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E.I.I.R - XXXIIIe Rencontre Internationale - Saint Jean
de Rila - Bulgarie -
(
13/19 juillet 2010 )
Très
chers Frères et Soeurs en Christ,
Je rends grâces à Dieu pour ces journées qu'Il nous
accorde dans son immense bonté et qui, à travers les
liens chaleureux que nous ne cessons de tisser entre
nous années après années, nous donnent de vivre le partage
de sa parole dans ce lieu exceptionnel de haute spiritualité
qu'est le Monastère Saint Jean de Rila. Le seul fait
de nous être retrouvés ici est déjà une grande bénédiction
en soi que tous, j'en suis sûr, nous apprécions comme
il convient et plus encore au-delà de toute attente.
La
Résurrection du Christ, notre espérance !...L'Apôtre
Paul l'a très bien compris, lui qui nous demande de
devenir conformes au Christ dans la mort, dans la communion
à ses souffrances, pour le connaître lui et la puissance
de sa résurrection (Philippiens 3/10) afin de nous offrir
à Dieu comme des vivants revenus d'entre les morts (Romains
6/13). La Résurrection concerne et saisit tous les hommes.
Pourtant une lecture plus attentive de 2 Corinthiens
5/15 - il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent
ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est
mort et ressuscité pour eux-mêmes - nous offre un éclairage
particulier. Ce verset, ce me semble, ne signifie pas
que la mort du Christ a changé comme par miracle la
vie et l'état des hommes ni que les hommes sont associés
de façon passive à cette mort. Autrement dit, si nous
examinons plus attentivement ce passage, il apparait
qu'il fait non seulement référence à la mort et à la
résurrection du Christ mais aussi allusion à la mort
et à la résurrection de ceux qui sont baptisés en Christ.
Tous ceux qui ont cru en Christ et ont été baptisés,
eux aussi ont été crucifiés avec le Christ. Depuis ce
moment-là ils vivent une nouvelle réalité dans la foi
au Christ Sauveur (Galates 2,20) car si quelqu'un est
en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses
anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues
nouvelles (2 Corinthiens 5,15 ).
Le
Christ a donné sa vie pour que nous devenions en lui
justice de Dieu (2 Corinthiens 5,21) mais de son côté
l'homme se doit de ne pas se permettre de recevoir la
grâce de Dieu en vain (2 Corinthiens 6,1). Ceux qui
sont à Jésus ont crucifié la chair avec ses passions
et ses désirs (Galates 5,24).
Ainsi
nous entrons avec la Résurrection dans une dimension
nouvelle, révolutionnaire : le jour de Pâques n'est
pas que la simple commémoration d'un évènement historique
; il dépasse le temps de l'histoire car il appartient
désormais au Temps propre du Christ où tout est présent
; où passé et avenir s'y mèlent à cet instant, tant
il est vrai que la Résurrection fait converger le tout
en un point unique où tout est définitivement présent
: désormais, le grand et saint Vendredi et Pâques ne
font plus qu'un dans l'éternité de la vie divine du
Christ, même si historiquement la Passion précède la
Résurrection. C'est à travers la souffrance que Dieu
triomphe de la souffrance ; c'est à travers la mort
qu'il triomphe de la mort. La douleur du Christ n'est
opposée ni à sa gloire ni à sa béatitude. Elle est la
matière même dont il tire son éternel triomphe. La souffrance
du Christ, souffrant toujours avec l'homme, et déjà
surmontée par sa propre résurrection allège toutes nos
souffrances et, même si nous ne le voyons pas, fournit
une réponse à la question de notre propre mort. Sans
cette certitude, à la mère qui vient de perdre son fils
unique, à la jeune femme qui vient de perdre son mari,
oserions-nous leur dire : "Jésus lui-même, mort
et ressuscité pour toi, en cette minute souffre ce que
tu souffres et la croix que tu portes est la croix de
ton Sauveur ? Et puisque Jésus la porte en ce moment
avec toi, sache que ce portement de la croix à deux
exprime déjà un triomphe. Mais viendra le jour où tes
yeux s'ouvriront et tu sauras, toi aussi !"
Mais
est-il vrai, se demande Olivier Clément de bienheureuse
mémoire, que le Christ est ressuscité ou sommes-nous
des menteurs qui se contentent de bien chanter? Et d'ajouter
: si le Christ est vraiment ressuscité, un peu en nous,
si peu que ce soit, alors soyons assurés que quelles
que soient les difficultés, l'amour et l'intelligence
viendront. A celui qui attend une démonstration pour
qu'il se voit obligé de croire, la réponse est claire
: ce genre de preuve n'existe pas.Mais tout au long
de l'histoire de l'Eglise, tout au long de l'histoire
des hommes tout comme aujourd'hui aussi il y a une multitude
de "signes de Résurrection".
Le
Royaume de Dieu ne vient pas comme un fait observable,
a dit le Christ dans Luc 17,20. Il vient dans toute
sa force, dans sa lumière et dans sa victoire, chaque
fois que nous le faisons sortir des enceintes que nous
nous réservons égoïstement pour nous seuls à l'intérieur
de nos églises ; chaque fois que nous ne l'enfermons
pas dans le tombeau de nos espaces psychiques, de nos
imaginations, de nos pensées et de nos émotions où nous
croyons posséder sa présence. L'espace mystérieux du
coeur, lorsqu'il est habité par Jésus ressuscité, ne
connait plus de limite ; il porte l'univers dans la
largeur et la profondeur de l'amour de son Seigneur.
Souvenons-nous du merveilleux sermon pascal que nous
a légué Saint Jean Chrysostome et que les chrétiens
Orthodoxes lisent à la fin des matines pascales : il
n'est fait aucune distinction entre les ouvriers de
la première heure et ceux de la neuvième ; le Christ
invite à la fête les uns et les autres ; ceux qui s'y
sont préparés et ceux qui ne s'y sont pas préparés.
Et il agit de même avec nous. Nous sommes loin, écrit
un de nos spirituels orthodoxes du siècle passé, du
moins la plupart d'entre nous, d'avoir bu au calice
de la Passion. Nous n'avons pas aidé Jésus à porter
sa croix. Nous ne sommes pas morts avec lui. Nous avons
dormi pendant son agonie ; nous l'avons abandonné ;
nous l'avons renié par nos péchés multiples. Et cependant,
si peu préparés, si impurs que nous soyons, Jésus nous
invite à entrer dans la joie pascale. Le Christ ici
n'est plus séparé de rien, de personne. La victoire
sur la mort, c'est la victoire sur la séparation. La
vie du Christ devient la nôtre. Le baptême nous insère
dans le dynamisme de la Résurrection. L'eucharistie
constitue pour nous, disait Saint Cyrille d'Alexandrie,
"le corps même de la Vie".
C'est
à juste titre que l'Apôtre Paul nous demande de devenir
conformes au Christ dans la mort, dans la communion
à ses souffrances, pour le connaître lui et la puissance
de sa résurrection (Philippiens 3,10) afin de nous offrir
à Dieu comme des vivants revenus d'entre les morts.
La Résurrection est en nous, dès maintenant. Nos souffrances
les plus aigües, notre agonie même, si nous les abordons
avec un très humble abandon, une très humble, très enfantine
confiance, vont s'identifier aux souffrances et à l'agonie
du Christ et déboucher dans une vie plus forte que la
mort. Il nous semblait mourir et voici que la mort n'existe
plus. Nous pleurions nos morts et voici qu'ils ne sont
pas morts mais, en Christ, tout proches de nous. La
Résurrection fait ainsi la joie des martyrs, elle leur
permet de prier pour leurs bourreaux. La Résurrection
nous permet d'accueillir et d'aimer d'une manière désintéressée
: je n'ai plus besoin de faire d'autrui le bouc-émissaire
de mon angoisse, puisque la mort est vaincue et que
l'angoisse au fond de moi devient confiance. La sainteté
n'est rien d'autre que la transparence à cette immense
force de vie. Dans l'Eglise ancienne on disait d'un
saint qu'il est ressuscité dès ici-bas (in Métropolite
Meletios de France - message pascal du 26 avril 1981).
A
nos yeux la Résurrection du Christ n'est pas seulement
une assurance renforcée de l'immortalité des âmes, des
personnes : elle veut embrasser toute la terrre, tous
les êtres, toutes les choses, tous les instants, tous
les visages, tous les corps, le brin d'herbe et la nébuleuse.
Tout doit trouver place dans le Corps glorieux du Ressuscité.
Arrivés
à ce stade de mon propos et afin de mieux l'éclairer,
il m'a semblé judicieux d'entreprendre avec vous un
pèlerinage spirituel sur les traces de la Grande et
Sainte Semaine, telle que la propose l'Eglise Orthodoxe
à ses fidèles.
A l'office des matines des trois premiers jours il est
question de l'Epoux qui arrive au milieu de la nuit
; bienheureux le serviteur qu'il trouvera vigilant ;
malheureux celui qu'il trouvera indolent...Ce qu'il
y a d'unique en Jésus, c'est qu'il n'est pas venu pour
des individus exceptionnels mais pour des pécheurs.
Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde,
les aima jusqu'à la fin (Jean 13,1). Non seulement Jésus
a aimé les hommes, quels qu'ils soient, jusqu'au dernier
moment de son existence terrestre, mais il les a aimés
au maximum. Ceux qui en ce monde ont fauté, qui se sont
couverts de honte, qui sont déchirés de doutes, les
désespérés de toutes sortes... C'est parce que nous
sommes comme eux que nous ne pouvons nous passer du
Christ pour être sauvés. Comment des générations de
chrétiens ont-elles pu devenir insensées au point de
faire de l'Eglise une secte de justes, se demande le
Moine de l'Eglise d'Orient dans l'un de ses écrits ?
Voici
l'Epoux ; il vient au milieu de la nuit. Dieu n'est
pas loin de moi. Il est là où je suis. Il me révèle
que je suis meilleur que mon péché. Il n'y a que le
vrai Dieu pour comprendre ainsi l'homme. Il n'y a que
le vrai Dieu pour mettre ainsi dans sa Passion un tel
comble à son amour, en assumant sur la croix et notre
péché et notre condamnation. Jésus appartient à la même
foule humaine que nous. Il a vécu chacune de nos histoires.
Il a mangé du même pain que nous. Sur la croix il a
été exposé à la même mort. Il est des nôtres. Voilà
pourquoi il peut non seulement ôter le péché du monde
mais aussi le prendre sur ses propres épaules. L'emporter
et le porter.
L'Epoux
vient donc au milieu de la nuit. Nous voici en quelque
sorte mis de manière abrupte en demeure de révéler les
plaies de notre vie ; aucun détour n'est ici possible
: la libération vraie est liée à la conversion. Le Christ
vient ainsi nous interroger sur nos blessures secrètes
les plus intimes ; il vient mettre le doigt sur les
plaies de notre âme. Il vient non seulement dévoiler
notre péché en pleine lumière mais aussi nous parler
de repentance et de pardon. Rien ne l'arrête, ni les
prostituées, ni les superbes, ni les brutes. Il les
appelle. Il rejoint chacun là où il est le plus seul,
dans le plus profond de son péché. Et si quelqu'un d'autre
vient à protester, il lui réplique : Pourquoi ton oeil
est-il mauvais parce que je suis bon ?
Inutile donc de chercher au loin. Dieu n'est pas ici
ou là. Il est en nous. C'est le Dieu de notre existence
quotidienne. Il nous accompagne du dedans dans notre
maison, dans tous nos travaux. Il partage nos tracas,
se mêle de nos affaires, porte nos épreuves. Il vit
avec nous nos journées et dort notre nuit. Il entend
nos conversations mais aussi notre silence. Il n'est
pas comme notre main gauche qui ignore ce que fait notre
main droite. Quand nous avons tiré sur notre porte,
il peuple notre solitude. Il est celui qui prend en
charge notre secret. Avec lui il n'y a pas de secret.
L'Epoux Jésus est bien le plus court chemin pour aller
jusqu'au bout du coeur de l'homme.
Le
tout de ces trois premiers jours de la Grande et Sainte
Semaine culmine dans le tropaire dit de Cassienne, du
nom de la moniale qui l'a composé, que l'on chante au
doxastikon des apostiches des matines du mercredi saint.
C'est le long cri d'une femme tombée dans une multitude
de péchés.
Tenue
par l'amour du péché, sans clarté, offrant le flot de
ses pleurs et l'effusion de ses larmes, cette grande
pécheresse décide, malgré son désespoir, de faire appel
à la présence et à la pitié insondables du Seigneur.
Dans l'acte même de ses fautes et sans même qu'elle
n'ait le courage de l'interrompre, elle sait qu'un cri
peut encore jaillir d'elle ; un cri de dégoût, d'angoisse,
d'horreur même. Hélas, se lamente-t-elle, la nuit me
tient et l'aiguillon du plaisir... laisse-moi baiser
tes pieds immaculés,... ces pieds dont Eve au Paradis
perçut le bruit et frémissante à leur approche se cacha.
Seigneur, qui scrutera la multitude de mes péchés ?
Qui sondera l'abîme de tes jugements, Dieu rédempteur
et Sauveur de nos âmes ?
Ici,
point de parole de grâce sans une parole de jugement.
Le passé ou le présent de l'homme, si coupables soient-ils,
reposent sur l'ordre de la grâce, dans la mesure où
tout destin humain se rattache au plan de grâce voulu
par Dieu. Je veux dire par là qu'un grand échange a
été opéré au Golgotha entre le pécheur et son Dieu.
C'est l'homme qui pèche et c'est Jésus qui meurt. C'est
l'homme qui pèche et c'est le Dieu-Homme lui-même qui
devient le rejeté, le condamné. Le Golgotha : non une
exigence de justice mais une exigence d'amour, d'amour
maximal. Au pied de la croix nous découvrons que c'est
le flot de boue, de mort et de désespoir du monde entier,
du début à la fin de l'histoire, qui déferle sur le
Christ crucifié. Il porte tout péché, toute mort, toute
souffrance qui atteint chaque être venu au monde. La
Croix est le jugement du jugement, la condamnation de
la condamnation, disait saint Maxime le Confesseur (PG
90, 408D). Dans la liturgie syriaque, rapporte Olivier
Clément on entend saint Pierre qui empêche le larron
d'entrer au paradis : Vraiment, tu as trop fait, la
porte restera close. Mais l'autre, saisissant la croix
qu'il porte sur sa poitrine, écarte Pierre en disant
: Voici la clé. C'est elle qui me permet d'entrer. (in
"Christ est ressuscité", DDB 2000, p.43),
Le Christ assurément lui ouvre le paradis, étant lui-même
le paradis, c'est-à-dire la présence de Dieu. En métamorphosant
la croix, il plante ainsi le nouvel Arbre de Vie au
coeur même de la terre sanglante (Olivier Clément, ibid.p.42).
Il y a là, pour notre piété, encore beaucoup à exploiter
dans ce mystère.
Plutôt
que de nous obstiner à raisonner sur ce thème, plutôt
que de chercher à l'expliquer par autant de mots qui
ne seront que de bien tristes balbutiements, contentons-nous
en toute humilité de cette parole de saint Augustin
: Donne-moi quelqu'un qui aime et il sentira ce que
je dis...
L'office
de la lecture des 12 évangiles lors des matines du grand
et saint Vendredi traite bien évidemment de la permanence
et de l'actualité de la Passion du Sauveur. Les saints
ont toujours senti que la Passion de Jésus n'était pas
qu'un simple évènement du passé. Ils s'en font en quelque
sorte les contemporains. Toutefois, la souffrance comme
la résurrection de Jésus, avons-nous déjà dit, est un
mystère qui ne se démontre pas, dont on ne peut parler
que par analogie et approximation. En toute vérité,
Jésus sur la croix, c'est vous et moi, transfigurés
"à sa ressemblance". Non pas pour anesthésier
la souffrance mais pour lui faire porter, de la manière
la plus poignante, son fruit de vie, son fruit d'amour.
Cela
parait fou à l'homme d'aujourd'hui qui pense parvenir
à éliminer la mort par la survie biologique. Mais pour
quelle vie ? La sagesse de la Croix est la source de
la vie divine en nous, à chaque instant, si nous consentons
à contempler Celui que nous avons transpercé ; si nous
nous contentons de nous laisser attirer par Lui et de
tenir ferme puisque c'est Lui qui combat pour nous.
Etiez-vous
là, quand on a crucifié mon Seigneur ?, s'exclame de
façon actuelle et poignante une phrase tirée d'un chant
du répertoire du negrospiritual. Là, au Golgotha, où
Jésus est cloué à notre souffrance, à celle des autres,
au centre même de notre péché ? Là, au Golgotha, où
aujourd'hui encore on torture, on crucifie Jésus partout
dans le monde et à toute heure ? D'où la nécessité de
l'Incarnation et la nécessité de cette mort divine.
Dans le Christ, l'homme restaure l'obéissance et l'amour
du fait que la mort du Christ est la preuve suprême
de son amour pour la volonté du Père, de son obéissance
au Père. ; par le Christ, l'homme peut vaincre le péché
et le mal. Il était essentiel que la mort fût non seulement
détruite par Dieu, mais vaincue et terrassée dans la
nature humaine elle-même, par l'homme et dans l'homme.
Car, puisque la mort est venue par un homme, c'est aussi
par un homme que vient la résurrection des morts. Et
comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront
en Christ...(1 Corinthiens 15,21-22).
Dans
le tombeau la ténèbre semble se refermer sur le Crucifié.
Un instant les forces du mal semblent triompher. Mais
au même moment apparait le vrai sens de sa mort. "Celui
qui meurt sur la croix, le Christ, possède la vie en
lui-même, c'est-à-dire qu'il a la vie non comme un don
reçu de l'extérieur - quelque chose qu'on pourrait lui
enlever - mais qu'elle est sa propre essence. Il est
la vie et la source de toute vie. Comme homme il peut
réellement mourir ; mais en lui c'est Dieu qui entre
dans le royaume de la mort, qui goûte à la mort. L'homme
qui meurt est Dieu ou, plus exactement, l'Homme-Dieu...
C'est seulement dans l'unité, sans confusion, sans changement,
sans division ni séparation de Dieu et de l'homme dans
le Christ que la mort humaine peut être assumée par
Dieu et être vaincue et détruite du dedans, écrasée
par la mort (in "Le Mystère pascal", Spiritualité
Orientale n° 16, Edition Abbaye de Bellefontaine, 1975
- pp.47-48)". Le but final de l'Incarnation, c'est
la destruction de la mort. La rencontre avec la mort
est l'heure du Christ, cette heure pour laquelle il
est venu (Jn 12,27). Dans le tombeau il n'attend pas
passivement. Les Pères voient ce moment comme un duel
entre le Christ et la mort, entre le Christ et Satan,
car cette mort devait être ou bien le dernier triomphe
de Satan ou sa défaite décisive. Tel est le sens de
la descente de Jésus dans l'Hadès, de sa mort devenant
sa victoire.
Le
tombeau fut ta demeure : dans la mort comment descend
notre Vie ? pour détruire à tout jamais l'empire de
la mort et sauver de l'Enfer les morts en les ressuscitant.
( Eloges funèbres du grand Vendredi t, 1ère Stance).
Le tombeau donc, cette terre de repos qui n’est rien
d’autre que notre propre abîme - brisure géante où s’engouffre
la mort - et qui s’appelle notre péché. C’est là que
le Christ a demandé à être déposé, enseveli avec nous,
pour y porter le fruit de sa résurrection.
Que
la création soit dans l'allégresse ! Que tous les habitants
de la terre se réjouissent, car l'enfer ennemi est dépouillé.
(canon du grand Samedi).
Ainsi
le tombeau, cet abîme un instant ouvert, s'emplit du
Souffle de la Résurrection. Comme l'a écrit Hans Urs
von Balthazar : C'est l'Enfer lui-même qui devient Eglise
(in "Christ est ressuscité", loc.cit.p.43).
Eglise en effet parce que c’est dans l'Eglise que l'humanité
du Christ, laquelle est une humanité à la fois crucifiée
et glorifiée et qui est aussi la nôtre, devient pour
nous source de Vie. Pour cette raison, nous dit l'hymnographe,
l'Enfer est rempli d'amertume : Lorsque tu fus déposé
dans un tombeau tout neuf, Sauveur de l'univers, l'Enfer
fut saisi d'effroi, les verrous furent brisés, les portes
arrachées ; alors s'ouvrirent les tombeaux et se levèrent
les morts, Adam plein de reconnaissance, te criait de
joie : Gloire à ta condescendance, Seigneur, Ami des
hommes, gloire à toi ! (apostiches des vêpres du saint
et grand Vendredi). La mort du Christ est une mort salvifique
parce qu'elle détruit la source même de la mort : le
mal ; parce qu'elle manifeste la défaite décisive et
totale du mal.
"Certes,
la mort règne toujours et tout nous rappelle sa présence
: la séparation, la tristesse, la disparition de ceux
que nous aimons, les tragédies si souvent atroces de
l'histoire, la haine de soi, des autres. Mais toutes
ces situations, si nous les traversons dans la confiance
au Ressuscité, si nous acceptons de nous recevoir de
lui, peuvent devenir des chemins de Résurrection (Olivier
Clément, ibid.pp.48-49)", puisque Jésus est descendu
jusque dans les entrailles de l'Enfer pour partager
l'état d'enfouissement dans la mort non seulement de
tous ceux qui avaient vécu avant et après lui, mais
aussi il est descendu pour chacun d'entre nous qui,
en ce moment, sommes encore entre la vie et la mort.
Venez à moi vous tous qui êtes chargés et fatigués;
et je vous donnerai du repos (Mt 11,28) : au fond de
nous, l’angoisse devient confiance et là où l’on croyait
qu’il n’y avait plus d’issue, il est là, lui, notre
lieu, notre Ami et sa présence est une ouverture de
lumière.
Hier,
avec toi, ô Christ, j’étais enseveli; avec toi je me
réveille aujourd’hui, prenant part à ta Résurrection
après les souffrances de ta crucifixion...(matines pascales,
Ode 3). Dans la lumière de Pâques Dieu nous redonne
la vie, Dieu nous pardonne ; tous et tout sont désormais
vivants à jamais puisque le Christ est ressuscité et
que la mort spirituelle, définitivement vaincue, n’est
plus que le „voile déchiré de l’amour“. Dans la lumière
de Pâques Christ est là chaque fois qu’une personne
humaine est ravagée par la douleur et brisée par toute
injustice, par chaque indifférence. Voici, dit le Seigneur,
j’ouvrirai vos sépulcres, je vous ferai sortir pour
vous ramener sur la terrre d’Israël ; et vous saurez
que je suis le Seigneur, lorsque j’ouvrirai vos tombes
pour en faire sortir mon peuple (Ezéchiel 37,12-13).
La résurrection commence dès maintenant, le Ressuscité
saisit chaque homme et chaque femme ; tous les hommes
et toutes les femmes et les recrée dans sa fulgurence.
Venez
prendre la lumière à la Lumière sans déclin et glorifiez
le Christ ressuscité d’entre les morts (début des matines
pascales). La Lumière luit dans les ténèbres et cette
fois les ténèbres par elle sont consumées. Désormais
la terre est ensemencée d’un feu nouveau, du feu de
l’Esprit. Christ est ressuscité des morts ; Christ ressuscite
les morts. Le Christ ressuscité vient habiter l’espace
le plus mystérieux de notre coeur afin que ce dernier
puisse porter l’univers tout entier dans la largeur
et la profondeur de l’amour infini de Dieu tant il est
vrai qu’il n’y a pas de plus grand amour de la vie humaine
et du corps humain que la proclamation de la résurrection
du Christ.
La
résurrection du Christ, notre espérance ?...Sans aucun
doute, puisque la résurrection du Christ, pour nous
les chrétiens, n’est pas un lot de consolation pour
plus tard mais bien notre vocation d’aujourd’hui.
Saint
Jean de Rila, le 17 juillet 2010.
+STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l'Estonie.