extraits
d'un article du quotidien "Eesti Päevaleht"
L'historien
Eerik Niiles Kross écrit que ce conflit d'Eglise
sera résolu seulement lorsque l'Eglise de Moscou
cessera d'être un instrument politique pour
devenir une Eglise spirituelle.
Il
y a quelques jours le Patriarcat de Moscou a annoncé
lors d'une conférence de l'OSCE, qu'il déclinait
la proposition du Gouvernement d'Estonie d'enregistrer
l'Eglise Orthodoxe dépendant de Moscou comme
un diocèse en Estonie. Le statut proposé,
dit-il, ne tient pas compte "des siècles
de traditions" de l'Eglise et de "la véracité
de son histoire". Aussi, ajoute-t-il, cette loi
ne reconnaît pas la continuité historique
de l'Eglise russe en Estonie.
Le problème consiste en ce qu'il est impossible
d'affirmer cela, parce que cette Eglise n'a pas existé
en Estonie de manière continue. Dans ce cas,
la République Estonienne devrait admettre que
l'ambassade russe à Tallinn est la même
que l'Administration Provinciale (Gubernskoye Nachal'stvo)
du temps du Tsar et que celle-ci a existé de
façon continue en Estonie.
LES
BOLCHEVIKS ONT SOUMIS L'EGLISE
Le
chef de l'Eglise russe depuis Pierre I jusqu'au coup
d'Etat bolchevique, a été le tsar. En
assassinant Nicolas II, les Bolcheviks, non seulement,
ont tué un monarque, mais ils ont aussi assassiné
le chef de l'Eglise, Eglise connue depuis un millénaire
pour ses peintres d'icônes, ses architectes,
ses auteurs comme Dostoïevsky, Tolstoï et
d'autres. La politique officielle des Bolcheviks voulait
détruire la structure de l'Eglise et professer
un athéisme militant. Le clergé a été
désigné comme ennemi du peuple et les
métropolites, les évêques et les
prêtres ont été arrêté
du seul fait de leurs activités. Ainsi, il
y avait 50 000 prêtres et 167 évêques
avant la révolution, il ne restait qu'une centaine
de prêtres et 7 évêques en 1939.
Beaucoup de russes croyants étaient persuadés
que le pouvoir des Bolcheviques venait de Satan et
qu'un de leurs leaders était l'Antéchrist.
C'est dans cette époque et dans ce contexte
que Bulgakov a écrit son " Maître
et Margarita".
Mais Staline, un génie de la manipulation des
masses, avait déjà pris la décision
de ne pas détruire totalement l'Eglise. Il
était plus utile de la transformer en un instrument
de son propre pouvoir. Après la mort du Patriarche
Tikhon (qui, selon certains, a été empoisonné)
en 1925, Staline n'a pas autorisé le choix
d'un nouveau Patriarche et a convoqué une Assemblée
Générale de l'Eglise. Le métropolite
Serge est devenu le chef provisoire de l'Eglise. De
plus, les places vacantes du Synode n'ont pas été
remplacées et son activité s'est arrêtée
pendant des années. Donc l'organisation de
l'Eglise a été désagrégée.
La vie de l'Eglise s'est arrêtée, la
vie religieuse est entrée dans la clandestinité
et des nouvelles sectes ont surgi, de plus en plus
nombreuses. En 1926, le primat d'alors, Serge, a été
arrêté. Quand il a été
relâché six mois plus tard, il fit une
déclaration appelée par les historiens
"la catastrophe spirituelle et morale" de
l'Eglise russe. Le métropolite Serge déclara
que l'Eglise devait coopérer avec le nouveau
régime. Pour conserver quelque existence à
l'Eglise, la hiérarchie a consenti à
devenir un allié actif du régime Soviétique.
En Russie et ailleurs il y eut des ecclésiastiques,
qui trouvaient que depuis la déclaration de
Serge, l'Eglise avait perdu son droit moral de guider
spirituellement le peuple russe. C'était, pour
l'essentiel, le Comité Central du Parti qui
mit la hiérarchie en place. Des églises
orthodoxes russes ont, à l'étranger,
refusé de reconnaître le Patriarcat de
Moscou, et le schisme continue jusqu'à aujourd'hui.
Quand les Russes étaient près de la
victoire en 1943, Staline a donné son consentement
pour la convocation d'une Assemblée Générale
afin d'élire un nouveau Patriarche et réouvrir
quelques séminaires. Pendant la guerre, Staline
a eu besoin de l'aide de l'Eglise pour galvaniser
les Russes. A partir de là, l'Eglise a commencé
à suivre les ordres du Kremlin et cette situation
dure jusqu'à aujourd'hui. Les dissidents à
l'intérieur de l'Eglise ont été
livrés aux autorités. Des secrets de
confession contenant des éléments politiques
ont été donnés au KGB. L'Eglise
a soutenu la politique étrangère de
l'URSS et le mouvement communiste international sous
le couvert de la lutte pour la paix. Le clergé
supérieur a obtenu les mêmes privilèges
que le reste de la nomenclatura.
L'ORTHODOXIE
EN ESTONIE
Les
Orthodoxes Estoniens, aussi, étaient les victimes
de la politique écclésiastique bolchevique.
Les Rouges ont assassiné l'évêque
Platon à Tartu le 14 janvier 1919. Après
la guerre d'Indépendance, les contacts avec
l'Eglise moribonde de Russie ont cessé. Une
Eglise orthodoxe indépendante a été
créée en Estonie et Alexandre Paulus
a été choisi comme son évêque.
En 1923, le Patriarche Meletios IV de Constantinople
a consacré Alexandre comme évêque
métropolitain. L'EAOK*
a demandé à être placé
sous la juridiction canonique du Patriarcat de Constantinople.
En fait, elle est restée indépendante.
La paix de Tartu a sauvé la vie de beaucoup
d'ecclésiastiques Orthodoxes pendant encore
vingt ans.
Moscou tente maintenant d'affirmer que l'EAOK*
est allé volontairement se soumettre à
Moscou après l'occupation de l'Estonie. Cette
affirmation est aussi fausse que celle de dire que
l'Estonie a adhéré volontairement à
l'Union soviétique. Déjà en 1940,
Moscou considérait comme nécessaire
la liquidation de l'Eglise autonome d'Estonie. En
mars 1941, le Commissaire du peuple en charge de la
sécurité, Merkulov, écrivit à
Staline : "le Patriarcat de Moscou doit procéder
à la nomination de l'Archevêque Dimitri
Nikolayevich Voznessensky (Serge, un agent du NGPU)
comme chef des diocèses de la Baltique, celle-ci
est justifiée par des appels répétés
du clergé local."
Après que l'Estonie eut recouvré son
indépendance, l'Eglise Orthodoxe d'Estonie
a décidé de se reconstituer ici. Cependant,
une situation curieuse a surgi dans l'Eglise. Une
comparaison pourrait se faire si, par exemple, un
groupe de personnes de Narva créait une administration
provinciale parallèle (comme pendant l'époque
tsariste), en affirmant que celle-ci a gouverné
l'Estonie depuis toujours. Les prêtres russes
nommés par Moscou ont alors obéi aux
ordres de Moscou et ont refusé d'accepter l'autonomie
de l'Eglise Orthodoxe d'Estonie.
Le problème est que le Patriarcat de Moscou
a connu une renaissance et une repentance limitées,
a canonisé le Patriarche Tikhon et a reconnu
les grandes pertes due à la période
communiste, mais il n'a pas renoncé à
son rôle d'instrument de la politique intérieure
et extérieure du gouvernement officiel de Moscou.
( )
La question de l'Eglise Orthodoxe en Estonie n'est
pas tant, pour le Patriarcat de Moscou, une question
de propriété d'églises et de
quelques dizaines de milliers d'âmes malheureuses.
C'est une question de territoire historique et de
sphère d'influence. Tout comme le gouvernement
civil moscovite veut garder et agrandir sa sphère
d'intérêts par des moyens politiques,
l'Eglise essaye d'aider le Kremlin en cette matière.
Moscou tente d'empêcher l'autonomie de l'Eglise
Orthodoxe d'Estonie, non pas à cause de quelques
églises à moitié en ruine, mais
pour changer les frontières de civilisations.
C'est pourquoi Moscou parle maintenant de la légitimité
historique et de la longue présence de son
Eglise en Estonie. ( )
*
Eesti Apostlik-Õigeusu Kirik, titre officiel
de l'Eglise Orthodoxe d'Estonie
"Eesti
Päevaleht" du 1er octobre 2001
(Traduit de l'estonien par nos soins)
reproduit
avec l'autorisation de "Eesti Päevaleht"