DE L'EMBRYON
(Essai
de réflexion théologique selon la tradition de l'Eglise
Orthodoxe)
par
Monseigneur Stephanos Métropolite de Tallinn et de toute
l'Estonie
Notre
Eglise Orthodoxe n'est jamais restée indifférente au problème
de l'embryon humain. Les Pères de l'Eglise, notre Droit
Canon et aussi diverses positions théologiques prises
à l'occasion de rencontres entre nos Eglises locales,
nous proposent de nombreuses orientations susceptibles
de nous assister dans nos diverses attitudes pastorales,
de nous éclairer sur la nature et les droits de l'embryon
humain. Essayons donc de les aborder brièvement et de
façon très large.
A. LA NATURE DE L'EMBRYON
1.-
L'embryon est potentiellement un être humain en puissance
(si j'ai bien saisi le sens canonique du problème) : ses
cellules, son potentiel génétique, sa morphologie et sa
physiologie expriment en toutes choses la personne humaine.
D'ailleurs, le seul fait qu'il soit capable de se développer
en uniquement un être humain parfait et pas autre chose
définit de façon indiscutable son essence essentiellement
humaine. En tant que tel, il est beaucoup plus que ce
qu'il semble être au premier abord car, en tant que tel,
il est déjà un être humain.
Dans
un certain sens, sa symbiose de neuf mois avec sa mère
relève de l'humain puisqu’il ne peut être conçu que dans
un sein uniquement son identité humaine alors qu'il n'existe
que dans une perspective humaine ?
Le
moment de la conception représente un poids énorme : un
spermatozoïde et un ovule s'unissent pour aboutir à une
identité nouvelle, indissoluble et irréversible, c'est-à-dire,
pour devenir une nouvelle vie qui est désormais une vie
humaine, autrement dit un être humain. Mais dans cette
conception apparaît aussi une autre dimension, mystérieuse,
plus sacrée: l'exclusivité. Un ovule fécondé ne peut plus
l'être par un autre spermatozoïde parce que déjà, les
caractéristiques d'une nouvelle existence humaine ne peuvent
plus être modi-fiées : la fécondation est donc définitive
et irréversible. Ce seul fait suffit à démontrer que nous
sommes bien, avec l'embryon, en présence d'un être humain.
Lequel à travers les diverses étapes de son existence
(enfance, adolescence, âge adulte, vieillesse) laissera
se dérouler tout le processus de son identité humaine.
Par conséquent l'embryon est un être humain parfait selon
la nature mais encore imparfait de par son état. Les divers
canons de l'Eglise, notamment en matière d'avortement,
ne disent rien d'autre que cela derrière la rigueur des
dispositions souvent très sévères qu’il prévoit ( Cf e.a.
canons 91 du Concile in Trullo, canons 2 et 8 de St Basile,
canons 21 et 22 de Jean le Jeûneur, canon 21 du Concile
d'Ancyre et aussi le Pydalion).
2.-
De ce fait, l'embryon est une personne jouissant d'une
identité. L'Eglise considère avec respect toute l'histoire
de la personne humaine dès l'instant de sa fécondation
jusqu'au moment où elle achèvera sa course dans ce monde
pour entrer dans l'éternité. Parce qu'il possède, et non
pas seulement en apparence, tout ce qui est de l'homme
dans toute son intégrité. Pour l'Eglise, l'embryon est
vie dès le premier jour de la conception, et non pas à
partir de son 12éme ou l5ème jour, et pour cette raison,
il a droit à toute protection et à toute reconnaissance
morale. Toute intervention sur lui, sous prétexte qu'il
ne vit pas encore ou qu’il n’est pas encore suffisamment
constitué en corps humain ou qu’il n’est pas encore indépendant
du corps maternel, est du point de vue moral irrecevable.
On peut affirmer ici, sans chercher à développer une quelconque
polémique, que la question de l'interruption volontaire
de grossesse ne fait que mieux ressortir les droits de
l'embryon. C'est en tout cas ce que je comprends quand
j'aborde les canons de l'Eglise notamment en matière d'avortement.
J'ajouterai encore que la possibilité du choix du sexe
de l'enfant, si l'on y regarde de plus près, tant du point
de vue des choix des parents que de certaines manipulations
génétiques possibles en vue de les contenter, présente
vu sous cet angle de non moins graves dangers notamment
eu égard à des objectifs douteux que certains hommes politiques
ou de la science peuvent être tentés d'utiliser au profit
de leurs stratégies respectives. Nous ne nous lasserons
pas ici de répéter que chaque être humain est unique et
que sa différenciation des autres hommes commence dès
le moment de sa conception, qui est cet instant où la
personne humaine acquiert sa réalité, son identité propre
est tout son dynamisme propre, indépendamment des changements
qui peuvent survenir par la suite. C'est cela qui fait
en premier de l'embryon une personne avec sa conscience
propre et sa volonté propre (cf. à ce propos la note complémentaire
"3/d" dans la bibliographie).
Il
est vrai que dans ce domaine, les problèmes d'ordre moral
sont délicats à soulever. La médecine ne doit pas perdre
de vue les buts fondamentaux du mariage et tout ce qui
relève du rôle et de la responsabilité des parents. Autrement
dit, la fin ne peut en aucun cas justifier les moyens
en matière de pratique médicale lorsqu'il s'agit de l'embryon
(on peut, par exemple, citer ici le cas des mères porteuses
et de tout ce que peut envisager la technologie moderne
en 1a matière). Et ce parce que, pour l'Eglise, le mystère
du mariage ne peut en aucun cas se limiter à la seule
nécessité de la procréation. Si tel devait être le cas,
alors tous les moyens seraient bons pour atteindre ce
seul but. Dans le cas, par exemple des avortements, aucune
loi ne pourra jamais imposer à qui que ce soit (médecin,
sage-femme ou infirmière) d'agir à l'encontre de ses principes
moraux. Aussi la question se pose de savoir comment on
peut élaborer une éthique médicale susceptible de respecter
les droits de l'embryon. Dans de nombreux pays il existe
maintenant des comités d'éthique. Dans le journal " KATHIMERINI "
du 5 février 1989, le professeur DOXIADIS est d'accord
sur le fait que ces comités contrôlent les programmes
de recherche sur l'homme ou les décisions à prendre dans
des cas précis de malades. Mais il ne leur reconnaît aucun
autre droit, notamment en matière de régulation des relations
entre les médecins ou entre les autres professionnels
de la santé.
Une
telle attitude me semble juste parce que les règles de
l'éthique ne sont pas un simple ensemble de règles de
bons comportements, ni un code de situations prévisibles
à devoir régenter. L'éthique se situe au-delà des règles
et des codes. Elle est une attitude de vie, une manière
d'être et en fin de compte, un critère pour un juste positionnement
en face des problèmes du quotidien. L'Evangile est en
mesure de mettre à la disposition de tout un chacun de
tels critères, à la fois authentiques et objectifs. Aussi,
si quelqu'un veut pratiquer la morale dans une perspective
chrétienne, il lui suffit de laisser l'Evangile le saisir
au plus profond de lui-même à travers sa raison, son vouloir,
sa compréhension et ses démarches. Dans de telles conditions
la science devient sagesse, créativité, don, bénéfaction
puisque l'éthique rejoint la conscience de chacun. Dans
ce domaine, le rôle de l'Eglise consiste surtout à proposer
sa contribution sans rien imposer du tout, pour mieux
permettre au monde de la médecine et de la science de
résoudre, de la manière la plus authentique, les problèmes
pratiques qui relèvent de l'éthique et de la déontologie.
Cela nous ramène à notre propos initial : la morale chrétienne
éclaire, de façon particulière, la valeur intérieure de
chaque personne humaine. Elle est sur terre un être chaque
fois unique et inestimable et ce parce que l'homme est
à l'image de Dieu ; image honorée par l'incarnation du
Dieu-Homme, Jésus-Christ. Pour cette raison la vie de
l'homme est un bien inviolable et en tous points digne
de respect ; le droit à la vie prévaut sur toute autre
considération.
3.-
Pour l'Orthodoxie la vision de l'homme, de la vie et du
monde est forcément théo-centrique : chaque homme n'est
pas seulement un être logique éphémère mais essentiellement
il est compris comme une icône immortelle de Dieu : tout
ce qui a trait à sa condition naturelle est inférieur
à ce qui est en lien étroit avec son existence divine.
Le don de la vie biologique est sans comparaison, non
pas parce qu'il s'inscrit dans la continuité du naturel,
mais parce qu'il rejoint l'être spirituel : le commencement
de la vie coïncide avec le commencement de l'âme ; l'évolution
du premier détermine la situation du second. L'embryon
est donc aussi une âme vivante. Et l'âme est cet élément
de l'homme qui lui permet d'opter pour la sanctification
ou le péché, pour le refus de Dieu ou la reconnaissance
de sa manifestation parmi les hommes. En d'autres termes,
il est en mesure de se contenter de son état naturel ou
au contraire d'atteindre par grâce une physionomie divine
du fait que l'âme continue à vivre après la mort malgré
les lois naturelles et que librement elle peut se laisser
féconder par les énergies de la grâce divine pour que
l'homme soit déifié de par sa communion avec la nature
divine. A cause de cela la vie biologique sur terre revêt
une valeur incomparable car elle n'est pas un simple don
de Dieu, mais elle se présente comme une occasion unique,
celle de la participation de l'homme créé aux énergies
incrées de Dieu à la divinité même de Jésus-Christ par
le baptême. Le corps devient alors temple de l'âme et
la vie sur terre vase mystique de la vie du monde à venir.
Par conséquent, début de vie signifie en même temps début
de l'âme : l'instant de notre naissance a plus de poids
que celui de notre mort parce que la naissance est commencement
d'éternité alors que la mort n'est que l'achèvement du
provisoire.
Cela
rejoint le point de vue des Cappadociens de refuser de
circonscrire la nature incorporelle en des limites spatiales
: pour Basile de Césarée, c'est par la raison que l'homme
est à l'image du Créateur et non par sa forme corporelle
et c'est pourquoi " l'image n'étant vraiment image que
dans la mesure où elle possède tous les attributs de son
modèle ", elle ne peut être enfermée dans des délimitations
spatiales puisque l'homme est créé à l'image même de Dieu
(cf. Homélies sur l'Hexaemeron ; sur l'origine de l'homme
et dans les Grandes Règles) ; quant à Grégoire de Nysse
(cf. La création de l'homme) il soutient que : " l'esprit...
s'approchant de notre nature de telle sorte qu'il se joint
à elle, (il) est à la fois en elle et autour d'elle, sans
pourtant y avoir son siège ni l'enfermer en lui ". C'est
ainsi que l'homme est véritablement un dans la composition
d'âme et de corps. " La question de l'animation de l'embryon,
écrit le Dr Eric BARTHELME, apporte une confirmation décisive
à cette manière de voir (c'est-à-dire à cette perspective
religieuse des Cappadociens sur l'homme comme créature)
car il permet en effet de concilier l'idée d'une nature
humaine duelle et le mystère de la priorité et de la postériorité
du spirituel sur le physique dans une conception selon
laquelle le commencement de l'existence est unique et
le même pour l'âme et le corps ". Grégoire de Nysse aura
ainsi recours à l'image biblique des "tuniques de peau"
(Gn 2, 21) pour désigner ce qui, à son sens, est rajouté
à cette image créée selon celle de Dieu (Gn 1, 27) et
le dégrade, à savoir la vie biologique et instinctive
que l'homme partage avec les animaux depuis la chute (Sur
la Virginité, PG 46/12, 373;376A)
Ainsi l'homme est doté d'une structure ontologique très
particulière puisqu'il conjugue en lui le monde de la
matière et celui de l'esprit. Par nature il est constitué
d'une âme et d'un corps depuis son commencement jusqu'à
sa mort. Ainsi, dit encore Grégoire de Nysse : " on ne
doit pas placer la création de l'un de ses composants
avant celle de l'autre : ni la création de l'âme avant
celle du corps, ni l'inverse ; car alors l'homme serait
mis en conflit avec lui-même si on le divisait par une
distinction temporelle" (in La création de l'homme). Par
conséquent nous pouvons affirmer ici que l'embryon est
animé dès sa conception biologique. Cette question du
statut anthropologique a été particulièrement éclairée
chez saint Maxime le Confesseur par la christologie. Pour
lui, la perfection de l'Incarnation impose que le Christ
soit pleinement homme et pleinement Dieu dès le moment
de sa conception. Or, le Christ révèle aussi ce qu'est
l'humanité de l'homme, "Par conséquent, l'homme est constitué,
selon Maxime le Confesseur, d'un corps et d'une âme dès
sa conception biologique", dit le Dr Philippe CASPAR dans
un article assez récent, où il étudie le statut de l'embryon
humain chez les Pères de l'Eglise.
Compte
tenu de ce qui vient d'être dit, si déjà le fait de cloner
un végétal ou un animal relève d'une réflexion déjà complexe
du fait que le clonage, d'une manière ou d'une autre,
détruit la spécificité des créatures, combien le clonage
humain n'est il pas inadmissible et scandaleux, même à
titre d'hypothèse ou de simple utopie de savant. Pour
le Dr Claude HIFFLER, cela relève "d'une diabolisation
de la science". Car, ajoute-t-il encore, " toutes les
créatures ont droit au respect de leur différence et de
leur existence. L'homme en particulier, parce qu'il est
une personnalité irréductible, à dessein divino-humaine,
doit toujours se rappeler qu'i1 est " à l'image et à la
ressemblance de Dieu ", il ne doit jamais oublier qu'i1
est le jardinier et le gardien de la Création (Gn 2,15).
Nos rapports avec notre propre corps et celui des autres
exigent une vision sacramentelle d'amour et de respect,
précisément parce que nous sommes par notre corps le Temple
da Saint Esprit ".
Selon
l'Eglise Orthodoxe le mariage remplit une double fonction
: il vise à l'union de deux êtres, qui sont l'homme et
la femme, et au fruit de cette union qui est la procréation,
"afin que soit aussi perpétué le genre humain ". Le lien
entre ces deux fonctions est indissoluble. L'union charnelle
présuppose l'union des âmes ; la première est la conséquence
de la seconde. Aussi la procréation apparaît ici comme
un acte responsable par rapport à cette relation complexe
qui naît du mariage. L'Eglise, pour sa part, ne voit pas
cette relation comme une concurrence entre le corps et
l'âme : ces deux éléments qui fondent la personne humaine
ne diffèrent pas l'un de l'autre et ne se battent pas
l'un contre l'autre. Dans le mariage les deux époux expriment
fondamentalement leur unité spirituelle en utilisant pour
ce faire le langage de leur corps. Et l'enfant qui va
naître de cette union ne sera que le fruit de ce don réciproque
que se font les parents entre eux. Seul donc le couple
possède le droit de devenir parents et seulement l'un
à travers l'autre.
Il
me semble important de rappeler cette évidence parce que
de nos jours, il y en a la nécessité du fait que :
1.
Les progrès immenses de la médecine la rendent aussi plus
dangereuse.
2.
L'état, en légiférant de plus en plus dans le domaine
de la santé, ne peut faire abstraction de la vie des individus
et cela risque de créer des tensions entre les intérêts
d'ordre social et la liberté des personnes.
3.
Du fait qu’il se pose de nombreuses questions quant à
la provenance et à l'utilisation des fonds qui sont alloués
à la santé.
4.
Et enfin parce que les citoyens possèdent plus de connaissances
que par le passé en matière de santé. A une époque où
l'on fait tant de place aux Droits de l'Homme, les scientifiques
chrétiens se doivent de réfléchir à l'actualisation du
thème de l'homme " image de Dieu " pour proposer un nouvel
espace éthique indispensable capable de s'ouvrir dans
une vision de transfiguration et non pas de défiguration
de l'homme et du cosmos. Il nous suffit, pour cela, de
nous souvenir des martyrs chrétiens de tous les temps,
lesquels, en confessant le Christ, ont en même temps témoigné
leur foi en l'éminente dignité de l'être humain.
B.
LES DROITS DE L'EMBRYON
On
peut tenter d'en dégager au moins trois :
1.
Le premier est celui de son identité. Il lui revient de
montrer son identité et sa personnalité. C'est à lui de
nous dire qui il est et ce qu’il est et non pas à nous.
De nous faire savoir s'il est ou non un homme parfait
et de nous révéler ce qui le caractérise sur le plan physique
et psychique qui le différencie des autres humains. Ce
droit, la science et la société doivent le protéger. L'embryon
est beaucoup plus ce qu’il va devenir que ce qu'il est
maintenant.
2.
Le second droit est celui de la vie. Sa finalité est de
devenir un homme dans toute la plénitude de ce terme.
Et ce dans les conditions optimales. Et de même le but
de son existence doit seulement être tourné vers la vie
et jamais vers l'expérimentation (comme c'est, ici ou
là, le cas dans certains laboratoires) ou vers la question
du surplus d'embryons pour lesquels on se pose tant de
questions notamment quant à la possibilité de leur destruction,
ou vers leur mise " en veilleuse " par congélation. Il
est affligeant de savoir que pour des milliers d'embryons
on a substitué le milieu chaleureux naturel de leur développement,
qui est le sein maternel, par le milieu froid d'un congélateur
et que l'on transforme la formidable capacité de vie qu'il
contient en perspective de mort ou d'expérience scientifique.
3.
Le troisième droit qui lui échoit tout naturellement est
celui de l'éternité. L'embryon possède une âme immortelle.
Le don qui lui est fait de passer par la matrice de la
vie biologique à la vie de l'éternité rejoint ce même
droit que lui offre Dieu d'être fécondé et de se multiplier.
C.
PROTECTION ET RESPECT DE L'EMBRYON
C'est
un fait que la vue d'un bébé émeut, non seulement les
individus mais aussi toute société. Et cela est pleinement
justifié car l'enfant mérite, de par sa fragilité même
et tout ce qu’il représente pour l'avenir, tout sentiment
sacré et tout respect.
Il
devrait en être, sinon plus, de même pour l'embryon :
son combat pour sa survie, son degré de dépendance et
son incapacité de s’autoprotéger sont encore plus grands
que ceux de n’importe quel bébé. Aussi la vie dépendante
que mène l'embryon dans le ventre de sa mère est bien
plus sacrée que celle déjà plus autonome d'un tout petit
enfant. Il est de notre devoir à tous de faire en sorte
que tout embryon bénéficie de toute aide possible pour
survivre et se développer dans des conditions optimales.
Parce que son existence dépend de notre seul bon vouloir,
il nous est facile de la détruire.
Bien
plus, la destruction d'un embryon c'est un refus de Dieu,
un refus de lui permettre de se manifester dans le monde
parce que la conception biologique d'un homme dans le
sein maternel coïncide avec sa conception spirituelle
dans la pensée de Dieu. Celui qui fait obstacle à la première
bloque à la seconde toute perspective d'éternité. On peut
préciser ici que le refus de concevoir l'embryon est un
péché bien plus petit que celui de l'empêcher de continuer
à vivre. De même qu’il n’est pas possible d'empêcher un
enfant de devenir un jour un homme adulte et responsable,
de même et plus encore il n'est pas possible de mettre
un terme au combat que mène l'embryon pour accueillir
en lui une âme car c'est porter atteinte à sa dignité.
Assurément l'embryon n’est pas encore un être humain accompli
et incontes-tablement il ne cesse pourtant d'être homme
et en tout cas, en aucune manière il ne peut être " un
non-homme ".
Peut-être
que cela ne convient pas à nos sociétés modernes. Elles
voudraient bien que l'homme soit dépourvu d'âme et d'esprit.
Il suffit pour cela de se tourner vers toutes ces théories
de l'évolution, lesquelles sont des tentatives, non pas
de prouver (cela n'est pas possible) mais de se convaincre
que notre origine est naturellement animale. Le regard
de l'Eglise est tout autre : l'éternité commence avec
la conception et le potentiel que contient chaque embryon
ne relève pas du domaine de l'abstrait mais annonce déjà
le désir eschatologique qui est le propre de la nature
humaine. Ce potentiel qui nous permet de nous demander
ce que nous pouvons devenir ou ce pourquoi nous sommes
appelés nous donne la force d'affronter notre vie terrestre
qui est corruption et brièveté. Notre monde est un monde
étrange, dans lequel résident le moins à cause de la chute
et le plus à cause de notre désir de connaître Dieu. Un
monde sans cesse en quête de nouveauté et de création.
Pourtant, si priorité il y a, ce n’est pas d'améliorer
d'abord notre quotidien mais de nous situer dans la perspective
du monde à venir, qui pour nous les chrétiens est la construction
du Royaume de Dieu. " Déposons maintenant tous les soucis
du monde, chantons-nous au moment de l'hymne des Chérubins
lors de la Divine Liturgie, pour recevoir le Roi de toutes
choses ". C'est dans cette perspective qu’il nous faut
situer l'embryon : pour lui, comme pour chacun d'entre
nous, il y a eu synergie entre Dieu et le désir des parents.
Une synergie ou en toute humilité est venue s'ajouter
un peu de science de notre science. Maintenant que ce
" peu de science " de notre science a tendance à devenir
plus important où se situe la véritable frontière entre
la capacité de la science de mieux manifester le mystère
de l'union de la vie naturelle avec l'âme, de la beauté
du présent avec la splendeur de l'éternité et entre la
capacité, qui peut aussi être la sienne, de mettre un
terme brutal à la libre spiritualité de l'homme ? C'est
à ce niveau, ce me semble, que se situe le problème de
la survie ou de la destruction de l'embryon.
Permettez-moi,
en guise de conclusion, de vous donner lecture d'un extrait
de lettre, écrite par une femme de Suisse. Elle s'est
fait avorter dans sa jeunesse et, bien plus tard, s'adresse
directement à cet enfant qu’elle n'aura jamais eu. Cela
non pas par sentimentalisme. Dans le tragique de son vécu
les mots simples de cette femme résument bien tout l'objet
de mon exposé. Et c'est cela que je tenais à vous communiquer
afin de mettre, dans la sécheresse de nos propos et de
nos raisonnements la voix du cœur, objet tout aussi indispensable
à notre réflexion :
Mon
enfant très aimé,
Depuis
longtemps déjà je tenais à te dire ce que je porte dans
mon cœur. Pardonne-moi de t'avoir empêché de voir la lumière.
Tu es venu faire ta demeure dans mon corps… pour illuminer
mon existence. Si tu savais combien malheureuse je suis
aujourd'hui parce que tu n'es pas à mes côtés. Hélas,
à l'époque je ne te voyais pas comme une personne mais
comme un accident, un malheur, une injustice. Comme j'ai
honte aujourd'hui ! ... Malgré tout, je suis convaincue
que toi tu es dans la jouissance de 1a lumière de Dieu.
(Car) Lui il t'a ouvert les bras puisque moi je t'avais
refusé les miens. Alors je te supplie, mon enfant chéri
(si j'ai encore le droit de te nommer ainsi), prie pour
moi, veille près de moi, aide-moi dans les heures difficiles
que je traverse. Pour moi tu es un ange qui chante les
merveilles de Dieu. Quant à moi, je suis sûre que j'ai
encore une mission à accomplir sur cette terre. Aussi
aide-moi à distribuer autour de mot la tendresse et l'amour
que je t'ai refusés. Signé : Patricia ta maman !
BIBLIOGRAPHIE
1.
Références patristiques :
-
pour Ss Basile et Grégoire de Nysse cf. Encyclopedia Universalis
3, pp29-30 et 8, ppl4-15.
-
pPour St Maxime le Confesseur, cf. l'article de M-H- CONGOURDEAU
in "la politique et la mystique" Paris. Critérion 1984
; "Maxime le Confesseur et l'humanité de l'embryon" et
in "Nouvelle revue théologique" t-III, 1989, pp.693-709
" l'animation de l'embryon chez Maxime le Confesseur ".
2.
Articles en langue française :
-
Revue "connaissance des Pères de l'Eglise" N°52/décembre
1993, sous la rubrique "santé et maladie chez les Pères"a)
Dr Eric BARTHELME : "quelques aspects de la conception
du corps chez Basile de Césarée et Gregoire de Nysse "
pp,l2-13 b) Dr Philippe CASPAR : "comment les Pères de
l'Eglise envisagent le statut de l'embryon humain" pp,l7-18.
-
Revue "SYNAXE" N° 41 juillet-sept- 1997) : "bioéthique
: clonage et transgénisme" par le Dr Claude HIFFLER pp.4-5.
3.
Articles en langue grecque :
a)
Archim. Nicolas HATZINICOLAOU : " application de la technologie
expérimentale sur des embryons humains " in TIMITIKON
APHIEROMA IS TON MITROPOLITIN KAISSARIANIS GEORGION -Athènes
1996 PP.349-367.
b)
Métropolite de Démétriados CHRISTODOULOS: Ethique de la
déontologie médicale in TRlBUNE MEDICALE (IATRIKO VIMA),
février 1990, pp.37-41 et loc. cit. mai 1989 : conception
technique et éthique chrétienne pp. 47-48.
c)
la lettre de Patricia a été éditée par la revue "KATHOLIKI",
Athènes, le 28/04/1998, p.3.
d)
Note complémentaire : texte ci-joint in "TIMITIKON APHIEROMA
IS TON MITROPOLITIN KAISSARIANIS GEORGION " loc, cit,
et signé par l'actuel Archevêque d'Athènes SB- CHRISTODOULOS
pp.167-171.
-" Le point de vue que la vie humaine ne commence pas
dès la conception est ancien et on le rencontre dans le
Droit Romain, lequel est influencé par la philosophie
antique . Ainsi ce droit reconnaissait que l'embryon ,
" être inanimé, n'est pas à être compté parmi les vivants,
puisque non reconnu comme homme , mais comme partie du
sein maternel " (cfr. C.Rallis: Droit pénal de l'Eglise
orthodoxe d'Orient , p.222) . Malgré cela , ce même droit
acceptait que le NASCITURUS, c'est-à-dire l'embryon ,
était du point de vue du droit un sujet jouissant de mêmes
droits et des mêmes devoirs que tout être humain. Pour
cette raison il punissait tantôt par la peine de l'exil
tantôt par celle de la mort toute destruction de l'embryon
. Aussi est-on à juste en titre en droit de se demander
combien progressiste peut être considérée l'idée que soutiennent
de nos jours ceux qui militent en faveur de l'avortement
, à savoir que jusqu'à une certaine époque l'embryon n’est
pas considéré comme un être humain , alors que cette argumentation
ne remonte qu'à une législation qui est appliquée depuis
seulement à peine 20 ans.
-
Il est vrai que dans le livre de l'Exode ( 'Ancien Testament
- Exode , chap. 21/21-23) il existe un verset, lequel
à première vue donne l'impression de concourir à l'idée
que durant les stades initiaux de son existence l'embryon
n’est pas considéré comme un être humain. Et ce parce
que ce verset fait la différence entre embryon " représenté
et non représenté ". Sur la base de cette distinction
le fauteur d'un avortement sur une femme enceinte n'est
pas puni si l'embryon " n'est pas représenté " tandis
que dans le second cas il est puni au même titre qu’un
meurtrier ayant provoqué la mort. Toutefois, cette conclusion
n'est pas la bonne, même si à première vue elle semble
bien fondée, du fait que tout l'enseignement patristique,
lequel est toujours en parfaite harmonie avec les Saintes
Ecritures, considère que l'homme existe dès l'instant
de sa conception. Je fais référence parmi les nombreux
témoignages au second Canon de Saint Basile le Grand,
qui jouit d'une autorité œcuménique... Et de même, je
rappelle les 3ème, 4ème et 6ème Conciles œcuméniques qui
se sont penchés sur la naissance selon la chair du Seigneur
et qui ont dogmatisé sur Son existence animée dès l'instant
de sa conception " par l'opération du Saint Esprit dans
le sein de la Vierge Marie " ......
-
Je reviens donc à ce que j'avais dit précédemment sur
le verset du livre de l'Exode : si l'embryon est "non
représenté", cela signifie que la grossesse n’étant pas
encore apparente, le responsable ignorait donc cela et
pour cette raison ne pouvait pas être passible de punition
en cas d'avortement causé par son acte. Dans le cas d'une
grossesse avancée ( embryon "représenté" ) , il est évident
qu’il ne pouvait pas l'ignorer . Autrement dit, la loi
mosaïque, pour pouvoir mesurer le degré de responsabilité
de l'agresseur, a voulu s'appuyer sur un critère objectif
et il ne s'est pas contenté du seul témoignage par exemple
de la femme enceinte elle-même en ce qui concerne le mois
de sa grossesse ( Cfr. Archim. Epiphane Théodoropoulos
: " L'embryon humain est-il animé dès sa conception ou
plus tard ? " in ORTHODOXOS TYPOS du 2-5-1986)
-
Par conséquent l'Eglise soutient que dès l'instant de
sa conception l'homme existe en tant qu'entité qui mérite
respect, protection et honneur. En même temps que la conception
commence la vie et en même temps que la conception aussi
le corps reçoit une âme, il est animé. C'est pour cela
que notre Eglise honore comme fêtes les conceptions de
certaines personnalités marquantes telles que, par exemple,
celles du vénérable Baptiste, de sainte Anne etc. Les
Saints Pères développent le point de vue que l'embryon
est vivant dès sa conception puisqu'il n'est pas possible
que le corps reste sans âme. Selon ce même enseignement
d'ailleurs, la conception de l'homme n’est pas simplement
l'œuvre de la nature ni même de la seule relation qui
découle entre les époux ; elle est aussi l’œuvre de la
Divine Providence ... (Cf. Archimandrite Hiérotheos Vlachos
in ANATOLIKA, Vol.A , p.148) . Très caractéristique est
à ce sujet cette phrase de saint Jean Chrysostome : " Le
fait de donner naissance relève d'en-haut . Il procède
de la providence de Dieu. Rien ne peut lui suppléer :
ni la nature de la femme , ni l'union des sexes, ni rien
d'autre d'analogue ".
-
Cette vision des choses est partagée mêmement tant par
l'Eglise Orthodoxe que par l'Eglise Catholique Romaine.
Plus particulièrement le Saint Synode de la Hiérarchie
de notre Eglise (de Grèce bien entendu) a pris position
contre l'avortement ( Lettres encycliques des 27-11-85
et 1-4-86) en se basant rigoureusement sur l'enseignement
de l'Eglise, à savoir que la vie commence dès la conception.
Parallèlement l'Eglise Catholique Romaine a pris position
contre les avortements avec l'édition des Encycliques
Papales " CASTI CONUBII " de Pie XI (1930), " MATER ET
MAGISTRA " de Jean XXIII (1961) et " HUMANAE VITAE " de
Paul VI (1968).
-
Je ne souhaite pas m'étendre dans d'autres directions
scientifiques parce que je crois que la parole de l'Eglise,
fondée sur la Révélation divine, est supérieure à la parole
humaine, même si elle se présente sous le couvert de la
science ....
En
ce qui concerne la législation civile, l'auteur cite :
la loi grecque 1468 AK, laquelle reconnaît l'embryon comme
entité dès sa conception. Il fait aussi mention de la
loi grecque 1609/86 qui légalise l'avortement jusqu’à
la l2ème semaine à partir de la conception mais pour lui
elle est anticonstitutionnelle eu égard à l'article 5,
§ 2 de la Constitution Hellénique , lequel protège la
famille, le mariage et la maternité. Il ajoute que la
Convention de Rome de 1950 protège pleinement la notion
et le sens de la vie humaine.
-
Sur le plan de la science, l'auteur rappelle que les nouvelles
données scientifiques insistent sur le fait que la vie
humaine commence dès lors que la cellule embryonnaire
se met à se multiplier, ce qui veut dire selon lui, dès
l'instant de la conception. Il rejette donc l'idée que
le début de la vie pourrait devenir effectif à partir
du moment où l'être conçu commence morphologiquement à
ressembler à un être humain. Il rappelle aussi les combats
menés aux différents Parlements européens et aux Etats-Unis
d'Amérique pour que l'on ne vote pas une loi permettant
l'avortement sous n'importe quelle condition : l'avortement
est légal en France pour les dix premières semaines ;
en Angleterre jusqu’à la 24ème semaine, ce qui ne fait
, toujours selon lui, qu’ajouter aux difficultés du problème
quant à la fixation du moment où il devient nécessaire
de protéger la vie.Pour terminer il conclut de la manière
suivante: " Le point de vue par ailleurs que la vie commence
le 15e ou le 14e jour ne peut être reçu par l'Eglise et
ce parce que la science qui semble soutenir cette thèse
n'offre pas de critères sûrs, d'autant que cela est en
contradiction avec l'Ecriture Sainte ".2&3-1998 19.
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