Votre
Toute-Sainteté,
Père très aimé et très
cher à notre cur,
1.
Voici enfin venu ce jour où, après une
si longue attente, la terre bénie d'Estonie
vous accueille non pas seulement comme un hôte
de marque mais aussi, mais surtout comme le premier
parmi tous les Evêques de l'Orthodoxie universelle.
Dieu a placé sur vos épaules, Père
très saint, la lourde et terrible charge de
rassembler et de tenir unies dans la communion avec
Vous toutes les Eglises orthodoxes répandues
en divers lieux et pays et qui, dans l'ordre canonique
des affaires ecclésiastiques, sont autocéphales
ou autonomes. Tel est en effet le dessein du Seigneur
: que l'Eglise de Constantinople exprime et manifeste,
dans la communion avec elle de toutes nos Eglises
locales, l'unité dans le corps de l'Eglise
orthodoxe une, sainte, catholique et apostolique dont
la tête n'est autre que Jésus-Christ,
son unique chef en qui se consomme la foi. Il fallait
que cela soit souligné en ce jour mémorable
afin que dans l'avenir soit levée toute équivoque
en ce qui concerne la place et le rôle de l'Eglise
de Constantinople au sein du monde orthodoxe.
2.
Premier donc parmi les égaux, c'est-à-dire
avant tout serviteur au service des autres. L'histoire
retiendra que, en cette période charnière
de la fin d'un millénaire et du commencement
d'un autre, le Patriarcat OEcuménique sous
la conduite de Sa Toute-Sainteté Bartholomée,
a pris tous les risques et supporté toutes
les épreuves pour le seul service de l'Orthodoxie
universelle non pas dans le but d'assouvir quelque
pouvoir ou de manifester quelque puissance mais uniquement
par fidélité aux commandements de Dieu
et à l'exemple du Christ Lui-même, selon
cette évidence que le Premier Trône se
doit de toujours être prêt à rendre
service, partout et toujours, à ses Eglises-Surs
et à l'unité de celles-ci en vue de
l'accomplissement de la mission de l'Orthodoxie dans
le monde et par-dessus tout pour la gloire de notre
Seigneur Jésus-Christ. Tel fut le cas pour
notre Eglise en Estonie, pour laquelle Vous avez donné
beaucoup et Vous continuez à donner beaucoup
sans rien demander, sans rien attendre en retour.
L'Eglise du Christ ne peut vivre que du repentir et
de l'action de grâce parce qu'Elle n'est pas
seulement faite de pierres et de mortier, mais de
foi et de vie. (1) En vous gardant parmi nous quelques
jours ici, dans une Estonie enfin libre, après
tant de décennies de vicissitudes, d'outrages
et de barbares vexations, nous savons enfin que nous
pouvons, en tant qu'Eglise, sécher nos larmes
du passé et faire taire nos angoisses. Votre
présence en ce lieu rend justice à tous
nos martyrs - à commencer par le plus illustre
d'entre eux, le Saint Evêque Platon -, à
tous ceux qui ont souffert la déportation et
l'exil, à tous ceux qui, pour leur Foi et leur
Patrie, ont versé leur sang et offert leur
existence en sacrifice pour qu'un jour nous puissions
à nouveau revivre. Tout au long de votre parcours,
tandis que Vous bénirez notre Peuple si aimé
de Dieu, nous ne cesserons de nous rappeler que l'Histoire,
selon Serge Boulgakov, n'est pas un couloir vide qu'il
faut franchir au plutôt pour nous échapper
de ce monde mais qu'elle ne peut procéder que
de l'uvre salvatrice du Christ. uvre salvatrice
qui au contraire manifeste l'aujourd'hui permanent
de Dieu à travers l'Histoire et qui fonde une
fois pour toute son Eglise.
3.
Le grand écrivain et homme d'Etat Malraux avait
un jour exprimé ce souhait après la
mort de ses enfants : " j'attends le prophète
qui osera crier à la face du monde : il n'y
a pas de néant ! " (2) Malraux a quitté
cette terre bien avant que votre Toute-Sainteté
ne soit Patriarche cuménique. Je voudrais
aujourd'hui lui donner la réponse qu'il attendait
en citant vos propres paroles, lesquelles concluent
vos entretiens avec le Professeur Olivier Clément
dans un récent ouvrage intitulé "
La Vérité vous rendra libre " :
" Quelle que soit, affirmez-vous, la puissance
apparente du mal et de l'injustice dans notre monde,
le dernier mot appartient à Dieu. Son Fils
est venu détruire la mort dans le secret, dans
le sacrement, par respect pour notre liberté.
Son Esprit maintenant nous aide à répandre
partout cette victoire ". (3)
4.
Notre Eglise Orthodoxe d'Estonie, Très Saint
Père, reprend peu à peu sa place et
parfois non sans difficulté au sein de la société
qui est la sienne et avec laquelle Elle a toujours
partagé les mêmes joies et les mêmes
turpitudes. Aujourd'hui, elle a le devoir de témoigner
là où Dieu l'a mise au cur même
de la modernité, à travers des structures
nouvelles de communion avec tous les hommes et sans
prétention aucune de les exploiter pour régir
la société. Pour cela il lui faudra
adopter une attitude d'oubli du passé dans
ce qu'il a de plus négatif, d'humilité
à l'image du Publicain de l'Evangile et enfin
d'amour pour tous, force terrible,... la plus puissante,...
comme le précise si bien Zossimas, un de nos
grands maîtres spirituels. Malgré notre
merveilleux peuple, malgré notre Clergé
si fidèle et si dévoué, il reste
à faire l'apprentissage de la vraie liberté
et de la pleine responsabilité selon les commandements
de l'Evangile : autrement dit, cesser de nous suspecter
mutuellement, développer le meilleur de l'héritage
qui nous a été légué,
nous pardonner les uns les autres, reprendre la route
du Royaume de Dieu avec un cur nouveau, libéré
de toutes ses haines comme de toutes ces passions.
Voilà, Très Saint Père, le challenge
qui nous attend. Je ne Vous cache pas que nous commençons
à peine à prendre conscience de l'immensité
de la tâche. Je ne Vous cache pas non plus que
nous évoluerons pour un certain temps encore
dans la fragilité et la précarité.
Mais n'est-ce-pas aussi ainsi que nous restons en
accord avec l'Evangile ? Ceux qui pensent qu'un témoignage
spirituel a besoin de la richesse et de la puissance
se trompent lourdement. Notre Eglise fera ici son
chemin non pas pour Elle-même mais pour notre
Peuple dans son entièreté, pour son
avenir, pour qu'enfin tombent aussi les derniers murs
qui encore divisent les communautés orthodoxes
en terre d'Estonie. Divisions qui ternissent l'image
d'un Pays aujourd'hui démocratique, pluraliste
et soucieux du droit. Divisions qui blessent l'Orthodoxie
non seulement en Estonie mais dans le monde entier.
Divisions enfin qui ne sont ni de notre fait ni de
notre vouloir mais de certains nostalgiques d'un mauvais
passé par la grâce de Dieu révolu.
Et à nouveau résonnent dans nos curs
et dans nos pensées vos propres paroles quand
vous parlez des moines. Voyez dites-Vous, les moines
: plus ils sont pauvres, plus ils jeûnent, non
seulement de nourriture mais de nos illusions et de
nos folies, plus ils font place à la force
de l'Esprit et rayonnent, dans l'invisible mais aussi
dans le visible, par la face cachée de l'histoire.
(4)
5.
Très Saint Père,
Le programme qui vous a été préparé
vous mettra en contact avec toutes les couches de
notre société. Avec les enfants, les
jeunes, les étudiants, les personnes âgées,
les classes laborieuses de nos villes et de nos campagnes,
les femmes et les hommes de la culture, de la science
et de la pensée. Partout vous découvrirez
combien le Patriarcat cuménique est reconnu
et respecté. Partout vous serez au contact
de la dignité de ce peuple, de son endurance
devant l'adversité, de ses ressources humaines
extraordinaires qui lui permettront de bâtir
un avenir que beaucoup un jour lui envieront. Surtout
vous comprendrez pourquoi un peuple qui sait si bien
chanter ne meurt jamais.
6.
Mais cela n'aurait pas été possible
sans l'appui et l'aide inappréciable des plus
Hautes Autorités Civiles et Religieuses de
ce Pays tout comme de tous ces artisans des Services
Administratifs concernés par ce voyage qui
ont uvré non seulement avec tout leur
savoir mais surtout avec leur cur. Qu'ils en
soient tous ici très chaleureusement remerciés.
Et comment ne pas faire mention aussi de nos Frères
orthodoxes de Finlande et de leur Archevêque,
notre très cher Frère et concélébrant,
Son Eminence Monseigneur Jean. Ils nous ont tant et
tant donné pendant toute notre traversée
du désert.
7.
Votre Toute-Sainteté,
Soyez le bienvenu parmi nous. Sachez que tous nous
Vous aimons. Oui, béni soit celui qui vient
au nom du Seigneur, tenant dans sa main le bâton
fleuri de la paix, de la liberté et de la fraternité
évangélique.
A
Sa Toute-Sainteté Bartholomée, Archevêque
de Constantinople, Nouvelle Rome et Patriarche OEcuménique,
longues années de vie.
(1)
in " DIALOGUES AVEC LE PATRIARCHE ATHENAGORAS
" par Olivier Clément Ed. FAYARD - Paris
1969, page 162 : citation de la première conférence
panorthodoxe de Rhodes.
(2)
cité par Olivier Clément in SOP n °
250 - Paris / Juillet Août 2000 dans "
CHRISTIANISME ET SECULARISATION. "
(3)
in " LA VERITE VOUS RENDRA LIBRE " - Entretiens
avec le Patriarche cuménique Bartholomée
1 par Olivier Clément - Ed. JC LATTES - Paris
1996, p.315.
(4)
in " LA VERITE VOUS RENDRA LIBRE " - loc.
cit. , p.82
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