A part le bain de l'enfant, détail très
humain sur l'accouchement, et l'affairement inévitable
autour d'un nouveau-né, l'iconographe est très
fidèle à l'esprit de l'Évangile.
Si nous relisons les deux récits de la Nativité,
celui de Matthieu et celui de Luc, nous retrouvons tous
les éléments réunis sur la planche.
Faisons le parallèle entre l'Evangile et l'icône
(Matthieu 1, 18-25).Tout d'abord le doute de Joseph
sur la virginité de Marie et l'origine divine
de Jésus. Dans le bas de l'image Joseph est assis
accablé, la tête dans les mains, il est
tenté par le démon du doute, sous l'aspect
d'un vieux berger. (Saint Joseph ne sera pas le seul
dans l'histoire de l'humanité à douter
de ce mystère, trop grand pour l'entendement
humain.) Après l'épisode de Joseph auquel
un ange révèle la vérité
sur les natures humaine et divine réunies en
Jésus, Matthieu passe très rapidement
sur la naissance même à Bethléem
et relate en détail la visite des mages (Matthieu
2, 1-12).
Sur l'icône, nous voyons ces personnages de haut
rang à la recherche du Roi des Juifs. Le tropaire
de la fête développe le thème des
mages :
" Ta naissance, ô Christ
notre Dieu, a fait resplendir dans le monde la lumière
de la Connaissance. En elle les serviteurs des astres,
enseignés par l'étoile, apprennent à
T'adorer, Toi, Soleil de Justice, et à Te connaître,
Orient d'En-Haut. Seigneur, gloire à Toi ! "
(Tropaire de Noël.)
Les mages représentent les maîtres de la
science antique (note 1).
Ils sont enseignés par les astres et, grâce
à une étoile, ils prennent la route à
la recherche d'un roi qui vient de naître et trouvent
un enfant couché sur la paille. Ils voulaient
rendre hommage au Roi des Juifs, disaient-ils à
Hérode, mais quand ils trouvèrent l'enfant,
ils furent remplis d'une grande joie et remplacèrent
l'hommage par l'adoration. Ils offrirent alors des dons
: l'or pour le Roi, l'encens pour Dieu, la myrrhe pour
l'homme mortel. Ces savants venus d'Orient ont trouvé
la Vérité elle-même, celle qu'ils
ont toujours cherchée dans les astres. Maintenant
ils connaissent le Soleil de Justice, l'Orient d'en
haut, celui qui vient du ciel. Mais ce ciel n'est pas
celui qui a été créé aux
premiers jours de la Création, -celui où
les astres évoluent. Ces astres-là ne
pouvaient donner aux mages qu'une connaissance partielle.
Le Soleil de Justice est incréé, la Lumière
de la Connaissance révèle Dieu, l'Orient
d'en haut qui se fait connaître aux mages, c'est
le Verbe qui était au commencement avec Dieu,
qui était Dieu (Jean 1, 1), celui d'avant les
siècles. C'est-à-dire, celui qui est avant
le temps et avant la matière créée.
Nous pouvons faire un parallèle entre la quête
des mages et la révélation aux bergers
racontée par saint Luc (Luc 2, 1-19).
Il a fallu aux savants une longue recherche pour arriver
jusqu'à Dieu. Les bergers, eux, ont reçu
la Bonne Nouvelle directement d'un ange, sans transition
ni préparation.
Le texte de saint Luc est composé avec une grande
perfection. Comme l'iconographe et l'hymnographe, l'évangéliste
contemple l'événement avec l'acuité
d'un regard éveillé par l'Esprit et le
retranscrit à cette même Lumière
qui transcende et transfigure la pure narration descriptive.
L'évangéliste situe d'emblée l'événement
dans l'histoire : l'édit de César Auguste,
le recensement, le nom du gouverneur de Syrie à
cette époque. Puis il situe les principaux personnages
dans l'espace géographique : Joseph et Marie
se déplacent de Galilée à Bethléem,
car ils sont de la tribu de Juda, issus de la Maison
de David. Ici l'histoire se recoupe avec le plan divin.
C'est en effet par la volonté de Dieu, par sa
Providence, et non par hasard que Jésus naît
à Bethléem, ville d'origine du roi David.
Jésus est l'Oint du Seigneur (Messie en hébreu,
Christ en grec), Il est le Roi d'Israël, le fils
de David. (Prophétie de Michée 5, 1.)
Saint Luc représente la naissance de Jésus
hors des lieux d'habitation, dans la campagne, le voisinage
des bergers aux champs témoigne que la scène
se passe en pleine nature. Mais, direz-vous, le narrateur
ne fait pas mention de la grotte, il ne parle que de
la crèche. Une crèche suppose une étable,
puisque c'est une mangeoire pour le bétail, et
les bergers se servaient de grottes pour parquer leurs
troupeaux et s'abriter eux-mêmes.
L'évangéliste ne mentionne pas non plus
l'âne et le buf. La logique supplée
au récit : Joseph pour voyager avait un âne
et la crèche était remplie de foin pour
nourrir les bêtes. Le buf rappelle ici la
présence du bétail. Mais ce n'est pas
par souci de vraisemblance que les animaux sont représentés
sur l'icône, car de tout temps et dans tous les
pays l'iconographie de Noël fait référence
à la prophétie d'Isaïe : " Le
buf reconnaît son bouvier et l'âne
la crèche de son maître, Israël ne
connaît rien, mon peuple ne comprend rien. "
(Isaïe 1, 3.)
Devant la grotte, Marie est allongée dans la
position habituelle d'une accouchée. Sa silhouette
est monumentale, elle tient une grande place dans la
composition de l'icône; cela exprime l'importance
de la Vierge dans le mystère de l'Incarnation
: Marie, par la naissance de son Fils, devient Mère
de Dieu, Théotokos (note
2). Mais,
s'étonne-t-on fréquemment, pourquoi Marie
tourne-t-elle le dos à l'enfant ? Elle regarde
avec compassion Joseph, qui est dans le doute et à
travers lui l'humanité tout entière plongée
dans les ténèbres de l'ignorance. Sa main
semble désigner le nouveau-né, par ce
geste elle guide tout homme vers le Fils de Dieu (note
3). Elle l'a mis au monde pour le salut du genre
humain, afin de révéler la grande gloire
de Dieu. Sa joie est un dépassement de la fierté
maternelle qui est un sentiment bien naturel mais encore
trop humain. La main de Marie est en même temps
dirigée vers l'enfant et posée sur sa
poitrine, l'iconographe ne voudrait-il pas, par ce geste
discret, faire allusion aux paroles de saint Luc : "Quant
à Marie elle conservait avec soin tous ces souvenirs
et les méditait en son cur" (Luc 2,
19) ?
Toute la composition picturale est centrée sur
la grotte, vers elle tout converge. C'est comme une
spirale dont le point central serait ce trou sombre
d'où luit la Lumière. Jésus est
au creux de la grotte, comme s'il était issu
de la terre elle-même. Cette image nous donne
le vrai sens de l'Incarnation. Lorsque Adam a été
créé, il a été tiré
de la terre, aujourd'hui - le second Adam - le Christ,
recrée l'homme dans sa personne. Le Fils de Dieu,
au creux de la grotte, a pris notre condition humaine
: il est né de la terre et retournera à
la terre, lors de son ensevelissement : " Le premier
homme, issu du sol est terrestre ; le second homme,
lui, vient du ciel... Et de même que nous avons
revêtu l'image du terrestre, il nous faut revêtir
l'image du céleste" (1 Corinthiens 15, 47,49).
Si le Christ est descendu du ciel jusqu'au creux de
la terre (note 4), et plus
tard même jusqu'au fond de l'enfer, c'est pour
que nous ressuscitions avec Lui ! Avec la fête
de Noël, une grande joie nous envahit, comme les
mages et les bergers ; rien ne peut nous retirer cette
joie, car " Dieu est avec nous ", ce qui en
hébreu se dit : "EMMANUEL ! "
NOTES
1.- Du temps de
Moïse, une prophétie a été
annoncée aux ennemis d'Israël, afin de révéler
le Messie aux nations. En effet, Balaq le roi de Moab
prit peur devant le nombre et la force du peuple juif.
Il fit venir le devin Balaam ; celui-ci bien qu'étranger
à Israël, reconnaissait et servait le vrai
Dieu. Balaq demanda à Balaam de maudire Israël,
afin de lui faire perdre le combat. Balaam, malgré
lui, au lieu de maudire prononça trois bénédictions
sur Israël puis il prophétisa et rendit
hommage au descendant de Jacob : "Je le vois...
un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève,
issu d'Israël " (Nombres 24, 17). Nous pouvons
reconnaître en Balaam l'ancêtre des mages.
Ceci nous fait entrevoir l'attente du Messie en dehors
d'Israël, comme le dira clairement Siméon
dans le Temple, devant l'enfant Jésus : "
Mes yeux ont vu ton Salut, que Tu as préparé
à la face de tous les peuples, Lumière
pour éclairer les nations et gloire de ton peuple
Israël " (Luc 2, 30-32). Il est important
à notre époque de nous souvenir que Dieu
n'a pas changé d'attitude vis-à-vis des
hommes étrangers à la foi. Si les chrétiens
ont reçu d'Israël l'héritage messianique,
s'ils reconnaissent dans la personne du Christ le Fils
de Dieu, ce n'est pas pour l'enclore et le garder jalousement
dans l'enceinte de l'Église, mais pour faire
rayonner sa gloire sur le monde entier.
2.-
Théotokos : mot grec qui signifie "Mère
de Dieu" ou plutôt "Celle qui enfante
Dieu". C'est par ce terme que tous les hymnes byzantins
désignent Marie.
3.-
Le geste de Marie désignant son Fils rappelle
l'icône dite " Hodigitria ", mot qui
signifie "Celle qui guide" et par cela fait
connaître aux hommes le Fils de Dieu. D'après
la tradition byzantine cette icône serait le plus
ancien modèle, qui remonterait au tableau original
peint par saint Luc (d'après The meaning of Irons
de L. OUSPENSKY et V. LOSSKY, Urs Graf-Verlag, Olten,
Suisse 1952, p. 81.)
4.-
Nous avons beaucoup parlé, dans ce chapitre sur
l'Incarnation, du ciel et de la terre réunis
dans la personne du Christ. Il faut éviter de
faire une erreur sur le terme de ciel. La terre, nous
la connaissons bien, c'est la matière créée.
Le ciel ne doit pas être confondu avec le firmament,
créé lui aussi aux premiers jours de la
création. Les enfants, jusqu'à l'âge
adulte parfois, sont gênés par ce Dieu
du ciel que les cosmonautes n'ont pas rencontré.
Lorsque nous disons aux enfants que grand-père
ou grand-mère sont au ciel avec Dieu, nous avons
presque toujours la question : " Comment sont-ils
montés, en avion ? ". Le ciel où
le Christ siège à la droite du Père
n'est pas un lieu, ce ciel n'est pas localisable. Dans
les Actes des Apôtres, où l'Ascension de
Jésus nous est racontée, les apôtres
regardent le ciel et deux hommes vêtus de blanc,
des anges, leur disent : " Hommes de Galilée,
pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel
? " (Actes 1, 11). Prenons cette question pour
nous-mêmes et ne regardons pas ce ciel comme un
lieu, mais comme la gloire, où Dieu, Père,
Fils et Saint-Esprit, règne pour l'éternité.
D'après
"DIEU EST VIVANT", Catéchisme pour
les familles Ed. du Cerf,1991, p:51-53 et p: 56-58
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