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Jésus
dit à ses disciples : Vous êtes le sel de la terre.
Mais si le sel vient à s'affadir, avec quoi le salera-t-on
? Il n'est plus bon à rien, qu'à être jeté dehors
et foulé aux pieds par les gens. (Evangile selon saint
Matthieu 5, 13.)
«
Vous êtes le sel de la terre », venons-nous de lire
dans qu'est-ce à dire ?
Comme vous le savez, dans la tradition orthodoxe, l'homme
est la « Gloire » de Dieu, c'est-à-dire qu'il manifeste
Dieu dans le monde : il rend Dieu présent dans le monde.
L'homme est pour l’univers entier l'espoir de recevoir
la vie de Dieu et sa grâce et donc de s'unir à son Créateur.
L'homme pourra alors dire le sens de la Création et
parfaire sa beauté. C'est cela être « le sel de la terre
».
Ce sera aussi, bien sûr, l'espoir de transformer cette
Création, de la transfigurer en lui permettant de vivre
et de découvrir ce qu’elle a de plus caché et de plus
palpitant en elle : Dieu présent et désirant s'unir
à l'homme et au monde.
Mais l’homme, c'est aussi le risque de la déchéance
et de l’échec, dès lors qu'il ne verra plus des choses
que leur apparence, « la figure qui ne fait que passer
».
Saint Syméon le Nouveau Théologien nous décrit d'une
manière poétique la catastrophe qu'est pour le monde
entier l'homme quand il ne s'attache qu'aux images et
à son plaisir. C'est alors la chute de l'univers. «
Toutes créatures, lorsqu'elles virent qu'Adam était
chassé du Paradis, ne consentirent plus à lui rester
soumises ; ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles
ne voulurent le reconnaître ; les sources refusèrent
de faire jaillir l'eau, et les rivières de continuer
leur cours ; l'air ne voulait plus palpiter pour ne
pas donner à respirer à Adam pécheur ; les bêtes féroces
et tous les animaux de la terre, lorsqu'ils le virent
déchu de sa gloire première, se mirent à le mépriser
et tous étaient prêts à l'assaillir ; le ciel s'efforçait
de s'effondrer sur sa tête et la terre ne voulait plus
le porter. »
Ainsi donc, après avoir détruit l'unité qu'il était
appelé à réaliser entre Dieu et le monde, l'homme se
met souvent hors de Dieu, voire contre Lui. Tragique
est la conséquence : le monde lui devient étrange et
hostile. Mais cette étrangeté et cette hostilité, c'est
en fait l'homme lui-même, jeté hors de lui-même, littéralement
pulvérisé hors de la Création.
La suite, nous la connaissons : « Poussière, tu retourneras
à la poussière », est-il affirmé dans le livre de la
Genèse (3, 19).
« Mais Dieu, poursuit saint Syméon, qui avait créé toutes
choses et l'homme lui-même, que fit-il ? Il contint
toutes ces créatures par sa propre force et, par son
ordre et sa clémence sacrée, ne les laissa pas se déchaîner
contre l'homme, mais ordonna que la Création restât
sous sa dépendance et, devenant périssable, servît l'homme
périssable pour lequel elle était créée et cela jusqu'à
ce que l'homme renouvelé redevienne spirituel, incorruptible
et éternel, et que toutes les créatures, soumises par
Dieu à l'homme dans son labeur, se libèrent aussi, se
renouvellent avec Lui et, comme Lui, deviennent incorruptibles
et spirituelles. »
Ainsi, avec chaque création et chaque chute, le destin
du monde et de chaque homme s'avance vers la Croix,
la Résurrection, l'Ascension et... la Pentecôte.
Oui, je l'affirme, le fait que Dieu se soit fait homme
est, pour notre existence, un événement unique, c'est
l'événement capital, car l'homme devient ou redevient
le centre de la Création. Voilà, pour moi, le sens de
la vie, voilà pour moi, l'espoir : nous sommes dès maintenant
des transfigurés, Dieu est présent chez nous, c'est
pourquoi, nous qui le savons sommes « le sel de la terre
». Nous sommes tous des fils de Dieu !
« Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd
sa saveur ? »
L'histoire en Christ est sans doute achevée maintenant.
Mais notre histoire humaine continue. Quelle est-elle,
cette histoire ? Elle est l'accomplissement et la réalisation
de la grâce et de la promesse de Dieu. Ainsi, s'ouvre
à nous le temps de la plénitude avec l'Ascension de
Jésus, notre nature est introduite au sein même de la
Trinité ; avec la Pentecôte, chaque personne humaine
peut librement prendre ou s'offrir : la force divine
se donne à chacun. Notre histoire, histoire de lumière
et d'action de l'Esprit Saint devient à son tour celle
du feu que le Ressuscité a jeté sur la terre et qui
ne cesse d'embraser les âmes.
« Seigneur, s'écrie avec une douloureuse joie l'un de
nos plus grands maîtres de spiritualité, pourquoi es-tu
venu vers ma pauvreté, toi qui habites la lumière inaccessible,
ô mon Dieu ? »
Vous le voyez, l'idée que les chrétiens sont le « sel
de la terre » revêt à l'évidence une dimension cosmique
qui empêche la Création de pourrir - grâce à cette saveur
évangélique, à ce point de sainteté qui transforment
toute chose en offrande. Notre responsabilité réside
donc bien dans ce fait de la Transfiguration qui a pour
conséquence la divinisation du monde et pour but suprême
la glorification de Dieu. La question clé est ici, non
pas de savoir si le christianisme survivra à la crise
qu'il traverse en ce moment, mais de se demander si
l'humanité saura survivre au christianisme s'il venait
à disparaître !
«
Vous êtes le sel de la terre ; mais si le sel perd sa
saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? »
Seigneur, notre Dieu, qui dans Ta sagesse indicible
as créé l'homme avec de l'argile et en as fait un être
magnifique et divin, en le façonnant à Ton image et
à Ta ressemblance, accueille en cet instant avec bienveillance
notre supplication :
- donne-nous, à nous tous qui portons le nom de Jésus
dans le cœur, de participer pleinement à la vie de l'univers
ainsi qu'à l'œuvre commune de toute l'humanité ;
- permets que dans la science, la technique, l'art,
la politique, nous ne soyons pas coupables de cette
mauvaise autonomie qui détourne les êtres les uns des
autres et de leur désir de communiquer ;
- accorde que partout où nous sommes partie prenante,
le rapport de l'homme avec l'homme se transforme en
rapport de communion et le rapport de l'homme et de
la terre en découverte de Ta présence, certitude de
Ta transcendance ;
- apprends-nous la vraie prière, car elle seule soutient
et justifie notre travail manuel et scientifique ; elle
seule inspire tout développement authentique ; elle
seule protège du chaos et de la décomposition la qualité
de toute vie humaine et de son environnement naturel
;
- aide-nous enfin à comprendre que notre problème ultime
n'est pas, malgré sa gravité et son urgence, un « problème
de société », comme on dit, ni un problème de richesse
ou de pauvreté ou de santé, d'alimentation ou de justice
à l'échelle planétaire ; mais que notre problème ultime
c'est celui « de la vie et de la mort » qui ouvre à
tous les portes de la vie avec Toi.
Oui,
Seigneur bon et Ami des hommes,
Sauve et bénis Ton peuple,
Par les prières de Ta Mère toute pure et toute sainte,
Notre Dame la Vierge Marie,
Par la puissance de Ta vénérable et vivifiante Croix,
Et par l'intercession de tous les martyrs et de tous
les saints qui sont devenus Tes « lieux » afin de contenir
l'œuvre de Tes mains et de la recentrer dans le dynamisme
de Ton Amour et de Ta Gloire infinis pour que nous devenions
« le sel de la terre ».
Et les miséricordes de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ
seront avec nous tous.
Amen
Mgr
Stephanos
« Une saison en orthodoxie » (P59 à 63) 1992 Ed Cerf
Paris
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