Saint
Honorat, fondateur de Lérins et évêque d'Arles
L'archipel
de Lérins, au large de Cannes, est formé de deux îles.
La plus grande est l'île de Sainte-Marguerite, celle que
l'on découvre la première à l'horizon. Derrière elle se
cache l'île plus petite de Saint-Honorat. Elle porte le
nom du saint dont nous allons faire connaissance.
Incertitudes
sur la vie de saint Honorat
C'est
saint Hilaire d'Arles, successeur d'Honorat sur ce siège
épiscopal, qui nous renseigne le mieux sur la vie d'Honorat.
Les autres sources d'information sont peu nombreuses et
très fragmentaires. Les repères chronologiques font défaut.
La seule date qu'il soit possible de fixer, sans certitude
absolue cependant, est celle de sa mort, en janvier 430.
Mais comme on ignore son âge exact au moment de son décès,
il est bien difficile de savoir à quelle date précise
il est né. On suppose qu'Honorat a pu voir le jour vers
370 à Trèves (A l'époque romaine, cette ville de Rhénanie
s'appelait Augusta Trevirorum. Centre des opérations militaires
des Romains sur le Rhin, c'était une des villes les plus
importantes de l'Empire. Elle fut la patrie non seulement
de saint Honorat, mais aussi de saint Ambroise de Milan
et de... Karl Marx ! Saint Athanase y fut envoyé en exil).
Mais peu importe. Car bien plus passionnante et attachante
est la sainteté d'Honorat, si l'on considère la noblesse
de ses origines et les talents qui le destinaient à une
brillante carrière civile.
La
conversion d'Honorat
Honorat
appartenait à l'aristocratie gallo-romaine pour qui le
consulat apparaît encore, au cinquième siècle, comme le
plus beau couronnement d'une carrière. Sa famille était
aisée. Elle possédait des domaines dont Honorat hérita
avec son frère à la mort de leur père. Ce dernier était
probablement déjà avancé en âge au moment de la conversion
de son fils. L'enfance d'Honorat fut choyée, sa jeunesse
se passa dans la richesse et le luxe. Il reçut une éducation
classique (sur ce que fut l'éducation classique dans l'Antiquité,
en Grèce et à Rome, il faut lire le beau livre magistral
d'H.I. Marrou. Histoire de l'éducation dans l'Antiquité.
Coll. «Esprit». Ed. du Seuil, 1948). Hilaire parle avec
admiration et vénération des lettres écrites par Honorat.
Il nous dit aussi que, devenu évêque d'Arles, Honorat
prêchait chaque jour avec perspicacité et clarté, surtout
lorsqu'il dissertait sur la divine Trinité. La vocation
religieuse d'Honorat se manifeste très tôt et le désir
du baptême semble lié à l'attirance qu'il éprouve pour
la vie monastique. Et c'est ce renoncement au monde qui
va entraîner l'hostilité de sa famille, en particulier
celle du père qui voyait s'effondrer tous les espoirs
placés en son jeune et brillant fils. Doit-on déduire
de cette attitude que sa famille était païenne ? Cela
n'est pas évident. Car le milieu où grandit Honorat était
sûrement imprégné de christianisme. Sinon, comment son
désir du baptême aurait-il pu se manifester si tôt ? D'après
Hilaire d'Arles, le jeune Honorat n'avait à cette époque
pas plus de douze ans. Son père chercha donc par tous
les moyens à le détourner du baptême et tenta de le distraire
par toutes sortes de divertissements : chasse, jeu de
balle, course, saut, natation ). Mais ce fut en vain :
Honorat tint bon et patienta jusqu'à l'adolescence. Il
entama alors un catéchuménat qui dura trois années. C'est
bien un tout jeune homme qui s'élance alors vers la vie
religieuse. Son frère aîné, Venantius, se convertit à
son tour. Et tous deux se mirent à pratiquer l'ascèse
dans leur patrie, à Trèves. Dans leur demeure, dont ils
ont hérité, et qui avait connu le faste et les brillantes
réceptions, ils accueillaient les voyageurs et offraient
l'hospitalité aux pauvres sur leurs propres terres. Ils
cherchaient en tous points à mettre en pratique les préceptes
de l'Evangile. Et ils y réussirent si bien que leur renommée
se répandit et déborda la ville et la contrée, au point
que, effrayés par leur propre gloire, ils décidèrent de
fuir en vendant tous leurs biens afin d'en distribuer
aux pauvres les bénéfices
Le
voyage en Orient
Voici
donc nos deux frères escortés par leur ami Caprais, quittant
leur patrie pour échapper avant tout à une renommée encombrante
qu'ils jugent contraire à leur esprit d'humilité. Où songent-ils
aller ? Nul ne le sait. Ils recherchent d'abord l'obscurité
dans un pays étranger. Rien ne nous dit qu'ils aient eu
l'intention de gagner des contrées lointaines comme l'Egypte
ou la Palestine, pépinières du monachisme oriental. Ils
s'embarquent à Marseille pour rejoindre la Grèce. Hélas,
Venantius y meurt. Et Honorat, malade, après ce séjour
malheureux, revient en Occident afin de poursuivre son
ascèse sous des cieux plus cléments. Après un bref séjour
en Italie, où il noue des liens d'amitié avec les communautés
chrétiennes du pays, il rentre en Gaule du sud pour s'installer
à Lérins.
L'installation
à Lérins
C'est
par la route et à pied que Caprais et Honorat, cheminant
sur la voie Aurélienne (la via Aurelia longeait la côte
de Toscane et menait en Gaule), empruntent le vallon de
Laghet, se désaltérant peut-être à la source au pied de
laquelle s'élèvera au XVIIème siècle le sanctuaire marial
de N.-D. de Laghet. Ils passent la nuit à Cimiez, alors
grande cité romaine. Puis, reprenant la belle route tracée
sous les oliviers, les pins et les chênes-lièges, ils
franchissent le Var au gué de Saint-Christophe, et continuent
vers Saint-Jeannet et Vence. Délaissant Antibes, grand
port romain à l'époque, ils cheminent le long de la mer,
puis remontent jusqu'à Vallauris, pour atteindre enfin
le castrum qui, de la colline du Pézou, domine l'actuelle
rade de Cannes. Honorat et Caprais sont saisis par l'admirable
paysage. Baignant dans les eaux bleues de la Méditerranée,
deux îles s'étendent à quelques brasses du rivage : Léro
et Lérina. Suivant sans peine la voie Aurélienne, ils
s'enfoncent dans les massifs boisés de l'Estérel, puis
empruntant une voie étroite qui s'élève vers un col, entre
le pic d'Aurelle et le pic du Cap-Roux, ils s'y arrêtent
pour y passer la nuit. Ils aperçoivent des châtaigniers
sous l'ombre fraîche desquels coule une source limpide.
On peut aisément imaginer qu'ils trempèrent dans l'eau
vive leurs mains et leur visage brûlé par le soleil, et
qu'ensuite ils mangèrent des châtaignes et les fruits
rouges des arbousiers selon la saison durant laquelle
eut lieu leur voyage. Caprais connaissait sans doute les
lieux. Cherchant un refuge pour la nuit, les deux pèlerins
escaladèrent le pic du Cap-Roux. Presqu'au sommet, une
excavation du rocher forme une grotte profonde où ils
s'installèrent. Ils se mirent à prier. Lorsqu'ils achevèrent
leur prière, la nuit était tombée, vivante de milliers
d'astres. Elle leur faisait penser au désert. Ils s'endormirent
dans la paix. Le lendemain, ils reprirent leur route,
abandonnant avec regret ce lieu privilégié de parfaite
solitude. Après une étape à Agay, ils atteignirent Fréjus,
grande cité romaine militaire où ils s'arrêtèrent. Ils
avaient une lettre de recommandation pour Léonce, le nouvel
évêque qui dirigeait la petite communauté chrétienne.
Hilaire d'Arles ne nous dit pas combien de temps Honorat
et Caprais demeurèrent à Fréjus. Peut-être fût-ce plusieurs
années, car Léonce avait besoin de missionnaires pour
évangéliser la région. Par contre, nous savons qu'Honorat
devint célèbre et que les foules accouraient de loin pour
entendre sa parole. Mais cette célébrité lui devint pesante
et pour finir intolérable. L'appel de la solitude retentissait
en lui de façon de plus en plus impérieuse. Il fallut
donc partir. La grotte du Cap-Roux, perdue dans le désert
odorant du massif de l'Estérel, avec sa source au pied
de la montagne, l'appelait. C'est là qu'avec Caprais il
tentera de mettre en pratique les enseignements des Pères
du désert. Honorat descendait parfois de la montagne pour
exercer son apostolat auprès des pêcheurs du petit port
d'Agay. Mais bientôt la grotte reçut la visite des quémandeurs.
Il fallut donc partir à nouveau ! Mais où ? A Lérins,
bien sûr, sur la petite île qui ressemblait à un désert.
Honorat demanda à un pêcheur d'Agay de les conduire sur
l'île. Ce fut la stupeur et un concert de lamentations
: l'île était petite, inhabitable, sans eau, remplie de
serpents. Mais rien de tout cela ne fit peur à Honorat
ni à Caprais. Finalement, il se trouva un pêcheur assez
courageux, -- ou assez inconscient ! -- pour accepter
de les conduire à Lérina. Personne ne croyait qu'ils y
resteraient plus d'une journée. La légende raconte que,
lorsque Honorat posa le pied sur Lérina, celle-ci trembla
! Les serpents grouillaient partout. Honorat étendit les
mains et invoqua le Christ. Aussitôt tous les serpents
expirèrent en provoquant une odeur pestilentielle. Honorat
se remit alors à prier. Le vent se leva et un raz de marée
balaya l'île. Honorat et Caprais s'étaient réfugiés en
haut d'un palmier. Quand la mer se retira, l'île était
purifiée, le soleil brillait et dans les buissons chantaient
les premiers oiseaux venus du continent. Mais passons
de la légende à la réalité. Honorat et Caprais arrachèrent
petit à petit les ronces, les salsepareilles, et bientôt
abondèrent lentisques, cistes, genévriers et genêts. Honorat
et Caprais bâtirent deux abris sommaires avec des pierres
plates et des branchages, et ils reprirent la vie érémitique
commencée au pic du Cap-Roux. Ainsi, peu à peu, dans l'absolue
solitude de Lérins à peine troublée par le passage, de
temps en temps, d'un pécheur qui apportait l'eau et quelques
galettes de pain, offrande du petit peuple fidèle d'Agay,
Honorat se préparait à la plus haute perfection, en compagnie
de Caprais. Mais, comme il fallait s'y attendre, l'installation
d'Honorat et de Caprais à Lérins provoqua un grand mouvement
de curiosité sur tout le littoral. Et au grand désappointement
des deux solitaires, se produisit le contraire de ce qu'ils
avaient espéré : de plus en plus nombreuse la foule réapparut
devant leur ermitage. Certains, parmi cette foule, touchés
par l'exemple des deux moines, se construisaient un abri
sur le rocher, quémandant humblement chaque jour un conseil
pour se livrer à leur tour aux mortifications corporelles
et à la purification de l'esprit, prélude au grand voyage
vers les immensités intérieures où les happait l'irrésistible
appel de Dieu. Peu à peu se constituait sur l'île, contre
le désir des deux moines, ce type intermédiaire entre
l'érémitisme et le monastère organisé : la laure, où chacun
vivait seul dans son abri pour se retrouver le dimanche
à la célébration de la synaxe eucharistique. L'évêque
Léonce avait ordonné prêtre Honorat qui s'en était défendu
en vain. Après avoir longuement prié, Honorat demanda
conseil à l'évêque Léonce, et il se décida, à l'heure
même où Cassien songeait à fonder à Marseille le grand
monastère de Saint-Victor, à faire à son tour acte solennel
de cénobitisme. Il grouperait autour d'une règle monastique
commune inspirée des Pères, les hommes épris de Dieu et
prêts à tout quitter pour son seul amour. Peu d'éléments
permettent de fixer la date de la fondation du monastère
de Lérins. La première mention remonte à Paulin de Nole,
dans une lettre adressée à Eucher de Lyon entre 412 et
420. Aux environs de 427, Cassien parle à propos de Lérins
d'une immense communauté de frères, ce qui laisse entendre
que le monastère existait depuis plusieurs années. On
situe généralement dans la deuxième décennie du Vème siècle
l'installation d'Honorat sur l'île, donc vers 410. Les
débuts de la vie monastique à Lérins. Pour désigner l'île
d'Honorat, Hilaire d'Arles utilise à plusieurs reprises
le mot désert selon une tradition qui remonte aux premiers
moines d'Orient qui, dès le troisième siècle avaient choisi
de vivre en solitaires dans les déserts égyptiens notamment.
Ce mode d'existence fut révélé à l'Occident grâce à la
Vie de saint Antoine composée par saint Athanase vers
357 et traduite du grec en latin vers 370-374 par Evagre
d'Antioche. Mais si les déserts se peuplent de moines,
vivant chacun dans sa cellule et se regroupant de temps
à autre auprès d'un père spirituel, on sait qu'il existe
aussi, dans tout l'Orient chrétien antique - Egypte, Syrie,
Asie Mineure -- un autre type d'organisation monastique
qui privilégie la vie en communauté et dont saint Pacôme
fut le fondateur. De 358 à 379, Basile de Césarée, par
exemple, fonde et gouverne des monastères auxquels il
donne des Règles monastiques. Or, depuis 397, circule
une traduction en latin de la rédaction primitive de l'oeuvre
de saint Basile, le Petit Asceticon. Il est possible qu'Honorat
ait connu cette version lors de son passage en Italie.
Au moment où Honorat décida de s'installer dans l'île
de Lérins, le mouvement monastique a atteint l'Occident.
Saint Athanase exilé à Trèves en 336, puis à Rome en 341
l'a certainement fait connaître. Vers 360, saint Martin
s'établit dans la solitude à Ligugé, près de Poitiers.
Devenu évêque de Tours, il fonda un monastère à Marmoutier.
En 382, Jérôme venu vivre à Rome auprès du pape Damase
avait propagé l'idéal ascétique. En 386, un monastère
naît à Milan. Enfin, Augustin lui-même, évêque d'Hippone,
établit un monastère épiscopal où il vivait en communauté
avec tout son clergé sous une règle stricte : ascèse faite
d'obéissance, de continence, de pauvreté, d'humilité.
Parmi tous les modèles de vie monastique il n'est pas
facile de dire quel est celui que choisit Honorat. Au
départ, c'est vers une forme de vie cénobitique que tous
les indices nous orientent. Et nous avons vu qu'en 427
Cassien parle d'une immense communauté de frères. Le mot
utilisé par Cassien est coenobium, qui désigne précisément
un monastère où l'on vit en communauté, selon une règle.
Honorat n'a jamais eu comme saint Antoine le désir de
vivre dans un isolement complet. Il brûle, c'est vrai,
d'être retranché du monde. Mais dès lors que d'autres
hommes éprouvent ce même besoin, il ne les rejette pas.
Et ce nombre devint suffisamment important pour justifier
la construction d'une église et de bâtiments adaptés à
l'habitat des moines. Le récit de saint Hilaire d'Arles,
qui suit l'ordre chronologique, permet de penser que ces
installations ont été réalisées très tôt. S'il y a eu
une expérience de la vie érémitique pour Honorat, celle-ci
n'a pas duré longtemps. Car le témoignage d'Hilaire montre
bien qu'Honorat est toujours resté en contact avec les
communautés chrétiennes auprès desquelles il s'était installé.
Les liens noués en Italie avec le clergé, l'affection
qui l'attache à l'évêque de Fréjus, sont autant de preuves
de l'importance que Honorat a toujours accordée aux relations
humaines. Et l'évêque Fauste de Riez, dans un passage
de son sermon dédié à Honorat, nous dit : En vérité, ils
ont été comblés de joie ceux qui ont eu le bonheur de
vivre aux côtés d'Honorat, de manger avec lui et d'être
soldats de Dieu sous sa discipline
Une
structure verticale et hiérarchisée
Le
renom du fondateur de Lérins a dépassé très vite les limites
de la Provence et du sud de la Gaule. Le retentissement
de Lérins, son rayonnement da pas tardé à susciter des
vocations illustres : Hilaire d'Arles, Loup de Troyes,
Hucher de Lyon, Vincent de Lérins, Fauste de Riez, Salvien
de Marseille. Tous ont vécu dans l'île avant l'an 430
et parmi ces hommes qui venaient rejoindre Honorat, beaucoup
étaient originaires du nord de la Gaule. Les textes d'Hilaire
d'Arles et de Fauste de Riez parlent de la vie harmonieuse
des membres du monastère regroupés autour de son fondateur.
Les deux auteurs insistent sur le rôle essentiel que joue
Honorat à la tête de sa communauté. Fauste de Riez insiste
tout particulièrement sur sa fonction de pasteur attentif
qui veille, en gardien vigilant de son troupeau, et qui
lui montre le chemin de la vie éternelle. Chef spirituel,
guide infatigable, tel Moïse il ouvre le chemin du désert
et délivre ses frères de la servitude. Avec Caprais qui
n'a jamais quitté Honorat, ils étaient comme les deux
colonnes qui précédaient les fils d'Israël pour leur montrer
la route. Mais Honorat, pasteur qui guide et protège son
troupeau, évoque aussi le Christ lui-même : Je suis le
bon pasteur, dit Jésus, je connais mes brebis et mes brebis
me connaissent (Jean 10, 14). Par la perfection de ses
vertus, Honorat est l'image même du Christ. Ce rapprochement
suggéré par Fauste de Riez est manifeste dans le sermon
d'Hilaire d'Arles : Il a cherché à rejoindre Honorat celui
qui a désiré le Christ, et vraiment c'est le Christ qu'il
a trouvé, celui qui a cherché à rejoindre Honorat. Par
sa douceur, c'est à l'amour du Christ qu'il invite tous
ses frères. En aimant ses frères, il fait naître l'amour
du Christ dans leurs cœurs. Inversement, ces hommes partagent
un même amour pour Honorat. Il est le médiateur qui leur
permet d'accéder à l'amour de Dieu. Ainsi Honorat, aimé
de tous, n'occupe pas seulement une place centrale au
milieu de ses frères. L'amour qui l'unit à chaque membre
de la communauté s'exerce aussi selon une ligne verticale
à l'intérieur d'une structure hiérarchique dans laquelle
il occupe une place intermédiaire entre Dieu et les frères
de la communauté monastique. Et cette structure se retrouve
dans l'organisation de toute la vie communautaire. Honorat
est appelé maître et père par les frères qui lui doivent
obéissance. Cependant, Honorat dirige son monastère avec
une autorité bienveillante. Pour changer ce qui avait
besoin d'être corrigé, le plus souvent il changeait sa
façon même de corriger, si bien qu'il suscitait autant
d'amour que de crainte. Et les frères qui l'aimaient tant
essayaient de ne point commettre de fautes. Et la crainte
qu'il provoquait faisait naître l'amour de la discipline.
Discipline
et Règle
Les
moines étaient donc soumis à une discipline qu'Honorat
se réservait le droit d'adapter à chacun. La première
des exigences était l'obéissance, première vertu du vrai
moine. L'autorité d'Honorat s'exerçait dans tous les domaines
de la vie quotidienne : travail, sommeil, nourriture étaient
selon Hilaire d'Arles, adaptés à la constitution physique
de chacun. Honorat avait le souci d'apaiser les querelles
qui pouvaient naître entre les frères, et de maintenir
la cohésion de sa communauté. La soumission des moines
à ses exhortations s'accompagnait en retour d'une sollicitude
constante à l'égard de chacun. Honorat s'efforçait ainsi
de rendre plus léger le joug du Christ, et de faire naître
la joie dans le cœur des frères. Cette joie de vivre sous
la discipline d'Honorat est mentionnée par Fauste de Riez
dans un passage où il évoque la sainte Règle qui permet
au monastère d'assurer sa solidité. L'emploi du mot règle
ne suffit pas à attester l'existence, à Lérins, d'une
règle monastique rigoureusement définie. Il peut s'agir
simplement d'un ensemble de préceptes qu'Honorat a appliqués
à Lérins. Cette règle ou ces préceptes tirés de l'enseignement
des moines d'Egypte, semblent n'avoir jamais été formulés
par écrit. Ce qui ne signifie pas que la Règle n'ait jamais
existé. De toute manière, nous savons par Hilaire d'Arles
et par Fauste de Riez, les principaux témoins de saint
Honorat, que l'obéissance, l'humilité, l'égalité d'humeur,
l'amour fraternel, le silence, les jeûnes et les mortifications,
la célébration liturgique et la prière personnelle, la
méditation et le travail manuel étaient de rigueur à Lérins,
et que tout cela faisait office de Règle. Honorat fuyait
la renommée, mais plus il la fuyait plus elle s'attachait
à lui, et qu'il le voulût ou non, partout où il allait,
la renommée l'accompagnait. Car, par l'exemple de ses
vertus il régénérait tous les lieux où il séjournait.
Partout, nous dit Hilaire d'Arles, il répand la manne
et exhale le doux parfum du Christ. Son monastère était
un phare, dont la réputation s'étendra très tôt à toute
la Gaule. Il attirait une multitude de visiteurs, de pèlerins,
et surtout des pauvres venus des régions les plus diverses.
Honorat distribuait sans compter et parfois son trésor
se trouva épuisé. Sa foi ne le fut jamais. Et Hilaire
nous raconte qu'un jour le coffre ne contenait plus qu'une
seule pièce d'or. Un pauvre se présenta, Honorat la lui
donna et à Hilaire inquiet il dit : Puisque nous n'avons
plus rien à donner, il est bien certain que quelqu'un
est en route pour nous apporter de quoi pouvoir le faire
encore. Effectivement, à la tombée du jour, un donateur
se présenta. Avec la charité, le secret de la réussite
d'Honorat était la joie. Tel fut Honorat, fondateur de
l'abbaye de Lérins en Provence. Mais sa réputation allait
lui jouer, une fois encore, un drôle de tour. A la mort
de l'évêque d'Arles, il allait devoir quitter son île
bienheureuse pour être, contre son gré, placé sur le siège
épiscopal d'Arles.
Saint
Honorat, évêque d'Arles
Honorat
avait été ordonné prêtre malgré lui par l'évêque Léonce
de Fréjus. Et lui qui avait toujours fait preuve d'une
humilité exemplaire et souhaitait finir sa vie dans la
solitude, la paix et même l'oubli, devait donc recevoir
la consécration épiscopale pour siéger à la tête de l'une
des plus importantes métropoles chrétiennes. Car, après
qu'ils furent chassés de Trèves - ville natale de notre
saint -, les empereurs constantiniens s'étaient installés
en Arles, devenue, en 395, capitale des Gaules et de l'Empire.
De ce fait, l'évêque d'Arles était le primat des Gaules.
Plus tard cette fonction sera transférée à Lyon (encore
aujourd'hui l'archevêque catholique de Lyon a le titre
de primat des Gaules). Ce siège épiscopal était donc très
important. C'est ce qui explique les luttes partisanes
socio-politico-religieuses qui, hélas, entourèrent souvent
l'élection de l'évêque métropolitain d'Arles. L'élection
d'Honorat eut lieu par surprise et derrière son dos. Il
n'avait même pas été consulté ! Aussi ne voulut-il pas
de ce siège épiscopal. De plus, l'abbaye de Lérins n'était
pas du tout décidée à laisser partir son Abbé. Hilaire
déclara aux Arlésiens, sans y mettre de formes «Qui vous
a donné le désir de posséder pour vous cet homme, au détriment
de ceux à qui Dieu l'avait accordé en son désert» ? Bien
entendu, ce désir provenait de la haute réputation d'Honorat,
déjà considéré comme un saint et comme un organisateur
de premier ordre. On savait aussi que c'était un homme
de paix. Il ne réunit pourtant pas sur son nom l'unanimité
des suffrages. Mais l'affaire fit grand bruit. Alerté,
le pape, Célestin ler, qui n'avait aucun grief contre
Honorat, écrivit en 428 à tous les évêques du sud-est
de la Gaule pour leur demander qu'à l'avenir «un prêtre
ne soit élu, venant d'une autre Eglise, que dans le cas
où aucun clerc de l'Eglise à pourvoir ne serait jugé digne,
ce que nous croyons, ne pouvoir se produire. Il faut réprouver
le fait de préférer ceux des Eglises étrangères, ne pas
faire appel à des étrangers de peur que l'on ne paraisse
avoir établi une sorte de nouveau collège d'où seraient
tirés les évêques». Or, c'est exactement ce qui allait
se produire avec l'abbaye de Lérins, qui deviendra, aux
Vème et Vlème siècles, la pépinière des évêques du sud
de la Gaule. Honorat ne se rendit pas immédiatement aux
Arlésiens. Il lui fallait réfléchir et prier. Et ce n'est
qu'après de longs mois de tractations et de supplications
qu'il accepta. Il savait que son œuvre de Lérins était
solide. Mais il se savait aussi malade et en sursis. Il
renonça à finir sa vie dans la paix de son île, et se
jeta dans ce guêpier politico-socio-religieux de la métropole
d'Arles, car il y aperçut finalement la volonté de Dieu
de l'y voir rétablir la concorde et l'amour fraternel.
Après avoir dit un adieu, (qu'il savait n'être pas un
au revoir) à ses moines, il prit la route d'Arles. Mais
Arles lui paraissait tellement redoutable qu'il emmena
avec lui deux moines, Jacques d'Assyrie et Hilaire qui,
lui, ne supporta pas la ville et s'en retourna promptement
à Lérins. Quand Honorat s'assit sur le siège épiscopal
d'Arles, il trouva les caisses du trésor pleines de richesses
amassées par ses prédécesseurs. Le dernier, Helladius,
était pourtant un moine. Honorat n'hésita pas et, nous
dit Hilaire, «il exclut tout amas d'injustes richesses,
et tout ce qui avait été accumulé sans but fut enfin affecté
à des usages légitimes. Ceux qui étaient morts commencèrent
à bénéficier de leurs trésors et les donateurs purent
enfin éprouver les soulagements qu'ils avaient voulus
en faisant leurs offrandes. Il ne réserva, pour l'évêché,
que ce qui devait suffire aux nécessités du ministère».
Alors la ville commença à respirer, et la concorde revint
dans les cœurs. Honorat fit rapidement l'unanimité dans
son diocèse. Mais l'effort fut énorme. Le 6 janvier 430,
bien que faible, il voulut prêcher dans sa cathédrale.
A son retour, il dut s'aliter.
La
mort d'Honorat
A cette nouvelle, ses amis du diocèse d'Arles et de l'île
de Lérins accoururent à son chevet, Hilaire en tête, qui
nous dit «Leur douleur lui était plus pénible que la sienne
propre». Et s'adressant à Hilaire lui-même il demanda
«Pourquoi pleures-tu ? Est-ce pour cette loi commune à
l'espèce humaine Faut-il que mon départ te trouve mal
préparé, alors qu'il n'a pas pu me surprendre ?» Lorsqu'il
entra en agonie, les corps constitués affluèrent, ainsi
que le préfet en exercice et les anciens préfets, selon
l'usage de l'époque. Le Saint ne manqua pas une si belle
occasion de les chapitrer. Et, toujours grâce à Hilaire,
nous possédons l'unique sermon qui ait été conservé d'Honorat
: «voyez quelle fragile demeure nous habitons ! Si haut
que nous montions, la mort nous en fera descendre. Vivez
donc votre vie de telle façon que vous ne redoutiez pas
le terme, et ce que nous appelons la mort, attendez-le
comme un simple passage». Puis, après les avoir menacés
de l'enfer, il rappela ce que fut sa règle monastique.
«Il faut que l'esprit reconnaisse sa nature supérieure
et livre combat aux vices charnels. Ce n'est qu'à ce prix
qu'il conservera l'une et l'autre substance sans tache
pour la paix éternelle». Enfin, il lança un suprême avertissement
concernant tous les moines de l'avenir : «Que nul parmi
vous ne soit prisonnier de l'amour excessif dit monde.
Que personne ne s'abandonne aux richesses». Et il répétera
avant de s'endormir dans la paix de la mort : «Que nul
ne soit l'esclave de l'argent, que nul ne se laisse corrompre
par la vaine apparence des biens terrestres. C'est un
crime de faire un instrument de perdition de ce qui pourrait
vous servir à acheter le salut, et de rendre esclave au
moyen de ce qui pourrait vous reconquérir la liberté».
Il se mit alors à parler de tous ceux qu'il avait aimés
et chargea ses amis de leur faire parvenir un dernier
message. Et à la demande du clergé, il désigna son successeur
: Hilaire. Mais le moine ne rêvait que de retourner à
Lérins, ne souhaitant rien moins que cette charge épiscopale.
Honorat reposait maintenant, calme et détendu. Il se laissa
envahir par une sorte de sommeil. Croyant qu'il allait
mourir, ses amis le secouèrent. Il ouvrit un œil et leur
dit malicieusement : «Je m'étonne que, me voyant si bas
et sachant combien j'ai été longtemps privé de sommeil,
vous ne puissiez seulement me laisser dormir !». Il se
moqua d'eux avec tendresse, puis il se tut et entra dans
le sommeil de la mort. Hilaire a ce mot étonnant : Alors
sa vie s'éteignit presqu'avant sa bonté. La mort d'Honorat,
très douce, sans combat, fut accompagnée de phénomènes
étranges. A l'instant même où son esprit quittait son
corps, au milieu de la nuit, de nombreux arlésiens réveillés
furent frappés, par la vision du Saint que recevait une
cohorte céleste. Tous se levèrent puis coururent jusqu'à
l'évêché. «On aurait dit, note Hilaire, que tout le monde
avait été réveillé par un avertissement des anges».
Les
obsèques d'Honorat
Accompagné
du peuple, le corps fut conduit à la cathédrale. Honorat
était revêtu de ses riches habits épiscopaux qu'il n'avait
jamais portés de son vivant ! En effet, épris de simplicité
et d'humilité, il avait toujours préféré la bure du moine.
Après la célébration dans la cathédrale, le corps fut
transporté solennellement jusqu'au cimetière extérieur
des Alyscamps. Alors une dispute éclata entre les prêtres
de Saint-Etienne ( c'est-à-dire la cathédrale ) et les
moines de Lérins, chacun revendiquant âprement l'honneur
de porter le corps. Avant que ce dernier ne disparaisse
dans le sarcophage de pierre taillée, la foule se précipita
et lui arracha ses vêtements pour en faire des reliques.
Quant aux reliques proprement dites, les ossements, elles
eurent une longue histoire. Les moines de Lérins ne reçurent
qu'un os. Plus tard, le corps du Saint fut déposé dans
la chapelle de Saint-Genès des Alyscamps, puis dans l'église
Saint-Honorat dès qu'elle fut construite. Il y demeura
presque un millénaire. En 1390, des pillages firent craindre
pour les biens d'Arles. L'Abbé de Ganagobie, dans le département
actuel des Alpes de Haute Provence, qui en avait la garde,
transporta les reliques du Saint chez lui. Mais, à cette
époque médiévale, les reliques représentaient un tel trésor
qu'il offrit à l'abbaye de Lérins de les récupérer, pensant
qu'elles y seraient mieux en sécurité qu'à Ganagobie.
Il ne posa qu'une condition, aussitôt acceptée, d'être
admis comme moine à Lérins. Lorsque le 20 janvier 1391,
les reliques arrivèrent à Lérins, l'abbé, Jean de Tournefort
fit ouvrir le reliquaire. Au milieu des ossements un certificat
en attestait l'authenticité. L'Abbé fit apporter l'os
que possédait son abbaye, lequel, remis à sa place, s'adapta
parfaitement. En 1788, les reliques furent distribuées
au diocèse de Grasse. Comme on vient de le voir, le corps
de St Honorat demeura longtemps en Arles, ce qui contristait
beaucoup les moines de Lérins. Mais Fauste de Riez, un
autre témoin de la vie d'Honorat, les en consola : «Ne
croyons pas avoir quelque chose de moins du fait que la
cité d'Arles revendique comme sa propriété les restes
de ce corps. Qu'ils détiennent le réceptacle de l'esprit,
le Corps, nous, nous conservons l'âme elle-même, en ses
effets merveilleux. Qu'ils détiennent les os, nous les
mérites. Honorat se souviendra de l'un et de l'autre lieu,
mais il se doit à Lérins à un titre spécial. Car, s'il
cultiva avec soin Arles, cette vigne du Seigneur, il a
cependant planté le premier cette vigne, Lérins».
Les
miracles de saint Honorat
Ecoutons
le sermon d'Hilaire devenu évêque d'Arles, pour l'anniversaire
de la mort de saint Honorat : «Que ta gloire est grande
et illustre, Honorat ! Tes mérites n'ont pas eu besoin
d'être illustrés par des miracles. Ta vie elle-même pleine
de vertus, et exaltée par une admiration renouvelée, a
servi en quelque sorte de miracle perpétuel. Nous savons
tous, nous qui vivions auprès de toi, que les dons nombreux
que Dieu t'a accordés ont tenu lieu de miracles. Mais,
pour ta part, tu en faisais bien peu de cas, et tu te
réjouissais bien plus de savoir tes mérites et tes vertus
consignés par Dieu que de voir les hommes relever tes
miracles. Et pourtant, quel plus grand miracle de la vertu
peut-il exister que de fuir les miracles et de cacher
ses vertus ? Et en vérité, ta prière était, pour ainsi
dire, si familière aux oreilles du Christ, que tu as obtenu,
je crois, par les supplications si ferventes, de ne pas
voir des miracles proclamer ta vertu. La paix a aussi
ses martyrs ; car aussi longtemps que tu as habité ton
corps, tu as toujours été le témoin (rappelons que martyr
vient d'un mot grec signifiant témoin) du Christ... Il
n'y eut jamais sur tes lèvres que la paix, la chasteté,
la piété, la charité. Il n'y eut jamais dans ton cœur
que le Christ.. Ceux qui désiraient Dieu ont trouvé en
toi un secours commun à tous». St Honorat avait l'habitude
de rapporter à ses moines ses songes. Hilaire écrit à
ce propos : «ils n'étaient pas prophétiques, ils n'étaient
pas provoqués par quelque inquiétude pour l'avenir, mais
ils étaient suscités par les aspirations d'une âme qui
ne connaît pas le repos. C'est le martyre, sur lequel
portait sans cesse ta méditation, que tu subissais, tandis
que le Seigneur prenait plaisir, je crois, à faire naître
en toi le désir, et c'était comme une persécution menée
contre ta foi. En vérité, personne, je pense, ne peut
nier que, pour subir le martyre, c'est l'occasion et non
pas le courage qui t'a manqué». St Hilaire attribue sa
conversion à St Honorat. Il n'en parle pas comme d'un
miracle, et pourtant, nous pourrions y voir un miracle.
Honorat, en effet, avait été averti par des amis venant
de Trèves et de passage dans son monastère, qu'Hilaire
et d'autres jeunes gens vivant encore à Trèves, menaient
une vie de débauche. Hilaire était apparenté à Honorat.
Dès qu'il entend cela, il ne rejette pas, malgré ses ennuis
de santé, la perspective d'un long voyage. Il revient
dans sa patrie, afin de sauver Hilaire. Mais, en ces années-là,
Hilaire était attaché au monde et rebelle à Dieu. Honorat
l'exhorte avec tout son talent à ouvrir son cœur à Dieu.
Mais, nous dit Hilaire lui-même, «ses paroles pleines
de piété ne pénétraient pas dans mes oreilles ... je résistais..
et faisais le serment de ne pas céder». Et cependant,
par une vision presque prophétique Honorat lui prédit
: «Ce que tu me refuse Dieu me l'accorde». Et Hilaire
conclut : «C'est ainsi, oui, c'est ainsi que la prière
d'un saint ramène les fugitifs, c'est ainsi qu'elle dompte
les obstinés, c'est ainsi qu'elle soumet les rebelles».
Fauste de Riez, lui aussi, a bien connu Honorat, en tant
que moine à Lérins. Il en fait aussi l'éloge, non point
en Arles, mais à Lérins. «En vérité, mes frères très chers,
dit-il aux moines de cette abbaye, ils ont été comblés
de joie ceux qui ont eu le bonheur de se trouver face
à face avec cet homme angélique... Et celui qui se sera
efforcé d'être l'héritier de ses mérites ici-bas, aura
le bonheur d'être aussi un jour le cohéritier des faveurs
qu'il a reçues... Or, alors qu'il s'était élevé au faîte
de ses vertus, il n'a jamais pensé qu'il fallait mettre
sa confiance en lui seul. Mais il avait pris comme assistant
et collègue le bienheureux Caprais, et il s'en remit,
pour tout ce quel avait à régler ou à exécuter, à l'examen
et à la décision de celui-ci, comme à la plus juste balance
du jugement. En sa compagnie, il a introduit dans ce désert
la gloire du Christ et, tel Moïse en compagnie d'Aaron,
il a établi un camp pour tous ceux qui sont destinés à
marcher vers la terre promise... En effet, aussi longtemps
que celui-ci, tel Moïse, a élevé ses mains saintes, ici,
il a toujours sauvegardé l'invincibilité de son peuple
contre Amaleq, c'est-à-dire contre le diable. Aussi, mes
très chers frères ... gardons surtout l'orthodoxie de
la foi ; croyons que le Père et le Fils et le saint Esprit
sont un seul Dieu... Gardons l'esprit d'obéissance qu'il
conseillait toujours plus particulièrement et avec plus
d'empressement, car si un moine ne le possède pas, il
est vraiment pauvre et nu. En effet, quand le premier
homme eut manqué au devoir d'obéissance, il sut qu'il
était nu... Gardons aussi l'humilité, la vraie». Fauste
de Riez considère comme des miracles réalisés par Honorat
le fait qu'il a, par sa foi, écarté le poison des bêtes
venimeuses : l'île de Lérins était alors infestée de serpents.
Et, non seulement, affirme Fauste, «il a marché sur l'aspic
et le basilic, mais il a restauré chez beaucoup d'hommes
l'image, peut-être déjà perdue, du Christ. Tantôt il changeait
des bêtes sauvages en hommes, tantôt il changeait des
hommes, pour ainsi dire, en anges». Car Honorat a mené
un combat spirituel pour tuer les vices qui existent en
l'homme. Et Fauste de poursuivre. «Celui dont je dois
faire l'éloge mettait en fuite des esprit malins qui se
tenaient cachés, non pas dans le corps, mais dans l'esprit
et le cœur ... Il a ramené à la vie des cadavres qui ne
possédaient plus ni esprit, ni âme ... S'il n'a pas redonné
la vie fragile d'ici-bas, il a fait davantage en montrant
le chemin de la vie éternelle. Fauste compare une fois
de plus Honorat à Moïse. Car, tel Moïse dans le désert,
Honorat sur son île désertique n'avait pas d'eau. Etant
un bon sourcier, «il a fait jaillir du rocher aride une
source d'eau douce, non seulement au milieu du désert,
mais au milieu de la mer». En effet, sans eau, toute vie
humaine eût été impossible à Lérins. Au début, les pêcheurs
apportaient à Caprais et à Honorat l'eau du continent.
Mais comment vivre nombreux sur cette île sans le miracle
accordé par Dieu à St Honorat ? L'image de St Honorat
que nous conserverons dans nos mémoires, est celle d'un
pasteur doux et bienveillant, priant sans cesse pour son
troupeau afin qu'aucune des brebis qui lui avaient été
confiées par le Seigneur ne se perde ou ne s'égare. Si
Honorat était tant aimé par tous ses moines, s'ils lui
obéissaient si bien, c'est parce que lui-même savait être
tout pour tous. Aussi rare était la discorde dans ce troupeau.
Et pourquoi ne pas lui adresser cette belle prière composée
par Hilaire ? «Souviens-toi donc, toi qui es l'ami de
Dieu, souviens-toi sans cesse de nous, toi qui te trouves
si pur auprès de Dieu, chantant le "cantique nouveau"
et suivant l'Agneau partout où il va. Toi qui marches
à sa suite, toi notre saint protecteur, l'interprète agréé
de nos prières et notre solide défenseur, transmets-lui
les supplications répandues auprès de ton tombeau par
le troupeau de tes disciples. Obtiens que, dans une aspiration
commune, nous méritions de respecter tes ordres et tes
enseignements».
Marie
Borrély (tiré de la revue
"Orthodoxes à Marseille" N° 66 et 67)
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