L’ORTHODOXIE ET LA
CRISE ECCLESIASTIQUE EN ESTONIE
par
Konstantinos VAVOUSKOS
Professeur
à l’Université (Thessalonique)
1.
Le 28e canon du IVe Concile œcuménique de Chalcédoine prescrivait
que : « […]. Les évêques des parties de ces diocèses se situant
chez les régions barbares, seront ordonnés par le saint trône
de l’Eglise de Constantinople ». Conformément à ce canon, les
« diocèses se situant chez les régions barbares », à savoir
les églises des “régions barbares” se trouvant à l’intérieur
des frontières de l’Empire byzantin, sont soumis au Patriarcat
œcuménique de Constantinople (voir Maximos, Métropolite de Sardes,
Le Patriarcat œcuménique dans l’Eglise orthodoxe, Thessalonique
1972, p. 227 et ss., notamment, p. 236-237, où l’on peut trouver
un débat autour de cette interprétation), ou, selon une interprétation
analogue, les régions non soumises à une Eglise autocéphale
(orthodoxe) (voir mon Manuel de Droit ecclésiastique, Thessalonique
1989, p. 27). L’interprétation de ce canon, comme je l’ai déjà
noté dans mon Manuel de Droit ecclésiastique (ibid., p. 31 et
ss., et p. 25) a été contestée par l’Eglise russe, qui, en certaines
circonstances (p. ex., dans le cas de l’Eglise au Japon et en
Pologne auxquelles se réfèrent les articles 8 et 9), a tenté
d’empiéter sur le pouvoir du Patriarcat. C’est pourquoi il a
été proposé, lors de la 1ère Conférence interorthodoxe préconciliaire,
de mettre à l’ordre du jour du Saint et Grand Concile panorthodoxe
à venir la question de « l’autocéphalie et la manière de la
proclamer » et de « l’autonomie et la manière de la proclamer
», afin de reprendre, sur de nouvelles bases, le débat autour
de ce privilège du Patriarcat œcuménique (autrement, il n’y
avait aucune raison de le renvoyer à la discussion). La polyarchie
(pluralité des pouvoirs) est la faiblesse de l’orthodoxie ;
toutefois, je suis convaincu que le Patriarcat œcuménique conservera
ce privilège, étant donné que la Conférence interorthodoxe préconciliaire
s’est déjà orientée en ce sens, à l’unanimité même, au moment
où l’Eglise russe (aux côtés de laquelle s’est rangée l’Eglise
bulgare) a formulé sa proposition (voir pour plus d’information,
mon étude “Le Patriarcat œcuménique et les orthodoxes de la
diaspora”, dans Hommage à Iakovos, Archevêque d’Amérique du
Nord et du Sud, Thessalonique 1985, p. 264 et ss.). À cette
conviction, contribue également le fait que l’Eglise bulgare,
à la suite de l’effondrement des régimes du « socialisme réel
» n’est plus, comme elle l’était, un satellite de l’Eglise russe,
et que le Patriarcat œcuménique a vu son autorité s’accroître
considérablement.
2. L’alinéa 4 du canon 17 du même IVe Concile œcuménique et,
suite à ce dernier, le canon 38 du Quinisexte Concile œcuménique
prescrit que « le canon édicté par nos pères, nous aussi, nous
l’observerons, qui dit : “Si par ordre du pouvoir impérial une
ville a été fondée, ou elle sera désormais fondée, l’ordre des
affaires ecclésiastiques se conformera à l’ordre civil et public”
». Ces dispositions canoniques réglaient une question qui avait
déjà commencée à se poser sous la pression de l’évolution des
problèmes ethno-raciaux, dans la région « se situant chez les
régions barbares » du continent européen, frontalière de l’Empire
byzantin, et qui devait, par la suite, et même jusqu’à nos jours,
constituer un élément fondamental régissant l’élaboration de
la politique du Patriarcat œcuménique, relativement à la concession
du régime ecclésiastique autocéphale aux Etats nationaux (orthodoxes)
qui se sont formés à cette époque.
Cette question, en raison, d’une part, de l’importance qu’elle
a acquise et, d’autre part, de sa relation avec la politique
extérieure de l’Empire byzantin, a, quatre siècles plus tard,
obligé le patriarche œcuménique Photius le Grand, lors de son
avènement en 861 sur le Trône patriarcal de Constantinople,
à écrire au pape de Rome Nicolas 1er, pour lui dire que « selon
la coutume, les affaires ecclésiastiques et notamment les droits
des églises suivent l’évolution des circonscriptions politiques
et administratives ». La position du Patriarche Photius est
l’écho de la pratique en vigueur lors de l’élaboration de la
politique du Patriarcat œcuménique, quant à la concession du
régime ecclésiastique autocéphale à ceux qui le demandaient
(Etats, nations, races, groupes d’hommes).
3. D’après ce qui précède, c’est donc ainsi que le Patriarcat
œcuménique a accordé le régime autocéphale a) à ceux qui, parmi
les groupes nationaux chrétiens, avaient acquis une indépendance
politique, parce qu’il était inconcevable que, dans un seul
Etat et dans une telle circonstance, il existât deux Eglises
orthodoxes indépendantes. Dans le cas où des groupes nationaux
avaient acquis un régime politique semi-autonome, il leur était
concédé un régime ecclésiastique semi-autonome. Dans les deux
cas, la condition préalable était d’en soumettre la demande,
car, autrement, la proclamation arbitraire du régime autocéphale
aurait constitué un coup d’Etat ecclésiastique. Un coup d’Etat
pour acquérir une existence étatique indépendante contre un
Etat souverain constitue une révolution (nationale) mais, pour
acquérir une existence ecclésiastique indépendante contre une
Eglise (mère) plus ancienne, constitue un refus de l’infrastructure
même de l’Eglise, en tant qu’organisme d’amour, de respect,
d’altruisme et de discipline (canonique). Le Patriarcat œcuménique
n’a finalement pas refusé, en dépit de la situation créée dans
certains cas, l’octroi de l’indépendance ecclésiastique sous
la forme du statut autocéphale, lorsque une demande lui a été
adressée par le côté intéressé et lorsque les conditions préalables
analogues déjà précitées étaient réunies.
b) Les églises apostoliques, c’est-à-dire les églises fondées
par les Apôtres eux-mêmes, constituent un autre cas de concession
du régime ecclésiastique autocéphale. Ce cas n’a désormais qu’une
importance historique, étant donné que, depuis longtemps, il
n’est plus possible de fonder d’église apostolique, puisque
les Apôtres, comme chacun sait, sont morts depuis des siècles.
4. Sur la base du principe formulé par Photios le Grand, le
Patriarcat œcuménique a, jusqu’à aujourd’hui, accordé le régime
autocéphale (ecclésiastique) « aux diocèses se situant chez
les régions barbares », par ordre, aux Eglises russe, grecque,
serbe, roumaine, albanaise, bulgare et à l’Eglise orthodoxe
de Géorgie. L’application de ce principe n’est pas toujours
allée sans malentendus ni remises en cause, mais, en tout cas,
l’idée était là et elle affirme précisément que, pour accorder
un régime ecclésiastique autocéphale à un quelconque groupe
national n’appartenant pas à une Eglise autocéphale, il faut
que ce groupe soit, au préalable, reconnu comme Etat, autrement
dit qu’il ait la forme d’un Etat indépendant et, en tant que
tel, qu’il soumette une demande pour que lui soit accordé le
régime ecclésiastique autocéphale, car, ainsi qu’il a été dit,
ce régime n’est pas acquis d’office. Je crois qu’il va de soi
qu’un régime ecclésiastique autocéphale n’est accordé qu’à la
condition que les dogmes, les canons et les traditions de l’Orthodoxie
soient respectés, que la commémoration du nom du Patriarche
œcuménique soit célébrée, que le saint chrême soit reçu du Patriarcat
œcuménique et, surtout, que la primauté d’honneur du Patriarcat
œcuménique soit reconnue, car l’Eglise orthodoxe est une et
unique en matière de dogme et, par conséquent, la concession
d’un régime ecclésiastique autocéphale ne signifie ni la rupture
ni la déviation du système des Eglises orthodoxes, autrement
dit il ne s’agit pas d’un schisme.
5. Au cas où un certain groupe national aurait été constitué
en Etat semi-autonome, ce dernier peut obtenir un régime ecclésiastique
semi-autonome. L’Eglise de Serbie se trouvait dans ce cas, quand,
en 1817, elle a été reconnue comme un Etat semi-autonome soumis
au sultan. En 1831, elle a soumis la demande requise et, par
la suite, s’est vue accorder un régime ecclésiastique semi-autonome
par le Patriarcat œcuménique. Les circonstances étaient similaires
dans le cas de la Crète qui, en 1900, a été reconnue comme Etat
semi-autonome, sous la dénomination de « Politeia crétoise »,
également soumise au sultan, puis, après en avoir présenté la
demande au Patriarcat œcuménique, a obtenu le même régime que
la Serbie, à savoir un régime ecclésiastique semi-autonome (qui
existe toujours, réglementé par les lois de l’Etat hellénique,
dont la plus récente est la loi 4149/1961 (voir, à ce sujet,
mon Manuel de Droit ecclésiastique, op. cit., p. 28, de même
que mon étude : “L’influence de Photius sur la manière d’émanciper
les Eglises autocéphales”, in (collectif-Actes du Symposium
scientifique) Hommage à saint Grégoire le Théologien et à Photius
le Grand, archevêques de Constantinople, Thessalonique 1994,
p. 452 et ss., laquelle concerne plus particulièrement la concession
d’un régime autocéphale et semi-autonome aux Eglises susmentionnées,
déjà autocéphales et semi-autonomes).
6. C’est dans le cadre de cette politique que le Patriarcat
œcuménique a accordé un régime ecclésiastique autonome, au moyen
des Tomes patriarcaux et synodaux, aux circonscriptions ecclésiastiques
orthodoxes de Tchécoslovaquie (en 1992), de Finlande (en 1923),
d’Estonie (1923), de Latvie et de toute la Lettonie (en 1923),
de Hongrie et de la communauté ukrainienne d’Europe (dont le
siège était à Karlsruhe).
7. Il est nécessaire de clarifier certains cas, en raison des
malentendus et des contestations, dont l’interprétation du canon
28 précité du IVe Concile œcuménique de Chalcédoine et l’étendue
de l’application du principe formulé par Photius le Grand ont
fait l’objet. Notons que les objections soulevées l’ont, dans
tous les cas, été par l’Eglise autocéphale de Russie.
Ainsi :
a) Après la Révolution russe de 1917, les Russes réfugiés en
Occident ont formé les communautés orthodoxes (russes) d’Europe
occidentale. Ces dernières, ne voulant rien avoir à faire avec
l’Eglise autocéphale russe (avec le Patriarcat de Moscou), se
sont volontairement soumises au Patriarcat œcuménique sous forme
d’Exarchat et ont continué à en dépendre canoniquement jusqu’en
1965. Cette année-là, le Patriarcat œcuménique, cédant à la
pression instante du Patriarcat de Moscou, les dégagea de sa
juridiction, malgré le fait que ces communautés étaient de son
ressort territorial, comme se trouvant, conformément au Canon
28 du 4e Synode œcuménique de Chalcédoine, sur des territoires
« se situant chez des régions barbares », dans l’acception qu’il
était alors donnée à ce terme, et, par conséquent, les a laissées
libres de s’intégrer « canoniquement, à l’Eglise orthodoxe de
leur choix ». Ainsi, il leur était accordé la facilité de s’intégrer,
si elles le désiraient, à l’Eglise autocéphale de Russie. Ces
communautés orthodoxes, fortes de cette facilité, ont choisi
(de nouveau) à l’unanimité le Patriarcat œcuménique. En effet,
leur Exarchat, ne voulant pas se soumettre au Patriarcat de
Moscou et autorisée à agir autrement — puisque le Patriarcat
œcuménique l’avait laissé libre de choisir —, s’est autoproclamée
autocéphale, et, s’adressant au Patriarcat œcuménique, l’a prévenu
que, s’il ne la reconnaissait pas, elle suivrait une politique
de coup d’Etat. Finalement, le Patriarcat œcuménique, répondant
à ce désir unanime des Communautés russes et de cet Exarchat
russe qui les représentait, a repris l’Exarchat sous sa juridiction
— sans aucunement violer l’ordre canonique, puisqu’elle avait
déposé une demande — et lui a donné le nom d’Archevêché des
paroisses russes d’Europe occidentale.
8. b) Au Japon, a été fondée une communauté orthodoxe, qui a
demandé un régime ecclésiastique autonome, que le Patriarcat
de Moscou s’est empressé de lui accorder. Le Patriarcat œcuménique
a réagi avec déplaisir à cette initiative du Patriarcat de Moscou,
parce que, conformément à ce qui précède, cela constituait une
usurpation de pouvoir, du fait que le Japon aussi se trouve
en territoires « se situant chez les régions barbares », et,
par conséquent, sous le coup du canon 28 du IVe Concile œcuménique.
Finalement, un synode, convoqué par le Patriarcat œcuménique
en son Centre interorthodoxe, dont le siège est à Chambésy,
près de Genève, s’est prononcé en faveur de cette compétence
du Patriarcat œcuménique.
9. c) L’Eglise de Pologne a de tout temps été soumise au Patriarcat
œcuménique, qui, en accord avec le gouvernement polonais de
cette époque, l’a proclamée autocéphale par le Tome patriarcal
et synodal pendant la patriarchie de Grégoire VII, daté du 13
novembre 1924. Ce Tome, donné le 17 septembre 1927, lors d’une
cérémonie officielle à Varsovie, de la part de la délégation
patriarcale, a été lu en langue hellénique, russe et ukrainienne,
et reconnu par toutes les Eglises orthodoxes. Le locum tenens
du trône patriarcal russe d’alors (auquel a succédé, en 1943,
le patriarche de Moscou Serge), a protesté contre la proclamation
de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe polonaise par le Patriarcat
œcuménique, en affirmant que cette proclamation constituait
un privilège exclusif de l’Eglise de Russie. Cette protestation
a été renouvelée en 1930. En 1948, après l’annexion, par la
Russie, des territoires orientaux de la Pologne, sur lesquels
se trouvait la plus large part de la population orthodoxe de
Pologne, le patriarche de Russie Alexis, ignorant sciemment
le régime autocéphale accordé à l’Eglise polonaise par le Patriarcat
œcuménique comme inexistant, a accordé, par l’Acte du 22 juin
1948 du Saint-Synode de l’Eglise de Russie, entériné par le
Saint-Synode de la Hiérarchie russe, un nouveau régime autocéphale,
ce dont il a fait part, par une Lettre, au Patriarcat œcuménique.
Le métropolite de Varsovie et de toute la Pologne Dionysios,
primat de l’Eglise polonaise en vertu du Tome patriarcal et
synodal du Patriarcat œcuménique, a été contraint à la relégation
jusqu’à sa mort.
Le comportement de l’Eglise de Russie, dans le cadre de sa politique
de contestation du privilège dont jouit le Trône œcuménique,
à savoir de prendre les diocèses « se situant chez les régions
barbares » sous sa juridiction, a refroidi les relations de
ce dernier avec l’Eglise de Russie et l’Eglise polonaise ainsi
fondée. Aussi le Patriarcat œcuménique a-t-il adressé, en réponse
au geste de l’Eglise russe, une lettre qui a été transmise à
toutes les Eglises orthodoxes ayant reconnu le Tome patriarcal
et synodal, publié plus anciennement par le Patriarcat œcuménique.
La querelle s’est poursuivie jusqu’en 1962, année à laquelle,
sous le métropolite Timothéos, les relations entre l’Eglise
polonaise et le Patriarcat œcuménique se sont rétablies.
10. d) De nos jours, un cas similaire se présente avec l’Eglise
orthodoxe d’Estonie. Comme il a déjà été dit, le Patriarcat
œcuménique, en juillet 1923, a accordé à l’Eglise orthodoxe
d’Estonie, par le Tome patriarcal et synodal « sur la Métropole
orthodoxe d’Estonie », publié pendant la patriarchie du patriarche
œcuménique Mélétios IV, un régime ecclésiastique autonome. Ce
régime, demandé au patriarche œcuménique par l’Eglise d’Estonie,
laquelle l’avait demandé à l’Etat estonien (au Président comme
au gouvernement), est resté inchangé jusqu’en 1940. On sait
que l’Estonie, comme tous les autres Etats baltiques, la Finlande
y comprise, faisait partie de l’Empire russe jusqu’à la fin
de la Première Guerre mondiale (1918). Après la guerre, tous
ces Etats ont obtenu leur indépendance et, de ce fait, ont demandé
un régime ecclésiastique autonome. Auparavant, se trouvant en
territoire russe, ils étaient soumis au Patriarcat de Moscou.
Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, en 1939, après le
fameux accord germano-russe de non-agression (accord entre Staline
et Ribbentrop, ce dernier agissant sur ordre d’Hitler), mis
en application selon le protocole secret, juste après la chute
de la Pologne en septembre 1939 et l’invasion de l’armée allemande
(hitlérienne), la Russie (en tant qu’Union Soviétique) a envahi
les trois républiques baltiques (Lituanie, Lettonie et Estonie)
et les a rattachées au nouvel empire (communiste) russe. Peu
après, la Russie (en 1940) a déclaré la guerre à la Finlande
et, finalement, malgré la défense héroïque de cette dernière,
a occupé certaines régions sises à la frontière russo-finlandaise,
qu’elle a définitivement rattachées à son territoire. Cet état
des choses a duré environ deux ans (de septembre 1939 à juillet
1941), jusqu’à ce que l’Allemagne hitlérienne envahisse la Russie
en juin 1941 et occupe les trois Etats baltiques. Cette situation
s’est prolongée environ jusqu’à la fin de la Seconde Guerre
mondiale, jusqu’à ce que la Russie, après la défaite de l’Allemagne
hitlérienne occupe, à son tour, ces Etats qu’elle a rattaché
de force à son Etat, c’est-à-dire sans leur consentement, de
sorte qu’ils ont perdu l’indépendance, dont ils jouissaient
avant l’occupation, conformément à l’accord Staline-Ribbentrop.
11. En 1945, l’Estonie a donc été privée, par la force des armes,
de son indépendance, et son rattachement à l’Union Soviétique
a entraîné par contrecoup la suppression (encore une fois par
la force, c’est-à-dire en violation de l’ordre canonique, et
unilatéralement sans obtenir le consentement du Patriarcat œcuménique,
ni même l’en informer) de l’autonomie de l’Eglise (orthodoxe)
d’Estonie, qui a alors été transformée en simple Diocèse de
l’Eglise de Russie. À la suite de quoi, le métropolite orthodoxe
légitime (primat de l’Eglise autonome) d’Estonie, Alexandre,
suivi de nombreux clercs (23) et de quelques milliers (7) d’habitants
(orthodoxes), se sont réfugiés, en mars 1943, en Suède, où il
est mort en 1953. Quarante-cinq autres clercs, restés en Estonie,
ont été assassinés ou exilés.
Le Patriarcat œcuménique, « gardien de l’exactitude canonique
», n’a pas accepté ce qui avait été imposé de manière anticanonique
(à savoir « par la force et la tyrannie ») et a longtemps continué,
jusqu’en 1972 exactement, à considérer comme effective l’autonomie
de l’Eglise orthodoxe d’Estonie, à la tête de laquelle il a
reconnu (comme il l’avait fait pour les communautés russes de
l’Eglise occidentale, ainsi qu’il a été dit) le primat des Estoniens
orthodoxes réfugiés vivant en exil (en dehors de l’Union Soviétique),
lesquels avaient formé l’ « Eglise orthodoxe apostolique autonome
d’Estonie », nom qu’elle portait depuis 1935. Cependant, cette
année-là (1978), le Patriarcat œcuménique (de la même façon,
d’ailleurs, dont il avait agi dans le cas similaire des communautés
russes d’Europe occidentale), répondant encore une fois de manière
« fraternelle, affectueuse et protectrice » à la requête insistante
de l’Eglise de Russie (du Patriarcat de Russie) « en usant de
l’économie ecclésiastique », a, par un Acte patriarcal et synodal,
tout simplement désactivé le Tome patriarcal et synodal de 1923,
en soulignant que celui-ci, en raison de la conjoncture de l’époque,
c’est-à-dire en raison de la mutation politique qui s’était
produite, ne peut plus être en vigueur que dans l’Estonie sous
occupation soviétique, mais ne peut l’être dans la diaspora
des Estoniens. Autrement dit, il suspend tout simplement la
validité de ce Tome, sans l’invalider ni le désactiver ni l’abolir.
12. Entre-temps, comme nous l’avons dit, l’Estonie, en 1991,
après la dissolution de l’Union Soviétique, est redevenue un
Etat indépendant et a demandé à ce que soit rétabli, comme dans
le cas de tous les autres Etats orthodoxes, le régime ecclésiastique
(orthodoxe) autonome, dont elle jouissait avant la dissolution
de l’Etat, par la remise en vigueur du Tome patriarcal et synodal
de 1923, puisque l’Eglise orthodoxe apostolique estonienne susmentionnée,
vivant en exil, était revenue sur sa terre canonique. La demande
en a été instamment formulée aussi bien par l’Etat estonien
que par l’écrasante majorité des paroisses orthodoxes d’Estonie,
qui ont catégoriquement déclaré (comme l’avaient fait les communautés
russes d’Europe occidentale) que, si le Patriarcat œcuménique
refusait de recevoir cette demande pour une raison quelconque,
ces paroisses ne demeureraient en aucun cas sous la juridiction
du Patriarcat de Moscou (telle était l’indignation contre l’occupation
soviétique qu’elles avaient subie pendant de longues années).
En application des saints Canons (canons 9 et 17 du IVe Concile
œcuménique de Chalcédoine, selon lesquels : (canon 9) « si un
évêque ou un clerc a quelque chose contre l’évêque métropolitain
de l’éparchie, qu’il porte l’affaire devant l’exarque du diœcesis
ou bien devant le trône de la ville royale de Constantinople,
et s’y faire rendre justice » et (canon 17) « si en pareil cas
un évêque pense que son propre métropolite l’a desservi, qu’il
porte l’affaire devant l’exarque de diœcesis ou bien devant
le trône de Constantinople pour s’y faire rendre justice »,
ce qui apparaît aussi dans le canon 34 des saints Apôtres, selon
lesquels les Eglises des diverses nations, notamment des nations
constituées en Etats libres et indépendants, doivent être formées
en Eglises autonomes et autocéphales par leurs propres archevêque
et évêques), le Patriarcat œcuménique, a reçu cette demande
commune, soumise par le gouvernement estonien et l’Eglise (orthodoxe)
estonienne (notons que la demande, côté Etat, a été officiellement
soumise, par écrit, par la plus haute autorité et le gouvernement
d’Estonie, et, côté Eglise, par 56 des 80 paroisses d’Estonie
(voir aussi infra, § 16). Jugeant cette demande « droit bien
fondé », le Patriarcat œcuménique a rétabli le Tome patriarcal
et synodal de 1923 dans son intégralité (il l’a remis en vigueur
avec toutes ses clauses) et, « comme un devoir et comme un droit
canonique et historique », a redonné à l’Eglise apostolique
orthodoxe estonienne le statut dont elle jouissait avant 1940.
Autrement dit, il lui a redonné son autonomie (sous le Patriarcat
œcuménique). Ainsi, le Patriarcat œcuménique a reconnu comme
continuateurs légitimes de l’Eglise apostolique orthodoxe estonienne,
« ceux qui, reconnaissant le Tomos, n’ont jamais cessé de veiller
à la continuité canonique de cette Eglise ». Cet arrangement
a été fait par l’Acte patriarcal et synodal du 20 février (épinémissis
4) 1996, « sur la remise en vigueur du Tome patriarcal et synodal
de 1923 pour la Métropole orthodoxe d’Estonie ». Le considérant
de cet Acte était que « vu que nous sommes chargés de veiller
à ce qui touche le gouvernement et la conduite de toutes les
affaires ecclésiastiques, et de prévoir ce qu’il convient de
faire, à savoir que le Saint Trône œcuménique soit acquis depuis
très longtemps selon la coutume canonique, afin que ce dernier
puisse veiller à la constitution et à la substance des Eglises,
de sorte à répondre de manière adéquate aux besoins des temps,
ainsi qu’au bon fonctionnement de l’ensemble, et qu’il adapte
et fasse soignée la structure de tout l’ensemble, en chaque
circonstance, de manière harmonieuse et profitable, sur des
points particuliers comme sur tout l’ensemble ».
13. L’Acte patriarcal et synodal en question a été porté en
Estonie, entre le 21 et le 24 février 1996, par une délégation
patriarcale, composée du métropolite de Chalcédoine Joachim,
pour président, et, pour membres, le métropolite de Tyroloé
et de Sérention Pantéléïmon, ainsi que le métropolite de Philadelphie
Méliton. La délégation a également installé l’archevêque de
Carélie et de toute la Finlande Ioannis, comme locum tenens.
Cette délégation a été reçue avec tous les honneurs et a collaboré
avec le président de la République, M. Mery, avec le premier
ministre M. Vahi, avec des membres du Conseil des ministres,
ainsi que de nombreux membres ecclésiastiques et laïcs de l’Eglise
orthodoxe d’Estonie. À la suite de quoi, le 24 février, une
divine liturgie a été célébrée dans la cathédrale de la Transfiguration
de Tallinn, pendant laquelle ont été lus, en présence de représentants
du gouvernement estonien, l’encyclique patriarcale et synodale,
adressée au clergé et au peuple estonien, et l’Acte patriarcal
et synodal (voir l’Encyclique patriarcale et synodale, l’Acte
patriarcal et synodal, ainsi que ce qui a été exposé lors de
la cérémonie, les séances de travail et les offices dans Orthodoxie,
du mars 1996, p. 11 et ss.).
14. On pouvait s’attendre à ce que la réaction du Patriarcat
de Moscou, vu la position historique qu’il avait prise en des
cas similaires, ainsi que nous l’avons vu plus haut, et vu la
théorie que, déjà depuis le Concile de Florence, il avait formulée
au sujet de la Troisième Rome (voir mon Manuel de Droit ecclésiastique,
op. cit., p. 45), soit des plus vives, étant donné que le Patriarche
de Moscou et de toute la Russie Alexis était originaire d’Estonie
; il était donc naturel que des facteurs affectifs aient influencé
sa position. De toute évidence, tenant compte de tout cela,
les services compétents du Patriarcat œcuménique ont proclamé,
dans l’Acte patriarcal et synodal susmentionné du 29 février
1996, « leur volonté inébranlable d’assurer, en Estonie, une
vie ecclésiale sans entraves aux immigrés orthodoxes d’origine
russe qui, installés en Estonie lorsque l’Estonie faisait partie
de l’Union Soviétique, sont indissociablement liés à l’Eglise
autonome d’Estonie, organisés sous un évêque russophone, en
espérant que leur situation canonique et légale sera réglée
dans un esprit d’amour et de paix, en toute conscience de l’unité
fraternelle de tous les peuples orthodoxes ». Tout cela, comme
il avait été prévu, a été déclaré par les responsables du Patriarcat
œcuménique « en considération de l’inquiétude de notre frère
Sa béatitude le Patriarche de Moscou et de toute la Russie »
au sujet des immigrés russes d’Estonie (cet Acte patriarcal
et synodal a aussi été donné au locum tenens de l’Eglise apostolique
orthodoxe autonome d’Estonie, le très saint Archevêque de Carélie
et de toute la Finlande Ioannis, lors de la divine liturgie
célébrée le 24 février dans la cathédrale de Tallinn) (voir
supra, § 13).
15. Malgré tout, la demande pressante du gouvernement, de l’Eglise
orthodoxe et du peuple d’Estonie, a provoqué une vive réaction
de la part du Patriarcat de Moscou et de toute la Russie qui,
par la suite, en dépit des tentatives entreprises par le Patriarcat
œcuménique pour entamer un dialogue avec lui et trouver une
solution de compromis, est demeuré inébranlable, procédant même
à des déclarations offensantes à l’égard du Patriarcat œcuménique
(p. ex. qu’il a traité de « général sans armée ») et à des menaces
diverses contre le Patriarche œcuménique Bartholomé Ier à qui
il a tenu des propos arrogants (il a qualifié l’Eglise de Constantinople
de « sœur aînée » et non d’Eglise « mère », alors que chacun
sait que c’est d’elle qu’il a reçu son régime autocéphale et,
par suite, sa dignité patriarcale). De plus, ce Patriarcat a
exercé une pression inadmissible sur l’Eglise orthodoxe estonienne
qu’il a qualifiée de « conspiratrice » et a infligé des châtiments
et des blâmes continuels et, en général, des peines de suspense
aux clercs s’adressant au Patriarcat œcuménique. (À noter que
cette Eglise représente 67 % des Orthodoxes d’Estonie, les autres
étant les Russes que Staline a massivement installés en Estonie
pour altérer la composition ethnique de la population, encore
ceux-là mêmes ne sont-ils pas d’accord avec l’Eglise russe (voir
infra, § 16), et a publié des articles où elle accusait le Patriarcat
œcuménique d’ingérence anticanonique dans les affaires intérieures
de l’Eglise de Russie (on l’a accusé d’« intrusion anticanonique
» [eijsphvdhsi"], c’est-à-dire de violation des saints
Canons) (voir, entre autres, la lettre du Patriarche de Moscou
du 6 février 1996 adressée au Patriarcat œcuménique), comme
si l’Eglise estonienne faisait partie de l’Eglise russe, malgré
la volonté de l’Etat, de l’Eglise et du peuple d’Estonie.
16. Il est évident que la position du Patriarcat de Moscou et
de toute la Russie est erronée, étant donné que, comme nous
l’avons vu, le régime autocéphale et autonome est toujours accordé
sur demande d’un Etat et, dans cet Etat, du clergé et du peuple
(sous la condition que l’Etat est indépendant), ce qui, aujourd’hui,
est le cas de l’Etat estonien, de l’Eglise estonienne et du
peuple estonien, lesquels demandent « inébranlablement » la
remise en vigueur du régime ecclésiastique autonome d’avant
1945, accordé, comme nous l’avons dit, par le Tome patriarcal
et synodal de 1923.
Le Secrétariat du Patriarcat œcuménique a procédé à toutes ces
déclarations le 24 février 1996, précisant expressément qu’il
n’est pas permis de trahir la tradition séculaire relative aux
modalités et aux conditions régissant l’octroi de l’autonomie
et de l’autocéphalie aux Eglises, ni, par conséquent, de méconnaître
le droit de l’Eglise orthodoxe estonienne, dans son écrasante
majorité, ni, enfin, d’oblitérer l’avenir de l’Orthodoxie dans
le monde contemporain (comme nous l’avons dit, 67 % des Orthodoxes
d’Estonie, à savoir, administrativement parlant, 54 des 80 paroisses
ont soumis une demande écrite au Patriarcat œcuménique pour
qu’il réactive le Tome patriarcal et synodal de 1923 ; de surcroît,
sur les 26 autres paroisses, nombreuses sont celles qui ont
manifesté leur intention d’être intégrées à l’Eglise autonome
estonienne après sa réorganisation (document n° 201 du 21 février
1996 du Patriarche œcuménique, adressé à l’archevêque Chrysostome
de Chypre). Notons ici que le Patriarcat œcuménique est informé
que seuls 10 % des Russes d’Estonie ont adopté la position de
l’archevêque (russe) Cornélios, alors que 90 % d’entre eux (la
majorité silencieuse) vivent tranquillement dans le pays (communiqué
synodal du 28 mars 1996, dans Orthodoxie, op. cit., p. 31).
17. Insistons maintenant sur l’accusation de phylétisme prononcée
contre l’Eglise d’Estonie. Le Patriarcat œcuménique a réfuté
cette accusation dans la réponse que, le 24 février 1996, il
a adressée au Patriarche de Moscou et de toute la Russie, tout
particulièrement pour répondre à cette accusation, en disant
que « ceux-ci (les Estoniens), en tant que Nation particulière,
ont le droit, conformément au 34e canon des saints Apôtres,
de constituer leur propre Eglise, de choisir leurs propres évêques
et, parmi eux, un primat appartenant à la même nation qu’eux,
d’autant plus qu’ils sont constitués en Etat indépendant »,
argument directement fondé sur les saints Canons et la praxis
ecclésiastique. Par conséquent, l’accusation de phylétisme ne
tient pas. Au contraire, c’est l’Eglise russe qui est accusée
de phylétisme par de nombreuses entités ecclésiastiques et politiques
d’Europe, qui affirment qu’elle cherche ainsi à soutenir la
politique du gouvernement russe, dans le but de ne pas perdre
le contrôle de la Baltique après la dissolution de l’Union soviétique
et l’indépendance des Etats d’Estonie, Lituanie et Lettonie.
Notons que, le 19 mars 1996, le Parlement russe a entériné une
politique fondée sur le concept d’ « unité des populations russes
», c’est-à-dire sur la sécurité des citoyens russes vivant dans
les pays de l’ex-Union Soviétique (voir pour plus de détail,
P. G. Tsetsis dans Enimérosis 12-1996/4, où l’on trouvera des
informations supplémentaires sur la manière dont est justifiée
cette politique). Comme nous l’avons souligné, c’est précisément
la politique expansionniste de la Russie et les craintes qu’elle
engendre parmi les peuples de la Baltique, qui ont conduit les
entités politiques et ecclésiastiques d’Estonie à couper tout
lien rappelant le passé tragique de leur pays — encore tout
proche — et, par conséquent, susceptible de créer un climat
d’incertitude et d’insécurité. C’est pour cela, d’ailleurs,
que les amis de l’Eglise russe en Occident n’ont pas négligé
de souligner ce danger menaçant l’Estonie aussi bien que la
Russie elle-même. Ainsi, le diacre Peter Scorer, clerc de la
Métropole du Patriarcat de Moscou en Angleterre, mais aussi
membre du personnel enseignant de l’université d’Exeter, dans
un article paru le 17 mars 1996 dans le journal “The Guardian”,
ne s’est pas contenté d’approuver la position du Patriarcat
œcuménique, mais a aussi accusé son Eglise (russe) d’être nostalgique
du passé soviétique, de ne pas avoir le courage d’affronter
la nouvelle réalité, telle qu’elle s’inscrit aujourd’hui en
Russie, d’autant que « par sa position, le Patriarcat de Moscou
court le danger de s’isoler, de se marginaliser et de devenir
la proie des milieux nationalistes extrémistes de Russie » (G.
Tsetsis, op. cit.).
18. Notons que, dans le cas du schisme bulgare, bien qu’il ait
été accusé d’être un produit de l’ethno-phylétisme (le consul
français, Gustave Laffon, qui était considéré comme le mieux
informé des questions de l’Orient, l’a souligné dans le rapport
de novembre 1886, qu’il a adressé à son premier ministre et
ministre des Affaires Etrangères Freycinet : « […] Il ne reste
plus un seul Bulgare ignorant que le schisme a pour but d’établir
plutôt une barrière politique et ethnologique entre les deux
races (Grecs et Bulgares) qu’une distinction de croyance religieuse
[…] » ; Michel Paillarès, L’Imbroglio macédonien, Paris 1907,
p. 405), l’Eglise russe d’alors l’a encouragé, sinon manifestement
soutenu, et, au (Grand) Synode panorthodoxe que le Patriarcat
œcuménique a convoqué le 29 août 1872 en l’église patriarcale
Saint Georges à Constantinople (sous le patriarche œcuménique
Anthimos VI) pour juger de ce schisme, celle-ci (l’Eglise russe),
non seulement s’est retirée, mais aussi a menacé le Patriarcat
de Jérusalem, s’il signait la résolution, de confisquer les
métochia du Saint-Sépulcre en Russie, si bien que le représentant
s’est retiré du Synode avant la signature de cette résolution
(voir mon Manuel…, op. cit., p. 62 et ss.). Il est vrai que
le Saint-Synode de l’Eglise de Russie s’est rétracté, mais,
en acte, il s’est comporté tout autrement. En effet, le Gouvernement
provisoire de Russie, dans le document du 27 mars 1917, a reconnu
le régime autocéphale de l’Eglise géorgienne comme Eglise nationale,
sans limites géographiques, après que lui a été soumis un document
par lequel lui était communiquée la décision, prise à l’unanimité
le 17 mars 1917 par le clergé et le peuple de Géorgie, de rétablir
l’administration ecclésiastique autocéphale en Géorgie. L’Eglise
de Russie a alors vivement protesté contre cette action du Gouvernement
provisoire de Russie, auquel le patriarche Tikhon a répondu
par sa lettre n° 3 du 29 décembre 1917. Finalement, en 1937,
cette même Eglise de Russie a reconnu le régime autocéphale
de l’Ibérie (Géorgie) (voir Maximos, métropolite de Sardes,
“L’Eglise de Géorgie (Ibérie) et son statut autocéphale” (paru
aussi dans Théologie), Athènes 1996, pour toute l’étude, p.
31, 40, 44-45, 46 et 50, ainsi que mon Manuel…, op. cit., p.
55-56), de sorte que l’autocéphalie de l’Eglise de Géorgie a
été reconnu en Russie et par le Gouvernement et par l’Eglise
(du Patriarcat de Moscou). C’est, cependant, ce qu’ils ont évité
de faire dans le cas de l’Eglise d’Estonie, bien que, dans ce
cas aussi, le Patriarcat œcuménique ait, entre-temps, accordé
officiellement le régime autocéphale à l’Eglise de Géorgie,
par un Tome patriarcal et synodal qui a été donné plus tard,
lors d’une cérémonie officielle qui s’est tenue dans le Patriarcat
de Géorgie, par le patriarche œcuménique Dimitrios Ier.
19. Pour arriver à un règlement pacifique de la question, le
Patriarcat œcuménique a envoyé une délégation épiscopale au
Patriarcat de Moscou, afin d’engager un dialogue et tirer des
conclusions de la visite en Estonie de la délégation patriarcale
; mais, ce dialogue n’a jamais abouti. Malgré tout, le Patriarcat
œcuménique a engagé le Patriarcat de Moscou à envoyer une délégation
à Constantinople, pour reprendre le dialogue en vue de trouver
un accord consensuel, mais cette invitation, acceptée après
un silence de plusieurs mois, n’a pas non plus abouti. Par la
suite, la délégation russe a soumis une contre-proposition,
demandant que les deux délégations se rencontrent à Moscou.
Cette proposition a été acceptée par le Patriarcat œcuménique,
à la condition que soit prise en considération l’urgence de
la question. Entre-temps, dans l’intervalle où l’éventualité
de cette rencontre était discutée, c’est-à-dire en attendant
que le Patriarcat de Moscou invite la délégation du Patriarcat
œcuménique à poursuivre les discussions, le Patriarcat de Moscou,
par l’intermédiaire de Cornélios, archevêque russe d’Estonie,
a infligé des peines sévères de suspense aux clercs estoniens,
qui avaient manifesté le désir d’être réintégrés à l’Eglise
autonome d’Estonie, telle qu’elle avait été remise en vigueur.
Le Patriarche de Moscou Alexis et le métropolite de Smolensk
et Kaliningrad Cyrille, lequel est chargé du règlement des affaires
étrangères de l’Eglise de Russie, ont mené, dans la presse,
une campagne diffamatoire contre le Patriarcat œcuménique (le
second, lors d’une conférence de presse, le 4 mars 1996). À
la suite de quoi, le Patriarcat œcuménique a demandé la levée
des peines infligées aux clercs estoniens, le dédit ou le démenti
des diffamations lancées contre lui, afin que soit rétabli un
climat favorable à la poursuite des discussions et que soit
définitivement fixée une rencontre des deux délégations, en
Estonie cette fois, pour examiner la situation, sur place et
en commun, et prendre des décisions définitives. Le Patriarche
de Moscou a refusé la levée des peines infligées et la rencontre
en Estonie, restant également dans un silence absolu au sujet
du démenti des accusations formulées contre le Patriarcat œcuménique.
C’est ainsi que, l’idée de trouver une solution à cette question
par un accord commun et fraternel, a fait naufrage, et que,
par conséquent, la prise de décisions a été longuement retardée.
En raison de cette longue attente et de l’inertie involontaire
du Patriarcat œcuménique, les Orthodoxes estoniens, qui avaient
demandé la remise en vigueur du Tome patriarcal et synodal de
1923, ont été déçus et sont allés demander refuge, les uns à
l’Eglise uniate, les autres aux communautés luthériennes auxquelles
appartiennent la majorité des Chrétiens d’Estonie, d’autres
encore à l’Eglise russe hors frontières, et le reste, enfin,
dans d’autres communautés. Ces raisons ont définitivement persuadé
le Patriarcat œcuménique de la nécessité de remettre en vigueur
le Tome patriarcal et synodal de 1923, étant donné que tous
étaient désormais convaincus que le Patriarcat de Moscou n’agissait
pas de bonne foi. À la suite de quoi, le Patriarcat de Moscou,
au lieu de répondre à cette attitude pacificatrice du Patriarcat
œcuménique dans un esprit d’amour et d’unité, a rompu ses relations
avec le Patriarcat œcuménique et, plus encore, a supprimé la
commémoration du nom du Patriarcat œcuménique lors des saints
offices.
20. Examinons, à présent, les blâmes formulés par le Patriarcat
de Moscou, les uns revêtant un caractère canonique, les autres
étant simplement offensants. Ces critiques ont été réfutées
par le protopresbytre G. Tsetsis, dans le Bulletin de l’actualité
œcuménique Enimérosis n° 12 1996/3 (bulletin de la délégation
permanente du Patriarcat œcuménique, au siège du Conseil Œcuménique
des Eglises, à Genève), auquel je renvoie pour sa pertinence.
En effet, il est faux de considérer que la mission apostolique
qu’une Eglise est appelée à accomplir dans un pays donné, comme
celle que le Patriarcat de Moscou est appelé à accomplir en
Estonie, lui donne le droit de prendre ce pays sous sa juridiction.
À ce titre, le Patriarcat œcuménique pourrait, en vertu de ce
principe, revendiquer la juridiction de l’Ukraine et de la Russie,
qui, jusqu’à la fin du XVIe siècle, comptaient parmi ses provinces.
En ce qui concerne l’argument qui prétend que l’Estonie appartient
au territoire du Patriarcat de Moscou et que, par conséquent,
le Patriarcat œcuménique, en accordant un régime autocéphale
à cette Eglise, « s’est ingéré » dans la juridiction canonique
du Patriarcat de Moscou, il faut remarquer que le Grand Synode
de Constantinople de 1593, en accordant la dignité patriarcale
au métropolite de Moscou, a précisé que les limites de l’Eglise
de Russie seraient les limites de l’Etat russe « et des provinces
septentrionales » ; or, l’Estonie n’appartient ni à la Russie
ni aux provinces « septentrionales » (puisqu’à cette époque,
elle appartenait en partie à la Pologne et en partie à la Suède).
En tout cas, aujourd’hui, l’Estonie est un Etat indépendant
et demande la remise en vigueur du régime ecclésiastique libre
qui lui a été enlevé de force, comme il est d’ailleurs advenu
de l’Eglise d’Ibérie [Géorgie].
21. Je saisis ici l’occasion de remarquer que le Patriarcat
de Russie a avancé un autre argument, affirmant que l’Archevêché
russe d’Estonie est le successeur et l’héritier de l’Eglise
(orthodoxe) autonome d’Estonie d’avant 1940, parce que le métropolite
Alexandre, alors primat de l’Eglise orthodoxe d’Estonie, a signé
l’adhésion de son Eglise à l’Eglise russe – assertion fausse,
puisque le métropolite Alexandre a déclaré plus tard, dans une
encyclique adressée aux paroisses orthodoxes, estoniennes, russes
et mixtes d’Estonie, qu’on l’avait contraint à se rendre à Moscou,
que sa signature lui avait été arrachée sous la menace et les
pressions et il a proclamé que l’Eglise estonienne était autonome
sous la juridiction du Patriarcat œcuménique. On sait que ce
métropolite a finalement été obligé de se réfugier en Suède,
où, comme nous l’avons dit, il est mort en 1953. En considération
de tout cela, la remise en vigueur du Tome de 1923 ne constitue
pas une intervention anticanonique dans l’Eglise russe, mais,
au contraire, un rétablissement de l’ordre canonique en Estonie,
lequel a été aboli en 1940.
22. Le Patriarche œcuménique est le primat, parmi ses égaux
dans la hiérarchie orthodoxe, et il a le droit et le devoir
de prendre certaines initiatives pour le règlement des affaires
touchant l’Orthodoxie en général (comme je l’ai noté dans mon
Manuel…, op. cit., p. 25 et 26). D’ailleurs, la 1ère Conférence
panorthodoxe préconciliaire, qui a eu lieu en 1976 à Chambésy,
a démontré, malgré certaines faiblesses qui, pendant cette conférence,
sont sorties au grand jour, l’unité organique de l’Orthodoxie
et le respect que toutes les Eglises autocéphales témoignaient
au Patriarcat œcuménique, lequel, de cette manière, est reconnu
sans réserve comme le sommet de l’Orthodoxie.
Cette reconnaissance a également été confirmée par le message
envoyé par les primats des très saintes Eglises orthodoxes (parmi
lesquelles l’Eglise de Moscou et de toute la Russie occupe la
cinquième place dans l’ordre). Ces derniers, comme ils le précisent
dans leur message, se sont réunis en communion avec le Saint
Esprit, le 15 mars 1992, Dimanche de l’Orthodoxie, « à l’initiative
et sur invitation de notre Patriarche œcuménique, Mgr Bartholomé,
qui a décidé cette rencontre à la suite du désir exprimé par
d’autres primats frères du Phanar, dans l’église patriarcale
et sous sa Présidence » (voir texte du message dans Peiraïki
Ekklésia, avril 1992, p. 8). C’est pourquoi le Patriarcat œcuménique
a clairement déclaré, dans son communiqué synodal du 28 mars
1996, qu’il était « le premier trône de l’Eglise orthodoxe d’Orient
et que, étant l’Eglise-mère qui a donné naissance à toutes les
Eglises autocéphales et autonomes orthodoxes, y compris celle
de Russie, il était le coordinateur de l’unité et de la collaboration
de toutes les Eglises orthodoxes », ajoutant cependant, qu’
« il n’a jamais voulu ni tenté d’être le centre d’un pouvoir
panorthodoxe, comme l’en a accusé l’Eglise de Russie ».
23. En ce qui concerne le droit d’appel (ekkliton) vis-à-vis
du Patriarche œcuménique, il est réglé par les canons 9 et 17
du IVe Concile œcuménique, dont, selon certains, l’interprétation
est contradictoire, mais, à mon avis, claire. En effet, le Patriarche
œcuménique constitue le critère suprême, dans tout l’Orient,
dans tous les cas où les intéressés ont recours à lui de leur
plein gré (voir mon Manuel…, op. cit., p. 134, ainsi que l’analyse
extrêmement pénétrante de toute la question, par Maximos, métropolite
de Sardes, Le Patriarcat œcuménique…, op. cit., p. 208-211,
et c’est là la réfutation des arguments russes). Cet acte avait
aussi été mis en cause par l’Eglise autocéphale de Grèce, relativement
aux métropolites des Nouveaux Territoires [Grèce du Nord], mais
la nouvelle Charte statutaire de l’Eglise de Grèce (loi 590/1977)
l’avait déjà étendu aux métropolites de l’Eglise autocéphale
de Grèce (voir mon Manuel…, op. cit., p. 134-135). Par conséquent,
c’est à juste titre que le protopresbytre Georges Tsetsis (Enimérosis,
op. cit., p. 20) se demande très justement : est-il possible
que le Patriarcat œcuménique ignore la requête des Orthodoxes
estoniens, alors qu’ils sont confrontés à de réelles difficultés
avec l’évêque qui était en Estonie.
Je ne crois pas que le fait que le gouvernement estonien (en
dehors de l’Eglise estonienne) ait soumis la demande susmentionnée
justifie les critiques émises par le Patriarcat de Moscou contre
l’action du Patriarcat œcuménique, étant donné que, comme il
a été très justement répondu, l’Eglise de Russie elle-même a
été élevé en Patriarcat en 1593, sur demande expresse du tsar
Fédor Ivanovitch et de son beau-frère, Boris Godounov, son conseiller
secret et vice-roi (un opéra a même été composé sur la question).
Notons que des pressions inadmissibles ont alors été exercées
sur le Patriarche œcuménique Jérémie II, qui séjournait à ce
moment à Moscou, en vue de demander de l’aide au nom du Patriarcat
œcuménique qui traversait alors de rudes épreuves, et que le
Patriarche Jérémie a été retenu à Moscou pendant neuf mois,
jusqu’à ce que le Métropolite de Moscou Job soit consacré Patriarche
(le 13 janvier 1589) (voir mon Manuel…, op. cit., p. 46 et ss.).
24. L’accusation dirigée contre le Patriarcat œcuménique, qui
aurait, par son action, agi au détriment de la minorité russe
d’Estonie « en s’ingérant dans le jeu politique du gouvernement
estonien », est de toute évidence mensongère. Parce que, comme
il a déjà été dit, l’Acte patriarcal et synodal, comme le confirme
d’ailleurs la lettre du 24 février 1996 que le Patriarche œcuménique
Bartholomé a adressée au Patriarche de Moscou et de toute la
Russie Alexis, témoignait d’un souci manifeste pour la situation
de la minorité russe orthodoxe d’Estonie.
25. L’ironie avec laquelle Constantinople a été comparée à une
réunion de « généraux sans armée », comme nous l’avons dit plus
haut, était des plus malencontreuses, révélant, en outre, une
absence de spiritualité orthodoxe et de morale ecclésiale orthodoxe,
étant donné qu’une Eglise ne saurait être jugée en fonction
du nombre de ses fidèles (d’après le mot célèbre de Staline
à propos du nombre de [commandements de] divisions dont disposait
le Pape), mais en fonction du nombre de ses martyrs (voir autres
objections dans G. Tsetsis, op. cit., p. 3). D’ailleurs, du
point de vue du nombre de « soldats » aussi, le Patriarcat œcuménique,
malgré les événements divers qui, en Turquie, ont fait décroître
le nombre de ses fidèles, a, aujourd’hui encore, sous sa juridiction
spirituelle des millions d’orthodoxes de la diaspora et tous
les orthodoxes appartenant aux Eglises semi-autonomes, dont
il est, au sens large du mot, le chef spirituel (pour ce qui
est des autres qualifications infamantes, qui ont été formulées
contre le Patriarcat œcuménique et l’Eglise d’Estonie, pendant
la marche de protestation, organisée par l’archevêque russe
résidant à Tallinn Cornélios et l’Union des Citoyens russes
d’Estonie, le 16 mars 1996, voir Enimérosis, op. cit., 12-1996
A, p. 1).
26. Toute cette affaire a provoqué une inquiétude justifiée
dans le monde chrétien. À une époque où la société traverse
une crise et où le monde fonde son espoir en l’Eglise (en Grèce,
un sondage d’opinion effectué l’année dernière a montré que
l’Eglise venait en première place dans la confiance du peuple),
des épreuves de ce genre sont un luxe impardonnable.
C’est pourquoi le Conseil Œcuménique des Eglises (COE), ainsi
que le Conseil des Eglises Européennes (KEK), ont uni leurs
efforts pour trouver une issue à cette crise inattendue. Ainsi,
leurs secrétaires généraux ont envoyé une lettre au Patriarche
œcuménique Bartholomée Ier et au Patriarche de Moscou Alexis
II, dans laquelle ils leur ont exprimé leur inquiétude sur le
cours pris par les choses, en raison de l’interruption des relations
entre les Patriarcats de Constantinople et de Russie (bien que
le Patriarcat œcuménique n’ait pas supprimé la commémoration
du nom du Patriarche de Moscou pendant les saints offices) et
leur ont fait part de leurs craintes quant aux incidences de
cette rupture dans l’ensemble du monde chrétien. Plus particulièrement,
le Secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises, Dr
Konrad Raiser, écrit, dans sa lettre du 28 février 1996, qu’il
a été informé, à son grand regret, de la décision du Patriarcat
de Moscou de rompre ses relations avec le Patriarcat œcuménique,
et que cette rupture est douloureuse « à un moment où les chrétiens
s’efforcent de dépasser les obstacles pour parvenir à leur unité
et tentent de développer des relations de confiance et de compréhension
mutuelles, qui les conduiraient à témoigner en commun et, finalement,
à imposer leur unité ». Le Dr Raiser exprime enfin sa certitude
que la bonne volonté et la sagesse des Patriarches contribueront
à résoudre les difficultés et permettront de rétablir leur pleine
Communion.
Par ailleurs, le Secrétaire général du Conseil des Eglises Européennes,
Jean Fisher, dans sa lettre du 1er mars 1996, exprime son inquiétude
sur les éventuelles incidences de la crise sur la communion
œcuménique en général, et formule l’espoir que le conflit trouvera
une solution dans le dialogue, la confiance et la compréhension
mutuelles, de manière à ce que les Eglises européennes soient
en mesure d’apporter un témoignage commun en échange, lors de
la 2e Synaxe œcuménique paneuropéenne de Graz (1997).
Notons également qu’aucune Eglise autocéphale (orthodoxe) n’a
approuvé la position de l’Eglise russe. Comme le mentionne le
communiqué synodal susmentionné du Patriarcat œcuménique, en
date du 28 mars 1996, « tous les autres Patriarches et primats
des Eglises orthodoxes locales se trouvent toujours en communion
canonique avec le Patriarcat œcuménique, et, désireux, en pratique,
de se démarquer de la décision du Patriarche de Moscou et d’isoler
ce dernier dans son « glissement » canonique…, jamais ils n’ont
condamné ni qualifié d’anticanonique la décision de l’Eglise
de Constantinople de remettre en vigueur l’autonomie de l’Eglise
orthodoxe en Estonie.
27. Le Patriarcat œcuménique qui, comme nous l’avons remarqué,
n’a pas supprimé la commémoration du nom du Patriarche de Moscou,
a poursuivi ses efforts pour arriver à un arrangement pacifique
de cette question douloureuse. Pour ce faire, il a désigné une
représentation composée, pour président, du métropolite de Tyroloè
et de Sérention, Pantéléïmon, et, pour membres, des métropolites
Jean de Pergame et Méliton de Philadelphie, laquelle a rencontré
à Zurich, les 3 et 22 avril 1996, la délégation équivalente
du Patriarcat de Moscou ; le 5 avril, elle a soumis le rapport
de cette rencontre. Le 16 mai 1996, le Saint-Synode du Patriarcat
œcuménique s’est réuni et, après avoir accepté le rapport et
approuvé sa teneur, a décidé d’accorder exceptionnellement aux
orthodoxes d’Estonie la liberté de choisir la juridiction ecclésiastique
à laquelle ils désiraient appartenir (à savoir celle du Patriarcat
œcuménique ou celle du Patriarcat de Moscou). C’est pourquoi
le Patriarcat œcuménique s’est vu dans l’obligation de reporter
de quatre mois l’application de sa décision du 20 février 1996,
relative à l’Eglise orthodoxe d’Estonie, jusqu’à ce que cette
dernière choisisse la juridiction ecclésiastique à laquelle
elle désirait appartenir. Il a toutefois déclaré que les deux
Patriarcats devaient s’engager à reconnaître la décision que
les paroisses avaient déjà prise de se placer sous l’une ou
l’autre des juridictions ecclésiastiques, ainsi que la situation
ecclésiastique que les décisions déjà prises avaient instaurée
en Estonie.
En même temps, il a été décidé de donner la possibilité aux
autres paroisses (celles qui n’avaient pas encore fait leur
choix) de prendre leur décision dans un certain délai.
Dans ce but, le Patriarcat de Moscou s’est vu dans l’obligation
d’accorder aux ecclésiastiques orthodoxes d’Estonie, dépendant
de sa juridiction, ainsi qu’à ceux qui, parmi eux, avaient été
suspendus, la possibilité d’être intégrés à la juridiction du
Patriarcat œcuménique. Sur ce point, les deux Patriarcats ont
décidé de coopérer et de travailler ensemble à la présentation
commune de leur position auprès du gouvernement estonien, de
sorte à ce que tous les orthodoxes d’Estonie puissent jouir
de leurs droits, dont celui de propriété, et qu’une pleine communion
soit rétablie entre eux, car leur coopération revêt une extrême
importance pour tout le monde orthodoxe. Le Secrétariat du Saint-Synode
du Patriarcat œcuménique a publié un communiqué de presse sur
tout cela.
28. Le Patriarche œcuménique, dans sa lettre du 20 avril 1996,
a félicité le président de la délégation, le métropolite Pantéléïmon
du Tyroloé et de Sérention, et professeur de la Faculté de Théologie
de l’Université Aristote de Thessalonique, de l’issue heureuse
des entretiens. Si j’y fais référence, c’est précisément parce
que le rétablissement des relations entre l’Eglise-mère de Constantinople
et l’Eglise-fille de Moscou est aujourd’hui d’une importance
capitale pour l’Orthodoxie. L’Eglise russe, de par le nombre
de ses fidèles, sa situation géographique et sa contribution
à l’œuvre apostolique de l’Orthodoxie, constitue un membre précieux
de l’Eglise orthodoxe répandue par tout l’univers. Elle a, d’ailleurs,
en des temps difficiles, apporté son soutien aux autres Eglises
orthodoxes. Quoi qu’il en soit, le Patriarcat œcuménique reste
l’Eglise-mère, celle qui a accompli la mission apostolique la
plus lourde, dont le fruit est les Eglises orthodoxes d’aujourd’hui.
C’est elle qui a donné naissance à l’Orthodoxie, par ses Conciles
œcuméniques et locaux, et c’est elle encore qui constitue le
centre de l’Orthodoxie, unanimement respecté, parce que tous
rendent au Patriarche œcuménique les honneurs dus à un chef
d’Etat.
Je crois que tous estiment comme un bien suprême la coopération
entre les deux Eglises.
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