SAINT
ANDRE DE CRETE
Grande est la malice dont use le diable contre les martyrs
du Christ, surtout lorsqu'il les voit entrer courageusement
dans la lice et servir Dieu fidèlement sans jamais
L'offenser. Comme les expédients de cette malice
sont variés à l'infini, il est besoin,
pour s'en défendre, d'un grand courage, et comme
armure, d'un ardent amour du Christ ; sinon, on est
exposé à être écrasé
et à tomber entre les mains exécrables
de cet ennemi qui trouve sa jouissance à insulter
les enfants de Dieu. En effet, tantôt par lui-même,
tantôt par ses suppôts, il cherche à
outrager de toutes façons les serviteurs du Christ
; il fait rouler les uns au fond des précipices,
il fait exposer les autres aux morsures des bêtes
sauvages ; il allume une fournaise pour ceux-ci, il
creuse un gouffre béant pour ceux-là ;
pour d'autres il prépare une roue, pour d'autres
encore il aiguise un glaive ; bref, il invente pour
chacun d'eux un nouveau genre de supplice.
Mais les martyrs le tournent en dérision, quand,
faisant peu de cas de tous ces tourments, ils en réclament
de plus violents, afin de témoigner davantage
l'amour ardent dont ils brûlent pour le Christ.
A la vérité, le diable a fait mourir quantité
de serviteurs du Christ, et triomphé en eux du
corps mais jamais de la résolution, de la volonté
et de l'âme qui est supérieure à
tout. C'est donc lui en définitive qui a été
vaincu et qui a subi la honte d'un échec, quand,
malgré les tortures qu'on faisait endurer à
leur chair, les martyrs ont su maintenir leur âme
invincible. Tel est, précisément le triomphe
qu'a remporté sur lui le généreux
et bienheureux martyr André. Cet athlète,
en supportant ces tortures et d'autres plus cruelles,
non seulement remporta sur l'ennemi une brillante victoire,
mais encore offrit un exemple remarquable qui a donné
du courage à tous ceux qui ont ensuite marché
sur ses traces. Le saint dont nous allons parler a donc
accompli des exploits vraiment admirables ; mais il
ne faut pas oublier qu'il s'y est préparé
par une longue suite d'actions saintes, vraiment dignes
d'être proposées pour exemples ; par conséquent
il ne suffit pas d'écouter avec intérêt
le récit des combats d'André, il faut
en outre s'appliquer à imiter les vertus qu'il
a pratiquées.
Il vit le jour en Crète, qui était alors
régie par les lois les plus admirables. Il s'adonna
dès son enfance à la piété
qui distinguait sa patrie, et donna promptement l'exemple
des vertus. La gloire humaine ne lui parut point digne
de louanges ; les richesses ne captèrent point
son admiration ; il ne chercha point à se procurer
une vie molle et désœuvrée ; mais
il se soumit à un genre de vie dur, rigide et
âpre, qui était tout à fait propre
à le préparer à la lutte. Comme
il brûlait d'un ardent amour pour la vertu et
qu'il était affranchi des voluptés charnelles,
il remporta d'éclatantes victoires sur les ennemis
de notre âme, et devint pour tous un admirable
exemple pour reconnaître et suivre la voie du
salut. Il parvint à persuader nombre de ses compatriotes
de mépriser les choses de ce monde, et de tendre
vers le ciel, là où les sages nous disent
que se trouve et se trouve réellement notre vie
véritable. Tel était donc son genre de
vie ; telle était la croyance qui guidait ses
actions, c'est-à-dire celle que les apôtres
avaient transmise et à laquelle sa patrie était
fermement attachée. Du reste, à cette
époque, l'univers entier jouissait paisiblement
de la possession d'une religion pure et sincère,
au milieu de laquelle ne croissait aucune graine du
semeur de zizanie. Le malin, témoin de cette
longue prospérité et de la parfaite tranquillité
dont jouissait l'Eglise, se sentit piqué de jalousie,
et il ne put pas supporter plus longtemps cet état
de choses. Aussitôt il se mit à chercher
quelle ruse il pourrait imaginer pour entamer l'Eglise.
Il reconnaissait désormais presque impossible
de persuader les chrétiens de quelque hérésie
touchant la divine Incarnation du Christ, car depuis
longtemps la foi sur ce point était immuablement
affermie ; elle avait, comme dit David, étendu
ses branches jusqu'à la mer et ses racines jusqu'aux
fleuves ; de son ombre, elle recouvrait les montagnes
et ses rejetons dépassaient les cèdres
les plus élevés ; l'infernal sanglier,
se précipitant hors de sa forêt embrasée,
conçut le projet de ravager la vigne du Seigneur
par un moyen nouveau qui aboutirait à peu près
aux mêmes résultats que l'antique négation
touchant l'Incarnation divine. Il lui sembla qu'en abolissant
le culte des saintes icônes, il arriverait de
nouveau à saper la croyance à l'Incarnation
du Sauveur ; car ce qu'on fait à l'image atteint
indirectement la personne qu'elle représente.
Satan entreprit donc peu à peu le scélérat
et le misérable qui, à cette époque
gouvernait l'empire, et qui se nommait Constantin. C'était,
sous le rapport religieux, l'antipode de son homonyme,
qui reconnut le premier comme officiel le christianisme
; aussi le diable n'eut-il beaucoup de peine à
le persuader que c'était un sacrilège
pour les chrétiens de rendre un culte véritable
aux icônes sacrées. L'empereur imbécile
rendit donc un édit par lequel il proscrivait
ce culte comme entaché de paganisme. La vérité
était qu'il comprenait mal la notion de ce culte,
et faisait un mélange aussi insensé que
périlleux de choses qui ne pouvaient en aucune
façon s'associer. En effet, les images dont le
prototype est impie sont naturellement considérées
comme impies par ceux qui professent la vraie religion.
Mais celles dont l'exemplaire est vénérable
et adorable ne doivent-elles pas forcément être
tenues par eux comme pareillement adorables et vénérables
?
Ainsi donc, Constantin, conformément aux instructions
du diable, promulgua un édit qui abolissait le
culte des icônes sur toute la surface de la terre,
et menaçait de terribles supplices tous ceux,
sans distinction d'âge ni de rang, qui n'accueilleraient
pas avec joie et empressement cette ordonnance et ne
s'y soumettraient pas absolument. Bien plus, était
passible du châtiment quiconque honorerait, ne
fût-ce que par un mot, une image sacrée.
Il était prescrit de sévir principalement
et sans merci contre les officiers, quels qu'ils fussent,
qui auraient admis aux fonctions dépendantes
de leur administration, des sujets coupables de désobéissance
à l'édit, attendu que leur soumission
devait exercer plus d'influence que celle des autres.
L'empereur se livra donc aveuglement aux accès
de sa fureur, sans se préoccuper en aucune façon
de l'intérêt public. La conséquence
de ces terribles menaces fut que les villes devinrent
désertes ; car les habitants s'enfuirent dans
les montagnes pour échapper aux appariteurs ;
les prisons devinrent trop étroites, car on les
emplissait non plus de voleurs, d'assassins et d'autres
malfaiteurs, mais de gens pieux, religieux, craignant
Dieu, adonnés aux jeûnes, aux veilles,
aux larmes, destinés à jouir des plus
grands honneurs dans la Jérusalem céleste.
Dès que cette guerre cruelle et acharnée
eut été déclarée dans toute
l'étendue de l'empire, on en vit, hélas
!, et en grand nombre, se plier aux circonstances, et
affecter la servilité le plus écœurant
dans leurs paroles et leur conduite. Mais le bienheureux
André ne put pas supporter ces chaînes
honteuses, ni rester insensible à ces milliers
d'âmes pieuses auxquelles on voulait fermer les
portes du ciel. Il jugea que le temps était venu
d'étaler courageusement au grand jour le zèle
ardent qu'il nourrissait depuis longtemps en son âme.
Il quitta donc sa patrie, s'arracha au sol qui l'avait
vu naître, et accourut à Constantinople
comme un athlète vaillant et généreux,
qui vient d'achever ses exercices préparatoires
et brûle du désir de descendre dans l'arène.
Sans redouter les officiers ni quoi que ce soit, il
se jeta dans la mêlée, et se mit à
censurer librement la mauvaise secte de l'empereur et
tous ceux qui étaient de son parti. On l'entendit
proclamer hautement l'honneur qui était dû
aux icônes sacrées : « Oui, répétait-il
sans se lasser, il faut vénérer les images
pour les mêmes raisons qui nous font honorer Dieu.
» Il ajoutait qu'il était expressément
venu à Constantinople pour démasquer les
embûches dressées par le diable, pour amener
à résipiscence ceux qui avaient eu le
malheur de trahir les intérêts de leur
salut, pour leur rendre courage et pour protéger
et affermir par ses prières, ses exhortations
et ses conseils, ceux qui n'étaient point encore
tombés.
Comme le bienheureux André s'exprimait ainsi
en public sans daigner user d'aucune précaution
de langage, on vint en avertir l'empereur. Constantin
se fit dresser un tribunal hors de la ville, devant
la basilique du martyr Mamant. Là, s'entourant
du faste le plus exagéré, ayant à
ses côtés une multitude innombrable d'assesseurs
et de satellites, il semblait défier les regards
des spectateurs. Son oeil terne et farouche s'abattait
avec la férocité d'une bête sauvage,
sur les orthodoxes ; il faisait fouetter horriblement
les uns avec des nerfs de bœufs, livrait les autres
aux flammes ou à divers genres de supplices ;
à ceux-ci on crevait les yeux, à ceux-là
on arrachait la langue, afin que les premiers ne puissent
jouir de l'héroïsme des autres athlètes,
et puiser du courage dans la vue de ces exemples ; afin
que les seconds ne puissent exciter leurs compagnons
à la lutte, et pour ainsi dire les tenir par
la main en les exhortant et les conseillant ; il y en
avait enfin à qui, dans un accès de colère,
on amputait les pieds et les mains. Le bienheureux André
fut blessé au cœur à la vue de ce
spectacle lamentable ; il se sentit animé de
courage et de force pour protester publiquement en faveur
du Seigneur, et après avoir fait en son cœur
cette prière : « Seigneur, guide mes pas
», il se jeta au milieu de la foule des spectateurs,
se frayant un chemin à travers la multitude,
esquivant ceux qui tentaient de l'arrêter, et
arriva soudain en présence de l'empereur. «
Pourquoi donc, Sire, lui cria-t-il, pourquoi, si tu
es chrétien, t'acharnes-tu avec tant de barbarie
contre l'image du Christ et contre ses serviteurs ?
» Le tyran ne put supporter une telle liberté
de langage, qu'il considérait comme un outrage
public à sa majesté : aussi interrompit-il
immédiatement le saint et ordonna-t-il à
ses gardes de se saisir de lui. Les officiers, dont
les mains étaient avides de meurtre, se jettent
aussitôt sur le bienheureux ; les uns l'empoignent
par la tête, les autres par les mains ; ceux-ci
le tirent par le manteau, ceux-la par la tunique, tous
l'accablant à qui mieux mieux d'outrages. Pour
plaire davantage à celui qui venait de les commander,
ils jettent à terre le saint, dont l'âme
habitait dans les régions célestes, et
ils ne cessent de le tirailler, de le traîner
jusqu'à ce que l'empereur estimant que l'athlète
soi était suffisamment châtié de
sa liberté de langage et voulant faire ostension
de clémence, leur ordonnât de cesser. Il
le fit ensuite approcher et se tenir debout en sa présence,
afin d'essayer de gagner par la douceur celui que les
mauvais traitements n'avaient point effrayé.
« D'où vient, lui dit-il, que tu pousses
l'audace et la grossièreté jusqu'à
refuser d'obéir aux ordres de l'empereur, et
à débiter hors de propos et sans l'ombre
d'un motif en sa présence tout ce qui te passe
par la tête ? Tu as probablement choisi ce moyen
pour attirer d'une façon quelconque sur toi l'attention
de l'empereur. Eh bien ! tu y as parfaitement réussi
et tu obtiendras de moi tout ce que tu désires,
pourvu que tu adoptes mon sentiment et que tu fasses
une profession de foi telle que la raison ordonne qu'on
la fasse. Tout alors ira pour toi à souhait.
» Notre admirable saint répondit : «
Sire, ce n'est ni l'audace, ni la grossièreté,
ni le désir d'attirer ton attention ou d'obtenir
de toi quelque faveur qui m'a amené ici. Qu'ai-je
besoin de ce que tu possèdes ? Je puis même
ajouter : qu'ai-je besoin des biens de ce monde, puisqu'il
y a longtemps que je les méprise, comme n'ayant
pas plus de réalité qu'un songe. L'unique
bien qui m'est agréable, c'est de jouir de la
paix de l'âme et de vivre en union intime avec
Dieu. Mais comme j'ai appris que tu professais des dogmes
étrangers à la foi, que tu détournes
les chrétiens de rendre aux icônes sacrées
le culte qui leur est dû, et qu'ainsi tu jetais
le trouble parmi tes sujets et la confusion dans l'Eglise
de Dieu, je n'ai pu supporter qu'une si horrible injustice
soit commise sans soulever de protestation ; abandonnant
aussitôt ma patrie et mes parents et traversant
la vaste étendue des mers, je suis venu, le cœur
brûlant de zèle, avec l'intention ou bien
de t'affranchir de cette erreur sacrilège, ou
bien de donner ma vie pour le Christ, qui, tout Seigneur
qu'Il était, a daigné donner la sienne
pour moi, sa pauvre petite image. » - «
Certes, répondit l'empereur, c'est dans un dessein
merveilleux et gigantesque que tu as entrepris ton voyage,
à savoir pour amener à ton petit sentiment
et l'empereur lui-même et tous les magistrats
et jusqu'au pontife vénérable de notre
ville. Mais laissons de côté les longs
discours, écoute les conseils que je te donne
: sors de l'épais nuage qui t'enveloppe, obéis
à tout ce qu'ordonne notre puissance et contente-toi
de penser comme tout le monde. Sinon, tu éprouveras
par expérience combien il en coûte de manquer
de jugement, de se persuader vainement qu'on est quelque
chose et de se conduire avec arrogance vis-à-vis
des empereurs, en s'en tenant exclusivement à
son propre sentiment. »
En entendant ces paroles, le martyr se contentait de
lever les yeux au ciel et fit cette prière :
« Non, O ! Christ, mon Sauveur, je ne Te renierai
pas ; Je ne Te frustrerai pas de la gloire d'une belle
confession ; jamais je ne mépriserai ton Image
; Jamais je ne me désintéresserai, autant
qu'il est en mon pouvoir, des souffrances qu'on fait
endurer à tes fidèles serviteurs. Sire,
fais-moi rouer de coups, fais couper ma langue, amputer
mes pieds, si cela te plaît. Car je suis prêt
à tout souffrir plutôt qu'à déshonorer
en quoi que ce soit mon Christ, qui est tout pour moi
et que depuis longtemps j'ai pris la résolution
de suivre uniquement. »
Le tyran reprit : «Ne faut-il pas être fou
ou du moins avoir l'esprit hébété,
obtus, pour attribuer à une matière grossière
et corruptible la Gloire d'un Dieu qui est à
une distance infinie de toute matière et que
ne peut atteindre en aucune façon la corruption
et enfin pour refuser d'écouter le saint législateur
Moïse qui défend expressément de
tailler des statues. Telle est la gravité de
la maladie qui vous bouleverse l'esprit, que non seulement
vous résistez à l'autorité de propos
délibéré mais encore vous vous
précipitez tête baissée dans le
péril. Mais, voyons, rends-toi bien compte de
tes actions : ce n'est pas pour la défense de
la vérité ni pour l'amour du Christ que
tu vas endurer le dernier supplice, mais c'est uniquement
pour expier un acte d'audace, qui n'a pas l'ombre de
raison.» Le généreux athlète
ne put écouter ces outrages d'une langue blasphématrice;
il lui sembla que ne pas venger en cette circonstance
l'injure faite aux icônes, c'était trahir
le bien, et il répondit en ces termes à
l'empereur : «Exécrable tête, penses-tu
donc que ce n'est point souffrir pour le Christ que
d'endurer des tortures pour l'honneur de son image et
que l'outrage que l'on fait à une statue n'atteint
pas la personne qu'elle représente ? Et comment
se fait-il donc que vous condamniez aux derniers supplices
ceux qui ont insulté les statues des empereurs,
de même que ceux qui vous injurient personnellement
? Et pourtant ne sait-on pas que ces statues d'airain,
si parfois elles sont dorées à l'extérieur,
ne contiennent à l'intérieur que de la
poix, des étoupes, du bois, et d'autres matières
viles et abjectes ? Si donc vous, qui n'êtes que
poussière et n'existerez plus demain, vous consentez
à être ainsi honorés par des statues
et des images, vous faites vénérer comme
des demi-dieux, et punissez cruellement quiconque offense
les statues impériales, comment osez-vous entreprendre
quelque chose contre l'image même du Christ, comment
ne comprenez-vous pas que l'outrage s'adresse alors
à la personne même, que représente
la statue ? Comment enfin osez-vous affirmer que ceux
qui se déclarent prêts à tout souffrir
pour Lui ne s'exposent pas au péril par amour
de la vérité ?» Le martyr, continuant
son discours, se disposait à expliquer le texte
allégué de Moïse, à préciser
quelle espèce de statue il avait défendue,
à faire remarquer que lui-même avait ordonné
de fondre des statues de séraphins, qui cependant
sont incorporels par nature. Mais l'empereur l'interrompit
subitement : «Il est temps, dit-il en s'adressant
son entourage, d'apprendre à cet homme a être
modéré et prudent et de le punir des témérités
de sa langue, comme il vient de le rappeler lui-même,
ceux qui insultent les statues royales méritent
de subir inexorablement un supplice cruel, quel châtiment
ne doit-on pas infliger en toute justice a celui dont
la langue scélérate s'attaque audacieusement
et impudemment à notre personne même ?»
Il prononça ces paroles en lançant des
regards furieux au martyr, et en gesticulant selon son
habitude, puis il s'écria d'une voix tonnante
: «Qu'on le dépouille de ses vêtements,
qu'on lui tende les membres avec des cordes et qu'on
le flagelle rudement.»
Cette sentence ne changea absolument rien aux dispositions
généreuses du saint; l'attente assurée
des coups et des blessures qu'il allait recevoir ne
refroidit nullement son zèle; au contraire, les
colères et les menaces de l'empereur ne firent
qu'attiser sa sainte ardeur. L'empereur, voyant qu'il
avait affaire à un homme courageux et inaccessible
à la crainte, disposé à supporter
tous les maux plutôt que d'abandonner son sentiment,
craignant que les tortures n'aboutissent qu'à
rendre le saint plus tenace, de même que les coups
ne rendent que plus entêtés certains animaux;
il prit donc le parti de feindre la clémence
: «Voyons, dit-il en s'adressant au martyr, n'attends
pas d'avoir expérimenté les supplices;
obéis à notre décret, et soustrais-toi
par ce moyen aux maux qui te menacent.» Le martyr
du Christ leva les yeux de l'âme et du corps vers
son agonothète et Le pria intérieurement
d'affermir inébranlablement en lui la vénération
qu'il ressentait pour les icônes sacrées;
puis, abaissant les yeux et les dirigeant vers le tyran,
il dit : «Sire, à ce que je vois, tu négliges
la guerre contre les barbares et l'administration de
tes états, pour concentrer tous tes efforts contre
le Christ et ses serviteurs. Penses-tu donc, en agissant
de la sorte, pouvoir tenir paisiblement les rênes
de l'empire romain ? Ne redoutes-tu pas le Jugement
de Dieu ? Ou bien t'imagines-tu qu'Il ne jugera pas
toutes tes actions ?»
Ces paroles suffirent pour démasquer la feinte
douceur du tyran, qui, retournant à sa férocité
naturelle, fit fouetter horriblement le martyr avec
des nerfs de bœufs. Les officiers de son entourage,
désireux de satisfaire la fureur de leur maître,
battirent avec rage le martyr, et lui couvrirent le
corps de plaies affreuses, d'où le sang précieux
découlait et rougissait la terre; quelques-uns
même, saisissant des glaives, se précipitèrent
sur l'athlète pour le tuer; d'autres lui lançaient
des pierres et l'accablaient de toutes sortes d'outrages.
Ils ne songeaient pas, les malheureux, qu'ils se faisaient
tort bien plutôt à eux-mêmes qu'au
martyr : car en s'appliquant à conserver l'amitié
d'un roi, qui ne dure qu'un temps, ils se rendaient
Dieu hostile, et se préparaient par-là
des larmes pour le jour du jugement, tandis qu'ils ménageaient
de la joie au saint athlète. Mais l'empereur
voulait à tout prix triompher de la résistance
du martyr. Je ne sais comment mais, tout stupide qu'il
était, le tyran ne laissait pas de reconnaître
qu'il y avait habilité, en cette circonstance,
d'essayer par tous les moyens possibles de gagner le
saint, parce qu'alors il gagnerait du même coup
beaucoup d'autres orthodoxes, attendu que prendre la
tête, c'est saisir en même temps les membres
du corps qui suivent nécessairement. Mû
par ces réflexions, l'empereur ordonna de cesser
les coups et tenta de nouveau de gagner le bienheureux
André par la persuasion et par l'apparence d'une
fausse bonté. Il le fit approcher près
de lui, rendit sa parole plus douce que l'huile, tout
en lançant secrètement des traits aigus
sur le juste et en lui enfonçant traîtreusement
le poignard dans le cœur. Mais, dès qu'il
s'aperçut qu'il n'obtenait absolument rien par
les caresses, que le saint au contraire n'en profitait
que pour attaquer avec plus de liberté sa folie,
il jeta de côté la peau d'agneau dont il
s'était recouvert, et se montra à tous
tel qu'il était en réalité, c'est-à-dire
un loup.
Il ordonna d'abord de briser avec des pierres la mâchoire
du martyr, pour le punir des paroles piquantes dont
il lui avait blessé le cœur. André,
imitant alors le proto-martyr Etienne, se mit à
prier pour ceux qui le frappaient avec les pierres.
L'empereur envoya alors le bienheureux en prison comme
un coupable condamné; mais il ne songeait pas
qu'il procurait par ce moyen un habile docteur aux chrétiens
qui s'y trouvaient déjà renfermés.
André se réjouit à l'exemple de
saint Paul des souffrances et des tortures qu'on lui
infligeait, et rendit de ferventes actions de grâces
au Dieu bienfaisant et clément, qui daignait
lui procurer l'honneur de souffrir la prison et les
coups pour la Gloire de son Nom. Dès son arrivée,
il se mit à instruire et à affermir tous
ses compagnons de captivité, non seulement par
ses discours pleins de foi et d'ardeur, mais encore
par l'allégresse spirituelle avec laquelle il
endurait les épreuves pénibles de la prison.
Son corps était retenu dans les fers, mais son
âme, sans attendre qu'on eût brisé
ses liens, s'envolait d'avance en esprit dans les demeures
célestes, tellement que le courageux athlète
accusait le tyran de trop tarder à le délivrer
du poids de la chair et à le débarrasser
des liens naturels de la vie d'ici-bas. Pour lui, en
effet, le corps n'était qu'une prison, qui retenait
l'âme éloignée de son centre, qui
par son enveloppe l'empêchait de s'envoler vers
les douceurs qui lui étaient réservées
et de jouir de l'inénarrable béatitude
qui l'attendait. Quelques jours après, l'empereur
ordonna de tirer le martyr de sa prison et le fit de
nouveau comparaître en sa présence. Il
pensait que la crainte des tourments qui lui étaient
réservés, jointe aux souffrances qu'il
éprouvait des tortures précédentes,
devaient avoir brisé sa force de résistance,
et que désormais il se montrerait plus lâche
et plus coulant. Mais quand il eut constaté que
le saint était plus audacieux que jamais et que
son amour du Christ n'avait fait que s'aviver avec le
temps, il commanda à deux licteurs de le dépouiller
et de fouetter rudement ses membres qui portaient encore
les traces visibles des coups reçus précédemment.
Les bourreaux se mirent à déchirer les
chairs du saint, à lui labourer les flancs, à
lui arracher des lambeaux de chair. Mais tous leurs
efforts ne parvinrent point à lui ravir le trésor
de sa foi. Enfin, le tyran, voyant que tout était
inutile, hésita quelques instants, puis il le
déclara vaincu en prononçant contre le
saint la sentence de mort. Il ordonna de lier le martyr
par les pieds, de le traîner par toute la ville
et de le jeter dans la fosse où l'on précipitait
les cadavres des suppliciés. Tel est le lieu
infâme que l'empereur assignait à celui
qui était digne de l'Eden, des demeures d'en
haut et du ciel lui-même.
Tandis que le bienheureux, accomplissant la course de
sa lutte suprême, était traîné
sur les pavés du forum, un pêcheur qui
s'y trouvait assis pour vendre quelques petits poissons
qu'il avait pris dans la mer, ayant appris la raison
pour laquelle on faisait subir au martyr ce honteux
supplice, le sentit soudain poussé par le démon,
et saisissant un couteau sur le marché, il coupa
le pied du bienheureux André, et mit fin à
sa course en même temps qu'à sa lutte,
car cette amputation fit mourir le vaillant athlète.
Le généreux lutteur s'enfuit alors vers
les cieux, il monta vers Celui qui avait rendu ses voies
irréprochables, qui avait donné à
ses pieds l'agilité du cerf et lui offrait un
refuge sur les hauteurs.
Telle fut la vie de saint André; tel est le récit
des combats qu'il livra sur cette terre. Telle fut la
vaillance de son âme, tel fut le courage qu'il
déploya dans la lutte. Les bourreaux qui avaient
traîné le corps du bienheureux le jetèrent,
dès qu'il fut mort, dans la fosse des supplices,
et ce trésor précieux demeura longtemps
dans ce cloaque infect; mais la divine Providence prit
soin de le défendre contre les bêtes sauvages
et les oiseaux de proie, afin que s'accomplit de nouveau
en notre saint les paroles de David : «Ils ont
exposé les cadavres de tes serviteurs aux oiseaux
du ciel; les chairs de tes saints aux bêtes de
la terre. Ils ont rendu leur sang comme si c'eût
été de l'eau.» Et encore : «Il
n'y avait personne qui voulût les ensevelir»,
jusqu'à ce que Celui qui avait donné à
sa chair infirme la force de lutter glorieusement et
de conquérir la couronne de gloire inspirât
à de pieux fidèles la pensée de
ne point laisser perdre le précieux trésor,
savoir les saintes reliques du martyr. Dieu ne permit
pas que ce corps vénérable demeurât
éternellement enfoui, et voici comment il le
fit découvrir : douze hommes que de mauvais démons
possédaient depuis longtemps allaient courant
de côté et d'autre, partout où les
poussait le malin esprit qui dominait en eux. Or, il
arriva un jour qu'ils se trouvèrent tous réunis
dans un même lieu. Ils résolurent alors,
afin de supporter plus facilement leur commun malheur,
de se tenir toujours ensemble, et après qu'ils
eurent parcouru un vaste espace de terrain, ils se sentirent
poussés tous à la fois vers le lieu où
l'on jetait les cadavres des malfaiteurs, là
où avait été précipité
le corps du saint martyr, et ils se mirent à
invoquer le saint par des cris confus et inarticulés.
Puis se jetant sur le monceau de cadavres, ils les écartent
avec les mains pour mettre à découvert
celui du bienheureux. Chose merveilleuse, ils reconnaissent
entre autres le corps du martyr, dont la vertu surnaturelle
et peut-être aussi l'odeur suave les avaient attirés,
et ils emportent ses saintes dépouilles. On les
déposa religieusement dans un lieu décent,
appelé Brisis. Quant aux possédés,
ils furent guéris en récompense de leur
bonne action, et retournèrent joyeusement chez
eux. Depuis cette époque, nous sommes toujours
en possession de ce précieux trésor, qui
nous guérit des maux qui fondent sur nous incessamment.
Quiconque souffre d'une maladie, d'un coup reçu,
d'un accident survenu, sera certainement délivré
de ses douleurs s'il s'approche avec foi du tombeau
de saint André, et il y recueillera en outre
pour son âme une grâce abondante par la
Bénignité et la Clémence de notre
Seigneur Jésus Christ, à qui appartient
toute gloire, en union avec le Père et le saint
Esprit maintenant et toujours et dans les siècles
des siècles. Amen.
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