L’épisode que nous relate l’évangéliste Luc ( 10/25-37
) nous montre un légiste demandant au Christ ce qu’il
convient de faire pour vivre et Jésus de lui répondre
: aime, aime Dieu et ton prochain comme toi-même mais
fais-le et tu vivras !
Et qui est
mon prochain, demande le juriste avec un brin de naïveté
dans la voix ?… Alors Jésus, pour se faire comprendre,
met en scène un prêtre, un lévite* et un Samaritain**
qui rencontrent sur leur chemin un malheureux Israélite,
victime de brigands. Sur cette route de Jéricho, le
prêtre et le lévite ne se jettent pas sur la bonne action.
En tous cas, ils ne semblent pas convaincus qu’aimer
c’est vivre. Il suffit de les comparer au Samaritain
pour voir où est la vitalité : en découvrant l’homme
étendu par terre il ne se dit pas que l’endroit est
peu sûr, il ne lésine pas sa peine. Il est saisi de
pitié(10/33), il déploie une efficacité surprenante
. Il procure au blessé les premiers soins, le conduit
à l’hôtellerie, paie pour lui de sa personne et de son
argent et n’attend aucun remerciement. « Va, nous dit
le Seigneur, et toi, fais de même(10/37) » .
Voilà comment,
par cette phrase si lourde de sens, Jésus conclut cette
parabole : fais de même, toi aussi, aime et tu vivras.
Scrutons cette affirmation : aimer égale vivre. Mais
est-ce évident pour nous ? Quand Jésus parle d’aimer,
il ne s’agit pas d’une de ces passions du genre simple
amour ou amitié mais de la très exigeante charité fraternelle
pour laquelle on doit vraiment se prendre par la main.
Il faut le faire, commande l’Evangile et ce n’est pas
toujours emballant. Il faut le faire pour ne pas simplement
se contenter de vivoter. Il faut le faire parce que
le prochain est, non seulement celui envers qui on doit
exercer la miséricorde, c’est aussi quiconque qui a
besoin d’un secours, quelle que soit sa nationalité,
sa croyance. A l’occasion, tout homme est notre prochain
et nous sommes aussi son prochain. Dans sa première
lettre (3/17), saint Jean le dit bien : « si quelqu’un
possède les biens du monde, et que, voyant son frère
dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment
l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? » Avis à ceux
qui croient qu’avec de la piété on peut se permettre
d’être égoïste ou d’avoir un fichu caractère.
Le Samaritain
quant à lui a choisi une vie pleine et ardente. Il ne
calcule pas, il ne recherche pas son intérêt. Il agit
avec spontanéité. Personne ne l’a contraint de le faire.
Devant le blessé, il n’hésite pas. Il prend des initiatives.
Il croit en l’amour et il s’y consacre à fond. Le lieu
de ce crime n’est pas seulement désert. Il est dangereux
aussi. Il sait donc qu’il risque sa vie. La logique
commande qu’il prenne la fuite avant que lui-même ne
devienne victime. On trouve hélas des chrétiens assez
tentés par cette sagesse égoïste, au prix d’une vie
menée au compte-gouttes. Lui, bien au contraire, il
reste sur place. Il panse les blessures avec soin, sans
se soucier de voir à nouveau surgir les bandits. Et
pour qui et pour quoi ? Après tout, les Juifs ne sont-ils
pas ses ennemis ? Voilà pour qui il prend des risques.
Voilà à qui il offre tout. A un ennemi !
« Va... fais
de même » ! Le bras de Dieu est assez fort pour nous
arracher à nos égoïsmes comme à nos inquiétudes pour
peu que nous prenions le risque de changer notre cœur.
+STEPHANOS,
métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie .
- - - - -
-
*lévite
: la tribu juive de Lévi a compris de tout temps deux
groupes distincts de ministres sacrés, les prêtres et
les lévites ; les premiers appartenaient exclusivement
à la famille d’Aaron, les seconds se rattachaient aux
autres descendants de Lévi. Deux lévites du Nouveau
Testament sont célèbres : l’un, personnage fictif, figure
dans cette parabole ; l’autre est Barnabée, le compagnon
de Saint Paul.
**Samaritains
: ils sont les descendants de colons originaires de
Babylone que le roi Sargon II avait amenés dans les
villes de Samarie. Les Samaritains étaient haïs des
Juifs parce qu’ils bâtirent un temple sur le Mont Garizim,
ce qui créa un schisme par rapport à celui de Jérusalem.
En
opposant l’attitude du prêtre et du lévite à celle du
Samaritain alors que le blessé était un Juif, on peut
comprendre combien les propos du Christ font date dans
l’histoire de l’humanité : l’amour est universel ; il
vaut pareillement pour tout homme, quelles que soient
sa race, sa religion ou sa condition sociale.