Apport
de la vie monastique à la vie du chrétien
orthodoxe dans le monde
Le peu que je puisse dire, c'est ce que peut apporter
la vie monastique à tout chrétien pour
comprendre ce que signifie «agir en orthodoxe
aujourd'hui». Je dis la vie monastique et non
les moines car il y a l'illusion chez beaucoup de
chrétiens que les moines doivent être
des saints. Or St Jean Climaque dit que le monastère
est «un hôpital de l'âme»
et dans un hôpital on y met des malades.
Si vous sentez que vous volez sur la voie de la perfection,
que les qualités spirituelles et morales sont
pour vous faciles à acquérir, si en
vous regardant dans la glace le matin vous voyez des
ailes vous pousser, alors dites-vous que la vie monastique
n'est pas pour vous. Si, par contre vous retombez
toujours dans les mêmes erreurs, si vous vous
débattez dans des passions dont vous n'arrivez
pas à sortir, vous pouvez vous dire «peut-être
il serait temps de me retirer dans un monastère».
Que fait-on dans un monastère ? Un Père
du désert répondait : «on tombe
et on se relève, on tombe et on se relève».
Comprendre la vie monastique comme cela évite
beaucoup de quiproquo, d'illusions, de déceptions
aussi. Les moines sont des hommes pécheurs,
mais le monastère nous enseigne comment le
chrétien doit être le témoin de
l'immense miséricorde de Dieu pour tous les
hommes
Les soldats destinés à arrêter
le Christ étaient revenus en disant : «nous
ne l'avons pas arrêté car aucun homme
n'a parlé comme cet homme». Le Christ
était le Verbe de Dieu. Pour nous, il ne s'agit
pas forcément de parler, mais il faudrait que
tous ceux qui côtoient un chrétien puissent
dire : «aucun homme n'a aimé comme cet
homme». Comment peut-on parvenir à cet
amour qui n'est pas celui d'un sentimentalisme ? Trois
paroles de l'Evangile sont ici essentielles pour la
vie monastique.
La première parole : «vous dans le monde
mais vous n'êtes pas du monde». Tout chrétien
est dans le monde mais n'est pas du monde. Tout chrétien
doit s'engager mais non pas adhérer. Ce sont
le mollusques qui adhèrent et lorsque nous
nous transformons en arapède, que nous nous
cramponnons à telle idée, telle activité
ou tel parti nous devenons esclaves d'une idéologie
fut-elle splendide, nous sommes pour les uns et nous
devenons contre les autres. Notre programme social
disait Koniakoff, c'est la Sainte Trinité et
je crois que pour tout chrétien ce devrait
être l'unique programme social. Le moine témoigne
qu'il est, comme dit Evagre le Pontique «séparé
de tout et uni à tous». Le premier témoignage
du moine et de la vie monastique sur ce qu'est agir
en chrétien est «d'être pour tous
et pour chacun». Pour l'anecdote, lors d'une
catéchèse, j'ai pu voir côte-à-côte
parmi les auditeurs, une responsable du parti communiste
et une élue du front national. Cela à
pu choquer certains, mais c'est une forme de témoignage
que puissent venir vers nous toutes sortes de personnes,
des bien-pensants, des honnêtes gens, mais aussi
des personnes de tous bords, des marginaux, des délinquants,
des toxicomanes, des prostituées, tous ceux
que l'on peut trouver dans cette société
qui souffre et qui se cherche. La communauté
chrétienne est nécessaire. «Nous
sommes là, comme dit Monseigneur Antoine (Bloom),
pour nous éclairer, nous réchauffer,
mais nous ne devons pas oublier que dehors il fait
froid et qu'il fait nuit et que c'est là que
nous devons apporter un peu de chaleur et de lumière».
La deuxième parole de l'Evangile qui paraît
plus qu'essentielle, c'est «ne jugez pas et
vous ne serez pas jugé». Il y a dans
les apophtegmes l'anecdote suivante. Un moine qui
avait vécu rien moins que saintement et qui
avait été sur beaucoup de plans un mauvais
moine, se mourrait tout joyeux. Et pour donner une
leçon à ses frères le père
higoumène lui dit :»Mais enfin nous savons
tous la vie que tu as menée ; pourquoi es-tu
si joyeux, pourquoi n'es-tu pas troublé ?».
Et le moine de répondre : «quand je vais
paraître devant le Christ je lui dirai, Seigneur
j'ai fait tout ce que tu as interdit de faire. Mais
toutefois durant ma vie je n'ai jamais jugé
personne. Et comme tu as dit ne jugez pas et vous
ne serez pas jugé, j'ai confiance en ta parole».
Qui de nous pourrait dire cela. Je vais mettre un
peu les pieds dans le plat. Vous savez que nous orthodoxes,
sommes divisés. Nous ne sommes pas divisés
en juridiction et cela est une richesse et c'est très
beau de pouvoir entendre chanter la liturgie en grec
ou en slavon, mais nous sommes très divisés
parce que nous sommes très cancaniers. Faites
l'expérience : allez dans une paroisse, une
communauté, un monastère même,
et vous verrez comment vous y entendrez d'une manière
plaisante, ironique, acerbe quelquefois, démolir
d'autres communautés fraternelles. Nous nous
aimons bien, nous sympathisons et c'est presque un
jeu entre nous, de se critiquer, de faire des remarques.
Pour le témoignage que nous donnons de l'Eglise
à l'extérieur, c'est désastreux.
Combien de fois des jeunes un peu en marge que j'envoyais
à droite et à gauche pour s'ouvrir à
l'Orthodoxie, revenaient quelque peu déçus
de cela. Peut-être que la vie monastique nous
apprends cela, non pas parce que les moines ne jugent
pas, ils sont les premiers à le faire hélas,
mais parce que c'est un élément aussi
de la vie monastique : ne pas juger.
Enfin une troisième parole de l'Evangile ou
plutôt une parabole se révèle
importante. Le Christ dit : «tu aimeras ton
prochain comme toi-même» et on lui demande
: qui est mon prochain ? Au lieu de dire c'est tel
ou tel le Christ répond indirectement : «
un homme descendait de Jérusalem à Jéricho
il tombe dans les mains de brigands ...» Le
prochain c'est celui que nous rencontrons sur notre
route, dans la situation que Dieu a voulu ou permis
pour nous. Nous voulons bien servir Dieu mais nous
voulons le servir selon nos propres projets. Nous
voulons bien en chrétien, en orthodoxe, mais
selon notre propre vision des choses. Non, ce n'est
pas nous qui proposons à Dieu le service qu'on
doit lui rendre, c'est Dieu qui nous appelle. C'est
à nous de dire «que Ta volonté
soit faite». Je crois que la vie monastique
nous enseigne aussi cela. Le moine n'a aucune fonction
; celle de la prière bien sûr, mais c'est
aussi celle de tout chrétien. Le moine, beaucoup
de Pères l'ont dit, est soldat du Christ. Nous
n'aimons plus beaucoup ces images militaires avec
raison car le soldat, n'est pas toujours quelqu'un
de recommandable, mais recommandable ou non, c'est
quelqu'un de toujours disponible à la vie,
à la mort, toujours prêt à servir.
Agir en chrétien, en orthodoxe aujourd'hui
c'est aussi être toujours disponible pour le
service du Christ et des frères. Non pas vouloir
faire ceci ou cela, mais savoir répondre présent
à qui en a besoin. Selon le mot du prophète
Isaïe «si tu donnes ton pain à l'affamé,
si tu rassasies de joie l'âme défaillante
alors ta lumière s'élèvera au
sein de l'obscurité et les ténèbres
deviendront comme la clarté du midi».
C'est cela agir en chrétien, en orthodoxe,
et ce n'est pas facile.
Archimandrite
Victor, higoumène
du monastère de la Dormition de la Mère
de Dieu à 05 La Faurie (France).
Intervention aux Journées régionales
orthodoxes, organisée par la Fraternité
orthodoxe locale en Avignon mai 1998.
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