortalité ".
En se dévêtant, le catéchumène
signifie symboliquement qu'il dépouille le
vieux vêtement de corruption et de péché,
celui dont Adam fut revêtu après le péché.
Le dépouillement baptismal symbolise la rupture
avec le passé. Il s'agit, pour le futur baptisé,
de troquer la livrée misérable de l'humanité
pécheresse et déchue de l'individu dont
le mode d'existence est biologique, c'est-à-dire
promis à la corruption du tombeau, contre la
robe lumineuse du nouvel Adam, du Ressuscité
qui révèle à l'humanité
un autre mode d'existence : l'existence de la personne,
l'être-en-communion, l'existence ecclésiale.
Ce troc est le contraire de celui qu'avait effectué
le premier Adam : celui-ci avait troqué sa
nudité innocente et candide contre la livrée
misérable. Le dépouillement du catéchumène
signifie pour lui une libération : il se dépouille
du vêtement du vieil homme afin de retrouver
la gloire du premier Adam, c'est-à-dire de
l'humanité telle que Dieu l'avait primitivement
voulue. Le nouveau baptisé va retrouver la
glorieuse nudité de l'humanité antérieure
à la chute. Et si, à l'heure actuelle,
il est peu pensable d'imposer à nos catéchumènes
l'épreuve d'une nudité complète
par laquelle, pourtant, est passé le Seigneur
Jésus, le jour du Vendredi saint, c'est bien
parce que, tous autant que nous sommes, nos catéchumènes,
mais aussi nous tous les baptisés, nos communautés
ecclésiales, nous n'avons plus, hélas,
la ferveur des communautés des premiers siècles.
Orthodoxes, nous ne vivons pas à la hauteur
de notre théologie. Nous continuons de mettre,
avec la pratique de l'Eglise indivise, la barre très
haut, mais nous ne parvenons plus à la sauter
! Et, en raison de cette tiédeur, nos communautés
ne portent plus les catéchumènes comme
les portaient les communautés de l'époque
où la sève de l'Eglise primitive circulait
pleinement dans le corps ecclésial. Dans ce
contexte de décadence, la nudité est
vécue comme purement humiliante, c'est-à-dire
comme la seule nudité de l'homme pécheur
dépouillé de son vêtement de gloire.
Il convient au moins de la ressentir comme une participation
à ce que fut l'humiliante nudité du
nouvel Adam sur la croix, le jour du Vendredi saint.
En dépouillant ses vêtements, le catéchumène
peut et doit prendre conscience de son état
de pécheur, " malheureux, pitoyable, pauvre,
aveugle et nu ", pour reprendre les termes du
message adressé, dans l'Apocalypse, à
l'Eglise de Laodicée ( Ap. 3, 17 ). Mais, si
le catéchumène se débarrasse
ainsi de ses vêtements, c'est afin d'avoir les
coudées franches dans l'effort pour donner
l'assaut au démon et afin de revêtir
l'homme nouveau, pour être conformé au
Ressuscité, au nouvel Adam. Se dévêtir
ainsi, c'est se dépouiller des ténèbres
et se revêtir de lumière. De nos jours,
hélas, saint Cyrille de Jérusalem ne
pourrait plus dire à nos catéchumènes
adultes ce qu'il osait dire à ceux de son époque
: " O merveille ! Vous étiez mis sous
les yeux de tous et vous n'aviez pas honte. C'est
qu'en vérité vous offriez l'image de
notre premier père, Adam, qui était
nu au paradis terrestre et ne rougissait pas ".
La nudité, le jour du baptême, signifie
donc simultanément le dépouillement
de la corruptibilité et de la honte du péché,
et le retour à l'innocence primitive et à
la familiarité de l'état paradisiaque.
Dans une homélie sur la fête de Pâques,
saint Grégoire de Nysse écrit : "
Désormais, Adam, quand tu l'appelleras, n'aura
plus honte, ni sous les reproches de sa conduite ne
se dissimulera plus sous les arbres du paradis. A
retrouver l'assurance, il apparaît au grand
jour ". Une fois qu'il a dépouillé
les vêtements anciens, figure symbolique du
vieil homme, le catéchumène, bientôt
nouveau baptisé, ne doit plus jamais les reprendre
: le baptême est irréversible. Et si,
dans les premiers siècles de l'Eglise, on avait
tendance à reculer le baptême des hommes
jusqu'à la trentaine, voire plus tard encore,
et cela même dans des familles chrétiennes,
c'est parce qu'on avait la plus vive conscience qu'après
le baptême l'homme ne doit plus pécher.
C'est sur ce thème que s'achève la première
lettre de saint Jean que j'ai déjà citée
: "
Nous savons que quiconque est né de Dieu ne
pèche pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire
le Christ] le garde et le Mauvais n'a pas prise sur
lui " ( 1Jn. 5, 18 ). C'est pour signifier cette
foi de l'Eglise qu'au sortir de la piscine baptismale
le nouveau baptisé est revêtu non des
vêtements anciens, de couleur sombre, mais de
vêtements blancs, de vêtements de lumière,
qui nous parlent de la résurrection du nouvel
Adam et du nouvel Eden qu'en ressuscitant il a re-créé
et qui est l'Eglise. Ensuite vient la triple immersion/émersion.
2.3.-
La triple immersion / émersion.
L'épiclèse baptismale est invocation
de l'action vivifiante du saint Esprit afin que ses
énergies transforment l'ensevelissement dans
les eaux, la noyade du catéchumène,
du vieil homme, en événement résurrectionnel.
Par sa présence surabondante et chaotique,
l'eau parle à l'homme -- à Noé
et à Jonas -- de noyade et d'asphyxie, d'ensevelissement
et de mort, de déluge et d'engloutissement.
Mais simultanément elle est pour lui source
de fertilité et de vie, tels le Nil et le Jourdain,
condition de possibilité de l'hygiène
et apaisement de la soif. L'eau qui jaillit miraculeusement
du rocher au désert annonce et figure l'eau
qui coulera en abondance aux jours du Messie, symbole
d'une effusion de vie nouvelle et d'une intarissable
fécondité spirituelle. Or, la célébration
du baptême signifie et présuppose que
les jours du Messie sont arrivés puisque le
Christ est ressuscité. L'émersion signifie
la joie de respirer à nouveau en respirant
l'Esprit. L'eau incorpore la puissance résurrectionnelle
de l`Esprit. L'eau se referme sur le catéchumène
comme une tombe, mais l'Esprit transforme la tombe
en matrice. Dans sa Hiérarchie ecclésiastique,
le Pseudo-Denys appelle admirablement le baptistère
" la matrice de toute filiation ". De mortelle
qu'elle était, l'eau devient vivifiante et
maternelle. Le baptisé émerge des eaux
du baptistère, et ce dernier devient une tombe
vide, à l'instar du tombeau de Joseph que les
femmes myrophores trouvèrent vide au matin
de Pâques. Un baptisé pleinement conscient
de son baptême doit considérer que sa
véritable mort est derrière lui puisqu'elle
a pris fin avec son baptême, et qu'il n'a plus
à redouter la mort biologique, celle de l'individu
soumis à la nécessité naturelle.
Durant les premiers siècles de l'histoire de
l'Eglise, on appelait les chrétiens ceux qui
ne craignent pas la mort.
Le mot baptême vient du verbe grec " baptein
", qui signifie plonger, immerger. De ce verbe
" baptein " dérive un autre verbe,
" baptizein ", qui, lui aussi, signifie
plonger, immerger, ou submerger et, en langage chrétien,
baptiser par immersion.. La triple immersion/émersion
s'effectue par une plongée complète
du baptisé dans le sépulcre de l'onde
baptismale, afin que soient ainsi symbolisées
la sépulture avec le Christ et la résurrection
de celui qui a reçu le baptême. L'immersion
totale nous parle d'une mise au tombeau. Dans son
commentaire de l'épître aux Romains,
le P. Lagrange parle de ces pélerins russes
et grecs, donc orthodoxes, qui, à l'époque
où le P. Lagrange vivait en Palestine, c'est-à-dire
entre 1890 et 1935 , se baignaient dans le Jourdain
le jour de la Théophanie, le 6 janvier, enveloppés
dans des peignoirs en toile qu'ils remportaient pour
qu'ils leur servissent de suaires après leur
mort. C'est pourquoi, l'épître qui est
lue au cours d'un baptême est le chapitre 6,
versets 3 à 11 de l'épître aux
Romains, c'est-à-dire le texte le plus important
de ceux où saint Paul a parlé du baptême
chrétien : " ... nous tous qui avons été
baptisés dans le Christ, c'est dans sa mort
que nous avons été baptisés.
Par le baptême, nous avons donc été
ensevelis avec lui dans la mort, afin que, comme le
Christ est ressuscité des morts par la gloire
du Père, nous vivions, nous aussi, dans une
vie nouvelle. Si par une mort semblable à la
sienne nous sommes devenus un même être
avec lui, nous le serons aussi par la résurrection.
Comprenons-le, notre vieil homme a été
crucifié avec lui pour que fût détruit
ce corps de péché, afin que nous cessions
d'être asservis au péché. Et si
nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que
nous vivrons aussi avec lui, sachant que le Christ,
une fois ressuscité des morts, ne meurt plus,
la mort n'a plus d'emprise sur lui. Car sa mort fut
une mort au péché, une fois pour toutes
; mais sa vie est une vie pour Dieu. Vous donc aussi,
considérez-vous comme morts au péché
et comme vivants pour Dieu dans le Christ Jésus
notre Seigneur ". Se plonger dans les eaux du
baptême, c'est se plonger dans la mort du Christ.
Cette triple immersion/émersion du corps du
baptisé dans l'eau est accompagnée de
l'épiclèse, c'est-à-dire de l'invocation
du Nom des trois personnes divines de la sainte Trinité.
La triple action rappelle simultanément l'ensevelissement
du Christ durant trois jours dans le tombeau de Joseph
d'Arimathie, et les trois Hypostases de la divine
Trinité au nom desquelles a lieu la triple
immersion/émersion. Dans son Explication de
la divine liturgie ( ch.4 ), Nicolas Cabasilas écrit
: " Nous donnons notre vie en échange
d'une autre. Or, rendre notre vie, c'est bien mourir.
Le Seigneur, en nous faisant participants de sa résurrection,
exige que nous apportions quelque chose à ce
grand don. Mais quoi ? L'imitation de sa mort : et
cela en disparaissant par trois fois dans l'eau baptismale
comme en un sépulcre ". Le baptême
par aspersion ou par infusion n'est permis que par
nécessité et de façon exceptionnelle,
notamment pour les malades. Il ne peut être
érigé en règle. La complète
immersion du baptisé dans l'eau s'impose du
fait qu'elle signifie l'imitation de l'ensevelissement
du Christ. " Comme en un tombeau, remarque saint
Jean Chrysostome, lorsque nous plongeons la tête
dans l'eau, le vieil homme est enseveli et submergé
au fond, il est caché tout entier en une fois
; puis, lorsque nous nous relevons, c'est le nouvel
homme qui se relève ". Dans son traité
Adversus Praxean, Tertullien écrit : "
Comme, en effet, notre Sauveur fut trois jours et
trois nuits dans le creux de la terre, ainsi les baptisés
imitent par la triple immersion cette sépulture
de trois jours et le baptême par les trois immersions
signifie les trois jours de la sépulture du
Seigneur ". De même, saint Basile affirme
: " Le grand sacrement de baptême est célébré
dans trois immersions et dans un nombre égal
d'épiclèses, afin que le symbole de
la mort soit figuré et que les baptisés
aient l'âme illuminée par la transmission
de la connaissance divine ". Même en Occident,
la façon habituelle d'administrer le baptême
fut, jusqu'au XIVème siècle, l'immersion,
comme en témoignent les nombreux baptistères
conservés partout, notamment en Italie. Le
douzième canon du concile de Néo-Césarée
écarte du sacerdoce ceux qui, pour raison de
santé, avaient reçu le baptême
par simple infusion. Thomas d'Aquin considère
le baptême par immersion " communior, laudabilior,
tutior " ( Somme théologique. IlIa 66,
7 ). Pour lui, " l'immersion représente
d'une façon plus expressive l'ensevelissement
du Christ ; aussi cette manière de baptiser
est-elle commune et plus recommandable ( Ibid. art.
7, 2 ). C'est le théologien anglais Alexandre
de Halès ( vers 1180-1245 ) qui le premier
affirma la validité d'un baptême administré
sans nécessité médicale par infusion.
L'opinion d'Alexandre de Halès fut partagée
par son disciple Bonaventure. Les rites milanais (
ou ambrosien ) et mozarabe sont demeurés fidèles
à l'immersion. Celle-ci fut pratiquée
en Espagne jusqu'au milieu du 18ème siècle.
A la veille de la Réforme, l'usage anglais
ne comportait encore que la seule rubrique de l'immersion.
En 1614 encore, le rituel du pape Paul V présentait
le baptême par immersion d'un enfant comme une
alternative à l'infusion devenue la pratique
générale peu avant la Réforme
du 16ème siècle.
L'eau ne lave pas, ne purifie pas seulement. Elle
tue aussi en noyant, en asphyxiant, et celui qui échappe
à la noyade expérimente une certaine
résurrection ! L'eau qui donne la vie est aussi
l'eau asphyxiante de la mort. Nicolas Cabasilas écrit
: " L'eau détruit une forme de vie mais
découvre l'autre ; elle engloutit le vieil
homme et élève l'homme nouveau "
( La vie en Christ. II, 9 ). Dans un article paru
en 1952 dans La Maison-Dieu, et intitulé :
Le symbolisme des rites baptismaux ( N°32, p.
6 ), le Père Louis Bouyer a effectué
une auto-çritique catholique-romaine tout à
fait remarquable. II écrit : ... " il
n y a à peu près plus de symboles du
tout dans nos rites tels que nous les célébrons.
Nous avons remplacé insensiblement le symbole
par une espèce de signe abstrait du symbole
qui est au symbole ce que l'absorption d'une pilule
peut être à un repas. Le vrai symbole,
lui, est plus parlant que toutes les paroles, et c'est
pourquoi Notre-Seigneur a voulu joindre dans l'économie
des moyens de grâce le symbole à la parole,
pour qu'il dise ce qu'aucune parole ne peut dire.
Car il est, le vrai symbole, un acte vivant qui prend
l'homme tout entier, corps et âme, et lui fait
découvrir dans une action où il est
entraîné, avec sa chair, son cur
et son esprit, la vérité qui, dans des
paroles, resterait une abstraction, alors qu'elle
est appréhendée comme réalité
dans un acte concret. Au contraire, nous en sommes
venus, nous, à tenter vainement, par un flot
de paroles impuissantes, de rendre quelque sens à
des gestes décharnés, privés
de toute vie réelle. L'espèce de dessiccation,
de ratatinement subi par les anciens rites baptismaux
fait qu'ils ne sont plus des symboles à proprement
parler, parce qu'ils ont rétrogradé
en deçà du minimum sensible où
ils pouvaient encore émouvoir l'imagination
vivante... Quel rapport y a-t-il entre l'expérience
d'un homme qui reçoit sur le front quelques
gouttes d'eau vite essuyées et l'expérience
d'un homme qui a pris un vrai bain ? Si seulement
nous célébrions encore les baptêmes
comme on le fait en Orient, où l'on met l'enfant
tout nu, où on le plonge trois fois jusque
par dessus la tête dans l'eau d'une vraie baignoire,
peut-être que les gens les plus réfractaires
à la poésie primitive y comprendraient
tout de même quelque chose. L'ouvrier qui sort
d'un travail salissant et accablant et qui va prendre
une bonne douche ou piquer une tête dans une
piscine avant de passer la soirée en famille
ou avec des camarades sait parfaitement ce que cela
veut dire qu'avoir fait peau neuve, que se sentir
un autre homme après s'être plongé
dans l'eau. Mais qu'est-ce qu'il peut retrouver de
commun avec cette expérience pour la transposer
spirituellement quand il voit le curé effleurer
à peine de trois gouttes d'eau vite épongées
le front de son enfant ? ( pp: 6-7 ) Il est incontestable
que l'abandon de l'immersion au profit de l'infusion
a affaibli, anémié le symbolisme propre
au baptême chrétien, qu'il a provoqué
une occultation de la référence symbolique
à la mort et à la résurrection
du Christ. On peut encore remarquer que le baptême
par infusion supprime le symbolisme de la dénudation.
Heureusement, depuis Vatican II, et dans le nouveau
Catéchisme de l'Eglise catholique, l'Occident
chrétien est en train de redécouvrir
l'importance de l'immersion baptismale. Le souhait
des Orthodoxes est que le baptême par immersion
devienne de plus en plus fréquent dans l'Occident
chrétien. Dans le monde orthodoxe on a pu parfois
constater la tentation de procéder au baptême
par infusion. Ce fut le cas, par exemple, dans la
Russie septentrionale, en raison du climat. Au XIIème
siècle, l'évêque Elie (1165-1186
) avertit les habitants de Novgorod de ne pas se contenter
de verser de l'eau sur la tête de l'enfant au
lieu de le plonger dans l'eau baptismale. On retrouve
cet avertissement en 1274 ( synode de Vladimir ),
et aux 14ème et 15ème siècles,
dans les lettres aux habitants de Novgorod et de Pskov
des métropolites Cyprien (1390-1405 ) et Photius
( 1408-1431 ). Mais cette pratique constitue un phénomène
marginal.
Père André Borrély, recteur
de la paroisse St Irénée de Marseille,
France.
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