Higoumène
du Monastère Saint Antoine le Grand (France)
1) SA VIE
Jeunesse et éducation
classique
Jean Chrysostome est né vers 349, à
Antioche. Son père, Secundus, était
officier. Il laissa son épouse Anthousa veuve
à vingt ans, avec un fils et une fille. Celle-ci
mourut très tôt, et Anthousa, chrétienne
fervente, consacra tous ses soins à l'éducation
de Jean. Après avoir acquis les connaissances
élémentaires habituelles, Jean étudia
la rhétorique à l'école de Libanius,
le plus illustre rhéteur du temps, païen
convaincu et nostalgique.
Vie ascétique et monastique
A partir de 367, il s'intègre au groupe des
disciples de Diodore, futur évêque de
Tarse, pour s'adonner à l'étude des
sciences sacrées. Ce groupement ascétique
n'était pas un monastère, et Jean, à
la demande d'Anthousa, revenait chaque soir à
la maison familiale. Il fut baptisé par saint
Mélèce pendant la nuit pascale de 367.
Vers 370, d'abord ordonné lecteur, il se soustrait
par la fuite au sacerdoce, «trompant»
son ami Basile, qui se laissa ordonner, croyant que
Jean l'était aussi. Cette querelle fraternelle
sera évoquée plus tard vers 390, dans
le Dialogue sur le sacerdoce de Jean, dont elle fournira
le prétexte. Vivement attiré par la
vie monastique, il se retire en 372 au désert
et vit pendant quatre ans auprès d'un ancien.
Puis il se retire, seul, dans une grotte, où
il passe la plupart de son temps sans dormir, apprenant
par cur les Ecritures. Sa complexion fragile
ne résiste pas à ce régime, il
tombe malade et doit regagner Antioche en 378, après
deux années de vie érémitique.
C'est l'époque où saint Mélèce,
exilé par Valens, rentrait à Antioche.
Diacre et prêtre à Antioche
En 381, saint Mélèce l'ordonne diacre,
puis, en 386, son successeur Flavien lui confère
le sacerdoce. Le ministère principal de Jean
devient la prédication. «La parole fut
sa vocation et sa passion», a-t-on pu écrire.
Dans son dialogue sur le sacerdoce, il décrira
ainsi cet idéal qui fut le sien : «La
parole, voilà l'instrument du médecin
des âmes. Elle remplace tou : régime,
changement d'air, remèdes. C'est elle qui cautérise
; c'est elle qui ampute. Quand elle manque, tout manque.
C'est elle qui relève l'âme battue, dégonfle
la colère, retranche l'inutile, comble les
vides, et fait, en un mot, tout ce qui importe à
la santé spirituelle. Quand il s'agit de la
conduite de la vie, l'exemple est le meilleur des
entraînements ; mais pour guérir l'âme
du poison de l'erreur, il faut la parole, non seulement
quand on a à maintenir la foi du troupeau,
mais encore quand on a à combattre les ennemis
du dehors. Même si nous avions le don des miracles,
la parole nous serait utile, même nécessaire.
Saint Paul le prouve, saint Pierre aussi, qui dit
: «Soyez prêts à répondre
à ceux qui vous demandent compte de votre foi»
(1 P 3, 15). Et, si tout le collège des Apôtres
confia jadis à Etienne la direction des veuves,
c'était uniquement pour mieux s'adonner eux
mêmes au ministère de la parole. Toutefois,
nous n'aurions pas tant besoin du don de la parole
si nous avions le don des miracles. Ne l'ayant pas,
il faut nous armer de l'arme qui nous reste. C'est
donc à nous de travailler avec acharnement
pour nous enrichir de la parole du Christ... Le prêtre
doit tout faire pour acquérir le talent de
la parole.» (Sur le Sacerdoce, IV, 3; traduction
de B. H. Vandenberghe, Saint Jean Chrysostome, Le
livre de l'espérance, Namur, 1958, p. 9-10).
Jean prêche inlassablement, plusieurs fois par
semaine, parfois pendant deux heures de suite. Jamais
il ne pactise avec le vice, jamais il n'acceptera
de compromission avec aucun scandale. Mais sa parole
se nuance souvent de tendresse, et, s'il ne parvient
pas à détacher la population d'Antioche
des jeux et des spectacles du cirque, ni de ses autres
désordres, son auditoire l'écoute en
général volontiers et lui est profondément
attaché.
En février 387, mécontents de l'augmentation
des impôts, les habitants d'Antioche se soulèvent
et brisent les statues de l'empereur Théodose,
de l'impératrice défunte et des jeunes
princes Arcadius et Honorius. Pour apaiser la sédition,
Jean prononce dix-neuf homélies «sur
les statues» durant le Carême, tandis
que l'évêque Flavien se rend à
Constantinople pour implorer la clémence de
l'empereur. Le dimanche de Pâques, Jean put
annoncer au peuple le succès des efforts de
Flavien et le pardon de l'empereur.
Evêque de Constantinople
La renommée de Jean s'étendait bien
au-delà d'Antioche. A la mort de Nectaire,
évêque de Constantinople (397), l'évêque
d'Alexandrie, Théophile, essaya de faire nommer
à sa place l'un de ses protégés,
le moine Isidore. Mais l'eunuque Eutrope, conseiller
tout-puissant de l'empereur Arcadius, imposa le choix
de Jean, le fit littéralement enlever à
Antioche, et Théophile d'Alexandrie, ulcéré,
dut le sacrer évêque de Constantinople,
le 15 décembre 397.
Jean entreprit aussitôt de s'attaquer à
tous les désordres qu'il constatait, dans le
clergé, à la cour, dans toutes les classes
de la société. Malgré ses invectives,
une grande partie du peuple s'attacha à lui,
et lui demeura toujours fidèle. Mais il s'attira,
chez certains évêques, dans le clergé,
et finalement à la cour, de terribles inimitiés.
Après la disgrâce d'Eutrope, la bienveillance
initiale de la toute-puissante impératrice
Eudoxie se mua progressivement en haine.
On a écrit très justement au sujet de
Jean : «son âme était trop noble
et désintéressée pour deviner
le jeu des intrigues de la cour, et son sentiment
de la dignité personnelle était trop
élevée pour s'arrêter à
cette attitude obséquieuse à l'égard
des majestés impériales, qui lui aurait
assuré la continuité de leur faveur..
Sa fidélité sans compromission à
son idéal ne put qu'unir contre lui toutes
les forces hostiles, que sa simplicité lui
empêchait d'opposer les unes aux autres par
une adroite diplomatie.» (J. Quasten, Initiation
aux Pères de l'Eglise, t. 111, p-507).
En 401, une cinquantaine de moines de Nitrie, conduits
par trois d'entre eux, Ammonios, Eusébios et
Euthymios, appelés «Ies longs frères»
en raison de leur taille, arrivèrent à
Constantinople, expulsés d'Egypte par Théophile,
qui poursuivait alors les moines origénistes.
Jean ne les reçut pas dans sa communion, mais
il les accueillit avec une grande charité et
pourvut à leurs besoins.
Les frères égyptiens portèrent
plainte devant la cour contre Théophile. Appelé
à comparaître, celui-ci se rendit à
Constantinople précédé par saint
Épiphane, qu'il avait engagé dans la
lutte contre l'origénisme, mais qui se rembarqua
pour Chypre quand il réalisa la duplicité
de Théophile. Il mourut au cours du voyage.
Premier exil
Théophile se changea d'accusé en accusateur
et réunit près de Chalcédoine,
à la villa du Chêne, un synode de 35
évêques pour juger Jean. Celui-ci, ayant
refusé de venir, fut condamné, sur d'absurdes
griefs, qui le présentaient comme violent,
injuste, voleur, sacrilège, origéniste,
impie. Il était même accusé de
lèse-majesté, ce qui aurait entraîné
la peine de mort. Mais cette dernière accusation
ne fut pas retenue par l'empereur. Quant aux moines
de Nitrie, Théophile se réconcilia avec
eux et leur «pardonna».
L'annonce de la déposition de Jean suscita
une violente effervescence dans le peuple de Constantinople,
qui restait fidèle à son évêque.
Jean partit pour l'exil, mais une émeute éclata.
Un tremblement de terre eut lieu dans la nuit, Effrayée,
l'impératrice Eudoxie décida de rappeler
l'exilé. Jean fut accueilli triomphalement.
Théophile, menacé d'être jeté
à la mer, se rembarqua précipitamment
pour l'Egypte. Les évêques hostiles à
Jean se dispersèrent. Mais à Constantinople,
les intrigues reprirent contre Jean, qui avait repris
ses fonctions épiscopales, dans l'attente d'un
concile qui devait, normalement, le réhabiliter.
L'érection d'une statue d'Eudoxie ayant donné
lieu à des divertissements païens et licencieux,
Jean protesta dans une homélie prononcée
à cette occasion. Elle aurait débuté
par ces mots: «De nouveau, Hérodiade
fait rage ; de nouveau, elle s'emporte ; de nouveau,
elle danse ; de nouveau, elle demande à recevoir
sur un plat la tête de Jean.» Eudoxie,
irritée, voulut en finir avec lui.
Les évêques opposés à Jean
firent valoir que celui-ci avait repris illégitimement
ses fonctions malgré sa déposition.
L'empereur interdit à Jean tout exercice de
son office épiscopal. Jean refusa.
S'étant vu interdire l'usage de toute église,
Jean, la nuit pascale de 404, rassembla les fidèles
dans les thermes de Constance pour le baptême
des quelques trois mille catéchumènes
qui devaient le recevoir. A l'instigation des évêques
hostiles, l'armée intervint brutalement, les
fidèles et les clercs furent dispersés
ou emprisonnés, et l'eau baptismale fut souillée
de sang. Pendant le temps pascal qui suivit, Jean
demeura en résidence surveillée dans
son évêché, puis, au lendemain
de la Pentecôte, il fut envoyé définitivement
en exil.
Second exil et mort
Il fut d'abord conduit à Cucuse, en Petite
Arménie. Il y demeura trois ans, prêchant
aux habitants de la localité, et recevant de
fréquentes visites des fidèles d'Antioche,
restés attachés à leur ancien
prédicateur. Jaloux et irrités, les
évêques syriens qui avaient contribué
à sa condamnation obtinrent qu'Arcadius l'exile
à Pityus, à l'extrémité
orientale de la mer Noire. Accablé de mauvais
traitements, il mourut en cours de route, à
Comane, dans le Pont, le 14 septembre 407 Ses dernières
paroles furent sa doxologie coutumière : «Gloire
à Dieu pour tout. Amen.»
2) UVRES
«Aucun Père n'a laissé un héritage
littéraire aussi important en volume que Chrysostome...
La tragédie de sa vie elle-même, causée
par la sincérité et l'intégrité
extraordinaires de son caractère, ne fit que
rehausser sa gloire et sa renommée. Il reste
le plus séduisant des Pères grecs et
l'une des figures les plus attachantes de toute l'antiquité
chrétienne.» (J. Quasten, op. cit., p.
6). On ne peut citer ici que ses principaux écrits.
uvres exégétiques
La majeure partie de l'oeuvre de saint Jean Chrysostome
est constituée d'homélies sur les livres
de l'Ancien et du Nouveau Testament. Jean se montre
fidèle à la tradition exégétique
d'Antioche. Son exégèse pourrait être
qualifiée de «pastorale», son principal
souci étant de tirer du texte commenté
des enseignements applicables à la vie quotidienne
de ses auditeurs.
Nous possédons de lui des Homélies sur
la Genèse, sur 58 psaumes, sur le prophète
Isaïe, sur les évangiles de Matthieu et
de Jean, sur les épîtres de saint Paul.
«Les trente deux homélies sur les Romains
représentent le plus remarquable commentaire
patristique de cette épître et la plus
belle de toutes les uvres de Chrysostome.»
(J. Quasten, op. cit., p. 619). Il existait entre
Jean Chrysostome et saint Paul une véritable
amitié, une relation d'intimité spirituelle
profonde.
uvres doctrinales
Deux séries d'homélies ont pour objet
de combattre les anoméens : les «Homélies
sur l'incompréhensibilité de Dieu»,
et les «Homélies sur l'égalité
du Père et du Fils». Les premières,
qui réfutent la prétention d'Eunome
à connaître adéquatement l'essence
divine, sont un admirable exposé sur l'apophatisme
et la connaissance négative de Dieu. Les secondes
constituent une catéchèse claire et
accessible au grand nombre, sur la Théologie
trinitaire. Deux séries de «Catéchèses
baptismales» nous font connaître les rites
du baptême et leur interprétation tels
que Jean les exposait à Antioche.
Le «Dialogue sur le sacerdoce», inspiré
du traité de saint Grégoire le Théologien,
Sur sa fuite, traite de la dignité, des exigences
et des fonctions du sacerdoce
. Ecrits sur la vie monastique
Le traité «A Théodore» est
une exhortation adressée par Jean au futur
Théodore de Mopsueste (probablement), tenté
d'abandonner la vie monastique. Dans cet écrit,
qui peut dater du diaconat de Jean, se retrouvent
des traits caractéristiques de sa pensée,
par exemple l'insistance sur la philanthropie divine
: «Il n'est point d'amant du corps, fut-il devenu
fou, qui brûle pour son amante d'un désir
égal à celui de Dieu pour le salut de
nos âmes.» (Sources chrétiennes
n° 117, p. 163).
Le Traité «De la virginité»
est un commentaire fidèle de 1 Cor. 7 Le mariage
est présenté, en antithèse, d'une
façon assez négative, qu'il faut équilibrer
par d'autres passages des uvres de Chrysostome.
Les traités «Sur les cohabitations suspectes»
sont une critique assez mordante de la cohabitation
sous le même toit d'ascètes et de vierges,
usage qui existait à l'époque et présentait
inévitablement des risques de scandale. Ces
écrits suscitèrent des ennemis à
Jean dans le clergé.
Les trois opuscules «Contre les détracteurs
de la vie monastique» sont des apologies du
monachisme adressées aux autorités civiles
et aux parents qui s'opposaient aux vocations monastiques.
Dans ses Homélies, Jean évoque souvent
l'exemple des moines du désert proche d'Antioche
pour stimuler ses fidèles à une vie
plus fervente ; il conseille de faire des séjours
dans la retraite auprès d'eux ; il invite les
moines à prier avec ardeur pour l'Eglise et
pour ceux qui y exercent une responsabilité.
Pour lui, le souci pastoral d'autrui reste la forme
la plus élevée de la charité
chrétienne.
Homélies diverses
Un certain nombre d'homélies ont été
prononcées pour les fêtes liturgiques
: Noël, Epiphanie, Vendredi-Saint, Pâques.
D'autres discours ont été prononcés
dans des circonstances notables de la vie de Jean
: «Sur la chute d'Eutrope», «Sur
les statues». D'autres sont des panégyriques
de divers martyrs, de saint Paul, d'Eustathe d'Antioche,
de Mélèce, de Diodore de Tarse, etc...
Lettres
Nous possédons 236 lettres de Jean, qui datent
toutes du temps de son exil. Parmi les plus remarquables,
on peut compter les lettres de réconfort «A
Olympia», auxquelles il faut joindre le «Traité
sur la Providence» et la «Lettre d'exil».
Dans ces lettres, les thèmes du sens de la
souffrance, de la foi en la Providence, de la patience
dans l'épreuve sont souvent traités.
Jean le fait en s'inspirant à la fois de la
tradition hellénique, surtout stoïcienne,
et de la tradition biblique. La sagesse antique n'est
pas reniée, mais assumée et transfigurée
par l'apport chrétien. (Voir l'excellente introduction
d'Anne-Marie Malingrey aux Lettres à Olympias,
Sources chrétiennes, t.13 bis)
3) DOCTRINE
On a dit souvent que saint Jean Chrysostome est plus
moraliste que théologien, et que sa pensée
présente peu d'intérêt sur le
plan spéculatif. En réalité,
Jean est avant tout un pasteur et un prédicateur,
dont l'enseignement est inséparablement théologique,
moral et spirituel. Il n'est pas à la recherche
de solutions nouvelles aux problèmes théologiques
spéculatifs de son époque, mais tout
son enseignement procède d'une adhésion
plénière à la tradition dogmatique
de l'Eglise, en même temps que d'une vie entièrement
vouée à l'ascèse et à
la prière. Il est vraiment par là un
«Père de l'Eglise» dans toute la
force du terme. Il n'enseigne pas ses opinions personnelles,
mais transmet le dépôt de la foi dans
toute son intégrité.
Théologie trinitaire
et christologie
Ces remarques valent tout particulièrement
en ce qui concerne la théologie trinitaire
et la christologie. Jean Chrysostome s'applique surtout
à prémunir ses fidèles contre
l'hérésie en mettant à leur portée
la catéchèse commune de l'Eglise, et
à leur montrer quel sens les affirmations de
la foi présentent pour leur vie chrétienne.
C'est
surtout à l'arianisme que s'oppose Chrysostome
: on ne trouve pas chez lui de polémique contre
Apollinaire. Il professe clairement l'existence d'une
âme humaine du Christ ; mais sa christologie
est plus alexandrine qu'antiochienne ; il est beaucoup
plus proche de saint Athanase et de saint Hilaire
de Poitiers que d'un Théodore de Mopsueste,
et il subordonne l'activité propre de la nature
humaine dans le Christ à la nature et à
la personne du Logos, «L'humanité que
j'ai revêtue, je ne l'ai jamais laissée
destituée de la vertu divine, mais, agissant
tour à tour comme homme et comme Dieu, tantôt
je laisse voir en moi la nature humaine et tantôt
je donne des preuves de ma mission ; j'apprends ainsi
aux hommes à attribuer les actes les plus humbles
à l'humanité et à rapporter les
plus élevés à la divinité
; par ce mélange d'uvres inégales,
je fais comprendre l'union de mes deux natures si
dissemblables ; je montre, en me soumettant librement
aux souffrances, que mes souffrances sont volontaires
; comme Dieu, j'ai dompté la nature en prolongeant
le jeûne jusqu'à quarante jours, mais
ensuite j'ai eu faim ; j'ai apaisé, comme Dieu,
la mer en furie et j'ai été accablé
en ma qualité d'homme ; comme homme, j'ai été
tenté par le diable, mais, comme Dieu, j'ai
commandé aux démons et je les ai chassés
; je dois, dans ma nature humaine, souffrir pour les
hommes.» (Sur Lazare, 1 ; PG 50, 642-643). Ou
encore : «Par ces paroles : "S'il est possible
que ce calice s'éloigne de moi", et :
"Non comme je veux mais comme tu veux",
il montre qu'il a vraiment revêtu notre chair
qui a horreur de la mort. Car il est de la chair de
craindre la mort, de trembler et d'être dans
l'angoisse. Tantôt Jésus la laisse abandonnée
à elle-même, afin qu'en montrant sa faiblesse
il atteste sa nature ; tantôt il la voile pour
prouver qu'il n'est pas seulement homme. Voilà
pourquoi, dans ses paroles et ses actes, il mêle
le divin et l'humain. De la sorte, il ôte tout
prétexte à la folie de Paul de Samosate
et à la démence de Marcion et de Manès.
Voilà pourquoi encore il prédit l'avenir
comme Dieu et le redoute comme homme.» (Sur
ceux qui ne sont pas venus à la synaxe, 6,
PG 48,766).
Du sacrement du Christ dans
l'Eucharistie à la réalité du
Christ dans le pauvre
La doctrine eucharistique de saint Jean Chrysostome
est particulièrement riche. Il montre bien
comment l'eucharistie «fait» l'Eglise
en incorporant les hommes au Corps du Christ. Il colore
ses développements d'un sens du sacré
en même temps que d'un accent de tendresse envers
la personne du Christ qui correspondent à son
génie particulier : «Celui que les anges
ne regardent qu'en tremblant, ou plutôt qu'ils
n'osent regarder à cause de l'éclat
qui en émane, est celui-là même
qui nous sert de nourriture, qui se mélange
à nous, et avec qui nous ne faisons plus qu'une
seule chair et qu'un seul corps (p. 109).
«Il veut que nous devenions son corps non seulement
par l'amour, mais qu'en réalité nous
nous mêlions à sa propre chair. C'est
ce qu'opère la nourriture que le Sauveur nous
a donnée comme preuve de son amour. Voilà
pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre,
afin que nous soyons tous comme un même corps,
joint à un seul chef. Ainsi font ceux qui s'aiment
ardemment... Voilà ce que Jésus-Christ
a fait pour nous : il nous a donné sa chair
à manger pour attirer notre amour envers lui
et nous montrer celui qu'il nous porte ; il ne s'est
pas seulement fait voir à ceux qui ont désiré
le contempler, mais encore il s'est donné à
toucher, à palper, à manger, à
broyer avec les dents, à absorber de manière
à assouvir le plus ardent amour (p. 119-120).
«Veillons donc sur nous-mêmes, mes très
chers frères, puisque nous avons eu le bonheur
de recevoir de si grands biens... Jusqu'à quand
nous attacherons-nous aux choses présentes
?» (p. 123).
Plus que jamais, les applications morales et parénétiques
découlent ici du dogme. Devenus membres du
Christ par l'eucharistie, les plus pauvres et les
plus démunis sont par là même
l'autel véritable sur lequel les fidèles
doivent offrir le sacrifice spirituel de l'aumône
et de la miséricorde : «L'autel dont
je vous parle est fait des membres mêmes du
Christ, et le corps du Christ devient pour toi un
autel. Vénère-le : dans la chair, tu
y fais le sacrifice au Seigneur. Cet autel est plus
terrible que celui qui se dresse en cette Eglise,
et, à plus forte raison, que celui de l'ancienne
loi.
«Ne vous récriez pas. Cet autel-ci est
auguste, à cause de la victime qui y vient
; celui de l'aumône l'est davantage, parce qu'il
est fait de cette victime même. Celui-ci est
auguste, parce que, fait en pierres, il est sanctifié
par le contact du corps du Christ; et l'autre, parce
qu'il est le corps même du Christ. Il est donc
plus vénérable que celui-ci devant lequel,
mon frère, tu te trouves.
"Qu'est-ce donc encore qu'Aaron quand on songe
à ces choses ? Que sont la couronne, les sonnettes,
le Saint des Saints ? Et pourquoi parier de cet autel
ancien, quand, comparé à notre autel
lui-même, l'autel de l'aumône est si splendide
? Et toi, tu vénères cet autel-ci, lorsque
le corps du Christ y descend. Mais l'autre qui est
le corps du Christ, tu le négliges et tu restes
indifférent, quand il périt.
"Cet autel, tu peux le voir dressé partout,
dans les ruelles et sur les places, et, à chaque
heure, tu peux y faire le sacrifice car c'est là
aussi le lieu des sacrifices. Et comme le prêtre,
debout à l'autel, appelle l'Esprit ; de même,
toi aussi, tu appelles l'Esprit, comme cette huile
répandue en abondance.» (Hom, 82 ln Matth.;
PG 58, 744.).
Grâce et liberté
humaine
L'enseignement de saint Jean Chrysostome sur la prédestination,
la grâce et la liberté lui est commun
avec les autres Pères orientaux, et s'accorde
substantiellement avec celui de saint Cassien, condamné
en Occident comme «semipélagien».
Le point de vue de Jean est pastoral et spirituel,
et non métaphysique comme celui d'Augustin
d'Hippone.
Pour Jean, le salut ou la damnation de l'homme ne
sont pas fixés d'avance, sans que sa volonté
libre y ait une part. Dieu adresse son appel à
tous, offre sa grâce à tous, mais il
appartient à l'homme de l'accueillir ou de
la refuser : «Si la grâce ne demandait
d'abord ce qui vient de nous, elle serait versée
en masse dans toutes les âmes. Mais comme elle
requiert ce qui vient de nous, elle habite à
demeure dans les uns, et quitte les autres. Quant
au reste des hommes, elle n'apparaît pas même
en eux un moment, Dieu exigeant d'abord le choix préalable.»
(De la componction ; PG 47,408).
«Dieu ne prévient pas nos volontés
par ses dons, mais lorsque nous avons commencé,
fourni le vouloir, alors lui-même nous présente
plusieurs occasions de salut.» (Hom. In Jn;
PG 59,408).
«La vertu est tissée du zèle que
nous montrons et de l'assistance dont Dieu nous aide.»
(Sur le Ps 140, 9; PG 55,441).
«Tout
ne dépend pas de nous, mais une partie dépend
de nous, une partie de Dieu. Choisir le mieux, le
vouloir, nous y appliquer, affronter n'importe quelle
peine, cela dépend de nous ; mais pouvoir mener
nos efforts à bien, ne pas les faire échouer,
aller jusqu'au bout de nos actes vertueux, cela dépend
de la grâce d'en haut. En ce qui concerne la
vertu, Dieu a délimité sa part et la
nôtre. Il n'a pas mis tout en notre pouvoir,
pour nous éviter de nous laisser emporter par
une orgueilleuse folie, et il ne s'est pas chargé
de tout, pour que nous ne tombions pas dans la paresse,
mais, laissant à nos efforts le rôle
le plus modeste, il assume lui-même le principal.»
(Sur : Seigneur, il n'appartient pas à l'homme
... 4 ; PG 56, 160).