Quelques
textes à méditer
avant et pendant le carême de Noël
qui débute le 15 novembre
Quelques
apophtegmes des Pères
"
On disait d'abba Paul qu'il passait le carême
avec une petite mesure de lentilles et une petite
cruche d'eau. "
"
Abba Sylvain et son disciple Zacharie se rendirent
un jour dans un monastère. On les fit manger
un peu avant de prendre la route. Et lorsqu'ils
furent dehors, son disciple trouva de l'eau sur
le chemin et voulut boire. Abba Sylvain lui dit
: " Zacharie, c'est jeûne aujourd'hui.
" Celui-ci lui dit : N'avons nous pas mangé,
père ? " Le vieillard répondit
: " Cette nourriture venait de la charité
; mais nous, gardons notre propre jeûne,
mon enfant. "
"
Abba Hypéréchios dit : " Il
est bien de manger de la viande et de boire du
vin et de ne pas manger la chair de ses frères
en parlant contre eux. "
"
Un autre vieillard se rendit chez l'un des vieillards.
Celui-ci fit cuire quelques lentilles et lui dit
: " Faisons une brève synaxe. "
Et il récita jusqu'au bout tout le psautier,
et l'autre les deux grands prophètes. Le
matin venu, le visiteur s'en alla et ils oublièrent
la nourriture. "
"
Une fois que l'on proclamait à Scété
le début du carême, un frère
alla en informer un grand vieillard, lui disant
: " Abba, les jeûnes sont arrivés.
" Le vieillard lui dit : " Lesquels,
mon enfant ? " Le frère lui dit
: " Les jeûnes du carême. "
Alors le vieillard lui répondit : "
En vérité, mon enfant, les jeûnes
dont tu parles, voici cinquante ans que je ne
sais ni quand ils commencent, ni quand ils finissent
; mais tout mon temps est pour moi un temps
de jeûne. "
(tirés
de " Les apophtegmes des Pères ",
sources chrétiennes N° 387, Le Cerf,
1993 Paris).
Quelques
extraits des " Institutions cénobitiques
" de St Jean Cassien
L'ESPRIT
DE GOURMANDISE
LE PREMIER COMBAT
Le
premier combat que nous devons engager est contre l'esprit
de gourmandise, que nous avons appelé aussi concupiscence
de la bouche (V, 3).
JEUNE
ET DISCRETION
II est bien difficile, sinon impossible, de trouver
dans un seul homme le modèle de toutes les vertus.
Cependant, bien que le Christ ne soit pas encore tout
en tous, ainsi que le dit l'Apôtre (cf. 1 Co.,
15, 28), néanmoins nous pouvons le découvrir
en tous comme par parties. Il est dit de lui : "
Il a été fait notre sagesse, notre justice,
notre sainteté et notre rédemption "
(1 Co., 1, 30). Ainsi, lorsque nous trouvons dans l'un
la sagesse, dans un autre la justice, dans un autre
la sainteté, dans un autre l'humilité,
le Christ est divisé comme par membres entre
chacun de ses saints. Mais puisque tous ne font qu'un
dans la foi et la vertu, ils ne constituent qu'un seul
Christ, homme parfait, qui réalise la plénitude
de son corps par l'union de tous les membres, chacun
ayant sa grâce propre (cf. Ep., 4, 13)... Car
bien que notre piété n'ait qu'un seul
but, néanmoins, les voies par lesquelles nous
tendons à Dieu, sont toutes différentes
(V, 4).
C'est pourquoi il serait difficile de garder dans le
jeûne une règle uniforme. Tous en effet
n'ont pas la même vigueur corporelle, et, pour
jeûner il ne suffit pas, comme pour les autres
vertus, d'avoir à cur de le faire.
Le jeûne dépend donc non seulement de la
vigueur de l'âme, mais aussi des possibilités
du corps. Aussi la tradition que nous avons reçue
est-elle très ferme sur ce point : il doit y
avoir diversité quant au moment de prendre la
nourriture, quant à la mesure et quant à
la qualité, selon les différences de forces,
d'âge ou de sexe ; cependant, il ne doit y avoir
qu'une seule règle pour tous en ce qui concerne
l'esprit de sobriété et de mortification
.
...Ainsi, deux livres de pain ne suffisent pas à
rassasier l'un, tandis que l'autre se trouve incommodé
d'en avoir mangé une livre ou même six
onces. Cependant, malgré la diversité
des régimes, tous tendront au même but
compte tenu de leur tempérament, ne pas se charger
jusqu'à la satiété. En effet, non
seulement la qualité, mais la quantité
des aliments émousse la pénétration
du cur, et, en appesantissant à la fois
l'esprit et le corps, allume et entretient le dangereux
brasier des vices (V, 5).
PREFERER
LES NOURRITURES CELESTES
...Jamais en effet nous ne pourrons mépriser
les nourritures de ce monde si notre âme, fixée
dans la contemplation de Dieu, ne goûte pas davantage
l'amour des vertus et la beauté des choses du
ciel. Et ainsi, quand on en sera venu à mépriser
comme caduques toutes les choses présentes et
à fixer immuablement le regard de l'esprit sur
les réalités immuables et éternelles,
déjà on contemplera des yeux du cur,
bien que demeurant encore dans la chair, la béatitude
de la demeure à venir (V, 14).
LA
SOBRIETE INTERIEURE
Sachons-le, en nous adonnant au labeur des privations
corporelles, nous ne devons avoir d'autre but que de
parvenir par ce moyen du jeûne à la pureté
du cur. C'est en vain que nous travaillons si,
tandis que nous supportons infatigablement toutes ces
peines afin d'atteindre notre fin, nous la manquons
(par défaut de pureté intérieure.
N'eût-il pas mieux valu sevrer notre âme
des aliments qui lui sont interdits, que de nous abstenir
corporellement de nourritures permises, inoffensives
et, par elles-mêmes, sans péché
? Le corps ne fait qu'user en toute simplicité
et innocence des créatures de Dieu ; mais, quant
à l'âme, nous dévorons nos frères,
pour notre perte. C'est de cela qu'il est écrit
: " N'aimez pas la médisance, de peur que
vous ne soyez déracinés " (Pr., 20,
13 selon LXX) ; le bienheureux Job, de son côté,
dit de la colère et de l'envie : " La colère
tue l'insensé, et l'envie donne la mort à
l'esprit mesquin " (Job, 5, 2) (V, 22).
LE
REGIME ALIMENTAIRE DU MOINE
On choisira comme nourriture non seulement ce qui apaise
l'ardeur de la concupiscence et l'excite le moins, mais
encore ce qui est le plus facile à préparer,
le moins cher, et d'usage commun parmi les frères.
La gourmandise en effet peut se commettre de trois façons
: en prévenant l'heure régulière
des repas ; en se remplissant jusqu'à la satiété,
sans avoir particulièrement égard à
la qualité de la nourriture ; en recherchant
les mets les mieux apprêtés et les plus
succulents.
Le moine devra donc leur opposer une triple observance
: ne pas rompre le jeûne avant l'heure prévue
; se contenter de peu ; n'user que d'aliments ordinaires
et peu coûteux.
En outre, la plus ancienne tradition des Pères
condamne comme infecté par la vanité,
la gloriole et l'ostentation, tout ce qu'on ose faire
contre la coutume et l'usage commun... Ils estiment
même que l'on ne doit pas faire connaître
volontiers les jeûnes ordinaires que l'on pratique,
mais plutôt, dans la mesure du possible, les tenir
cachés.
Aussi jugent-ils préférable que, si des
frères viennent nous visiter, nous les recevions
avec bonté et charité, au lieu d'en faire
les témoins de notre abstinence et de notre austérité.
A notre volonté, à notre utilité,
à nos désirs, il faut alors préférer
ce qui peut reposer et soulager notre visiteur, et nous
y soumettre de bon cur...
Ainsi, partout où nous allions, sauf les mercredi
et vendredi, où le jeûne est imposé
par la loi de l'Eglise, on rompait le jeûne. Un
ancien, à qui nous avions demandé pourquoi,
chez eux, on rompait aussi facilement les jeûnes
quotidiens, nous répondit : " Le jeûne
est toujours à ma disposition ; mais vous, vous
allez partir, et je ne puis vous garder toujours avec
moi. Et bien que le jeûne soit utile et nécessaire,
il n'en reste pas moins une offrande que nous faisons
librement ; accomplir le devoir de charité est
au contraire imposé par un précepte. C'est
pourquoi, recevant le Christ en votre personne, je dois
le refaire ; et ce que, par égard pour lui, j'aurai
adouci de mon régime, il me sera facile de le
compenser ensuite par un jeûne plus strict. "
Les amis de l'époux ne peuvent jeûner quand
l'époux est avec eux ; mais quand il les aura
quittés, alors ils pourront jeûner "
(Lc, 5, 34-35) (V, 24).
(in P. Placide Deseille, "
Nous avons vu la vraie Lumière, la vie monastique
son esprit et ses textes fondamentaux ", Editions
L'Age d'Homme, Lausanne 1990)
"
Le jeûne est un excellent pédagogue.
Premièrement, il a tôt fait de faire
comprendre à quiconque jeûne que
l'homme n'a besoin que de très peu de nourriture
et de boisson, et qu'en général
nous sommes des gloutons qui mangeons et buvons
plus qu'il est nécessaire, c'est-à-dire
plus que notre nature ne le requiert. Ensuite,
le jeûne révèle ou découvre
toutes les infirmités de l'âme, toutes
ses faiblesses, ses déficiences, ses péchés
et ses passions; exactement comme une mare boueuse,
lorsqu'on commence à la nettoyer, laisse
apparaître les reptiles et toutes les saletés
qu'elle contenait. Ensuite, il nous montre la
nécessité de revenir à Dieu
de tout notre cur, de chercher sa miséricorde,
son secours et son salut. Enfin, le jeûne
révèle toute l'astuce, la ruse et
la malice des esprits incorporels, auxquels nous
étions soumis sans nous en rendre compte;
maintenant que nous sommes illuminés par
la lumière de la grâce de Dieu, leur
ruse devient évidente, et les voici, dès
lors qui nous persécutent méchamment
pour avoir abandonné leurs voies. "
( )
Comme
un homme s'avilit par la goinfrerie et l'ivrognerie
! Il pervertit sa nature, créée à
l'image de Dieu, devient semblable aux bêtes et
même pire. Oh, malheur à nous pour nos
passions, nos habitudes vicieuses ! Elles nous empêchent
d'aimer Dieu et notre prochain, d'accomplir les commandements
de Dieu ; elles enracinent en nous un égoïsme
criminel dont la fin sera la damnation éternelle.
C'est ainsi que le buveur ne compte pas son argent quand
il s'agit du plaisir de sa chair, de son abrutissement,
mais il rechigne à donner quelques kopecks à
un pauvre. Le joueur jette au vent des dizaines, des
centaines de roubles, et il rechigne à donner
les quelques kopecks qui auraient pu sauver son âme.
Ceux qui aiment s'habiller avec luxe, qui collectionnent
les meubles de style ou les porcelaines précieuses
dépensent des sommes fantastiques en vêtements,
meubles ou bibelots, et passent près des mendiants
avec froideur et dédain. Quant aux fins gourmets,
ils ne regardent point à dépenser en banquets
des dizaines et des centaines de roubles, mais pour
les pauvres, pas même un sou de cuivre !
Le jeûne est encore nécessaire au chrétien
parce que, depuis l'incarnation du Fils de Dieu, la
nature humaine a été spiritualisée
et divinisée; nous nous hâtons maintenant
vers le royaume de Dieu qui "n'est pas affaire
de nourriture et de boisson, mais justice, paix et joie
dans l'Esprit-Saint" (Rom. 14, 17). "Les aliments
sont pour le ventre et le ventre pour les aliments ;
mais Dieu détruira l'un comme les autres"
(1 Cor. 6, 13). Manger et boire, c'est-à-dire
chercher les plaisirs charnels, est bon pour les incroyants
qui, ne connaissant pas les joies célestes et
spirituelles, fondent toute leur vie sur les plaisirs
de la chair. C'est pourquoi le Seigneur, dans l'Evangile,
condamne si souvent cette passion destructrice. "
(Jean de Cronstadt, Ma vie en Christ, spiritualité
orientale N° 27, Abbaye de Bellefontaine 1979)