Que
tes tabernacles sont aimés,
Seigneur des Puissances !
… tes autels, Seigneur des Puissances,
mon Roi et mon Dieu !
Nous
pouvons acheter le ciel, et nous négligeons de le faire
! Nous pourrions donner un pain et obtenir en retour
le paradis. Faire don de la mortalité et recevoir en
échange l’immortalité. Que suscite à notre entendement
l’approche de Dieu ? La joie, la terreur, la contrition
? Ce Dieu que nous avons rencontré hier sera-t-il encore
celui qui pourrait se révéler à nous demain ?
Affirmer la présence de Dieu ou même croire en Lui,
est une chose plus ou moins simple et même facile dans
une certaine mesure ; mais le connaître et l’accepter
comme Seigneur par l’Esprit en est une autre, beaucoup
plus difficile. Loin de moi donc l’idée de sous-estimer
la force de la négation moderne contre la foi, tout
comme celle de fermer les yeux devant ces valeurs de
désir, d’espérance de foi, d’affirmation si réelle qui
sommeillent au plus profond de la négation de l’homme
moderne : la grâce et l’Esprit Saint ne côtoient-ils
pas ainsi les passions et les négations ?
Bienheureux
ceux qui habitent dans ta maison,
Dans les siècles des siècles ils te loueront.
Pour
le monde qui s’idolâtre, l’Eglise demeure une blessure.
Elle reste aussi la seule promesse de vie, à cause de
la Résurrection. A l’heure actuelle où l’homme moderne
n’a plus d’accès facile à la réalité transcendante l’Eglise
devient minoritaire, moins certes dans le sens numérique
que dans celui de la valorisation que fait d’elle la
société environnante. Cela la ramène à juger elle-même
ses engagements passés, à se détacher d’un certain cadre
de civilisation pour une présence plus libre et plus
simple à elle-même et aux autres.
Jetée dans une société avec laquelle elle risque d’avoir
de moins en moins d’attaches historiques elle se présente
dans un sens, ici ou là, comme un commencement absolu.
Elle n’a plus le sentiment d’être une embarcation bien
solide mais elle ne perd pas de vue que son Seigneur
marche sur les eaux. Elle sait que c’est en jetant du
lest qu’elle ne périra pas.
Elle est actuellement consciente d’une vulnérabilité
qui l’apparente au monde dans son angoisse. Elle n’est
plus l’organisme qui sait tout, qui dit tout, mais elle
écoute aussi la voix de l’Esprit qui se fait entendre
dans toutes les manifestations de la recherche humaine.
Elle
est comme ces « jeunes gens dans la fournaise ». Et
de la fournaise naquit une doxologie qui s’éleva coudée
par coudée, au-dessus des flammes.
Et les trois jeunes gens chantèrent le Seigneur : «
Béni sois-tu Dieu de nos Pères ; loué es-tu et glorifié
dans les siècles… » Et l’Ange du Seigneur descendit
jusqu’à eux et de trois ils devinrent quatre et ils
se mirent à danser au milieu des flammes !
Et
il y aura à nouveau une nouvelle Pentecôte, et l’écorce
ancienne éclatera, et elle assurera l’équilibre et la
santé et l’orthodoxie de tout notre renouveau théologique
et biblique, de toute réforme de la vie de l’Eglise
et de toute notre « praxis » sociale.
Seigneur, Dieu des Puissances,
exauce ma prière,
Prête l’oreille, Dieu de Jacob.
Comment
invoquer le Père, vivre dans l’Eglise en tant que fils,
et garder l’audace ? Comment préserver le mystère et
en même temps le communiquer ? Comment introduire le
monde dans le secret de Dieu, dans la chambre nuptiale,
sans l’attacher à son dynamisme propre ? Terrible est
donc ici notre responsabilité, qui nous impose de témoigner
dans la joie que « Christ est ressuscité » !
Terrible oui, notre responsabilité devant cet appel
tragique de l’homme moderne qui n’est plus sensible,
dans l’ascèse, à l’idée de « l’exploit » , cette nécessité
de chercher une vision globale, une morale de vie pour
le monde ; cette nécessité de dépasser les exigences
de ses problèmes intérieurs pour dire l’essentiel au-delà
des mythes et des peurs.
… prête l’oreille, Dieu
de Jacob.
L’homme,
disait le patriarche Athénagoras, porte en lui un dramatique
univers intérieur. Qu’il trouve donc dans l’Eglise son
lieu véritable, près de Dieu. Qu’il apprenne à réaliser
avec Dieu une synergie, une ascèse créatrice capable
de susciter une authentique culture, de maîtriser la
vie en la spiritualisant […] L’homme a besoin, plus
que n’importe qui d’autre de l’Eglise et de la liturgie
[…] Il a besoin de faire l’expérience de la présence
du Christ en lui, et de sortir du sanctuaire porteur
du témoignage du Christ […] Il a besoin d’être possédé
par un désir constant de transfiguration, en aspirant
à un monde renouvelé… » (Sofia, 12 novembre 1967).
Car un jour dans tes tabernacles
En vaut plus que mille ;
J’ai préféré la dernière place dans la maison de mon
Dieu
Plutôt que d’habiter sous les tentes des pécheurs.
Telle
est la signification de l’autel très saint qui transforme
toute théologie en expérience ; qui sanctifie et illumine
l’amour de façon indestructible, qui permet d’être sauvé
même à celui qui, trop faible pour se repentir vraiment,
toutefois est prêt, patiemment, humblement et avec joie,
à porter tout le poids des conséquences de ses péchés.
… j’ai préféré la dernière
place…
Dans
son humilité, ce pécheur-là est agréable à Dieu. Parce
que pour lui « fut plantée la Croix sur terre qui s’élève
jusqu’aux cieux non par la hauteur de son bois, mais
parce qu’en Elle le Seigneur accomplit toute chose ».
Aujourd’hui,
tout témoignage ne peut être valable que d’homme à homme.
Par conséquent, le nôtre se voudra inséparable d’une
certaine manière d’aimer qui ne soit jamais possession,
mais uniquement prière et service afin que l’autre soit
reçu et reste pleinement lui-même dans sa voie unique
vers la déification.
Et
puisque les trois branches de la croix « nous sont une
image de l'unique Trinité », comment oublier qu'une
personne ne peut être véritablement connue sinon dans
une véritable Révélation ?
Car le Seigneur aime la
miséricorde et la vérité,
il donnera la grâce et la gloire.
«
Le Père est l'Amour qui crucifie ; le Fils est l'Amour
crucifié et l'Esprit Saint est la force invisible de
la Croix » (Philarète de Moscou). Mais au lieu d'une
religion d'Amour, de l'Amour crucifié, ne proposons-nous
pas une religion de la loi, du châtiment, de l'obsession
? Une sorte de religion terroriste où l'Evangile se
réduit bien plus à un système moraliste qui oscille
entre un Père tyran et redoutable et un Père patriarche
bonasse et rassurant ? Elles sont dures pour nous ces
paroles d'Origène : « Ainsi arrive-t-il parfois que
celui qui est à l'intérieur est dehors. »
Seigneur
des Puissances,
bienheureux l'homme qui met en toi son espérance !
Pourtant,
nous ne sommes pas sans solution. « Nous ne savons pas
ce qu'il faut demander pour prier comme il faut, dit
saint Paul, mais l'Esprit lui-même intercède pour nous
» ; car toutes les solutions passent nécessairement
par la voie de la prière.
Prier,
ce n'est pas être seul. Prier, c'est respirer l'air
d'un espace qui n'est pas celui de ce monde mais celui
du Royaume de Dieu. Prier, c'est sans doute traverser
le monde en crucifié, mais c'est aussi établir entre
les hommes ces seules véritables relations évangéliques
qui dépassent le droit et la force. Prier, c'est se
remettre sans cesse en question afin d'ébranler toutes
ces fausses sécurités derrière lesquelles on s'abrite
et qui n'ont rien de l'Evangile.
Prier
enfin, c'est devenir réellement présent dans l'œuvre
commune des hommes (art, science, technique, politique,
organisation de la cité...) par le fait de se situer
dans une perspective de transfiguration et de sainteté.
...
bienheureux l'homme qui met en toi son espérance !
Cet
homme pécheur conscient et pécheur pardonné ; cet homme
humble et inconnu multiplicateur d'amour, de justice,
de beauté et de paix qui parle à travers la densité
de sa vie crucifiée et ressuscitée.
Il témoigne, cet homme, que l'événement de la nouveauté,
c'est bien cette Vie qui n'est pas notre vie mêlée de
mort, mais l'Amour plus fort que la mort.
Monseigneur
Stephanos de Tallinn et de toute l'Estonie