Bref
aperçu de la querelle des images
Par R.P. Boris Bobrinskoy
1.
Le culte des images avant la querelle
Dès les premiers siècles, les chrétiens
représentaient graphiquement divers thèmes
du mystère de notre salut. L'art des catacombes
a un caractère symbolique ou "significatif"
(Weidlé) décrivant l'expérience
sacramentelle de l'Initiation chrétienne et de
la Rédemption comme par exemple le Bon Pasteur,
la colombe, le Poisson, la vigne, la lyre, l'ancre l'arche,
le navire et surtout la croix. Les chrétiens
sont appelés les "adorateurs de la croix"
(Tertullien).
A la veille de la période constantinienne, le
Concile d'Elvire (300), dans son 36e canon, condamne
énergiquement l'emploi des images dans les églises,
probablement pour ne pas provoquer les railleries et
les outrages des païens, là où les
locaux de culte n'étaient pas en sûreté
durant les persécutions.
Dès le triomphe du christianisme sous Constantin,
se développe la coutume de représenter
le Christ et les saints et de placer ces images dans
les églises. Déjà St. Basile de
Césarée, dans son panégyrique du
martyr Barlaam, exhortait les peintres chrétiens
à glorifier par leurs uvres ce grand saint
: "Venez à mon aide, peintres fameux des
exploits héroïques. Rehaussez par votre
art l'image imparfaite de ce stratège ; faites
briller avec les couleurs de la peinture l'athlète
victorieux que j'ai représenté avec trop
peu d'éclat ; je voudrais être vaincu par
vous dans le tableau de la vaillance du martyr : je
me réjouirais d'être aujourd'hui surpassé
par votre talent. Montrez-nous le lutteur brillamment
en votre image ; montrez-nous les démons poussant
des hurlements, car ils sont aujourd'hui, grâce
à vous, abattus par les victoires des martyrs
; faites-leur voir encore cette main ardente et victorieuse.
Et représentez aussi sur votre tableau Celui
qui préside aux combats et donne la victoire,
le Christ" (Oratio in S.Barlaam P.G. XXXI, col.
488-489).
Une autre parole de St. Basile eut une fortune particulière
et devint l'un des arguments traditionnels les plus
décisifs pour les défenseurs des images
sacrées : "L'honneur rendu à l'image
passe à celui que l'image représente"(De
Spiritu Sancto, XVIII 45, P.G. 32, col. 149 C).
De même, St. Grégoire le Grand invitait
Sérénus, évêque de Marseille,
à remettre dans les églises les icônes
qu'il avait fait enlever : "Ce n'est pas sans raison
que l'antiquité a permis de peindre dans les
églises la vie des saints. En défendant
d'adorer ces images, vous méritez l'éloge
; en les brisant, vous êtes dignes de blâme.
Autre chose est d'adorer une image, autre chose d'apprendre
par le moyen de l'image à qui doivent aller nos
adorations. Or ce que l'Ecriture est pour ceux qui savent
lire, l'image l'est pour les illettrés... "
(St. Gregoire, Epist. 1. 9 épist. IX P.L. LXXVII
col. 949).
Nous voyons donc que la défiance envers les images
et la crainte de l'idolâtrie est encore fréquente.
Eusèbe de Césarée traite de coutume
païenne le fait d'avoir des images portatives du
Christ ou des apôtres (Eusèbe Hist. eccl.
1. VIl c. XVIII, P.G. col. 680).
Au VIe siècle, le culte des images est attesté
par de nombreux monuments et témoignages d'écrivains
ecclésiastiques. Ainsi Léonce, évêque
de Néapolis à Chypre écrivait :
"Je représente le Christ et sa passion dans
les églises et les maisons et sur les places
publiques, et sur les images, sur la toile, dans les
celliers, sur les vêtements, en tout lieu, pour
qu'en les voyant, nous nous souvenions... Car nous autres,
les chrétiens, possédant des images du
Christ, c'est le Christ que nous baisons intérieurement
et ses martyrs... Celui qui craint Dieu honore par conséquent
et vénère et adore comme Fils de Dieu
le Christ notre Dieu, et la représentation de
sa croix et les images de ses saints"(Cité
au 2nd Concile de Nicée, P.G. XCVIII, col. 1600).
Le Concile Quinisexte in Trullo (692) déclare
les images vénérables, mais prescrit de
ne plus représenter Jésus-Christ sous
la forme d'un agneau : " ...Nous décrétons
de représenter désormais sur les images
le Christ notre Dieu dans sa figure humaine (et non
plus sous la figure d'un agneau) afin de considérer
par cette représentation la hauteur de l'humiliation
du Verbe de Dieu et de se rappeler sa vie dans la chair,
sa passion, sa mort salvatrice et la Rédemption
de tout l'univers qui en est résultée"
(Canon 82).
Souvent hélas, le culte des images se mêle
de superstitions et d'abus qui expliqueront en partie
la réaction iconoclaste : "Beaucoup pensent,
dit Anastase le Sinaïte, que le baptême est
suffisamment honoré par ceux qui entrent dans
une église, baisant toutes les icônes,
sans prêter attention à la liturgie et
au service divin".
Une lettre adressée en 824 par l'empereur Michel
le Bègue à Louis le Débonnaire
fait état de nombreux abus dans la piété
populaire remontant à une époque plus
ancienne : "...Ils choisissent les images de saints
pour servir de parrains à leurs enfants... Quelques
prêtres ont pris l'habitude de racler la couleur
des images, mêlant cette poussière aux
hosties et au vin et distribuent le mélange aux
fidèles après la messe. D'autres placent
le corps du Seigneur dans les mains des images où
ceux qui communient viennent le recevoir" (Mansi,
Conc. ampliss coll., t. XIV, p. 240).
2.
La première période iconoclaste (723-780)
"
Les courants d'opinion hostiles aux images auxquels
le caractère purement spirituel du christianisme
paraissait incompatible avec leur culte étaient
surtout sensibles dans les régions orientales
de l'empire où s'étaient maintenus des
restes importants de monophysites... Mais il fallut
le contact du monde arabe pour allumer l'incendie iconoclaste...
Les Arabes qui sillonnaient l'Asie Mineure depuis des
dizaines d'années n'avaient pas seulement apporté
le glaive à Byzance, mais aussi leur culture
et, avec elle, l'horreur propre à l'Islam pour
la représentation du visage humain. Voilà
comment la querelle des images naquit dans les provinces
orientales de l'Empire d'un croisement singulier entre
une foi chrétienne avide de pure spiritualité
et les doctrines sectaires iconophobes, les conceptions
des vieilles hérésies christologiques
et, enfin, les influences de religions non-chrétiennes,
Judaïsme et en particulier Islam. Après
la victoire sur la ruée guerrière de l'Orient,
c'est un engagement avec les infiltrations de la culture
orientale qui commence sous la forme de la querelle
des images"(G. Ostrogorsky. Histoire de l'Etat
byzantin, Paris 1956, pp.189-190).
Le mouvement iconoclaste part d'Asie Mineure où
le calife Yézid publie en 723 un édit
ordonnant de détruire toutes les images "soit
dans les temples, soit dans les églises, soit
dans les maisons". La campagne sauvage de destruction
se propage rapidement parmi les évêchés
des provinces orientales et atteint la cour impériale
de Byzance.
Devant la résistance à l'iconoclasme du
patriarche Germain (de 726 à 730), l'empereur
Léon 3 l'Isaurien intervient personnellement
et publie en 730 un édit interdisant le culte
des images et déclarant que celles-ci sont des
idoles formellement réprouvées par l'Ecriture
: "on ne doit pas vénérer, Dieu le
défend, ce qui est fait de main d'homme, ainsi
que toute représentation de ce qui est au ciel
ou sur la terre"(Hefele-Leclerc Histoire des Conciles,
Paris 1910, t.III, p. 664).
St. Germain est déposé et relégué
en exil. En ôtant son pallium, il déclare
: "Sans l'autorité d'un concile, tu ne peux,
Basileus, rien changer à la foi"(Cité
par Evdokimoff : l'Orthodoxie, Neuchâtel et Paris,
1959, p.217).
Le premier sang coule lors d'une émeute populaire
provoquée par la destruction de l'icône
du Christ de Chalcoprateia, au-dessus de l'une des portes
du palais impérial. Il en résulte une
persécution violente au cours de laquelle de
nombreux partisans du culte des images sacrées
sont torturés, bannis ou mis à mort, tandis
qu'on détruit systématiquement les icônes
dans les églises et les maisons.
A Rome, le pape Grégoire 2 ainsi que son successeur
Grégoire 3 refuse de se soumettre à l'édit
impérial : "Les dogmes de l'Eglise ne sont
pas ton affaire, écrit à Léon 3
le Pape, laisse tes folies"(Cité par Evdokimoff
: l'Orthodoxie, Neuchâtel et Paris, 1959, p.217).
Une décision d'un concile romain réuni
en 731 spécifie que : "à l'avenir,
quiconque enlèvera, anéantira, déshonorera
ou insultera les images du Seigneur ou de sa sainte
Mère ou des apôtres, etc... ne pourra recevoir
le Corps et le Sang du Seigneur et sera exclu de l'Eglise"(Hefele-Leclerc
op. cit p. 677).
C'est à cette époque que St. Jean Damascène,
moine de St. Sabbas en Palestine, écrit ses Traités
à la défense des saintes images dans lesquels
il fournit aux défenseurs de la foi une base
théologique qui sera reprise par les théologiens
orthodoxes après lui. Il y déclare qu'il
n'appartient pas à l'empereur de trancher la
question de la légitimité des images :
"c'est l'affaire des conciles et non des empereurs"(St.
Jean Damascène, Traité 1 à la Défense
des saintes images. P.G. XCIV, col 1281).
"Il n'appartient pas aux empereurs de légiférer
dans l'Eglise ; l'affaire des rois, c'est le bien-être
politique, tandis que l'organisation de l'Eglise est
l'uvre des pasteurs et des docteurs"(Traité
2 à la défense... par.12, P.G. XCIV, col.
1296).
Le fondement du culte des images est, selon St. Jean
Damascène, le dogme christologique. Le salut
est lié à l'Incarnation du Verbe divin,
par conséquent à la matière, car
le salut est réalisé par l'union en Christ
de la divinité et de la chair humaine : "jadis,
Dieu, l'Incorporel et l'Invisible, n'était jamais
représenté. Mais, maintenant que Dieu
s'est manifesté dans la chair et a habité
parmi les hommes, je représente le visible de
Dieu. Je n'adore pas la matière, mais j'adore
le Créateur de la matière, Qui est devenu
matière à cause de moi, Qui a voulu habiter
la matière et Qui, par la matière, a fait
mon salut"(Op. cit. 1, 6, P.G. XCIV, col.1245).
"Lorsque l'Invisible devient visible selon la chair,
alors tu peux représenter la ressemblance de
ce que tu as vu. Quand Celui qui n'a ni quantité
ni grandeur, qui est incomparable en raison de la supériorité
de sa nature, étant l'image de Dieu, quand Il
assume la forme d'un esclave et s'humilie en cela jusqu'à
la grandeur, adoptant une forme corporelle ; alors grave-le
sur une planche et élève à la contemplation
Celui qui a daigné être vu. Représente
sa condescendance ineffable, sa naissance de la Vierge,
son baptême au Jourdain, sa transfiguration au
Thabor, sa passion qui communique l'impassibilité,
ses miracles, symboles de sa nature divine, accomplis
par l'intermédiaire de sa chair, le tombeau salvafique
de notre Libérateur, son ascension aux cieux
; décris tout cela, et par la parole et par les
couleurs, dans les livres et sur les planches"(
op, cit. III, 8. P.G. XCIV, col. 1328-1329).
La persécution iconoclaste atteint son paroxysme
sous le règne de Constantin 5 Copronyme (741-775),
fils de Léon 3. On l'a considéré
comme l'ennemi le plus dangereux et le plus acharné
du culte des images, mais ce n'est qu'après le
concile iconoclaste de Hiéria (754), que la persécution
s'intensifie malgré une résistance acharnée,
en particulier de la part des moines exhortés
par St. Etienne le Jeune, abbé du monastère
de Mont- St.-Auxence. Devant la résistance orthodoxe,
l'empereur compose lui-même un traité théologique
contre les images dans lequel toutes les tendances iconoclastes
sont poussées à l'extrême et dont
l'essentiel a été repris dans les actes
du concile iconoclaste. De même que les orthodoxes,
les iconoclastes veulent dépendre dans leur argumentation
du dogme de Chalcédoine, mais il leur manque
la nette distinction en Jésus-Christ de la nature
et de la personne. Il est impossible et impie, disent-ils,
de représenter la nature divine ; dans les images,
les peintres ne représentent que la chair du
Christ et la séparent de sa divinité.
Il n'y a pas de troisième possibilité
: "nous sommes convaincus, concluent les évêques
réunis à Hiéria, que l'art coupable
de la peinture constituait un blasphème pour
le dogme fondamental de notre salut, c'est-à-dire
pour l'incarnation du Christ... Quiconque fait une image
du Christ représente la divinité, qui
ne doit pas être représentée, et
la mélange avec l'humanité (comme font
les monophysites), ou encore dépeint le corps
du Christ comme n'étant pas déifié,
comme séparé, et comme une personne distincte
ainsi que le font les Nestoriens. L'unique représentation
autorisée de l'humanité du Christ est
le pain et le vin de la Sainte Cène. Il a choisi
cette forme et non une autre, ce type et non un autre,
pour représenter son humanité... Le christianisme
a renversé le paganisme tout entier; par conséquent,
non seulement les sacrifices païens, mais aussi
les images païennes. Les saints eux-mêmes
après leur mort sont initiés auprès
de Dieu à une vie qui n'aura pas de fin ; par
conséquent, quiconque prétend après
leur mort les rappeler à la vie par un art mort
lui-même et imité des païens sera
coupable de blasphème... Nous appuyant donc sur
la Sainte Ecriture et sur les Pères, nous déclarons
unanimement, au nom de la Sainte Trinité, que
nous condamnons, rejetons et éloignons, de toutes
nos forces, de l'Eglise chrétienne, toute image,
de quelque manière qu'elle soit, faite avec l'artifice
coupable de la peinture. Quiconque à l'avenir
osera faire une pareille image, ou la vénérer,
ou la placer dans une église, ou dans une maison
particulière, ou même posséder en
cachette une de ces images, devra, s'il est évêque,
prêtre ou diacre, être déposé,
et, s'il est moine ou laïque, être anathématisé
; il tombera, en outre, sous le coup des lois civiles,
comme adversaire de Dieu et ennemi des dogmes que les
Pères nous ont enseignés"(Hefele-Leclerc,
op. cit. pp. 698-701).
A l'issue de ce concile, l'anathème fut prononcé
contre ceux qui vénéraient les icônes
et contre les défenseurs de leur culte, St. Germain
de Constantinople, St. Jean Damascène et St.
Georges de Chypre.
Fort de la sanction d'un concile dit "cuménique",
Constantin met en application ses décisions par
le feu et le glaive. C'est surtout parmi les moines
que s'organise une opposition acharnée et que
nous trouvons le plus de martyrs pour la foi. Notamment
le saint abbé et ermite du Mont-Auxence, Etienne
le Jeune, relégué tout d'abord dans l'île
de Proconnèse, est ramené à Constantinople
où il est finalement mis en pièces par
la foule le 28 novembre 764.
"La persécution des iconoclastes prit de
plus en plus, avec le temps, le caractère d'une
campagne contre le monachisme... Les moines ne furent
plus seulement poursuivis en raison du culte qu'ils
rendaient aux images, mais du simple fait de leur condition
monastique ; on les mit en demeure de renoncer à
leur genre de vie. On ferma les monastères, quand
on ne les convertissait pas en casernes, en bains ou
autres édifices publics ; leurs immenses propriétés
passèrent à la Couronne. Bref, l'iconoclasme
à son apogée engagea la lutte contre la
puissance du monachisme et des monastères byzantins"
(G. Ostrogorsky Essai sur la théologie des icônes
dans l'Eglise orthodoxe ; vol. 1, Paris, 1960, p. 138,
note 1).
L'offensive iconoclaste ne se limite pas aux saintes
images mais s'attaque aux reliques des saints ; l'empereur
va jusqu'a interdire le culte des saints et de la Mère
de Dieu.
C'est à cette époque qu'un grand nombre
de moines émigrent en Occident et surtout en
Italie où ils sont chaleureusement accueillis
par les papes successifs de la période iconoclaste.
Ceux-ci se montrent de fervents défenseurs du
culte des images. C'est alors en particulier qu'est
décorée. Sta Maria Antiqua, reconstruite
la cathédrale de St. Marc, construites et ornées
les églises Sta Maria in Dominica, Ste Praxède
et Ste Cécile (cf. L. Ouspensky. Essai sur la
théologie des icônes dans l'Eglise Orthodoxe,
vol. 1, Paris, 1960, p. 138, note 1). Plusieurs conciles
occidentaux se prononcèrent à cette époque
en faveur du culte des images (Gentilly en 767 et Latran
en 769).
Le persécution s'interrompt brusquement en 775
à la mort de Constantin 5. Sous son fils et successeur,
Léon 4 le Khazar (775-780), bien qu'il soit un
iconoclaste convaincu, la persécution diminue
de violence et elle cesse totalement lorsque après
sa mort, la régence est assurée par sa
veuve, Irène (780-802).
3.
Le VIle concile cuménique (787) et le rétablissement
des saintes images (780-813)
Irène
était entièrement dévouée
à la cause des images sacrées. Mais malgré
la lenteur et toutes les mesures de circonspection dont
le gouvernement s'était entouré, le premier
essai de réunir un concile à Ste Sophie
de Constantinople se solda par un échec dû
à l'insurrection de troupes fidèles à
l'iconoclasme "traditionnel". Ce n'est qu'en
automne 787 que le VIIè Concile cuménique
put se réunir à Nicée, dans la
ville même ?ù s'était tenu le Premier
Concile cuménique sous Constantin le Grand.
Sous la présidence du nouveau patriarche Taraise,
de nombreux évêques et moines venus de
toute la chrétienté prirent part aux sessions
du Concile. Celui-ci rétablit le culte des images
et en proclama le dogme.
Dès la seconde session, les Pères du concile
se déclarèrent en faveur du culte des
images, soulignant toutefois avec force la distinction
fondamentale entre le "culte relatif" par
lequel sont vénérées les images
sacrées et l'adoration au sens propre qui convient
à Dieu seul.
La quatrième session fut destinée à
rétablir non seulement le culte des images mais
aussi la légitimité de l'intercession
des saints et de la Mère de Dieu : "nous
saluons les paroles du Seigneur, des apôtres,
des prophètes, qui nous apprennent à honorer
et à magnifier en premier lieu celle qui est
en vérité la Mère de Dieu, supérieure
à toutes les puissances célestes, puis
ces puissances célestes elles-mêmes, les
apôtres, les martyrs, les docteurs, tous les saints
personnages, à leur demander leur intercession,
capables qu'ils sont de nous rendre Dieu favorable si
toutefois nous gardons les commandements et vivons de
manière vertueuse" (Mansi, t. XII, col.
1.086).
Voici enfin les principaux passages du décret
dogmatique sur le culte des images tel qu'il fut promulgué
par les Pères du Concile :
"Ainsi donc, marchant sur la voie royale et suivant
l'enseignement divinement inspiré de nos saints
Pères et la Tradition de l'Eglise catholique...
Nous décidons en toute exactitude et après
examen complet que, de même que la sainte et vivifiante
croix, les saintes et précieuses icônes
peintes avec des couleurs, faites avec de petites pierres
ou avec toute autre matière correspondant à
ce but, doivent être placées dans les saintes
églises de Dieu, sur les vases et les vêtements
sacrés, sur les murs et les planches, dans les
maisons et sur les routes, que ce soient les icônes
de Notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ,
ou de notre souveraine sans tache, la Sainte Mère
de Dieu, ou des saints anges et des hommes saints et
vénérables. Car, chaque fois qu'on voit
leur représentation par l'image, chaque fois
on est incité en les contemplant à se
rappeler les prototypes, on acquiert plus d'amour pour
eux et on est davantage incité à leur
rendre hommage en les baisant et en témoignant
sa vénération, non la vraie adoration
qui, selon notre foi, convient à la seule nature
divine, mais de la même façon que nous
rendons hommage à l'image de la précieuse
et vivifiante croix, au Saint Evangile et à d'autres
objets sacrés auxquels on rend hommage par l'encensement
et les cierges selon la pieuse coutume des anciens.
Car l'honneur rendu à l'image va à son
prototype, et celui qui vénère les icônes,
vénère la personne qui est représentée..."(Ibid.
col. 377-380, trad. franç. de Ouspensky, op.
cit. pp. 157-159).
Si, au plus fort de la persécution contre le
culte des icônes, l'Orthodoxie avait trouvé
en la personne des pontifes romains des partisans courageux
et déterminés des images, très
paradoxalement, il n'en fut plus de même lors
du triomphe de l'orthodoxie à Byzance.
Les actes du Concile de Nicée parvinrent en Occident
dans une traduction si grossière et inexacte
(en particulier vénération des icônes
fut traduit par adoration), qu'ils provoquèrent
la violente réaction et même l'hostilité
de la part de Charlemagne et de ses théologiens
francs. Malgré toutes ses exhortations, c'est
finalement le pape Hadrien 1er qui dut céder
devant l'obstination de Charlemagne. Le Concile de Francfort
en 794 voulut se poser en arbitre entre le concile iconoclaste
de 754 et le Septième Concile cuménique,
aussi prescrivit-il de ne pas détruire les icônes,
mais pourtant de ne pas les vénérer. Le
rôle des images fut limité à une
pédagogie d'enseignement et d'édification
morale, dénuée de tout fondement sotériologique
: "ni l'un ni l'autre concile ne mérite
assurément le titre de Septième : attachés
à la doctrine orthodoxe qui veut que les images
ne servent qu'à l'ornementation des églises
et à la mémoire des actions passées...
nous ne voulons pas plus prohiber les images avec l'un
des conciles que les adorer avec l'autre et nous rejetons
les écrits de ce concile ridicule" (Hefele-Leclerc
op. cit. p. 1068).
En 825, le Concile de Paris entérina les décisions
du Concile de Francfort et l'on peut dire que l'Occident
a pratiquement ignoré (du moins jusqu'a une époque
récente) la théologie orthodoxe des icônes,
fondée sur le mystère de l'Incarnation
et le dogme christologique.
4.
La réaction iconoclaste (813-842)
En
dépit de la victoire de l'orthodoxie sur le terrain
dogmatique, l'iconoclasme était loin d'être
définitivement éliminé au sein
de l'administration et de l'armée et il se releva
avec une vigueur nouvelle sous le règne de l'empereur
Léon 5 l'Arménien (813-820). Jean le Grammairien
fut chargé de composer un recueil de textes en
utilisant les décisions du concile iconoclaste
de 754.
La résistance s'organisa de nouveau sous l'impulsion
du patriarche de Constantinople Nicéphore et
des moines du Stoudion dirigés par leur abbé
St. Théodore. Au cours d'une entrevue avec l'empereur
et ses partisans, non seulement Nicéphore et
Théodore défendirent les décisions
du VIIème Concile cuménique, mais
ils contestèrent de nouveau la compétence
de l'empereur en matière religieuse :
"Plus clairement encore qu'au VIIIe siècle,
la deuxième période de la querelle des
images souligne le fond politique du mouvement iconoclaste
: les efforts du pouvoir impérial pour se soumettre
la vie de l'Eglise et la résistance opiniâtre
de l'Eglise, surtout de son aile intransigeante, à
ces efforts"(G. Ostrogorsky, op. cit., p. 231).
En 815, Nicéphore fut déposé et
exilé sur la rive asiatique du Bosphore, et c'est
St. Théodore qui assura dès lors la défense
des saintes images. Le Dimanche des Rameaux de la même
année, les mille moines du Stoudion descendirent
dans les rues de la capitale en une immense procession,
portant des bannières et les saintes icônes.
Le défi à l'empereur était lancé
et celui-ci réagit avec la dernière rigueur.
Peu après Pâques, un concile se réunissait
à Ste Sophie, rejetait le concile de Nicée
et se ralliait aux décisions du concile iconoclaste
de 754.
Ce synode soulignait, il est vrai, qu'il ne considérait
pas les images comme des idoles, mais il n'en ordonnait
pas moins la destruction. Si sur le plan doctrinal,
ce concile fit preuve d'une impuissance totale, par
contre, les persécutions n'en furent que plus
violentes. C'est tout d'abord le Stoudion qui fut l'objet
de la vindicte impériale. St. Théodore
fut lui-même traîné dans les prisons,
flagellé cruellement à plusieurs reprises,
puis déporté à Smyrne où
il fut victime des sévices de l'évêque
iconoclaste. Un extrait de sa lettre au pape Pascal
1er fait état de la persécution : "le
patriarche est prisonnier, les métropolites et
les évêques sont bannis, les moines et
les religieuses sont dans les fers, sous la menace de
la torture et de la mort ; l'image du Sauveur, devant
laquelle les démons eux-mêmes tremblent,
est devenue un objet de dérision ; les autels
et les églises sont dévastés et
beaucoup de sang a déjà coulé"(St.
Théodore Studite. Lettre au pape Pascal 1er,
Epist. II, xii. P.G. XCIX, col. 1152-1153).
La persécution sanglante fit plus de victimes
que celle de Copronyme : des dizaines d'évêques
furent déportés, des moines furent noyés
cousus dans des sacs ou torturés à mort
dans des cachots. Les persécutions continuèrent
avec moins de violence sous les successeurs de Léon
V, Michel 2 (820-829) et surtout Théophile (829-842).
Parmi les victimes de la fureur iconoclaste, mentionnons
encore le chroniqueur Théophane et son frère
Théodore : ils furent non seulement battus de
verges mais on leur grava sur le front des vers injurieux
; aussi reçurent-ils postérieurement le
surnom de "marqués".
5.
Le Triomphe de l'Orthodoxie
La
victoire définitive de l'Orthodoxie ne fut effective
qu'après la mort de Théophile, lorsque
sa veuve Théodora assuma la régence. Sous
le patriarche Méthode, l'un des confesseurs de
la foi, un concile rétablit définitivement
en 842 à Constantinople le culte des images en
réaffirmant les décisions promulguées
par le Concile de Nicée ; il jeta également
l'anathème contre les iconoclastes. Le premier
dimanche de Carême, le 11 mars 843, fut proclamé
à Ste Sophie le rétablissement du culte
des images. Depuis lors, l'Eglise commémore chaque
année en ce jour "le Triomphe de l'Orthodoxie"
sur les iconoclastes, en même temps que sur les
hérésies antérieures.
Voici, tiré de l'Office du Dimanche de l'Orthodoxie"
un chant dû a la plume de Théophane le
Marqué, confesseur de la foi sous Léon
5 : "gardant les lois de l'Eglise observées
par nos pères, nous peignons les images, nous
les vénérons de notre bouche, de notre
cur, de notre volonté, celles du Christ
et de tous les saints. L'honneur et la vénération
adressés à l'image remontent au prototype
: c'est la doctrine des Pères inspirés
de Dieu, c'est celle que nous suivons..." (chant
6 du canon des matines).
Le kontakion de ce dimanche, écrit certainement
par un contemporain, est encore plus caractéristique
et plus riche de substance dogmatique : "le Verbe
indescriptible du Père s'est fait descriptible,
en s'incarnant de Toi, ô Mère de Dieu ;
et, ayant rétabli l'image souillée dans
son antique dignité, Il l'unit à la beauté
divine. Et confessant le salut, nous représentons
cela par l'action et la parole" (la traduction
française de ce kontakion est empruntée
à l'ouvrage de L. Ouspensky, p. 180).
Ce kontakion adressé à la Mère
de Dieu est plus explicite à la lecture du raisonnement
suivant de St.Théodore le Studite qui fonde précisément
la représentation du Dieu-Homme sur l'humanité
représentable de Sa Mère : "puisque
le Christ est né du Père Indescriptible,
Il ne peut avoir d'image... Mais du moment que le Christ
est né d'une Mère descriptible, Il a naturellement
une image qui correspond à celle de Sa Mère.
Et s'Il ne pouvait être représenté
par l'art, cela voudrait dire qu'Il est né seulement
du Père et ne S'est pas incarné. Mais
ceci est contraire à toute l'économie
divine de notre salut" (St. Théodore le
Studite, 3e réfutation, ch. 2. P.G. XCIX, col.
417 C).
In
Revue "Contacts" N° spécial
"l'Icône" N°32, 1960
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